Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Plus que jamais, d’autres choix européens

Le premier acte du gouvernement Raffarin en matière économique aura été de confirmer l’intention, manifestée par Jacques Chirac pendant la campagne présidentielle, de remettre en cause l’objectif d’équilibre budgétaire en 2004 figurant dans le « programme de stabilité » établi à la fin de l’année dernière par Laurent Fabius en application du « Pacte de stabilité et de croissance ». Cet épisode souligne le poids des institutions européennes dans la politique nationale. Ainsi, la politique monétaire est unique depuis l’introduction de l’euro au premier janvier 1999, les politiques budgétaires sont assujetties au Pacte de stabilité après l’avoir été aux « critères de convergence » et les politiques industrielles, des revenus, de la concurrence sont placées sous la surveillance sourcilleuse de la Commission européenne.

Pour tant , la cré dibilité du Pacte de stab ilité est déjà bien atte inte, pas seulement à cause de la France . Les déficits alleman d et por tugais s’approchent dangereusement de la limite des 3 % fixée par le Pacte , mais le Conse il des ministr es des finances eur opéens a refusé de reprendre à son com pte les répr imandes proposées par la Commission contr e ces pays. Avec la France et l’Italie, voilà donc quatr e économ ies, dont les trois plus grandes de la zone eur o, que le Pacte de stab ilité plonge dans l’embarras . Il est donc tout à fait poss ible, com pte tenu du poids de ces pays dans les inst itut ions eur opéennes , qu’un arran gement soit finalement trouvé pour alléger quelque peu les contra intes du Pacte de stab ilité.

Cela suffirait-il à rendre des marges de man œuvre à la politique écono mique ? Le croire sera it oublier que le dispos itif économ ique eur opéen a toute une cohérence . Toutes les dispositions du tra ité de Maastr icht ont pour but de renforcer l’attract ivité des places financ ières eur opéennes pour les capitaux internat ionau x en quête de renta bilité. La pièce essen tielle de l’ensem ble est la monna ie unique, conçue comme une arme de guerr e économ ique contr e le dollar. L’indépen dance de la Banque centra le eur opéenne , sa focalisation sur la « stab ilité des prix » et le pacte de stabilité lui-même visent d’abord à cela.

Il n’y a pas de danger que la droite s’avise de por ter atte inte à cette logique. Le gouvernement ne remet d’ailleurs en cause ni l’objectif final du Pacte ( des com pt es publics « proches de l’équilibre ou en excédent »), dont l’échéance sera it seulement repoussée de quelques années , ni la politique de la Banque centra le eur opéenne . Bien plus, le programme budgétaire de la droite ne fait en réalité que refléter l’es prit même du Pacte de stab ilité, puisqu’il est axé sur des allégements d’impôts pour les entr eprises, les détenteurs de grosses for tunes et les titulaires de hauts revenus .

De son côté , le Par ti socialiste, dans la logique de l’adhésion donnée par Lionel Jos pin aux objectifs du sommet de Barcelone, s’en tient à l’engagement de res pecter l’échéance de 2004 pour atte indre l’équilibre des com ptes publics. Reste à expliquer comment il envisage de conc ilier cet engagement avec son programme (diminution de moitié de la taxe d’habitation, baisse de la fiscalité indirecte , allégement des cot isat ions sociales patr onales, mais auss i « priorité à l’hôpital public »…). Plusieurs de ces dispos itions ne figurent pas dans le programme de stab ilité éta bli par le gouvernement Jos pin à la fin de l’année dernière, qui laissait subs ister un déficit de 0,5 % du PIB dans ses prévisions pour 2004. Or, les prévisions de la Commission eur opéenne , pour tant fondées sur une hypothèse de croissance plus for te que celle du programme de stab ilité, suggèrent que l’objectif aura it de toute façon été difficile à atte indre.

Ce sera it plus facile avec une croissance plus for te, égale ou supér ieur e à 3 %, mais il n’est pas au pouvoir d’un gouvernement de décréter un taux de croissance (1), d’autant qu’un obst acle de taille se présente : la Banque centra le eur opéenne . L’institut ion de Francfor t se prononce clairement en faveur du programme ultralibéra l défendu par le patr onat et les marchés financ iers : réduct ion des dépenses publiques, liber té tota le de licenc ier accor dée aux chefs d’entr eprise, press ions sur les salaires (la BCE a lour dement mar qué sa « préoccupation » devant la grève des salariés alleman ds de la méta llurgie), privatisation plus ou moins rampante des inst itut ions de sécur ité sociale… Elle sout ient qu’en l’absence de telles mesur es toute croissance supér ieur e à 2,5 % dans la zone eur o ne peut qu’engendrer de l’inflation, et elle fait planer sur les gouvernements eur opéens la menace d’une hausse de ses tau x d’intérêt au cas où l’act ivité dépassera it cette limite.

On ne peut donc pas com pter sur la Banque centra le européenne , dans sa configurat ion actue lle, pour aider à la mise en œuvre d’un programme social, si peu marqué à gauc he soit-il. Le programme du Par ti socialiste reconna ît, jusqu’à un cer tain point, cette difficulté, puisque l’une de ses propositions prévoit que « la Banque centra le européenne prendra en com pte l’emploi et la croissance dans ses inter ventions ». Une politique monéta ire plus soup le, capable de stimuler la croissance en cas de ralent issement conjonctur el ? Habitue llement asso ciée à la proposition d’un « gouvernement économ ique » eur opéen, cette idée fait asse z largement consensus , depuis une par tie de la droite jusqu’à des forces qui se réclament parfois d’une gauc he radicale (2). Elle soulève cependant deux quest ions .

La première quest ion est inst itutionne lle et juridique. Si cette proposition est un simple souha it, elle risque de peser asse z peu face à une Banque centra le eur opéenne jalouse de son indépendance . S’il s’agit d’inscrire l’emploi et la croissance dans les object ifs forme ls de la politique monéta ire unique et donc dans le statut de la BCE, cela supposera it une rené gociation du tra ité de Maastricht : ce n’est pas ce qu’indique la formu lation prudente et peu contra ignante du programme socialiste. Ses auteurs cont inuent app aremment d’acquiescer au tabou d’une politique monéta ire axée sur la recherche d’une « cré dibilité » aux yeux des marchés financ iers .

La deuxième quest ion est écono mique et politique. Une banque centra le plus encline à la modérat ion en matière d’inflation suffirait-elle à faire pr évaloir l’exigence de créat ions d’em plois, de format ion des travailleurs , de maîtrise par tous des nou velles techno logies informat ionnelles ? Sûrement pas, si les normes en vigueur sur les marchés financ iers cont inuent de s’imposer aux banques, aux com pagnies d’assurance , aux entr eprises et aux gouvernements . On le constate d’ailleurs aujour d’hui : l’assou plissement de la politique monéta ire, appliqué avec déterm ination dès le début de l’année 2001 aux Etats -Unis, plus timidement ensu ite en Europe, a cer tes évité un effondrement de la Bourse , et relancé les placements financ iers et immob iliers ; il n’a pas beaucou p allégé les charges financ ières pesant sur les entr eprises car, dans tous les grands pays industrialisés , les tau x d’intérêt à long terme , ceux qui pèsent sur les investissements , ont au contra ire plutôt eu tendance à remonter depuis le 11 septembr e.

Une politique prenant au sérieux le défi d’une réponse à la crise sociale et politique créée par la dégradat ion de l’emploi (30 % des chômeurs aura ient voté Le Pen le 21 avril !) ne peut donc pas s’intér esser seulement au réglage macr oéconom ique de la conjonctur e. En con vergeant avec les mob ilisat ions sociales contr e les licenc iements et la précar ité, elle doit auss i s’attac her à influencer les milliers de décisions économ iques qui se prennent chaque jour dans les entr eprises et dans les inst itut ions financ ières, pour commencer à créer les con ditions écono miques et financ ières d’une sécur ité d’emploi et de format ion pour tous . Cela implique, face aux marchés financiers qui orientent sélectivement les financements vers les placements por teurs de la renta bilité maximale pour les détenteurs de capitaux, de commencer à faire pr évaloir une sélectivité toute différente des crédits. Par exemple, les bonifications sélect ives d’intérêt , permettant de baisser les charges financ ières pour les entr eprises qui développent l’emploi et les nou velles techno logies, ont fait la preuve de leur efficacité (3). Coupler le mécan isme des bonifications d’intérêt avec un sout ien spéc ifique de la Ban que centra le eur opéenne aux banques qui distr ibuent des prêts à ces entr eprises créera it un cadre de politique économ ique donnant réellement la priorité à l’emploi et à la croissance réelle, utilisant l’ensemb le des instruments de la politique économ ique en vue d’inciter les entr eprises et les inst itut ions financières à orienter les ressour ces financières en fonct ion de nou veaux critèr es d’efficac ité économ ique et sociale.

Dans un tel conte xte, une remise en cause radicale du Pacte de stab ilité deviendrait économ iquement viable, car le nou veau com por tement des acteurs économ iques pourra it converger avec une politique de relance concer tée des dépenses publiques suscept ibles de répondr e à la fois aux besoins urgents de la population et d’élever l’efficac ité de l’économ ie nationale et eur opéenne : dépenses d’éducat ion, de santé , de recherche, en faveur du logement social…

L’object if d’une renégociation du tra ité de Maastr icht, et la remise en cause rad icale du Pacte de stab ilité s’inscr iraient ainsi dans une autr e conce ption de la construct ion eur opéenne , capable de faire reculer la domination des marchés financ iers , ouver te à une pers pective de codéveloppement pour les 300 millions d’habitants de la zone eur o comme pour leurs voisins du Sud et de l’Est et porteuse d’une identité politique for te dans les luttes sociales et politiques à venir. Ÿ

  1. Voir Yves Dimicoli, « Les programmes économiques des candidats », dansle précédent numéro d’Economie et Politique.

  1. Voir par exemple Dominique Plihon, « L’euro pour toute politique », Le Monde diplomatique, février 2002, ou le manifeste des Économistes européens pour une Politique alternative en Europe, « Une politique économique contre la récession et la polarisation en Europe, propositions pour combattre le vide idéologique et l’impuissance publique », décembre 2001, ou encore Heiner Flassbeck, « L’euro, c’est bien, c’est le dispositif monétaire européen qui est mauvais », Frankfurter Rundschau, 9 novembre 2001.

  2. Voir le cinquième rapport de la Commission européenne sur les prêts bonifiés de la Banque européenne d’investissement aux PME, et les commentaires d’Alain Morin à ce sujet, dans ce numéro.

 

Par Durand Denis , le 31 March 2002

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