Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Les ingénieurs et cadres vers les 35 heures ?

Le Comité européen des droits sociaux a condamné le système des forfaits jours (1) sans limite horaire pour les ingénieurs et cadres. Le Comité estime que la France, en autorisant ainsi des durées de travail excessives, ne respecte pas ses engagements internationaux. Cette décision est une belle victoire pour les ingénieurs et cadres, pour les 35 heures. Sale coup par contre pour le Medef qui voit ses manœuvres contre la RTT mises en cause. Rappelons la genèse de cette affaire.

Depuis longtemps les ingénieurs et cadres (3 millions de salariés aujourd’hui) sont contra ints à de longues journées de tra vail.

Dans les années 90 ils commencent à se rebiffer, à ne plus acce pter de consacr er toute leur vie à l’entr eprise, d’autant plus qu’ils y trouvent de moins en moins cons idérat ion et rémunérat ion satisfaisantes .

En mai 1999, au cours d’une conférence de presse , l’UGICT-CGT révèle un document interne signé du DRH de Matra . Celui-ci explique crûment comment tricher parce que le paiement des heur es supp lémenta ires aux cadres de l’entr eprise coûtera it 150 millions de Francs par an. Une délinquance qui cause un préjudice annue l de 150 000 francs par an à chaque salarié concerné . On mesur e l’enjeu phénoména l à l’échelle du pays.

Des ins pecteurs du tra vail et des juges écoutent les ingénieurs et cadres et inter viennent pour faire respecter la législation : Siemens , Matra , Thomson , Carr efour, Alcate l… Tous les grands groupes sont dans le collimateur des juges et de la police du tra vail. Les dirigeants de Thomson sont con damnés en corr ectionne lle.

Il s’agit alors pour les dirigeants des grandes entr eprises de trouver d’urgence une para de. Comme ils ne veulent , ni res pecter les durées de tra vail réglementa ires, ni payer les heur es supp lémenta ires, ni embauc her, il faut casser le thermomètr e, détru ire l’instrument de mesur e du temps de travail, en d’autr es termes faire disparaître les preuves du délit. On invente le forfait/jour que des exper ts en manipulation just ifient par l’idée qu’à notr e époque moderne la mesur e du temps de tra vail en heur es n’aura it plus de sens . Afin de préparer les es prits une rafale d’ar ticles sur ce thème paraissent .

Le forfait jours est repris dans le projet de loi Aubr y 2. Il permet de fait d’aller jus qu’à 13 heur es par jour, 78 heur es par sema ine, 2 821 heur es par an. Cela provoque la colère des ingénieurs et cadres et de leurs syndicats . En 1ère lectur e, les députés commu nistes et ver ts et quelques autr es votent contr e l’ar ticle 5 du projet de loi qui cont ient le forfait jours .

En deuxième lectur e ces députés obtiennent que le forfait jours soit limité à la petite minorité de cadres autonomes . Il est également prévu un cer tain nom bre de garant ies comme le contrô le de l’amplitude de la journée et la diminution des charges de tra vail.

Mais le Medef poursu it son offensive contr e la réduct ion du temps de tra vail. En deux ans , en toute illégalité, les 2/3 des ingénieurs et cadres sont mis au forfait/jour. Des agents de maîtrise et des techn iciens sont rebaptisés cadres pour pouvoir les faire tra vailler davanta ge. Les charges de tra vail s’accr oissent au lieu de diminuer. Pour obtenir la signatur e des accor ds, on a semé la confusion en parlant de RTT sous forme de jours de repos auxquels les cadres as pirent tout en étant discret sur le fait que la signatur e du forfait jours impliquait la suppr ess ion de toute autr e limite que 13 heur es par jour et 78 heur es par sema ine. L’object if patr onal de maintien du statut quo était atte int.

 

1. La loi Aubry 2 a introduit une RTT spécifique pour les cadres sous la forme d’une diminution de l’ordre d’une vingtaine de jours (selon les accords RTT) sur l’année dite forfait/jour. Ce dispositif est dangereux car il rend possible en même temps l’allongement sensible des durées de travail quotidiennes et hebdomadaires.

 

Malgré l’absence de durée du travail collective à 35 heur es, ces entr eprises obtenaient tout de même les allégements de cotisations sociales. Les Directions du Travail avaient reçu une circulaire ministér ielle disant que s’agissant d’un nou veau barème de cotisations il n’y avait pas lieu de contrô ler la légalité des accor ds.

La CGC qui a contesté le forfait/jour devant les instances eur opéennes vient donc de gagner son action. De nom breux cadres gagnent par ailleurs les procès qu’ils intentent contr e les forfaits qui leur sont imposés .

En réact ion, on enten d des commentateurs officiels et officieux dire que la décision eur opéenne n’a pas de caractèr e obligatoire. Que valent alors les discours sur l’Europe sociale ? A l’évidence , rien d’autr e que des discours .

Les inventeurs du forfait/jour doivent reconna ître leur échec. Il ne ser t à rien de tergiverser ; avec la décision eur opéenne , les cadres et leurs syndicats vont êtr e encoura gés à agir, les tribunau x vont disposer d’un argument de poids supp lémenta ire pour annu ler les accor ds collectifs et les con ventions individuelles illégaux et contra ires aux tra ités internat ionau x.

Ne rien faire entr etien dr ait une incer titude juridique désastr euse .

Il faut d’abord abroger l’ar ticle L 212-15-3-III du code du tra vail qui prévoit le forfait/jour.

En même temps , il faut un dispos itif qui permette la réelle diminution du temps de tra vail des ingénieurs et cadres et la créat ion mass ive d’emplois qualifiés. Les ingénieurs et cadres ont droit à la réduct ion du temps de tra vail, aux 35 heur es. C’est ce qui a été annoncé lors de la présentat ion des lois Aubr y : 35 heur es et non 40, 44 ou 48. Mais on sait qu’il n’est pas poss ible de passer de 48 heur es en moyenne à 35 heur es en un seul jour. Il faudrait recruter au bas mot 500 000 ingénieurs et cadres alors qu’il y en a moins de 200 000 sans emploi et que la pénur ie est tota le dans cer tains métiers . Par ailleurs dans beaucou p d’entr eprises, il faudra une réorganisation com plète du tra vail parce que de nom breux cadres consacr ent trop de temps à des tâches qui pourra ient êtr e faites par d’autr es qui eux sont inscr its à l’Anpe.

La démarche suivan te, dans le cadre d’une modification législative facili terait la solution du problème :

  1. suppr ess ion du forfait/jour, les tra ités internat ionau x sont ainsi respectés , les 35 heur es hebd oma daires s’appliquent imméd iatement aux ingénieurs et cadres ;

  2. mais les entr eprises qui éta blissent un plan de résorpt ion des heur es excédenta ires à par tir d’un état des lieux de la durée réelle pratiquée disposent d’un délai de 5 ans pour respecter la durée légale en suppr imant chaque année 1/5ème des heur es supplémenta ires. Le plan pr évoit les mesur es de format ion, de recrute ment et de réor ganisation néces saires. Le plan est négocié et signé par les syndicats majoritaires de l’entr eprise.

Une telle démar che pren d en com pte les réalités d’aujour d’hui, elle con duit à la baisse réelle du temps de tra vail, elle permettra it l’embauc he de centa ines de milliers de salariés cadres et non cadres et la format ion profess ionne lle de chômeurs insuffisamment qualifiés. Ÿ

 

(1) Co-auteur avec Gérard Filoche de « Bien négocier les 35 heures, guide pratique

et critique à l’usage exclusif des salariés », La Découverte, 2001.

 

 

Par Chicote Sylvian , le 31 mars 2002

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