Les vingt dernières années ont été le théâtre de bouleversements, de remises en cause profondes de nos certitudes sur l’importance des rôles de l’Etat, des collectivités locales, puis des institutions européennes en construction, dans les domaines de l’emploi.
Les périodes qui se sont succédées , ont été mar quées par des caractér istiques très par ticulières (1) :
83/87 : la « désinflation com pétitive » : la France perd 80 000 emplois industr iels,
88/90 : la com pétitivité retr ouvée ; 745 000 emplois créés dans le ter tiaire et les ser vices ,
91/93 : la vraie crise (ma rquée par la guerr e du Golfe) ; 500 000 emplois perdus, montée de l’exclusion, apparition du conce pt de « sans droits », et de « faillite familiale »,
94/96 : une reprise trop lente pour infléchir les marchés du tra vail (+ 330 000 emplois créés) ,
96/2000 : une croissance écono mique « for te » (2), mar quée par les politiques publiques que sont les emplois jeunes et la réduct ion du temps de tra vail.
De la fin des années 70 au début des années 2000, la France est passée de pres que 1 million de chômeurs à plus de 3 millions .
Le constat
Précar ité, pauvreté, exclusions … sont le triste paysage des villes autr efois pros pères. Les em plois industriels trad itionne ls ont disparu , le tertiaire s’impose … les marchés de l’emploi sont désta bilisés , le recours aux CDD et à l’intér im se généra lise, alors qu’apparaît un phénomène de « pénurie de main d’œuvre » dans un cer tain nom bre de secteurs économ iques émer gents ou en restructurat ions (intr oduction des NTIC, nou veau commerce, ter tiairisation de l’industr ie,
….) La théor ie de la « fin du travail » (3) apparaît, et semb le const ituer l’horizon indépassa ble de la société : des expériences de systèmes économ iques locau x basées sur le troc app ara issent . Bien que syndromes du retour aux sociétés primitives, ces expériences sont à la mode et symbo lisent plutôt le nec plus ultra de la solidarité, et du retour aux sour ces , nécessa ire au repeuplement des cam pagnes, pour une agricultur e biologique extens ive, ... Ces théor ies sont por tées par les mou vements écologistes .
Des phénomènes paradoxaux apparaissent
Jamais la grande richesse n’a autant côto yé la grande pauvreté. Cette dualité terr itor iale qui s’exprime dans la relation Nord-Sud au plan internat ional, s’exprime maintenant dans l’intra-mur os hexagonal, de la région au dépar tement , de la ville, jus qu’aux … quar tiers ! Ainsi, dans la même ville, coexistent des quar tiers pros pères caractér isés par un cœur histor ique et commer cial, où viennent s’implanter des immeub les d’act ivités tertiaires ; et des quar tiers périph ériques d’habitat dense qui accumu lent les handicaps sociaux (chômage, pauvreté, échec scolaire), et toujours des han dica ps ur bains (man que d’équipements privés et publics, déficit de transpor ts en commun , immobilier dégradé , etc .).
Sur fonds d’annonce d’une Europe encor e lointa ine, app ara issent des out ils de péré quation fiscau x. Cer tes ceux-ci sont trop peu développ és, telles que les dotat ions exceptionnelles pour les villes structur ellement financ ièrement désé quilibr ées . De même les politiques contractue lles de l’Etat , notamment les contrats de ville, issus des out ils de planification que sont les contrats de plan Etatrégions, ont pour vocat ion de corr iger les effets des restructurat ions des grands groupes et la désindustr ialisation (apparition des friches urbaines) dans les villes. Mais de fait, celles-ci doivent gérer le réemp loi de friches, les effets sociaux du chôma ge, la per te des activités de sous-traitance industr ielle, et de la déser tificat ion commer ciale : le « mitage » commer cial apparaît en centr e ville.
La mutation
L’ère du tout ter tiaire et des ser vices s’annonce : Paris brigue la place de Première Place financ ière de l’Europe cont inenta le, apparaissent les projets du Grand Paris, et de l’axe d’affaires Londres Milan. Hors de ces grands projets qui doivent structur er le paysage économ ique européen, les autr es terr itoires sont voués à l’oubli. C’est une période de désinvestissements publics en province : fermetur es d’écoles, de bureaux de poste , d’hôpitaux, et de lignes de transpor t …
Globalement , le discours est que le ter tiaire crée les emplois perdus par l’industr ie… Cependant le nom bre des chômeurs ne cesse de croître, le constat des inadéquations de l’emploi local avec les caté gories socioprofessionne lles des habitants augmente . Tandis que le phénomène d’un « chômage para doxal » app ara ît : l’offre d’em plois ne corr es pond pas à la deman de, le chômage des jeunes vu comme la consé quence d’un manque de format ion, explose (4).
Pen dant ce temps , les citoyens , chômeurs , électeurs , salariés, se retournent vers les acteurs locau x du terr itoire. L’em ploi est devenu un phénomène de proximité !
Et par la force des choses , les collect ivités terr itor iales sont confrontées , via leur CCAS, au financement des actions d’inser tion pour les personnes évincées très dura blement de l’em ploi et finalement de la vie sociale.
De nouveaux outils
Au plan inst itut ionne l, les collectivités locales se dotent d’outils de développ ement économ ique, elles sont confrontées , qu’elles le veuillent ou non aux problèmes de l’emploi et de l’inser tion. Et pour aller vite, « on passe d’un monde simple, organisé autour de la relation entr e des opérateurs dominants : Etat, entr eprises, et par tena ires sociaux, sans app ui sur les terr itoires, à un monde com plexe . Ainsi les com pétences se par tagent : l’Etat garde la res ponsa bilité de la con duite de la politique de l’emploi, les régions : la format ion profess ionnelle, les dépar tements et les communes : l’inser tion » (5). La contrac tualisation des politiques publiques entr e l’Etat , les Régions et les autr es collectivités se déclinent en Contrats de ville, Contrats de Plan, Plans locau x pour l’inser tion et l’emploi …
La quest ion du trans fer t des compétences déconcentrées de l’Etat au profit d’acteurs de terr itoires se pose. Mais quelles en sont les con ditions ?
La construct ion eur opéenne impose un freinage dr ast ique des dépenses publiques. Les politiques contractue lles de l’Etat , orchestrées par les Préfets vont donc êtr e gérées dans le double objectif d’inciter les villes à coo pérer entr e elles (incitations au sens de la Loi Chevènement) , et celui de con venir aux critèr es de Maastr icht. Ainsi l’obt ent ion de contrats soutenus par des finance ments eur opéens com binés à des financements nationau x et régionau x, voire privés, pour des opérat ions d’ampleur (qui agissent sur l’aména gement du terr itoire, sur l’emploi, et les équipements ur bains), ira aux villes les plus allégeantes au Pouvoir. Pour les autr es, la « théor ie de la rar eté » appliquée aux financements publics ou le risque encouru dans le rappor t contractue l de se voir imposer des actions non souha itées par les élus, et encor e moins discutées avec les citoyens !
L’émergence d’une nouvelle dynamique territoriale
Les défis de la révolution informationne lle et préten dant y répondr e, la construct ion de l’Europe de Maastricht dominée par les marchés financiers avec une BCE ne se souc iant pas de l’emploi, favorise une for te com pétition entr e terr itoires par les grands groupes. La préser vation, la reconquête ou la construct ion d’une identité économ ique locale devient un enjeu de développement , voire de survie. C’est donc sur fond de bouleversements des systèmes (inst itutionne ls, économ iques, sociaux, product ifs) qu’un type de développement écono mique local contra int par les exigences de renta bilité financ ière fait saillir avec une force sans précé dent l’enjeu de l’emploi et de la format ion au plan local.
Compte tenu de l’élitisme de la formation et des pénur ies de main d’œuvre, les « ressour ces humaines » sont devenues un bien rar e tant qualitat ivement que quant itat ivement . Au lieu de coo pérer pour un plein essor de bonnes format ions pour tous , les entr eprises écrèment les « ressour ces humaines » pour valoriser leur compétitivité.
C’est alors que les terr itoires où s’est insta llée la pauvreté, sur la base de CSP de faible niveau deviennent dissuas ifs pour y développer des activités , d’autant que les ser vices financiers et de format ion n’y sont plus ou pas présents .
Vers de nouveaux défis
Dans ces con ditions , les entr eprises, et notamment le Medef, inter rogent les pouvoirs publics sur leurs pr atiques et deman dent « plus de déconcentrat ion, et plus de décentra lisat ion «.
L’affirmat ion du Bass in d’Emploi comme échelon per tinent de coor dination des politiques, pour la plupar t des acteurs , devient un fait incontour nable, mais derr ière les mêmes mots , tous les acteurs ne donnent pas le même contenu .
Les acteurs du terra in que sont les élus locau x et les développeurs économiques conna issent leur tissu . En dépit de l’ar ticulation entr e les politiques publiques nationales de l’emploi et leur traduct ion terr itor iale qui reste un processus non stab ilisé (le millefeuilles inst itut ionne l), ils ont la qualité pour analyser, tra vailler en réseau , êtr e à l’initiative de par tenariats …Pour constru ire des solidarités inno vantes .
Le patr onat quant à lui est divisé. Il est évident que plus de pouvoirs et de financements déconcentrés , dans une logique dite d’efficacité des politiques publiques , profiter ont aux plus grosses entr eprises, ou aux terr itoires jugés les plus straté giques, dans une volonté de ne pas émietter les moyens , pour en concentr er les effets . Les laissées pour com pte sont toujours les très petites , et petites entr eprises, qui cependant att irent les éloges de toutes par ts sur leur potentiel à créer de l’emploi.
Quant à la décentra lisat ion, elle renvoie aux pouvoirs des élus, mais auss i aux trans fer ts de charges de l’Etat sur les collectivités locales. Le volet financ ier de la loi de décentra lisation est atten du depuis… 1982.
Les PLIE (plan locau x pour l’inser tion et l’emploi) sont donc le nou vel out il d’inter vention déconcentrée , sur les terr itoires (6).
C’est une réponse inst itut ionne lle à ces exigences politiques. Pour autant , les élus et les populations en ont ils la maîtrise ?
Les comités de pilotage ne cont iennent aucune poss ibilité qu’y soient représentées des assoc iations de chômeurs . Les élus locau x n’ont pas a priori, le choix des out ils qui doivent êtr e mis en place sur leur terr itoire, alors qu’ils sont redevables de leur politique devant les citoyens . La marge de man œuvre est donc faible, et doit se jouer dans la négociation qui s’instaur e entr e le diagnost ic de terr itoire et la mise en place des out ils du Plan local pour l’inser tion et l’emploi (PLIE). Le Préfet préside le dispositif dans lequel il est personne llement res ponsa ble de la cohérence des politiques d’aména gement du territoire et des financements eur opéens .
Pour tant , le niveau local tend à s’affirmer comme un échelon per tinent d’élaborat ion et de mise en œuvre des politiques publiques en matière d’emploi, de format ion, d’inser tion sociale et profess ionne lle. Ceux-ci implique que des réformes inter viennent pour permettr e plus de démocrat ie dans l’élaborat ion des act ions de proximité, avec un véritab le trans fer t aux collectivités locales des com pétences déconcentrées de l’Etat accom pagnées de leurs financements .
En outr e, il ne semb le pas déraisonnable dans ces con ditions que soit renforcé (7) l’accom pagnement financier, aujour d’hui facultatif, du secteur privé dans ces actions de recom position du tissu socio-économ ique des terr itoires.
En effet, à l’instar des textes eur opéens sur la dépollution des sites industr iels délaissés , communément intitulés « les lois pollueurs -payeurs », il devient indispensab le de lutter contr e les effets d’au baine (8). Il sera it nécessa ire d’obliger les entr eprises consommatr ices de ressour ces locales (main d’œuvre, aména gement , équipements , financements , etc .) à par ticiper financ ièrement à la compensat ion de leur dépar t ou au contra ire répondr e aux exigences nou velles en matière de format ion, d’aména gement , et d’équipements . Là encor e le recours au cré dit s’avérerait des plus utiles, d’autant que leur amor tissement sera it garant i par des par tenar iats for ts de leur mixité.