Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Enron Earthquake. La déréglementation électrique en question

2 décembre 2001. Coup de théâtre. Le héraut de la déréglementation, Kenneth L. Lay, le président et « inventeur » d’Enron, annonce la mise sous tutelle du chapitre 11 de la loi américaine de son entreprise. La faillite la plus retentissante de toute l’histoire des Etats-Unis est consommée !

Comme dans un mauvais roman noir, les sema ines suivantes amènent leur lot de révélations sur les com plicités politiques dont a bénéficié Enron et leur cor tège d’événements tels le suicide d’un ancien vice-président de l’entreprise, les démissions en chaîne dans le conse il d’administrat ion, la mise en cause du prest igieux consu ltant inter nat ional Arthur Andersen . Personne ne p eut pr é juger d e l’issue d es enquêtes en cours sur le scanda le du géant de l’éner gie, du pourfendeur des réglementat ions au nom de la liber té d’entr eprendre, du chantr e du « marché avant tout ».

Mais les premières consé quences sont déjà là. Un trou de 63,3 milliards de dollars , des licenc iements mass ifs parm i les 21 000 salariés d’Enron et ruine de la tota lité d’entr e eux. Jusqu’à leur retra ite com promise par l’effondrement de leur fonds de pension dédié invest it jus qu’à 60% en actions Enron.

Pertes cons idéra bles auss i pour plus de 800 000 petits actionna ires d’Enron qui ont vu l’act ion passée de 90 dollars à moins de 1 dollar en janvier 2002. Per tes impor tantes pour les fonds de pension qui avaient tous invest i dans Enron…

Enron est décidément une leçon de chose. Tout à la fois scanda le politique, scanda le économ ique et financ ier et scanda le social, elle éclaire sur les liens qui unissent une grande multinationale au pouvoir politique, sur l’extrême faiblesse des régulations dans l’univers néo libéra l (comme la FERC dans la crise californ ienne , la célèbre Stoc k Exchange Commission n’a rien vu venir et a for tiori prévenir), sur les politiques discutab les des consu ltants et commissaires aux com ptes, sur les risques du système des fonds de pension. Sur enfin – et c’est essent iel du propos qui suit – les dangers de la déréglementa tion.

Après le désastr e du système électrique californ ien, la faillite d’Enron rappelle à nouveau que l’éner gie n’est pas une marchandise. La déroute du « market maker » – le faiseur de mar ché – mérite donc une étu de appr ofon die.

On ne peut en effet oublier qu’Enron a été le modè le pour nom bre d’entr eprises et de gouvernements de par le monde . La preuve pendant longtemps de la supposée supér iorité du marché sur la réglementat ion, du privé sur le public. Au vu du désastr e, chacun aujour d’hui tente d’ou blier. Mais les réalités ont la vie dure. Par exemple qu’est-ce qui différencie l’entr eprise britann ique d’origine gazière Centr ica d’Enron ? Les grandes entr eprises européennes d’éner gie n’ont-elles pas auss i invest i dans l’act ivité de trad ing, jusqu’aux entr eprises publiques EDF et GDF, prenant ainsi des risques cons idéra bles ? Les dérivés financ iers multiples (dérivés NOx, dérivés météor ologiq ues …) et h y p er spécu lat ifs n’ont-ils pas été développés ? La struc tur e par Business Units de l’entr eprise imposée p ar le mana ger d’Enr on , comme la filialisat ion d’activités et l’externa lisation de capital pour maximiser le ren dement des ca pitau x invest is n’ont-elles pas pénétré les grandes entr e pr ises d u secteur en Eur o p e notamment ? Et plus généra lement , les gouvernements , jusqu’à la Commission européenne , n’ont-ils pas été obnubilés par la success stor y d’Enron, preuve vivante que la déréglementat ion fonctionna it ?

Là auss i l’heur e des bilans est donc venue .

Mais quel était le métier d’Enron ?

La chute d’Enron est d’autant plus spectacu laire que sa montée vers le got ha des multinationales a été irrésistible. En une dizaine d’année , une entr eprise mineur e issue de la fusion de deux petits opérateurs de gazoducs régionau x – Houston Natura l Gas au Texas et Inter Nor th d’Omaha au Nebraska – s’est hissée au 7ème rang des plus grandes entr eprises amér icaines. En 2001 son chiffre d’affaires éta it de plus de 180 milliar ds de $. P résente un p eu p ar tout d ans l e monde , Enron à son apogée contrô lait la majorité du négoce de l’électr icité et du gaz aux Etats -Unis, mais auss i un cinquième du négoce européen. 21 000 salariés tra vaillaient pour elle. Son président Kennet h L.Lay éta it adulé des médias et des analystes financ iers , ce qui lui valut le privilège d’êtr e nommé à plusieurs reprises « manager de l’année ». Enron dans l’imaginaire amér icain représenta it « l'entreprise du 3ème type », l’entr eprise réact ive, celle qui mise sur la liber té d’entr eprendre, qui pourfend les fonct ionna ires, les régulateurs de tout poil, les em pêcheurs d e « c réer », les a dm inistrat ions . L’entr eprise moderne où l’on privilégie les cer veaux plutôt que les bras, où l'on em bauc he fièrement plus de 250 titulaires des plus prest igieux MBA amér icains par an, où l'on valorise par stock-options inter posées des réuss ites sociales virtuelles au sein de l’entr eprise.

Kennet h L. Lay et son redouté directeur Jeffrey K. Skilling n’hésitaient pas dans des spots télévisés à en appeler à Gandhi, à Lincoln, à tous les ins pirateurs de la liber té, pour vanter leur Enron. Le lancement d’ENRONonLine, première plate-forme Internet pour l’ac hat d’électr icité en ligne, avait donné lieu à une débauc he de publicité et une avalanc he de commenta ires élogieux. Enfin l’économ ie de l’électr icité et d u gaz éta i t li b érée d e ses contra intes , la nouvelle économ ie rejoignait l’anc ienne pour le bien-êtr e de l’human ité toute entière !

La faillite est d’autant plus retent issante . « C’est comme si une troisième tour s’était effondrée à Manhattan »! (1)

Après la chute d'Enron une quest ion de bon sens revient : finalement quel était le métier d'Enron ?

Enron et son fondateur Kennet h K. Lay ont inventé le négoce (le trad ing) de l’éner gie. L’ac hat et la vente de matières premières au com ptant ou à terme sont connus depuis longtemps . Mais l’invention d’Enron est d’en avoir appliqué les principes à des denrées non stoc kables et fonct ionnant en réseau x comme l’électr icité. En fait Enron était un cour tier en électr icité qui ac heta it à des producteurs des quant ités livrab les à terme à des distrib uteurs , d es entr e pr ises consom matr ices ou des par ticuliers . Le bénéfice provenait de la différence entr e le pr ix d’ac h at et le pr ix d e vente à l’éc héance . Pour êtr e renta ble, l’act ivité nécess itait que les quant ités mises sur le mar ché soient plusieurs fois achetées et revendues avant la livraison physique définitive. Dès 1994, l’act ivité d e trad ing d ' é lectr i c ité est devenue l’act ivité principale d’Enron. Le vrai lancement est cependant plus récent et concom itant avec l’arr ivée de Jeffrey K. Skilling pr écé demment consu ltant chez Mac Kinse y &Co. Sous son impu lsion, Enron développe tout un tas d’instruments financ iers hyperspécu latifs, les produits dérivés. Le principe officiel est de fourn ir aux clients des cou ver tur es de risques sur leurs fourn itur es d’électr i c ité . L’en vironnement , la météo , les quant ités d’ajustement … tout d evient prétexte à cotat ion.

En 1997 Enron intr oduit ainsi sur les marchés financ iers des dérivés météo rologiques censés garant ir les entr eprises contr e les risques météo (2). Il intr oduit plus tar d les dérivés Nox qui préfigurent les fameu x permis à polluer. Plus qu’un trader en éner gie, Enron devient progress ivement une entr eprise financ ière, voire un assu reur. Dans la tourmente , Enron vend même des taux de cré dit garant is à ses clients . La transact ion ph ysiq ue , comme aimait à le rappe ler Jeffrey K. Skilling, ravalée au ran g de simp le accesso ire et de suppor t aux transac tions financ ières. Rapidement les supports sont cependant venus à manquer . Dès 2000, Enron s’engage donc dans un trad ing tout azimut. Les métau x, l’acier, les es paces publicitaires, les câ bles , le b ois, les réseau x fibr es optiques … tout où pres que est négociable. A son apogée en août 2000, l’action d’Enron valait 90 $ et pour 30%, selon les analystes en vue, cette valeur était attr ibuée aux espérances de croissance d ivers ifiée d u trad ing. L’em ballement financ ier éta it cependant déjà là.

Enron l’accélérateur de la déréglementation

Pour prévenir cette situat ion, Enron développe le conce pt de l’entr eprise à faibles capitaux engagés « assets light com pany ». Pour lever les ca pitau x nécessa ires à son activité et les obtenir à faible coût , Enron a besoin d’une notation élevée de la par t des organismes spéc ialisés tel le Standar d & Poor’s. Pour cela, il faut que les com ptes de la société soient propres.

Des 1999, Enron commence donc à netto yer les com ptes de résu ltats et le bilan de la société. Il s’agit de rédu ire les capitaux apparents en les reportant d ans d es soc iétés assoc iées et en créant ainsi un réseau com plexe et opaque d’accor ds par tenar iaux qui exigeaient une com pensat ion par la société mère si le cours de l’action baissait au-dessous d’un cer tain prix ou si la notat ion d’Enron (le rat ing) éta it dégradée . Enron a ainsi mis en œuvre, à une échelle inégalée jus qu'alors , ce q u’il est con venu d’a pp e ler les monta ges « d éconso lid ants ». Des ent ités distinctes , app elées Special Pur pose Entities (SPE), ont ainsi été créées par Enron pour leur céder ses act ifs contr e d u cas h ac q uis p ar em pr unt par ces mêmes SPE. Enron pouvait ainsi faire réa liser par celles-ci des opérat ions bien définies pour son com pte tout en jouant envers elles le rôle d’un sponsor . Enron a déconso lidé d es act ifs (u s ines , immeub les , centra les…etc.) alors que figura ient dans son hors-bilan des engagements de loyers à payer.

La dégringolade commence quan d les per tes s’accumu lent dans les nouveaux domaines de la fibre optique et du trad ing du méta l. Le fiasco en Inde avec la centra le de Dabhol, possé dée à 65 % par Enron accusé par les pouvoirs publics indiens de factur er trop cher sa production, les pertes au Brés il et sur tout les déboires de sa filiale de l’eau Azurix (3) au Royaume Uni précipitent le mou vement q ui est , p ar ailleurs , méticuleusement dissimulé. L’accr oc principal reste cependant la faillite du système électr ique californ ien . D’a b or d, il coûte c h er au grou p e contra int d e ven dr e à ses clients à des prix garant is alors que les prix d’achat flambent. Mais sur tout l’événement , par son ampleur, met un frein sérieux au processus de déréglementat ion en cours aux Etats -Unis. Or Enron n’a pros péré que du processus de déréglementat ion de l’électr icité et du gaz. L’ou ver tur e des marchés était une obligation pour une entr eprise de négoce d’un bien non stoc kable et ne disposant que de peu de capacités de production. Enron a vécu des processus de déré glementat ion qui imposaient les mêmes schémas de déver ticalisation des entr eprises électr iques intégrées et lui ouvraient à chaque fois des es paces pour ses produits et cela au mépr is tant de l’intérêt généra l que de celui des consommateurs . Kennet h L.Lay se définissait lui-même comme un « market maker », un faiseur de marché, ce qui supposa it d’inter venir dans les secteurs où les marchés n’existaient pas, comme le secteur de l’électr icité. Le système Enron n’a jamais fonctionné sur le trad ing de produits où préexistait un marché, ce que démontrent les per tes enr egistrées dans les métau x ou la fibre optique. Etats par Etats aux Etats -Unis, pays par pays de par le monde et notamment en Europe (avec un attra it par ticulier pour le Royaume -Uni), Enron s’est démené pour promou voir les principes de déréglementat ion. De là vient son attac hement , c’est un eu ph ém isme , au x sphèr es politiques.

Ce sont les élus qui décident de la déré glementat ion qui a fait vivre si longtemps Enron.

Le scandale politique et la déréglementation

Enron est un scanda le politique dont il est encor e difficile d’appr écier tous les développ ements , tant aux Etats Unis que dans d’autr es pays. C’est peu dire que Kennet h L. Lay était intr oduit dans les milieux politiques . Dès le début des années 90, il com prend en effet qu’il n’y a de développement de son modè le d’entr eprise éner gétique que si le processus de déréglementa tion est cont inu et se répand par tout . Pour cela, il faut des amis politiques qui soient autant d’appuis solides. Et ceuxci ne manquent pas à l’équipe du trader texan. A commencer par l’actue l président Georges Bush junior et son viceprésident Dick Cheney dont Enron fit ses parra ins dès l’origine. L'entr eprise contr ibua à sor tir Bus h de son Texas nata l et à en faire un président, en favorisant son ascens ion au sein du par ti répub licain et en contr ibuant largement au financement de sa cam pagne en étant le premier pour voyeur de fonds. La contr epar tie a été l’engagement du président et de son vice président chargé du doss ier éner gie présenté en 2001 d e p oursu iv r e l e processus de déré glementat ion. Mais le parti démocrate n’a pas été oublié pour autant , bénéficiant auss i des largesses d’Enron. Le président Clinton , du temps de son mandat , jouait dit-on régulièrement au golf avec son ami Kennet h L.Lay.

En fait Enron a tissé parmi les élus tout un tissu de relations en lien avec la promot ion de la déréglementat ion. Le chef parlementa ire répub licain Thomas DeLay qui intr oduisit la première proposition de loi relative à la déré glementat ion du secteur de l’électr icité fut l’un des heur eux bénéficiaires des largesses d’Enron. Des largesses qui allaient auss i aux gouverneurs des Etats engagés dans la déré glementa tion ou…aux adversa ires de ceux qui s’opp osaient à ces processus au nom de l’intérêt généra l.

Cette symbiose entr e l’entr eprise et les élus s’éten dait d’ailleurs au-delà des Etats -Unis. Lord John Wakeman , conser vateur britann ique qui joua un rôle clé dans le processus de privatisation en Grande Bretagne, se retr ouva ainsi quelques années après au conse il d’administrat ion d’Enron. L’entr eprise de négoce com pta auss i parmi les parrains financ iers du con grès du par ti tra vailliste en 1998. Et ce ne sont là que quelques exemples parcellaires ! Gageons que les enquêtes qui vont se multiplier amèner ont leur lot de révélations à moins que celles-ci ne soient étouffées, tant de personna lités de bord si souvent différent voire opposé étant concernées .

Ce lobbying systémat isé (c’est un eu ph émisme ) confirme, s’il en éta it beso in, que la déré glementat ion est avant tout un processus idéologique qui nécess ite force arguments sonnant et trébuchant pour s’imposer aux élus.

Les lacunes structurelles des instances de régulation

Le plus surpr enant dans la chute d’Enron reste l’aveuglement voire la com plicité (l’enquête le dira) de toutes les instances , organisations, inst ituts , cabinets , consu ltants chargés de surveiller l’act ivité d’Enron.

En fait, la chute d’Enron inter vient lors qu'une société de moyenne impor tance , Dynergy, producteur enrichi par la pénur ie d’électr icité en Californie, propose de racheter l'entr eprise. En seulement dix neuf jours d’étu des des com ptes d’Enron, l’acheteur potent iel jette l’éponge devant l’éten due des dettes décou ver tes et l’opacité du système . Quan d il faut ac heter, on s’inquiète et l’on est plus précaut ionneu x !

 

Les chiffres d’Enron en 2001


Chiffres d’affaires

180 milliards de $

Actif

47,3 milliards de $

Production d’électricité aux E.U

7050 Mw

Production d’électricité au R-Uni

2800 Mw

Réseau de gazoducs

49 000 Km

Réseau de fibre optique

25 000 Km

Effectifs

21 000 dans 40 pays

 

Ce n’est pas le cas de tout le monde . Ains i, comme p our l a cr ise en Californie, l’instance de régulation de l’électr icité fédérale – la FERC (4) – n’a rien vu venir dans l’affaire Enron, pourtant premier éner géticien du pays et à ce titre objet d’un suivi attent if. Le fait que l’entr eprise de trad ing ait joué un rôle dans la nomination de plusieurs de ses membr es n’explique pas tout . La régulation, présentée souvent comme une protect ion contr e les excès du marché, est tout simplement défaillante . Et cela structur ellement ! Le désastr e Enron est ainsi une nou velle démons trat ion de l’inefficience des autor ités de régulation qui pêchent par asymétr ie d’informat ions vis à vis des entr eprises régulées.

D’ailleurs une autr e autor ité de régulation, la réputée SEC (Stock Exchange Commission) (5), dont la mission est d’organiser et de rendre transpar ents les marchés pour protéger les actionnaires, n’a rien vu arr iver non plus. Et pour tant les moyens d’invest igation ne lui manquent pas ! Une autr e démons trat ion est ainsi faite : si les marchés déréglementés sont manipulables, les com pt es des entr eprises issues de l’éclatement des opérateurs histor iques auss i.

La faillite d’Enron met également sur la sellette , la per tinence des sociétés d’audit/consu ltant et des comm issaires au x com pt es . C’est a ins i Ar thur Andersen , le cabinet réputé mond ialement, qui a cer tifié les com ptes d’Enron quelques mois à peine avant sa faillite. Et, surpr ise, Arthur Andersen éta it auss i le conse il d 'Enr on , d ans un mélange des genr es hallucinants . Un soupçon est jeté ainsi sur toute une profess ion censée garant ir la sincér ité des résu ltats des entr eprises et des p olitiq ues menées p ar ce lles-ci. L'enc hevêtr ement des press ions exercées sur Arthur Andersen n’est pas élucidé, mais il en dit long sur les poss ibilités offer tes aux entr eprises vis à vis de ca binets beaucou p moins impor tants que celui-là.

Les press ions ont auss i concerné les agences de notat ion. Ainsi, les premiers éléments d’en quête ont déjà mis en évidence celles qui ont concerné le réputé indice Standar d & Poor’s dont les exper ts avaient décidé au vu des com ptes d’Enron de dégrader sa notation en juin 2001 mais qui ont du finalement y renoncer .

L’aveuglement a concerné enfin les analystes du marché, les gour ous déjà mis en cause dans la chute de la nouvelle économ ie, et par-là même nom bre de média et sur tout beaucou p de petits actionnaires. Aussi invraisemb lable que cela puisse paraître, cinq jours avant l’annonce de la faillite d’Enron, sur seize analystes réputés de Wall Street, cinq recomman daient fortement l’achat d’act ions du trader , tr ois le recom manda ient sans plus, six suggéraient de le garder en portefeuille, seuls deux conse illaient d e s’en d é b arrasser .

Consé quence , plus de 800 000 petits actionna ires ont tout perdu. De grands fonds de pension ont subi de lour des p er tes d ont le plus impor tant , le Calp ers d e Bill Crist , am p utant la retra ite de millions de petits épargnants . Quant aux salariés c’est peu dire q u’ils ont été tra ités avec un cynisme sans égal. Ils ont non seulement pour plusieurs milliers d’entr e eux perdu imméd iatement leur emploi (et les licenc iements vont se poursu ivre d ans le ca dr e d u grand d é p eça ge auquel vont donner lieu les actifs rés iduels d’Enron) mais ils ont auss i perdu leurs économ ies et leur retra ite. Un mois et demi avant la faillite, Kennet hLay incitait encor e les salariés à invest ir dans Enron !

La liste de tous les manipulés, avec ou sans leur consentement , pourra it s’allonger quasi infiniment dans une communauté financ ièr e qui adulait Enron, allant jus qu’à la nommer six années de suite « entr eprise la plus inno vante des Etats -Unis » !

D’où vient cet aveu glement d e masse ? Sans doute dans une confiance absolue dans la supér iorité du marché. Une confiance quas i dogmatique en son universa lité, fondement de la révolution néo-libérale. Pour tant , les précédents existent , ne sera it-ce que la chute du trust électr ique Insu ll aux Etats -Unis même ….en 1929 ! Depuis cette date, tout le monde électr ique sait que le mar ché en électr icité est « intr ouvable » et que l’économ ie électrique a des spéc ificités propres que mêmes les plus vaillants libérau x ne peuvent ignor er.

Effets de contagion ?

Le désastr e Enron est-il reproductible ? Voilà, la quest ion essent ielle et notamment en Europe où le processus de déré glementat ion, est en mar che. Et en marche accé lérée . La faillite californ ienne avait déjà ébranlé nom bre de cer titudes . Pour se rassur er pouvoirs publics, Commissaires européens , opérateurs avaient essa yé de mar quer les différences entr e le modè le californien de déréglementat ion et le modè le européen. Sans convaincre ! Enron vient effondrer le fragile argumenta ire des forcenés de la déréglementat ion.

Après tout , si la Californ ie était pour les gouvernements le modè le de déréglementat ion, Enron était pour tous les opérateurs électr iques le modè le de l’entr eprise moderne dans le système déréglementé .

L’act ivité de trad ing, tout le monde s’y est mis. EDF et GDF en tête et cela malgré les aver tissements de toutes par ts sur les risques encourus (6). Aujour d’hui les per tes s’accumu lent , sans que les pouvoirs publics n’y trouvent à redire. Dans les pays nor diques, sur la modeste bourse d’électr icité – le Nordp ool –, plusieurs opérateurs de premier plan metta ient en garde, fin 2001, les gest ionna ires du système sur l’impor tance croissante des produits financ iers sur ce marché, celle-ci faisant craindre une désta bilisat ion générale. Il en est de même de la mise en œuvre de la straté gie de déconso lidation qui aujour d’hui concerne nom bre d’opérateurs éner gétiques en Europe. Les opérateurs ont tous – y com pris là encor e EDF et GDF – créé des holdings pour gérer leurs act ifs. Ils ont copié, parfois avec retar d, l’organisation matr icielle de l’entr eprise (business units) chère à Kennet h L. Lay (7). Ils ont enfin adopt é des postur es agressives d’achat d’entr eprises dans le monde ou en Europe même… Avec des résu ltats ident iques à ceu x d’Enron, c’est à dire d es p er tes colossa les comme aujour d’hui EDF au Brésil (8).

La stab ilisat ion du secteur électr ique ne nécess ite-t-il pas de tirer tous les ense ignements de l’éc hec californ ien et de la faillite d’Enron ? Cela suppose évidemment une véritab le déterm ination politique de tous . Une déterm ination qui soit à la hauteur de la fasc ination q u’a exer cé sur les instances politiques et les opérateurs électr iques le modè le Enron jus qu’aux tous derniers jours pr écé dant son effon drement . Ÿ

 

  1. Chronique de Favilla dans les Echos des 18 et 19 janvier 2002
  2. Des produits qui depuis font florès dans le monde. Ils ont ainsi été introduits à la Bourse de Paris (Euronext) fin 2001
  3. L’achat de Wessex Water au Royaume Uni s’est ainsi avéré désastreux.
  4. L’équivalent français est la Commission de la Régulation de l’Electricité créée par la loi du 10 février 2000
  5. L’équivalent français est la COB (Commission des Opérations de Bourse)
  6. Fin 2000, EDF diligentait un audit au sein de sa filiale de trading installée à Londres pour estimer les risques de l’activité de sa filiale. Le rapport alarmiste issu de cet audit a été vite enterré.
  7. Décision prise à EDF en janvier 2002.
  8. En 2001 l’entreprise Light au Brésil, filiale d’EDF, est gravement déficitaire.