Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Commission d’enquête sur la gestion des entreprises publiques afin d’améliorer le système de prise de décisions

Le rapport parlementaire sur la gestion des entreprises publiques a été publié le 15 juillet. Après avoir dénoncé ce document s’inscrivant dans la vaste offensive libérale, « une révolution thatchérienne », Jean-Claude Sandrier, député du groupe communiste à l’Assemblée nationale appelle à contre-attaquer. Il a alerté les organisations syndicales sur le traitement réactionnaire des problèmes auxquels sont confrontées les entreprises publiques et proposé des pistes pour une alternative. Un débat se tiendra à la fête de l’Humanité. Nous publions l’avis et l’explication de vote du Groupe Communiste et Républicain, présenté à l’Assemblée nationale par Jean-Claude Sandrier.

Lors de la discussion en séance publique le 29 janvier 2003 de la résolution tendant à créer la Commission d’Enquête sur la gestion des entreprises publiques, nous déclarions que cette commission avait pour but de « poursuivre un objectif non avoué qui est celui de fournir au gouvernement les justifications pour donner au secteur privé des pans entiers de missions relevant du secteur et du service public ou encore livrer davantage le service public aux lois de la concurrence et d’un marché soumis au monde de la finance ».

Malheureusement, ce rapport confirme nos craintes. Il était d’ailleurs symptomatique que notre proposition de créer une Commission d’enquête sur la gestion des grands groupes privés ait été rejetée. Pourtant, les scandales Vivendi, Metal Europ, Daewoo, les difficultés d’Alsthom, et tant d’autres entreprises bénéficiant ou ayant bénéficié d’aides publiques ou de marché publics auraient amplement justifié la création de cette Commission d’enquête.

Autre élément qui jette un doute sur l’objectivité de ce rapport, c’est l’audition extrêmement limitée des syndicalistes des grandes entreprises publiques. L’audition des confédérations n’ayant été obtenue qu’après l’insistance de notre Groupe. Ce qui conforte notre appréciation, c’est également la quasi inexistence, dans le rapport, de références à ces auditions, et d’exposé de leurs propositions. Au-delà du respect du aux réflexions et propositions syndicales, ce manque de prise en compte de points de vue différents renforce le caractère très orienté de ce rapport « coulé » dans la pensée unique du dogme du tout marché. Deux phrases parmi d’autres peuvent résumer cette vision : « Rechercher tous les moyens de la compétitivité et se lancer à la conquête des marchés extérieurs » (mais c’est d’ailleurs ce que font et ont fait France Télécom et EDF) et « Faire des entreprises publiques des entreprises comme les autres ».

Ce rapport est un hymne à la gestion privée et à la marchandisation aggravée de l’économie. Il encourage la disparition programmée des entreprises publiques et souhaite les livrer aux marchés financiers.

La gouvernance des entreprises publiques qui a servi de prétexte à cette Commission d’enquête est certes une question importante et nous avançons dans cette intervention des propositions, mais ce thème sert ici à masquer des choix qui sont d’abord d’ordre politique et stratégique. L’ancien directeur financier de France Télécom le confirmant à sa façon : « Le problème n’est pas d’une question de gouvernance mais d’un choix stratégique et politique », et ces choix sont uniquement centrés sur la rentabilité financière soumise aux contraintes d’une concurrence dont la violence ne cesse de grandir au détriment du progrès social et humain auquel peut prétendre l’Humanité en ce début de XXIe siècle.

Il n’est pas surprenant dans ces conditions que ce rapport reprenne à son compte l’idée centrale du rapport Barbier de la Serre commandité par M. Mer, ministre des Finances et de l’Economie, – idée que le ministre a décidé de mettre en œuvre – à savoir : une agence des participations de l’Etat dont le rôle essentiel sera de faire prévaloir les intérêts de l’Etat en tant qu’actionnaire.

Cette priorité relègue au second plan les objectifs de service public et le rôle d’aménagement des territoires. En cohérence avec cet objectif, le Conseil d’Administration est vidé de compétences essentielles. Les représentants du personnel y sont « dans l’immédiat » encore acceptés. Les contrôles sont, pour la plupart supprimés et la gestion devra suivre le modèle du privé.

La finalité des entreprises publiques, leurs objectifs, les conditions d’accomplissement de ces objectifs ne sont absolument pas évoqués.

Ce rapport constitue donc une des pièces parmi d’autres, d’une formidable offensive qui concourt à remettre en cause le service public, le progrès social, l’égalité entre citoyens qui sont l’expression d’une culture progressiste et d’une vision humaniste de la France et du Monde.

Les Députés du Groupe Communiste et Républicain sont conscients que les entreprises publiques sont placées au défi de renouvellements très profonds. Nous identifions quatre enjeux de renouvellement qui concernent les principes généraux qui gouvernent leur activité, leurs principes stratégiques, leurs principes de gestion, leurs principes de pouvoir.

Renouveler les principes généraux des entreprises publiques

Les entreprises publiques sont confrontées à une évolution extrêmement rapide des principes généraux qui gouvernent leurs activités et leur fonctionnement. C’est le cas notamment de celles d’entre elles qui offrent des services de réseau.

Cela renvoie aux défis de la révolution technologique informationnelle avec, particulièrement, la montée irrépressible des besoins de partage des coûts et des résultats des recherches, des débouchés, avec la nécessité de décloisonnement et de sortie de toutes les anciennes rigidités. Mais ces transformations ont été engagées sous la pression des marchés financiers, des dogmes ultra-libéraux de la commission européenne, du recours aux privatisations.

Cela a poussé l’exigence de rentabilité financière au sein même des entreprises publiques.

C’est dans ces conditions que l’on est passé de la situation ancienne de monopoles nationaux d’état à une concurrence monopolistique européenne et mondiale, avec l’ouverture au marché : les anciennes sociétés d’Etat ont organisé les partages nécessaires de façon monopolistique dans le but de concurrencer les rivaux.

Certes, ces partages ainsi organisés ont constitué un type de réponse aux problèmes nouveaux posés par la révolution informationnelle. Mais, cela s’est accompagné de gâchis énormes, de double emploi, d’insuffisance de qualité des prestations offertes et, au total, d’une irresponsabilité sociale grandissante des entreprises concernées.

Désormais, il est devenu indispensable de chercher à dépasser le dilemme entre le maintien ou le retour, bien improbables, des situations de monopoles d’Etat et la fuite en avant dans une mise en concurrence monopolistique à l’échelle de chaque pays, de l’Europe et du monde.

Nous proposons plutôt d’aller vers un nouveau type d’entreprises publiques qui seraient elles-mêmes très ouvertes et coopérantes, au lieu d’être fermées et repliées sur leurs emprises nationales. Il s’agit, selon nous, de chercher à promouvoir une structure coopératrice nouvelle permettant de maîtriser les coopérations avec les services publics européens et au plan mondial, dans le cadre notamment d’accords très développés et démultipliés de sociétés jointes.

Et plutôt que de mettre en cause les statuts et les droits acquis par les personnels de ces entreprises avec une mise en concurrence ravageuse comme aujourd’hui, il s’agit au contraire d’impulser des coopérations très intimes, francofrançaises et européennes, notamment pour sécuriser l’emploi et la formation de chaque salarié.

Renouveler les principes stratégiques

Les entreprises publiques sont confrontées aussi à la nécessité d’une révision très profonde de leurs principes stratégiques.

Le rapport fait allusion à l’énorme croissance externe « non maîtrisée » de France Télécom ou EDF. Mais cela ne tombe pas du ciel ! Ces processus plongent leurs racines dans le fait que ces anciens monopoles d’Etat sont engagés dans une concurrence monopolistique et cherchent, en rivalité, à défendre et développer leurs dominations monopolistiques au lieu de coopérer pour partager.

Ce sont d’ailleurs ces mêmes processus de croissance externe non maîtrisée qu’ont connus des grands groupes privés comme Vivendi Universal ou Alsthom, eux-mêmes engagés dans une concurrence monopolistique au plan mondial.

Cela débouche sur la recherche effrénée de partages de coûts par synergies, la conquête obsessionnelle de nouvelles parts de marchés à l’international, alors que l’ancien pré-carré national s’ouvre à la concurrence des rivaux, la fuite en avant dans une croissance financière sans fin pour pouvoir contrôler les réseaux oligopolis- tiques constitués afin de guerroyer contre les rivaux.

Et derrière ces enchaînements on retrouve tous les problèmes de financement avec l’explosion des endettements, sur le marché financier particulièrement.

Et si les charges sociales des entreprises publiques sont apparues au rapporteur « difficilement supportables », c’est essentiellement à cause de cette logique de développement qui fait en réalité exploser les charges financières. Rappelons à ce propos que si, en 2001, les charges sociales de France-Télécom se montaient à 2,6 milliards d’euros, ses charges financières totalisaient, elles, 3,9 milliards d’euros. Face à cela nous prétendons qu’il n’est rien de plus urgent que de faire reculer l’emprise de cette logique financière et, donc, du marché financier sur les entreprises publiques.

Nous proposons de développer un nouveau crédit bancaire à moyen et long terme à très bas taux d’intérêt tel qu’il introduit une sélectivité dans le financement bancaire de ces entreprises : plus les investissements qu’elles programmeraient s’accompagneraient de créations d’emplois et de mises en formation et plus le taux d’intérêt de ce crédit serait abaissé. Par contre, il serait relevé si les investissements sont purement financiers ou visent à diminuer l’emploi et la masse salariale.

Ce nouveau crédit pourrait être organisé en coopération, de même que les garanties nécessaires. Concernant le niveau national, avec la promotion d’un pôle financier public autour de la Caisse des dépôts et des caisses d’épargne chargées d’impulser une grande mission nouvelle de service public du crédit pour sécuriser l’emploi et la formation. Cela concernerait aussi le niveau européen avec la nécessité d’une création monétaire nouvelle de la Banque centrale européenne (BCE) pour refinancer sélectivement les banques et institutions chargées de promouvoir, dans chaque pays membre de l’Union, ce nouveau crédit. Ainsi, la BCE aurait enfin une véritable priorité à accorder à l’emploi et la formation et devrait, dans ce but, être contrôlée par les parlements européens et nationaux tout en s’ouvrant à l’intervention décentralisée des salariés et des citoyens, dés les bassins d’emploi, pour mobiliser ce nouveau crédit bancaire sur des projets d’investissement sécurisant l’emploi et la formation.

Renouveler les principes de gestion

Le rapport propose que l’Etat fasse gérer ses participations dans les entreprises publiques et à capitaux mixtes comme un simple patrimoine financier, un vulgaire portefeuille d’actions dont il s’agirait seulement de maximiser la rentabilité espérée en fonction du niveau de risque choisi sur le marché.

Cela conduirait en réalité dans une impasse noire mettant gravement en cause le service de l’intérêt général qu’est sensé remplir l’Etat. En effet, loin de réduire les gâchis existants, un tel mode de gestion, en s’opposant plus encore à la mise en œuvre de toute véritable politique industrielle coopérative et en accentuant les facteurs de chômage et de précarisation des emplois avec la pression ainsi encouragée de la rentabilité financière, conduiraient ces entreprises à fuir dans la concurrence monopolistique.

En réalité, les moyens mis à la disposition de ces entreprises exigent, pour pouvoir être bien utilisés, le recours à des critères de performance qui leur fassent rechercher l’efficacité sociale et non la rentabilité financière.

Cet enjeu d’efficacité sociale des entreprises publiques pour créer plus de richesses et d’emplois qualifiés est fondamental. Il requiert une tout autre gestion à partir des titres publics détenus par l’Etat.

Cela étant, le rapport propose de définir précisément les missions de service public que ces entreprises ont en charge. Mais de quelles missions parlons-nous alors ?

En fait, ainsi conditionnées par les critères de rentabilité financière, ces missions ne peuvent être conçues que comme des charges supplémentaires à compenser. Et on sait où cela conduit : le cahier des charges élaboré dans ce but ne peut que se transformer à terme en une peau de chagrin, la rentabilité financière et le marché financier exigeant toujours plus de compensation de l’Etat, lequel n’arrive pas à suivre. La gestion de l’eau en France, jusqu’à l’aventure de Vivendi, en est un bon exemple.

Nous proposons de promouvoir au contraire de nouvelles missions. Les entreprises publiques, aujourd’hui, devraient déployer, à coté de leurs missions traditionnelles de service public, une grande mission nouvelle de lutte contre le chômage et la précarité, de mise en place et d’essor d’un nouveau droit à la formation tout au long de la vie pour chacun. En sécurisant ainsi l’emploi et la formation de tous leurs salariés, avec une mobilité choisie, en recourrant pour cela à des critères de gestion d’efficacité sociale, les entreprises publiques sécuriseraient du même coup leurs propres missions traditionnelles de service public.

Ce qui est à l’ordre du jour c’est la responsabilisation sociale, sanitaire, environnementale et culturelle des entreprises publiques. Ainsi, elles contribueraient, par leur gestion et leurs coopérations, entre elles et avec le privé, à tirer toute la société vers une nouvelle visée alternative, au-delà du « plein-emploi » traditionnel, avec un système de sécurité d’emploi ou de formation pour chacun.

Renouveler les principes de pouvoirs et de structures

Le rapport propose la mise en place d’une agence des participations de l’Etat (APE), avec le souci principal de renforcer et rationaliser le rôle des représentants de l’État dans les conseils d’administration, dont par ailleurs, il est envisagé de limiter plus encore les pouvoirs effectifs de décision par la création de divers comités. Et, en laissant entrevoir la fin du tripartisme, le rapporteur envisage clairement la disparition des représentants élus des salariés et dans un premier temps, il prévoit d’accentuer la pression de la responsabilité civile sur les administrateurs salariés.

C’est certes conforme à la logique financière et de guerre économique dans laquelle la droite veut totalement immerger les entreprises publiques.

Au contraire de cela, nous proposons d’augmenter le pouvoir des administrateurs salariés ainsi que les pouvoirs directs d’intervention des salariés dans la gestion des entreprises publiques, au-delà des conseils d’administration. Non, les entreprises publiques ne sont pas et ne doivent pas être des entreprises comme les autres. Et parce qu’il s’agit de les responsabiliser socialement, nous proposons de mettre en cause les pouvoirs de ces petits comités techno-bureaucratiques chargés d’encadrer les conseils d’administration qui prolifèrent dans les entreprises privées avec les succès que l’on sait du point de vue des gâchis de fonds et des entorses à la morale.

Simultanément, nous proposons de développer les pouvoirs de contrôle, d’intervention et de contre proposition des salariés, de leurs organisations, des usagers et de leurs organisations aussi, des élus, sur l’orientation des choix de gestion et stratégiques des entreprises publiques. De telles préconisations remettraient fondamentalement en cause l’idée même de privatisation, laquelle augmente en fait la façon dont toute décision, imposée par l’exigence de rentabilité financière des actionnaires privés, échappe aux administrateurs salariés et plus largement aux citoyens. Pour l’ensemble de ces raisons le Groupe Communiste et Républicains se prononce contre ce rapport et ses conclusions.