Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Université : changer les finalités

Les potentiels de la révolution informationnelle ouvrent des horizons insoupçonnés de développement de chacune des activités humaines.

L’université sera-t-elle capable de promouvoir ces possibilités émancipatrices ou se conformera-t-elle aux visées libérales pour en réduire la portée, voire pour aggraver et élargir l’exploitation et les dominations ?

Le fort mouvement que nous avons connu dans toute l’Education nationale fait suite à la montée de nombreux débats allant jusqu’aux finalités mêmes de notre système scolaire : débat sur le collège unique, bilan Zone d’Education Prioritaire, retour de la théorie des dons… L’université n’est pas épargnée par ces discussions ; le courant libéral s’appuie sur les difficultés actuelles de l’enseignement supérieur afin d’imposer une révolution conservatrice.

En recevant un nombre de plus en plus important de jeunes d’origines sociales, culturelles, économiques, beaucoup plus diverses qu’autrefois, l’université avait l’occasion de s’enrichir d’autres savoirs.

Cette opportunité n’a pas été saisie. Le résultat est que, confrontés à la précarité, bon nombre de jeunes ne voient de salut que dans des filières courtes spécialisées. L’université, en n’offrant les moyens de la réussite qu’à une minorité, échoue à devenir un lieu de démocratisation et de partage des savoirs, de tous les savoirs.

La période de formation qui devrait être une des périodes les plus enrichissantes de la vie d’un individu se transforme trop souvent en galères et incertitudes. Etre étudiant, c’est pourtant acquérir des savoirs, de la richesse, pour être en capacité d’en apporter à l’ensemble de la société. Mais nous vivons dans un système où tout est fait pour dévaloriser ce statut : « T’as besoin de te former ? Vas travailler chez Pizza Hut, on verra si tu peux te payer cela ! »

Un étudiant sur deux est aujourd’hui obligé de se salarier pour financer ses études ; selon un rapport paru en 2000, plus de 100 000 étudiants vivaient en dessous du seuil de pauvreté. Les études révèlent un accroissement alarmant du nombre de suicides des étudiants ces dernières années. Est-il vraiment nécessaire de dresser une liste exhaustive ? Il n’est jamais facile de traverser cette période qui donne la sensation d’avoir à faire des choix qui nous engagent autant pour l’avenir ; jamais facile de savoir ce qu’on veut « faire dans la vie », comme on dit. Mais, même quand on a réussi à faire ces choix de formations et d’orientations, les obstacles sont tels que, pour un étudiant sur deux, l’entrée à l’université se concrétise par une sortie prématurée sans diplôme. Et, comme si la chose était trop simple, le gouvernement vient de faire une croix sur l’unique activité salariée étudiante qui permettait de financer ses études, sans être obligé d’en rabattre sur le travail universitaire. En supprimant les postes de « pions » et d’aides éducateurs, Raffarin et Ferry aggravent la situation dans les collèges et lycées mais ils érigent surtout la précarité étudiante comme une règle indépassable.

Comme sur bien d’autres sujets, ce gouvernement semble avoir la voie ouverte, tant il est sûr de pouvoir s’appuyer sur l’échec des gouvernements précédents à faire de l’éducation une priorité en terme de moyens et de révolution des contenus. L’université, restée sur un statu quo, semble bien loin d’être à la hauteur de ce qu’une société, qui place au centre de sa mutation la question des connaissances, pourrait en attendre et par conséquent aussi des aspirations nouvelles qui en émergent. En ouvrant des horizons, jusqu’alors insoupçonnés, de développement de chacune des activités humaines, les potentialités que recèle la révolution informationnelle deviennent en effet l’objet d’un enjeu nouveau qui nourrit deux types de visées contradictoires : celle portée par un nombre grandissant de citoyens qui, entrevoyant les possibilités émancipatrices qui peuvent en être dégagées, fondent leurs revendications à partir de ces potentialités mêmes ; et celle des libéraux portée par le gouvernement Raffarin qui, mettant tout en œuvre pour freiner la première option, entend traduire chaque bouleversement par une exploitation encore accrue des individus.

La révolution informationnelle nous place donc à un carrefour qui porte, non plus sur des choix conjoncturels, mais sur de véritables choix de civilisation.

La réponse à ces défis ne peut pas être le statut quo

Alors que l’université n’est pas aujourd’hui en capacité de répondre aux besoins nouveaux en terme de formation initiale et continue, d’accès à tous les savoirs, la réponse à ces défis ne peut pas être le statut quo.

Il ne suffit donc pas, quand le gouvernement évoque la professionnalisation, par exemple, de crier à la casse des missions de l’université et au scandale de l’entrée des intérêts privés. Certes, à peine l’aspiration à une articulation beaucoup plus intelligente entre les lieux et les périodes de formations et les lieux et périodes d’emplois s’est-elle fait sentir, que Raffarin et Ferry se mettent à rêver et à construire des formations directement au service des grandes entreprises. Là où il était nécessaire de redonner du sens pédagogique aux stages, de les rémunérer, de créer des passerelles qui aident à l’orientation et à la formation ; ils ont trouvé le moyen, via la professionnalisation, de créer des filières « prêt-à-l’emploi ». En fait, alors que la possibilité s’ouvre de repenser des liens émancipateurs entre formations et emplois, le gouvernement se contente de créer des passerelles entre formation et rentabilité. Au contraire, une transformation de ces liens avec une visée émancipatrice s’appuyant sur un nouveau financement de la formation ouvre par la même occasion la voie à une mutation du travail.

Redéfinir les missions de l’université

Il n’en reste pas moins que notre système de formation est inapte, en l’état actuel, à répondre aux enjeux décrits. Et face à ces enjeux, nous pensons que l’université peut être un pilier de cette confrontation nouvelle de savoirs, entre les savoirs crées et partagés par les étudiants et les chercheurs, et ceux qui naissent et se développent chaque jour dans les entreprises. Pour cela, il faut penser différemment et redé- finir les missions de l’université : permettre à celle-ci d’être le « pot commun » des savoirs agissants dans notre civilisation ; considérer qu’une formation, quelle qu’elle soit, puisse aussi se nourrir de cette diversité des savoirs. Voici quelques principes qui peuvent guider une réflexion révolutionnaire sur nos systèmes de formation et sur l’université.

De même que sur l’Europe et l’harmonisation des diplômes, toutes les propositions doivent faire l’objet d’un débat le plus large possible, au-delà même de la communauté universitaire. Faut-il adopter le projet ultra-libéral qui nous est proposé par les gouvernements européens ? Nous ne le pensons pas et voulons mettre en débat la constitution d’un espace européen qui ait pour mission d’assurer des passerelles entre les étudiants, les chercheurs et les universités européennes. Cet espace, par les missions de service public qu’il assumerait, donnerait à tous les moyens de la mobilité européenne, dans le respect de la diversité de chaque pays. Mais ceci dans le but d’aller vers une démocratisation de l’ensemble des systèmes d’enseignement supérieur européens.

Face à une droite qui pose ses réformes comme les seules possibles, le piège tendu aux mouvements progressistes, en particulier dans l’éducation, est de lui donner raison en ne faisant pas ce travail d’évaluation des institutions, de leurs missions et de leur adaptation ou non à la nécessité du développement humain. Oui, il faut changer le système universitaire car il présente des défauts de plus en plus criants et évidents mais la réponse de la droite est une réponse orientée vers la recherche de plus de concurrence et donc d’inégalité. A l’opposé de la recherche affirmée du développement de l’humanité.

Pour une sécurisation des parcours de formation

Absence de moyens, harmonisation européenne par le bas, renforcement des inégalités, primauté à une vision comptable de l’enseignement, spécialisation et professionnalisation par l’exclusion, ce sont ces logiques que les enseignants et étudiants ont commencé à contester au printemps dernier. Mais ce sont autant d’enjeux auxquels les mouvements progressistes doivent répondre s’ils veulent marquer des points contre la droite et dans les mentalités. Nous avons déjà abordé (effleuré !) la question des stages, du rapport au monde du travail (auquel on pourrait, encore une fois, rajouter celle du financement), de l’Europe et de la précarité mais cette nécessité de l’alternative se posent sur tous les sujets qui concernent l’enseignement supérieur. C’est dans cet esprit que les étudiants communistes avancent depuis plusieurs années la proposition d’une mise en sécurité des parcours de formation jusqu’à l’accès à l’emploi ainsi qu’une réflexion cruciale sur la citoyenneté à l’université. Ce dernier point se pose d’ailleurs de manière aiguë en ce qui concerne la professionnalisation : il s’agit de savoir qui décide de l’organisation des formations développées, de leurs contenus, des publics concernés…

Et c’est cette question qu’il faudra faire monter à la rentrée universitaire : que ce soit à partir des réponses gouvernementales ou des propositions communistes, notre société ne peut pas se passer d’un débat le plus large possible sur les enjeux de la formation qui sont un pilier des enjeux de civilisation de notre époque.