Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

Budget 2004 : Du social-libéralisme au libéralisme-social

Face aux conditions dégradées de la conjoncture, le gouvernement de droite promet la sortie du tunnel. Il entend, avec le projet de loi de finances pour 2004, accentuer la fuite en avant dans les politiques déflationnistes requises par la BCE et les marchés financiers. Elles ne feront qu’aggraver les antagonismes économiques et sociaux faisant grandir le besoin d’une véritable alternative politique au lieu des impasses de l’alternance.

La conjoncture pèse bien sûr, sur l’élaboration du projet de budget pour 2004. Elle pèse d’autant plus que la BCE a décidé de ne pas baisser son taux directeur en deçà de 2 %.

Elle entretient ainsi la pression monétaire pour que les gouvernements de la zone euro n’aient plus aucune hésitation, face à la protestation populaire grandissante, et accélèrent les réformes réactionnaires, à l’image de celle des retraites en France.

On prétend ainsi, par la destruction de ce qui reste de « l’Etat providence » et des systèmes de mutualisation des ressources à partir des entreprises, pour la protection sociale, créer les conditions d’un recul des déficits, par-delà les conjonctures, et de la relève des défis démographiques.

Cela concerne au premier chef l’Allemagne, mais aussi la France qui fait l’objet d’une procédure dite de « déficit excessif » de la part de la Commission de Bruxelles.

Obsession de la baisse des dépenses

Cette situation n’est pas imputable seulement au choix du gouvernement Raffarin.

En effet, le gouvernement Jospin prétendait réduire structurellement les déficits publics, respecter le pacte de stabilité de l’euro et se conformer aux injonctions de la BCE, tout en soutenant l’emploi.

Il introduisit pour cela des éléments du « workfare » anglosaxon comme la Prime pour l’emploi saluée aujourd’hui par la droite.

Il imposa une norme de croissance à priori de la dépense publique sociale, inférieure à la croissance économique alors assez rapide.

Il redéploya cette dépense autour d’objectifs prioritaires, l’emploi en tête. Les dispositifs choisis pour cela furent tous axés sur la baisse du coût salarial de l’emploi, par exonération des cotisations sociales patronales.

Les recettes produites par la croissance, la vente de l’UMTS, et les privatisations nombreuses, comme les surplus dégagés par le freinage de la dépense, servirent alors surtout à baisser les impôts pour les plus riches, alléger la pression fiscale sur les actifs financiers et les profits des entreprises, réduire les déficits.

Les années 1998-2001 furent vraiment celles d’une euphorie boursière sans précédent.

Tout ceci conduisit, en fait, à miner en profondeur les facteurs réels de la croissance, à précariser gravement l’emploi, à accentuer l’insuffisance de formation et la pression sur les salaires. Les difficultés ont été accrues pour les services publics et la protection sociale.

Aussi, dès que la conjoncture mondiale s’est retournée, les déficits et dettes publics sont remontés vivement, mettant en cause les engagements pris auprès de Bruxelles.

Cela déboucha, surtout, sur la sanction politique du social-libéralisme et l’avènement, par défaut, d’une droite agressive et populiste.

À peine promu, le gouvernement Raffarin n’hésita pas à alléger derechef les impôts et les cotisations sociales patro- nales. N’avait-il pas, en effet, à accomplir les promesses faites par J. Chirac d’une « nouvelle politique économique » centrée sur la baisse des impôts et des charges, « assouplissant les trente-cinq heures » ?

Dans le climat de basse conjoncture de l’année 20022003, cela eu immédiatement pour effet de propulser le ratio de déficit public à 3,6 % du PIB, et le ratio de dette publique à 60,5 % du PIB, nettement au-dessus des maxima autorisés par le traité de Maastricht. Surtout, on était très loin de l’engagement pris par L. Jospin et L. Fabius de ramener en 2004 le ratio dette /PIB à 55,6 % dans le pire des scénarios (programme pluriannuel des finances publiques à l’horizon 2004).

Cette situation entraîna le déclenchement de la procédure de « déficit excessif » par la Commission de Bruxelles.

Celle-ci, finalement, se résolu à tolérer les dépassements pour l’année 2003, en contrepartie de quoi la France s’engagea à accélérer les réformes structurelles pour revenir dans les clous dès 2004.

Pari sur la conjoncture

J.-P. Raffarin a nettement confirmé ce cap tout en refusant de céder sur les retraites.

Il affiche une certaine sérénité, officiellement du moins : « Tous les éléments sont réunis pour le retour de la croissance » a-t-il déclaré le 9 juillet dernier.

On retrouve la trame de son raisonnement dans le rapport sur l’évolution de l’économie nationale conçu par Bercy pour introduire le débat d’orientation budgétaire (1).

Il y est dit que la croissance pourrait retrouver un niveau de 2,5 % en moyenne en 2004, après 1,3 % en 2003. Cela « favoriserait, avec les délais habituels, un redémarrage progressif des créations d’emplois, ce qui permettrait de contenir, puis d’inverser la hausse du chômage à partir de l’automne ».

Cette confiance peut paraître aussi surprenante que l’analyse proposée pour expliquer la non-réalisation de l’hypothèse de croissance retenue dans le projet de loi de finances pour 2003 : 2,5 % après 1,2 % en 2002.

Tout est mis sur le dos de la crise irakienne, des prix du pétrole et des tensions financières internationales « venues contrecarrer les espoirs de redressement mondial à partir de l’automne 2002 ».

Mais on assure qu’« avec la résolution de la crise irakienne, les conditions d’une reprise mondiale sont désormais réunies ». Et on ajoute même que « la levée des incertitudes et le redémarrage de la demande externe devraient inciter les entreprises à “dégeler” leurs projets d’investissement ». Tout cela, spécule-t-on, engendrera un climat suffisamment favorable pour que les ménages diminuent leur taux d’épargne et consomment plus.

Cependant, l’OCDE, qui rend pourtant hommage à la politique Raffarin, voit, elle, pour la France une croissance « inférieure à 1 % » en 2003 et « voisine de 2 % » en 2004. Elle exhorte donc le gouvernement à être plus audacieux en matière de réformes, comme pour les retraites (2).

C’est ainsi, aussi, que pratique le FMI. Une mission de consultation vient d’examiner, en effet, les politiques économique et structurelles, françaises.

Dans ses conclusions on peut lire à propos du projet de loi sur les retraites : « Si une réforme aussi pertinente a réussi à s’imposer dans le contexte actuel de faible croissance économique, c’est en grande partie grâce à la clairvoyance et à la ténacité du gouvernement ».

Les « gnomes » du FMI ajoutent : « A présent, le défi consiste à consolider ce résultat et à poursuivre l’effort de réforme pour obtenir des succès similaires en matière de maîtrise des dépenses publiques et pour créer les conditions nécessaires à la hausse du potentiel de croissance comme le démontre, de façon convaincante, l’introduction au débat d’orientation budgétaire 2003 (DOB) (3) ».

Les hypothèses néanmoins retenues par le FMI pour la France demeurent inférieures à celles du gouvernement : moins de 2 % en moyenne en 2004, après environ 0,8 % en 2003.

Déflation sociale et salariale

Quelles options le gouvernement retient-il en matière budgétaire à partir de 2004 ?

Il s’agit de respecter « une norme d’évolution des dépenses publiques en volume inférieure à la croissance ». Cela « devrait permettre d’atteindre simultanément les objectifs de réduction du déficit public et de baisse des prélèvements obligatoires ». Ce raisonnement rappelle de façon troublante celui développé par le gouvernement Jospin dans le programme pluriannuel de finances publiques 2001-2003.

On y définissait en effet un « triangle d’or » des finances publiques de la France : « Progression maîtrisée des dépenses, réduction régulière des déficits publics et réduction marquée de la pression fiscale (4) ».

Et la base de ce « triangle d’or » était « la définition d’un objectif souhaitable d’évolution de la dépense publique ». Celui-ci était limité à 1 % en volume pour les trois années 2001-2003, soit 0,3 % par an, s’agissant des dépenses de l’Etat, et à 1,3 % par an en volume s’agissant de l’ensemble des dépenses publiques. Tout cela moyennant une croissance économique de 2, 5 % à 3 % par an.

C’est avec cette norme a priori restrictive de la croissance en volume de la dépense que le gouvernement Jospin se donnait pour but de diminuer le ratio dépense publique/PIB de 2,0 à 2,5 points entre 2000 et 2003.

Le document cité concluait : « Cette réduction définit les marges de manœuvre pour réduire les prélèvements obligatoires et diminuer, au travers de la baisse des déficits, le poids de l’endettement public ».

Du point de vue de la démarche le gouvernement Raffarin n’innove donc guère. D’ailleurs, tout comme son prédécesseur, il dit viser le retour au « plein emploi » en 2010 en comptant sur les évolutions démographiques et les « incitations au retour à l’emploi » des chômeurs, des Rmistes, des travailleurs âgés rejetés sur le marché du travail...

Il raille cependant le gouvernement Jospin qui aurait été, assure-t-il, incapable de tenir pleinement ses engagements vis-à-vis des marchés financiers et de Bruxelles face à la pression populaire : de 1998 à la loi de finances initiale pour 2002, il n’aurait réussi à allouer que 63 % seulement du surplus de recettes (71,8 milliards d’euros) aux réductions d’impôts et du déficit budgétaire, alors qu’il y avait une croissance rapide.

Lui, il entend être beaucoup plus audacieux dans cette voie. La lettre de cadrage pour le projet de budget de loi de finances 2004 décrète que les dépenses de l’Etat devront enregistrer une croissance nulle en volume, tandis que les dépenses hors dette et fonction publique devront, elles, connaître une croissance nulle en valeur, c’est-à-dire une diminution en euros constants.

Cette stratégie dite de « maîtrise des dépenses de l’Etat », en réalité déflationniste, devra se poursuivre à l’horizon 2006 avec la réforme des retraites, de l’assurance maladie et celle de l’Etat. Juste de quoi, pense-t-on sans le dire, laisser un peu de mou pour 2007, année de l’élection présidentielle.

Le FMI avertit : « la crédibilité de la stratégie budgétaire et économique du gouvernement dépend essentiellement de sa capacité à réduire la part des dépenses publiques dans le PIB (5) ».

Mais, comme son prédécesseur croyait hier dur comme fer à la poursuite de la croissance, J.-P. Raffarin croit aujourd’hui, dur comme fer, à son retour avant la fin de l’année.

Impasses de l’alternance

Il assure même que sa stratégie de finances publiques va en créer les conditions avec un triple objectif : « Maîtriser les dépenses de fonction publique, renforcer l’autorité de l’Etat dans ses missions régaliennes ; réformer son champ et ses modes d’intervention (6) ».

Cela signifie, d’abord, que deux postes de dépenses sont intouchables : la charge de la dette ; les dépenses hors personnel à l’horizon 2006 pour toutes les missions sécuritaires : défense, police, justice (plus 12,6 %).

Sur cette base, il s’agit alors de comprimer au maximum les dépenses de fonction publique, en jouant notamment sur le non remplacement des départs en retraite, l’intensification du travail des fonctionnaires...

Surtout, il s’agit d’utiliser à plein les possibilités de rationnement offertes par la loi organique en matière de lois de finances (LOLF), la nouvelle constitution financière conçue et adoptée du temps de la « gauche plurielle » contre l’avis des parlementaires communistes.

Comme le souligne le rapport d’introduction aux débats d’orientation budgétaire, cette loi « fournit un levier considérable pour réformer l’Etat ».

Des « conférences d’économies structurelles » ont été mises en place en amont de la procédure budgétaire pour examiner, ministère par ministère, « les réformes structurelles souhaitables dans chaque domaine d’intervention de l’Etat ».

Sur ces bases, le rapport introductif au débat budgétaire 2003 propose une fausse alternative (7) :

  • Soit viser un « scénario de stabilisation sur trois ans des dépenses de l’Etat en volume » avec une réduction de près de deux milliards d’euros des dépenses autres que celles consacrées aux missions sécuritaires ;

  • Soit accepter un « scénario alternatif conforme à la lettre du programme de stabilité 2004-2006 » avec une croissance de 1 % en volume des dépenses de l’Etat sur trois ans.

Une telle présentation donne donc à choisir entre un scénario « soft » prolongeant en fait les objectifs du gouvernement Jospin entre 2001 et 2003 et un scénario « hard » que les parlementaires de droite se sont empressés de louanger. Les dirigeants du PS ne sont pas très à l’aise face à ce choix d’option bi-partisan et alors que monte de partout la protestation sociale.

Certes, il critique le recul de 0,9 point l’an dernier du poids dans le PIB des impôts sur le revenu et les patrimoines porté à 11,7 %, soit 1,7 point de moins que la moyenne de l’Union européenne, 3,8 points de moins qu’au Royaume uni et 1,1 point de moins qu’aux États-Unis.

Mais il est difficile d’oublier combien D. Strauss Kahn et L . Fabius furent des maîtres en matière de baisse des impôts.

Surtout, les dirigeants socialistes concentrent leurs tirs sur l’augmentation du poids des dépenses publiques dans le PIB : + 1 point en 2002 ; + 0,6 point cette année... Ils soulignent que c’est là une tendance inverse à celle de la période 1997-2001, ce ratio ayant diminué alors de 2,1 points. Ils stigmatisent particulièrement la « dérive de la dépense de santé » (+ 7,5 % en 2002).

Bref, à Raffarin qui les accuse d’avoir été incapables de faire suffisamment reculer la dépense et les déficits en période de croissance rapide tout en diminuant les impôts, ils répondent qu’il est, lui, incapable de réduire la dépense et les déficits tout en tenant les promesses de baisses d’impôts avec la faible croissance.

Le mouvement social, heureusement, risque fort de ne pas accepter cet enfermement bi-partisan du débat budgétaire. Il peut placer, dès la rentrée, le gouvernement de droite devant de complexes équations que son autoritarisme et sa démagogie populiste ne suffiront pas à résoudre.

Mais les dirigeants sociaux libéraux du PS risquent aussi d’être placés dans l’obligation d’un difficile exercice de contorsions.

Besoins d’alternative

C’est dire combien, à l’appui du mouvement social qui peut rebondir très fort à la rentrée, sur les retraites, l’assurance maladie, l’école, les privatisations, il est indispensable de contribuer à ce que se développe, dans la société, un débat de fond sur les réformes nécessaires pour une véritable alternative politique de transformation sociale radicale.

On ne saurait en effet, face au social-libéralisme des dirigeants actuels du PS, céder au simplisme de l’extrême gauche qui nie le besoin de réformes.

Une construction sociale et politique nouvelle est nécessaire, fondée sur la conquête de pouvoirs effectifs d’intervention des travailleurs, des citoyens, de leurs organisations et de leurs élus sur l’utilisation de l’argent de l’Etat, des banques et des entreprises.

Face à la droite qui entend passer un nouveau cran dans l’austérité, il n’est rien de plus urgent que d’essayer de faire prendre en mains par les travailleurs eux-mêmes de grands axes de réforme de transformation sociale radicale.

Ils devraient conjuguer la réorientation des gestions des entreprises, à commencer par celles à capitaux publics et mixtes, au lieu de laisser avancer la privatisation, à une nouvelle politique budgétaire émancipée du pacte de stabilité de l’euro, répondant aux besoins de relance des dépenses publiques de développement (écoles, recherche, santé...). Mais, surtout, il s’agirait de mobiliser la monnaie et le crédit bancaire, de façon sélective, pour sécuriser l’emploi, la formation, la création et faire reculer l’appel aux marchés financiers. D’où l’enjeu si décisif de la réorientation de la Banque centrale européenne.

  1. Rapport sur l’évolution de l’économie mondiale et sur les orientations des finances publiques. Premier ministre. Juin 2003.
  2. OCDE. Notes économiques. France. Juillet 2003.
  3. Fonds monétaire international. Consultations de 2003 au titre de l’article IV avec la France. Conclusions de la mission p.1.
  4. Programme pluriannuel des finances publiques 2001-2003, pp. 4-5, · www.finances.gouv.fr
  5. FMI, op. cit. P. 3.
  6. Rapport sur l’évolution... op. cit. p. 44.
  7. Rapport sur l’évolution... op. cit., ibid, p. 44.