Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Sécuriser l’emploi et la formation

EDITORIAL

Les retraites, les intermittents du spectacle, la Corse... Le mouvement de protestations qui a commencé de se lever en France – et aussi dans toute l’Europe – contre les réformes réactionnaires entreprises par la droite et voulues par le grand patronat, fait que ces luttes posent toutes à leur façon la question d’une alternative politique de transformation sociale radicale.

Le résultat du référendum sur la Corse confirme le refus d’une fausse décentralisation qui mettrait un peu plus les régions sous la coupe du marché, des grands groupes et de la BCE, et risquerait de faire imploser la République au lieu de la renouveler. Mais n’était-ce pas aussi cela qui transparaissait dans la mobilisation sur l’école ?

La lutte sur les retraites n’est pas finie, malgré les décisions de la majorité de droite au Parlement où les élus communistes ont mené un combat remarqué. Elle a en commun, avec celle des intermittents du spectacle, l’exigence d’une sécurisation des activités hors travail salarié, mais à partir du pivot que devraient être la sécurisation et la promotion de l’emploi et de la formation.

On comprend mieux désormais, avec ces luttes nouvelles, combien l’emploi, en quantité et qualité, constitue la base du financement du système de retraites par répartition, comme du système d’indemnisation du chômage.

Plus il y a d’emplois qualifiés, plus il y a de masse salariale et, donc, plus il y a de cotisations sociales prélevées sur la valeur ajoutée produite dans les entreprises pour pouvoir financer la sécurité de revenus et de droits dans le non-emploi, pour d’autres activités que le travail salarié, des retraités comme des intermittents du spectacle.

Sécuriser l’emploi et la formation c’est bon pour sécuriser tous les moments de l’existence, de la formation initiale jusqu’à la retraite.

Si, aujourd’hui, les dispositifs existants, fondés peu ou prou sur une telle logique, sont mis en cause, c’est, fondamentalement, parce qu’explosent les antagonismes engendrés par les attaques contre l’emploi, par l’insuffisance de formation, et les gâchis suscités par les prélèvements du marché financier sur lesrichesses produites, au détriment des prélèvements sociaux.

L’offensive contre les retraites par répartition et celle menée contre le régime des intermittents du spectacle ont en commun d’être des agressions contre des systèmes qui, à partir d’une prise mutualisée sur les profits des entreprises, via les cotisations sociales d’employeurs, permettent une rotation d’activités avec une certaine sécurité de revenus et de droits :

  1. C’est le passage entre travail salarié et retraite à l’échelle de toute la vie de chacun(e). Elle favorise l’arrivée dans l’emploi des classes juvéniles sortant de la formation initiale ;

  2. C’est la rotation entre travail salarié, recherche, création et formation pour les intermittents du spectacle à l’échelle de leur vie active. Elle permet la richesse et le renouvellement des œuvres culturelles.

Le cas des intermittents est emblématique. Ils travaillent, cotisent, perçoivent des allocations chômage dans les périodes de non-emploi, leurs contrats étant à durée déterminée avec des employeurs multiples. Cette rotation serait synonyme d’une précarité extrême et, donc, constituerait une menace très grave pour la culture française, si artistes, techniciens, ouvriers du spectacle ne pouvaient bénéficier d’un dispositif qui leur permet de vivre convenablement et de consacrer du temps à la préparation nécessaire à toute création que les gros employeurs refusent généralement de payer.

Aujourd’hui la moitié seulement des intermittents accèdent en pratique à un tel système. L’accord du 27 juin entre le MEDEF et des organisations syndicales ultra minoritaires veut encore réduire d’un tiers le nombre des indemnisés et le montant des indemnités.

Or ce système, s’il progressait dans la mutualisation des financements serait un exemple de ce qui permettrait d’avancer dans le sens d’une sécurité d’emploi ou de formation pour chacun(e). La rotation tout au long de la vie active entre emploi salarié, formation et/ou recherche-création, pour accéder à un nouvel emploi motivant avec un revenu et des droits garantis, constitue sans doute la voie originale dont on a besoin pour relever le défi de la mobilité dans la sécurité avec les nouvelles technologies et, ainsi, éradiquer progressivement le chômage.

Bien sûr, ce système d’indemnisation du chômage des intermittents du spectacle est très loin encore d’une telle vision car, en réalité, il permet aujourd’hui aux grandes sociétés de production et aux chaînes de télévision de se décharger sur l’UNEDIC, tout en les amputant, des coûts de sécurisation nécessaires pour que ces salariés soient à tout instant à même de donner vie à de nouvelles créations. Pire, aujourd’hui, ces sociétés profitent de ce système en rémunérant comme intermittents des gens qui travaillent à l’année.

Mais l’accord du 27 juin ne permet nullement de s’attaquer à ces défauts, en allant plus loin dans la sécurisation et la promotion des intermittents par la responsabilisation des entreprises du spectacle, jusqu’à ce que la rotation d’activités nécessaire ne passe plus par le chômage. Son objectif est tout autre : précariser encore et toujours plus et faire se résigner la société aux gigantesques détournements de fonds vers les marchés et profits financiers, en prenant prétexte de négociations dans des conditions de rapports de force dominées par le patronat dans le droit social actuel.

C’est dire si une contre-attaque est nécessaire. Elle peut se développer, à partir des objectifs sociaux de sécurité, sur les enjeux de financements et de pouvoirs nécessaires.

« Il est clair que sans de nouveaux pouvoirs pour les travailleurs, de nouveaux moyens financiers et des dispositions garantissant de nouveaux objectifs sociaux, le renvoi à des négociations avec le patronat (...) entraîne une domination du patronat ». C’est ce que souligne un important appel lancé par des militants politiques de gauche, militants syndicalistes et associatifs « Pour une nouvelle construction sociale et politique ».

Cela concerne notamment la question, si cruciale, du crédit et des banques qu’il devient urgent de réorienter, jusqu’à la Banque centrale européenne, pour qu’ils servent à financer une sécurisation de l’emploi et de la formation, au lieu d’alimenter, comme aujourd’hui, le marché financier. Et cela pourrait être un projet commun à tous les Européens, pour la promotion de leur modèle social et pour la construction d’un autre monde

Les communistes ont eu raison, lors de leur dernier congrès, de décider de lancer une grande campagne de débats et d’actions sur la Sécurité d’emploi ou de formation et sur ses différents chantiers concrets, avec la perspective d’assises et d’une conférence nationale.

Il est urgent de passer à l’acte à l’appui de toutes ces luttes et de ne pas céder, à l’approche d’élections, à la tentation de la recherche d’alliances au détriment du contenu et du besoin de grands axes de réforme de transformation radicale et viable.

Cela, certes, intéresserait sans doute les dirigeants sociaux-libéraux du PS qui cherchent à se refaire une virginité aux yeux du peuple de gauche, sans rien changer cependant de fondamental à leurs options. Cela intéresserait aussi, sans doute, les illusionnistes de l’extrême gauche qui refusent de discuter de réformes et des alternatives sur le fond.

Mais jamais le besoin d’un dépassement du capitalisme n’a frappé avec autant de force à la porte des changements nécessaires. Les communistes, à juste titre, disent vouloir conjuguer cette perspective au présent, avec leurs propositions, comme sur les retraites, et des initiatives politiques rassembleuses à l’appui des luttes immédiates pour faire reculer la droite.

Mais cette originalité, ils doivent s’efforcer de la cultiver sans attendre. Tout de suite, ils peuvent aider à ce que montent des exigences de contenu précises et cohérentes à vocation majoritaire, concernant tous les moments de la vie sociale, et de les faire prendre en mains par les travailleurs et les citoyens.

C’est sans doute la voie la plus sûre pour construire des alliances à gauche visant l’ouverture d’une véritable alternative politique de transformation sociale radicale

 

YVES DIMICOLI

membre du Conseil national du PCF

 

Par Dimicoli Yves , le 31 mai 2003

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