A) Le problème des stades
1) Position du problème
«Aujourd'hui (en 1894) — depuis la
parution du « Capital » — la conception
matérialiste de l'histoire n'est plus
une hypothèse, mais une doctrine
scientifiquement démontrée » (Lénine,
Ce que sont les « Amis du peuple »,
OEuvres Choisies, l r e partie, t. 1, p. 106).
Aujourd'hui, en 1961, l'enrichissement
considérable de la pratique et de la
théorie sociales confirme avec éclat et
développe le matérialisme historique,
avec, notamment, l'existence du système
socialiste mondial. Même les théoriciens
bourgeois, économistes surtout
mais aussi sociologues et plus timidement
historiens, essaient de concevoir
l'histoire, la société et l'économie dans
le cadre de formations typiques, historiquement
déterminées. Cependant, ce
n'est pas l'éclectisme, plus ou moins
subjectif, des classificateurs bourgeois
(à distinguer du contenu des travaux
spécialisés, surtout historiques) qui
nous intéresse ici, mais, au contraire,
certaines questions posées actuellement
par la pratique à la conception
matérialiste de l'histoire et concernant
sa partie proprement économique.
Par rapport au texte classique dê la
Préface de la « Contribution à la critique
de l'économie politique » (1859),
le concept nouveau le plus évident est
celui de stade à l'intérieur d'un mode
de production déterminé. Déjà la question
a été posée par Marx dans le « Capital »,
a'vec son étude détaillée de la
« période manufacturière » du capitalisme,
qu'il oppose systématiquement
au stade suivant de la production bourgeoise.
Avec la théorie de l'impérialisme,
stade suprême du capitalisme, la
question est encore plus pratiquement
et systématiquement définie par Lénine.
Il semble qu'on puisse actuellement
émettre l'hypothèse de la généralisation
des stades à tous les modes de
production connus. Le concept de mode
de production, loin d'être ainsi nié,
est au contraire à la fois confirmé et
appïofondi, élargi et rendu plus central.
2) généralisation du stade et
détermination économique
Les recherches historiques marxistes
les plus récentes (et aussi les travaux
bourgeois) tendent en effet à dégager
des phases historiques déterminées, rigoureusement
distinctes, à l'intérieur d'une même formation
économique et sociale. Ces stades ne paraissent pas
particuliers à une société historiquement
concrète, mais, au contraire,
communs, pour les traits essentiels distinctifs,
à l'ensemble des sociétés du type considéré.
Qu'il s'agisse de la société capitaliste,
de la société féodale, appelée aussi seigneuriale
(1), de la communauté primitive,
le problème semble se poser de
manière analogue. Il ne s'agit pas, ici,
d'évoquer, même le plus sommairement
possible, les discussions des spécialistes
entre phase la plus ancienne des communautés
primitives (celle de la chasse,
de la cueillette et de la pêche),
phase ultérieure, correspondant à
l'agriculture et à l'élevage, puis phase
de décomposition de la communauté
primitive et de transition à la société
esclavagiste. Ou encore : stade patriarcal
(ou «oriental» ou ressemblant
au servage), de l'esclavage, stade de
la Rome classique, stade final du colonat.
Et pour la société féodale : en
France, par exemple, stade de la « seigneurie
» franque, stade de la seigneurie
classique de la fin du XIIe siècle,
puis stade du XV° siècle, liés semble-til,
à la prédominance successive des
trois formes de la rente (en travail, en
nature, puis en argent). Enfin, pardelà
le capitalisme, d'abord stade du
socialisme, puis deuxième stade de la
société communiste.
La question qui se pose est celle de
la rigoureuse détermination économique,
à l'intérieur de chaque formation
des différents stades considérés. Cette
détermination rigoureuse ne peut se
faire qu'au moyen de l'économie politique
marxiste, science qui, au lieu de
se laisser abuser par la prétendue éternité
des problèmes économiques bourgeois,
s'attache objectivement aux différentes
époques historiques de la formation
sociale économique (2). C'està-
dire, qu'elle doit utiliser, avec précision,
l'enchaînement interne et nécessaire
du développement réel des différents
rapports économiques en liaison
avec le développement des forces productives
(3).
NOTES
(1) Société féodale, qui n'est pns plus, exclusivement
une société où les relations féodovassaliques
se sont épanouies et systématisées,
comme dans le stade fondamental de
nombreuses sociétés féodales concrètes, que
l'atome n'est insécable.
(2) Reliés entre eux par le développement
« naturel » de problèmes communs, comme celui
du « surproduit »- dont seule l'ignorance ahurissante
du « Capital » par les économistes
bourgeois les plus compétents, comme M. R.
Birre, peut opposer l'existence dans la société
socialiste à ce qu'on leur a dit être
la théorie marxiste du p ofit (forme capitaliste
du surproduit) (R. Barre, Economie politique,
tome second, p. 252 et surtout p. 262
et suivantes).
(3) Bien sûr, l'historien se récrie contre la
prétention d'exiger ainsi, la préc'sïon, la rigueur
,et tout l'enchaînement interne : nous
n'avons eprtes pas. pour les modes de production
passés les mêmes documents que pour
la société bourgeoise. Ce qu'il importe de voir,
c'est que l'économie politique marxiste de la
société capitaliste nous aide grandement h poser
avec rigueur les termes de cette recherche
systématique.
Déjà, d'une façon générale, l'économie
politique du capitalisme et du socialisme
nous permet de ne pas être
embarrassés par l'existence de stades
différenciés, de stades de transition en
particulier, dans le passé. Elle nous
suggère de les rechercher, au contraire,
et de les considérer comme des étapes
objectivement nécessaires, progressives,
de longuès périodes de développement
graduel, qu'un mode de production, pris
en général et dans son ensemble, ne
peut sauter (1).
Dans le « Capital », Marx élabore des
instruments d'analyse qui débordent
largement l'étude du capitalisme. C'est
de ces instruments qu'il faut partir,
comme de catégories démystifiées, désormais
propres à l'usage au delà de
la société bourgeoise (Marx ayant développé,
en les replaçant dans le procès
historique réel, les catégories bourgeoises
de l'économie politique classique).
Le critère suprême reste toujours,
bien sûr, l'histoire réelle reflétée et la
pratique historique (2). L'exemple le
plus évident est celui de l'analyse des
forces productives capitalistes (aussi
bien de la technique matérielle que de
l'aspect social et mental du processus
de travail) dans le livre 1er. Elle comporte
des déterminations générales,
dont l'étude des différentes formations
peut permettre l'extension, et elle est
pleine d'aperçus sur les différentes
époques historiques. Elle sollicite impérieusement
son extension à tous les
modes de production, extension expressément
souhaitée par Marx dans la note
où il déplore l'absence d'une « histoire
critique de la technologie », qu'il
déclare plus facile qu'on ne pense.
Plus précisément Marx, en étendant
les catégories de l'économie aux différents
modes de production, en arrive
à caractériser des stades différents à
l'intérieur d'un même mode. Par exemple
: « La petite culture et le métier
indépendant qui, tous deux, forment en
partie la base du mode de production
féodal, une fois celui-ci dissous, se
maintiennent en partie à côté de l'exploitation
capitaliste; ils formaient
également la base économique des communautés
anciennes à leur meilleure
époque, après que la piupriété orientale
•originairement indivise se fût dissoute,
et avant que l'esclavage se fut-emparé
.sérieusement de la production » («Le
Capital », livre I, t. 2, p. 27, note 1).
Ou encore : « Dans le monde antique,
l'action du commerce et le développement
du capital marchand aboutit
toujours à une économie esclavagiste;
ou suivant son point de départ, elle
peut aboutir à la simple transformation
d'un système d'esclavage patriarcal
orienté vers la production de
moyens de subsistances directs en un
système orienté vers la production de
la plus-value... La Rome antique, avecla fin de sa période républicaine, porte
déjà le développement au capital marchand
pius haut qu'il n'a jamais été
auparavant dans l'ancien monde » («Le
capital », livre III, t. I, p. 340) (1).
Pour ne pas citer les textes d'Engels
sur la « démocratie militaire » dans
1' « Origine de la famille, de la propriété
privée et de l'Etat», rappelons enfin
que Marx, dans sa critique du programme
de Gotha, de I8ït>, distingue
rigoureusement la première phase de
la société communiste.
NOTES
(1) « Lors même qu'une société est arrivée
à découvrir la piste de la loi naturelle qui préside
à son mouvement. .. elle ne peut dépasser
d'un saut ni abolir par des décrets les
phases de son développement naturel ; mais
elle peut abréger la période de la gestation, et
adoucir les maux de leur enfantement » ( Le
Capital », préface de la première édition allemnnde,
Ed. Soc., pp. 19-20.
(2) « L'économie politique en tant que science
des conditions et des formes dans lesquelles
les diverses sociétés humaines ont produit
et échangé et dans lesquelles en conséquence
les produits se sont chaque fois répartis
— l'économie politique avec cette extension
reste pourtant à créer. Ce que nous possédons
de science économique Jusqu'ici, se limite
presqu'exclusivement à la genèse et au
développement du mode de production capitaliste...
Pour mener jusqu'au bout cette c-itique
de l'économie bourgeoise ,il ne suffisait
pas de connaître la forme capitaliste de production,
d'échange et de répartition. Les formes
qui l'ont précédée ou qui existent encore
devaient également être étudiées, tout au moins
à côté d'elle dans des pays moins évolués,
dans leurs traits essentiels et servir de point
de comparaison. Une étude et une comparaison
de cette sorte n'ont été jusqu'ici faites
dans l'ensemble que par Marx et c'est à ses
recherches que nous devons presqu'exclusivement
ce qui a été établi jusqu'ici de l'économie
théorique d'avant l'ère bourgeoise » (Engels,
« Anti-Diihring », 1878, Ed. Soc., pages
182-183).
Cette science économique, bien que traitant
des mêmes problèmes réels, est exactement à
l'opposé des tentatives bourgeoises récentes
pour définir une économie « fondimentale »
ou «généralisée». Ces tentatives s'accrochent
à la réalité longuement explicitée par Marx,
des nombreux problèmes communs a des modes
de production différents (ou plutôt du
fonds communs et de la continuité histo-ique
des problèmes différents). Elles escamotent
ainsi la question décisive des différences économiques
fondamentales, réduites- au mieux,
h quelques cadres typiques abstraits non progressifs.
Ce qui, entre autres raisons, les empêche
d'analyser scientifiquement les problèmes
communs, mais permet de maintenir le
mode de raisonnement économique, oourgeois
et réactionnaire, non historique (non rattaché
au développement des fo-ces productives et
des structures économico-sociales) depuis longtemps
réfuté par Marx. Et cela, malgré la pratique
actuelle qui montre d'une façon aveuglante
le changement des stades (avec le capitalisme
monopoliste et monopoliste d'Etat, si
différents du capitalisme classique) et surtout
le changement des modes de production (avec
le système socialiste mondial).
« Ce à quoi nous
avons affaire ici, c'est à une société
communiste non pas telle qu'elle s'est
développée, sur les bases qui lui sont
propres, mais au contraire, telle qu'elle
vient de sortir de la société capitaliste,
une société par conséquent qui, sous
les rapports, économique, moral, intellectuel,
porte encore les stigmates de
l'ancienne société des flancs de laquelle
elle est issue ». Et plus loin : « Mais
ces défauts sont inévitables dans la
première phase de la société communiste,
telle qu'elle vient de sortir de la
société capitaliste, après un long et
douloureux enfantement. Le droit ne
peut jamais être plus élevé que l'état
économique de la société et le degré
de civilisation qui y correspond. Dans
une phase supérieure de la société
communiste, quand auront disparu
l'asservissante subordination des individus
à la division du travail, et avec
elle, l'opposition entre le travail intellectuel
et le travail manuel, etc...
(« Critique des programmes de Gotha
et d'Erfurt », Ed. Soc., pp. 23 et 25).
Cet exemple du socialisme, comme
tous les exemples cités et singulièrement
celui du capitalisme, montre
l'importance des stades de transition.
Ainsi, premier stade de la société capitaliste,
transition entre la dernière période
de la société féodale et la société
capitaliste proprement dite; dernier
stade de la société capitaliste, transition
entre elle et la première phase de
la société communiste.
Conformément à la formule de la
préface de la « Contribution », il faut
voir, de façon dialectique, dans les différents
modes autant d' « époques
progressives de la formation sociale
économique ». (Souligné par nous). Il
semble y avoir, au moins, trois stades
nécessaires pour chaque mode de production
: un stade de genèse ou primitif;
un stade classique, moyen, fondamental;
et un stade suprême, de pourrissement
(et de transition au mode
supérieur). Bien sûr, il ne faut surtout
pas faire de cette hypothèse conductrice
une trichotomie rigide. Seule l'étude
historique décidera, et, tout particulièrement,
la question des sous-stades
doit être réservée.
3) implications du stade:
contradictions internes et
externes du mode
de production
Très important pour l'ensemble de
la question est l'approfondissement de
notre connaissance des stades du capitalisme,
de l'enchaînement interne
des trois stades principaux et surtout
de l'enchaînement entre les stades extrêmes
et le stade fondamental. Outre
la portée pratique du problème, l'exemple
de la formation dont nous connaissons
le mieux l'ensemble du développement
doit permettre de préciser des
instruments de recherche marxistes
pour les autres formations.
Dans le « Capital », malgré l'inachèvement
de nombreux chapitres des livres
II et III, on assiste au passage,
dans les faits, du stade manufacturier
au stade classique du capitalime, résultant
du développement des contradictions
immanentes du stade primitif.
(1) Et à propos du capital usuraire : « Dans
toutes les structures sociales, cù l'économie
esclavagiste (non sous sa forme patriarcale,
mais telle qu'on la trouve plus tard en Grèce
ou à Rome) existe en tant que moyen de s'enrichir.
où donc l'argent pour l'achat d'esclaves,
de terres, etc... est un moyen de s'approprier
le travail d'autrui ou peut précisément,
parce qu'il peut être investi de cette manière,
le mettre en valeur comme capital : l'a-gent
devient porteur d'intérêt » (« Le Capital »,
L. III, T. 2, pp. 253-254).
38 ECONOMIE POLITIQUE
Ainsi est posé le problème du mouvement
interne du mode de production
considéré, et les deux stades extrêmes
participent des mêmes contradictions
fondamentales qui sont celles de tout
le mode de production.
D'autre part, le problème du stade
de transition est également posé sur le
plan externe, dans les rapports des
stades extrêmes non plus avec le stade
moyen, mais avec les modes de production
antérieur et ultérieur. Ici aussi,
nous retrouvons le mouvement interne
du mode de production qui semble bien
l'aspect fondamental. Ainsi, le stade
primitif résulte des contradictions internes
du mode antérieur et le "stade
suprême voit ses contradictions dépassées
dans le mode ultérieur. Mais alors
les problèmes des deux stades extrêmes
ne sont plus liés. Cependant si l'on
considère l'ensemble du mode de production
dans son opposition aux deux
modes qui l'encadrent dans le temps,
la contradiction devient proprement
externe, elle existe à l'échelle de plusieurs
modes de productions historiques.
L'on retrouve d'ailleurs l'unité des
problèmes des deux stades extrêmes.
Ainsi on passe de la contradiction spécifique
des différents modes, à la contradiction
entre deux types de modes
par exemple entre forme de production
marchande et forme de production non
marchande. Cet aspect externe est également
considéré dans le « Capital ».
Ainsi quand sont caractérisés certains
stades de transition, comme le stade
de décomposition par les rapports marchands
de la communauté primitive,
forme non marchande de production,
qui débouche sur la production marchande
esclavagiste. De même, la production
marchande capitaliste est opposée
à la production non marchande
féodale ou communiste.
Ce double aspect interne et externe
dans le temps (1) des contradictions
des modes de production et de leur
développement semble se manifester
quand on considère les caractères particuliers
des deux stades extrêmes du
capitalisme.
Ainsi, on est frappé par les ressemblances
de forme évidentes entre le
stade manufacturier et le stade monopoliste
suprême du capitalisme. Concurrence
niée et modifiée par les monopoles,
importance décisive du commerce
extérieur et colonial, du rôle économique
de l'Etat (législation ouvrière,
politique douanière, finances) (2). Evidemment,
ce sont des ressemblances
formelles abstraites qui recouvrent des
réalités extrêmement différentes. Mais
n'y a-t-il pas quelque chose de plus
profond derrière ces analogies, et indépendamment
de la nécessité générale
d'utiliser l'Etat, étant donné l'antagonisme
entre le mode de production et
les conditions générales dans lesquelles
il fonctionne, à une époque de transition
? Du côté des conditions propres,
antagoniques avec les mêmes conditions
classiques, que rencontre la socialisation
toujours croissante des forces
productives (aspect externe), la
production marchande capitaliste étant
encadrée dans le temps par deux pro-
(1) A distinguer du double aspect des contradictions
dans l'espace, qui leur sont pourtant
intimement liées. Ainsi : réalisation progressive
d'un mode de production dans les limites
territoriales d'une société historique donnée
(contradictions internes à la fois dans
l'espace et dans le temps). Ou, au contraire
conquête p ogressive, à l'extérieur de la société
concrète originelle, sur des modes arriérés
(contradictions externes à la fois dans l'espace
et dans le temps).
(2) Marx a noté cette analogie. Par exemple :
« A l'origine même de la production capitaliste,
quelques unes de ces industries exigeaient
déjà un inin'mum de capital qui ne se trouvait
pas encore dans les mains de particuliers.
C'est ce qui rendit nécessaires les subsides
d'Etat accordés à des chefs d'industrie
privée... et la formation de sociétés avec monopole
légal pour l'exploitation de certaines
branches d'industrie et de commerce autant
d'avant-coureurs des sociétés modernes par
actions» («Le Capital», L. I, T. 1, p. 303).
Et déjà dans l'Introduction à la « Contribution
» : « Autre exemple de la place différente
qu'occupent ces même? catégories à. différents
stades de la société : une des dernières
formes de la société bourgeoise : des Joint
stock-ccmpantes (sociétés par actions). Mais
elles appa-aissent aussi à ses débuts dans les
grandes comnagnîes de commerce privilégiées
et jouissant d'un monopole » (« Contribution »,
p. 172).
LE CAPITAL 39
ductions dont le stade fondamental
n'est pas marchand ? (1).
De toutes façons, il convient, avant
d'examiner quelques hypothèses sur les
contradictions internes de la structure
capitaliste et ses stades, jusqu'au capitalisme
actuel de la question des deux
grandes formes de production, question
mise également en avant par la
pratique actuelle.
B. - La question des formes marchande
et naturelle ou non marchande
1) Les deux formes
du mode de production
Dans le « Capital », Marx distingue
nettement deux formes d'économie.
« Quand la forme d'une société est telle,
au point de vue économique, que ce
n'est point la valeur d'échange mais la
valeur d'usage qui y prédomine, le surtravail
est plus ou moins circonscrit
par le cercle de besoins déterminés ».
(«Le Capital», livre I, t. 1, p. 231).
L'opposition entre société où prédomine
la valeur d'usage et celle où prédomine
la valeur d'échange semble correspondre,
à l'intérieur d'un ensemble
de modes de production, à l'opposition
interne de la production marchande
entre valeur d'usage et valeur d'échange,
cette contradiction dont on suit le
développement, dans les faits, tout au
long du « Capital ». Dans la société capitaliste,
la valeur d'usage se rapporte
à l'aspect naturel du procès de production
(par exemple, l'aspect concret
d'un travail particulier comme le travail
productif de chaussures, travail
utile), la valeur d'échange se rapporte
à l'aspect proprement social de ce procès
(par exemple, la quantité de travail
socialement nécessaire pour la production
de la chaussure, travail abstrait).
On retrouve ici l'opposition entre
l'homme et la nature, avec dans les
sociétés de classes une contradiction
entre les individus producteurs et la
forme sociale de la production. Avec,
plus largement, un caractère spécifiquement
limité dans les deux types
d'économie : la forme sociale du produit
(et du travail) se détachant et
s'opposant au besoin immédiat dans la
production marchande, cette forme sociale
ne pouvant dépasser l'horizon
borné du besoin immédiat dans les
économies naturelles du passé.
La production marchande est liée à
l'indépendance des agents économiques
les uns par rapport aux autres : « Pour
que l'aliénation soit réciproque, il faut
tout simplement que des hommes se
rapportent les uns aux autres, par une
reconnaissance tacite, comme propriétaires
privés de ces choses aliénables,
et, par là même, comme personnes indépendantes.
Cependant un tel rapport
d'indépendance réciproque n'existe pas
encore pour les membres d'une communauté
primitive ». (« Le Capital », 1.
I, t. 1, p. 98). Au contraire, évoquant
le Moyen Age européen, Marx remarque
: « Au lieu de l'homme indépendant,
nous trouvons ici tout le monde
dépendant, serfs et seigneurs, vassaux
et suzerains, laïques et clercs. Cette
dépendance personnelle caractérise
aussi bien les rapports sociaux de la
production matérielle que toutes les
autres sphères de la vie auxquelles elle
sert de fondement ». (Tbid, p. 89). Pour
les membres d'une communauté primitive
«un tel rapport d'indépendance
(1) « Quand certaines des qualités essentielles
du capitalisme ont commencé à se transformer
en leurs antinomies ; quand sur toute
la ligne se sont formés et révélés les éléments
de transition du capitalisme à une structure
économique et sociale supérieure... la libre
concurrence est le trait essentiel du capitalisme
et de la production marchande en général ; le
monopole est exactement le contraire de la
libre concurrence » (Lénine, « L'Impérialisme
», OEuvres choisies, 2« Partie, T. 1, p. 525).
40 ECONOMIE POLITIQUE
réciproque n'existe pas encore » (Ibid.,
p. 98) et par contre « chaque individu
adhère encore à sa tribu ou à la communauté
aussi fortement qu'une abeille
à son essaim » (« Le Capital '», L. I, t.
2, p. 26).
L'opposition entre « travail abstrait »
et « travail utile » caractérise la production
marchande. C'est pourquoi les
rapports sociaux sont loin d'y apparaître
toujours comme liés aux rapports
particuliers, concrets, du travail. Au
contraire, les rapports entre hommes
dans l'échange prennent l'aspect de
rapports entre choses. « C'est seulement
un rapport social déterminé des
hommes entre eux qui revêt ici pour
eux la forme fantastique d'un rapport
des choses entre elles ». («Le Capital»,
L. I, t. 1, p. 85). Ce «pour eux» n'est
pas seulement quelque chose de subjectif,
car, dans la production marchande
« l'indépendance des personnes les unes
vis-à-vis des autres trouve son complément
obligé en un système de dépendance
réciproque imposé par les choses
(Ibid, p. 118).
Au contraire, dans la société européenne
du Moyen-Age, « c'est précisément
parce que la société est basée sur
la dépendance personnelle que tous les
rapports sociaux apparaissent comme
des rapports entre les personnes. Les
travaux divers et leurs produits n'ont
en conséquence pas besoin de prendre
une figure fantastique distincte de leur
réalité. Ils se présentent comme services,
prestations et livraisons en nature.
La forme naturelle du travail, sa particularité
— et non sa généralité, son
caractère abstrait, comme dans la production
marchande — en est aussi la
forme sociale ». (Ibid., p. 89). D'autre
part, quand on considère le « travail
commun » de « l'industrie rustique et
patriarcale d'une famille de paysans
qui produit pour ses propres besoins »,
« les différents travaux d'où dérivent
ces produits... possèdent de prime
abord la forme de fonctions sociales ».
(Ibid., p. 89-90) (1).
2) Spirale historique
de la production marchande
et de la production
naturelle
Quand on considère l'ensemble du
développement historique réel de la
formation sociale économique, ce qui
est frappant, du point de vue qui nous
occupe, c'est l'alternance des formes de
production marchande et non marchande.
A la période de décomposition de la
communauté primitive correspond
l'établissement des rapports marchands
qui se développent tout au long de
l'histoire de l'économie esclavagiste
(qui reste toujours dans une large mesure
naturelle) pour commencer à décliner
dans son dernier stade. Ce dernier
stade précède la production féodale,
qui, dans sa phase fondamentale,
est essentiellement non marchande.
Les rapports marchands se développent
à nouveau et considérablement
pendant la décadence de la société féodale,
puis le stade genèse du capitalisme,
pour culminer avec le capitalisme
classique. Ils commencent à décliner,
d'un certain point de vue, dans les sociétés
capitalistes mûres qui se meuvent
dans le stade impérialiste.
Certes la société capitaliste est beaucoup
plus marchande que la soc,été
esclavagiste. Car la force de travail
elle-même, s'y présente à tous les moments
du procès économique comme
une marchandise (2). De même la production
féodale est loin d'exclure aussi
rigoureusement l'aspect marchand de
l'économie, pour ainsi dire, que la com-
(1) Nous laissons de côté le .problème de la
division sociale du travail. La production
marchande s'élève sur la base d'une division
du travail développée qu'elle développe encore.
Mais la p oduction naturelle n'exclut pas
la division sociale du travail, qui y garde cependant,
dans ses formes passées du moins,
un aspect limité.
(2) Le capital ne se contentant plus d'ailleurs
de se greffer par l'intermédiaire de la circulation
sur la production (cçmme le capital
marchand dans ia société esclavagiste), mais
s'emparant de la production elle-même dans la
société capitaliste.
LE CAPITAL 41
munauté primitive. Tout ce mouvement
historique se fait en spirale (1).
Il semble qu'on puisse discerner une
alternance du caractère formel des
forces productives qui serait à la racine
de la spirale production marchande —
production non marchande, bien que
recouvrant des réalités profondément
différentes dans des modes de production
différents.
Par exemple, on rencontre une société
de petits producteurs isolés, et par
là indépendants, aux origines de la
société esclavagiste comme â celles de
la société capitaliste. U y a sans doute
un lien entre cette situation et le caractère
formellement individuel des
forces productives, bien que recouvrant
deux réalités techniques profondément
différentes. Or, dans les deux cas, c'est
dans cette économie fragmentée que
se développent les rapports marchands.
Caractère individuel, caractère social
des forces productives, ces expressions
marxistes classiques paraissent résumer
le trait dominant de rapports
nombreux qu'il faudrait développer.
Hypothèse : d'une façon extrêmement
abstraite et schématique, il semble
que l'on voit, au départ de la société
esclavagiste, un caractère surtout
individuel des forces productives, marquant
les rapports de production de
façon décisive (progrès de la propriété
privée, droit exclusif de celui d'autres
hommes, malgré le maintien d'une propriété
publique d'origine communautaire).
Mais aussi, ces forces ont déjà,
un certain caractère social, se reflétant
dans les rapports de domination.
Cet aspect social va grandir, au cours
du développement du mode de production
esclavagiste (avec le progrès de
la coopération simple et de la division
sociale du travail) permettant le progrès
des forces productives. De telle
sorte que l'on retrouve, même, en fin
de période, un caractère individuel en
progrès, mais à niveau supérieur, intégrant,
par exemple, les acquisitions de
la coopération simple, ainsi dans le
moulin à eau.
La société féodale partirait d'un caractère
encore dans une large mesure
social des forces productives, marquant
surtout les rapports de production
(partage de propriété entre titulaire du
droit éminent et titulaire du droit utile,
importance de la communauté de
droits des dépendants, malgré le maintien
de l'aspect privé d'origine esclavagiste).
Mais, dès le départ, ces forces
ont un côté individuel en progrès. Cet
aspect individuel va grandir tout au
long de l'époque féodale, faisant progresser
les moyens de production, de
telle sorte qu'ils déterminent, à la fin,
un aspect social de nouveau croissant.
C'est cet aspect social qui rend possible
la nouvelle coopération sur une
grande échelle, coopération désormais
manufacturière, entre agents libres et
indépendants (contrairement à la coopération
simple esclavagiste) étant
donné le progrès antérieur de l'aspect
individuel du moyen de production.
C'est ce caractère encore largement
individuel qui marque de façon décisive
les rapports de production capitalistes
(propriété privée généralisée, y
compris des ouvriers sur eux-mêmes,
malgré le maintien d'un domaine public).
Bien que, dès l'origine, l'aspect
social des forces productives soit dominant
comme tendance. Cet aspect social
va se développer de façon inouïe
tout au long de l'évolution capitaliste
(2), engendrant une contradiction
(1) La naissance de la production marchande
(et plus tard de l'argent) exerce un rôle « dissolvant
» sur les rapports sociaux de dépendance,
très marqué par exemple lors de la
désagrégation des communautés primitives ou
de raffranchissement des serfs. La production
marchande développe ainsi elle-même
ses propres conditions. Mais, par ailleurs,
comme le montre Marx à propos de l'antiquité,
la production marchande développée
engendre le capital usuraire (forme antique du
capital productif d'intérêt) qui lui, au contraire,
favorise les rapports de dépendance,
par l'intermédiaire du rapport de débiteur à
créancier (voir le rôle joué par l'usure dans
la naissance de l'esclavage ou du servage).
(2) « Les moyens de travail... étaient calculés
seulement pour l'usage individuel...
Concentrer, élargir ces moyens de production
dispersés et étriqués... tel fut précisément
le l'ôle historique du mode de production capitaliste.
. . transformer les moyens de production
de l"ndividu en moyens de production
sociaux, utilisables seulement par un ensemble
d'hommes.» (Anli-DUhring, p. 308).
42 ECONOMIE POLITIQUE
croissante entre le caractère privé de
l'appropriation des moyens de production
et le caractère social des forces
productives. Cette contradiction n'est
résolue que dans le socialisme, première
phase de la société communiste, qui,
elle, se propose le développement intégral
de tous les individus.
Avec le socialisme, nous semblons
arriver à un point de rupture qualitatif.
Peut-on parler de production naturelle,
c'est-à-dire de l'antinomie de
la production marchande pour la société
communiste ? N'y a-t-il pas désormais,
au contraire, dépassement de
la contradiction entre production marchande
et production naturelle, conservant
les aspects positifs des deux formes,
dans un type de production radicalement
nouveau ?
Il est bien connu que l'économie
communiste ne sera pas une économie
marchande : tout le processus du développement
de l'aliénation marchande
capitaliste débouche sur son dépassement
et déjà l'économie socialiste est
fondamentalement moins marchande.
D'ailleurs Marx caractérise dans le
« Capital » la « réunion d'hommes libres
travaillant avec des moyens de production
communs et dépensant, d'après un
plan concerté, leurs nombreuses forces
individuelles comme une seule et même
force de travail » (L. I, t. 1, p. 90),
comme une économie qui n'est pas
marchande. Mais l'économie communiste
sera-t-elle une simple économie
naturelle de type ancien et non pas
une économie naturelle de type radicalement
nouveau ?
L'économie naturelle est supérieure à
l'économie marchande notamment parce
qu'elle ne comporte pas l'aliénation
marchande, la soumission inhumaine
de l'homme à l'argent. Mais dans ses
formes passées elle comporte son aliénation
spécifique, avec la limitation de
ses besoins et de son horizon, l'animalité,
pour ainsi dire, des rapports avec
la nature, et surtout l'animalité des
rapports entre hommes.
Dans ce sens, les trois modes de production
fondés sur l'exploitation de
l'homme par l'homme et sur les classes
antagonistes participent de l'économie
naturelle. De même, ils ont tous trois
un certain aspect marchand et l'argent
n'y disparaît jamais complètement depuis
sa naissance. Mais surtout la contrainte
personnelle et la violence, agent
économique nécessaire dans les sociétés
de classes, participent de l'économie
naturelle. Par cet aspect l'économie
esclavagiste, même dans ses formes
les plus marchandes, garde toujours
largement un aspect naturel (1).
Même l'économie capitaliste, la plus
marchande possible, où la force de travail
se vend elle-même et non pas une
fois pour toutes mais en se louant périodiquement,
participe de cet aspect
naturel. La contrainte physique directe
reste économiquement indispensable
pour faire respecter la propriété privée
(2) et maintenir dans la dépendance
la classe ouvrière (et cet aspect
se développe considérablement avec le
développement de l'antagonisme des
classes) ainsi que pour la conquête de
richesses et de moyens de production
par la guerre (depuis les guerres commerciales
de la période manufacturière).
Cet aspect de violence doit évidemment
disparaître avec l'antagonisme
des classes. et l'exploitation, à « une
étape où disparaissent la contrainte et
la monopolisation par une fraction de
la société au détriment de l'autre du
progrès social (y compris ses avantages
(1) « Dans la mesure où le système esclavagiste,
dans l'agriculture, dans les manufactures,
la navigation, etc... est la forme dominante
du travail productif (comme c'était le
cas dans les Etats développés de la Grèce et
de Rome), il conserve un élément de l'économie
naturelle. Le marché des esclaves luimême
est constamment alimenté en marchandise
— force de travail par la guerre, la piraterie,
etc., et ce rapt ne s'opère pas par
l'intermédiaire d'un procès de circulation, mais
il est l'appropriation en nature de force de
travail étrangère par contrainte physique directe
» (« Le Capital », L. II, T. 2, p. 126). De
ce strict point de vue, la société féodale paraît
moins naturelle.
(2) La propriété privée elle-même (et le
monojtole de la terre) suppose l'exploitation
historique violente des petits producteurs. De
même l'intervention de l'Etat dans l'économie
évince le procès de circulation marchande.
Evidemment cette intervention peut ne pas
se faire au profit d'une classe exploiteuse et
avoir un contenu socialiste, naturel de type
nouveau.
LE CAPITAL 43
matériels et culturels) » («Le Capital»,
L. III, t. 3, p. 198).
Au contraire, la question du temps de
travail, et d'activité reste, semble-t-il,
une question fondamentale. Elle paraît
n'être que plus centrale (aspect positif)
et plus tyrannique, plus aveugle (aspect
négatif) dans la production marchande
que dans la production naturelle.
Ainsi, «la corvée est tout aussi
bien mesurée par le temps que le travail
qui produit des marchandises »
(«Le Capital», L. I, t. 1, p. 89). Cependant
« après la suppression du mode
capitaliste de production sociale, la détermination
de la valeur (1) restera
dominante, parce qu'il sera plus nécessaire
que jamais de réglementer la durée
du travail, de distribuer le travail
social entre les différents groupes productifs,
enfin d'en tenir la comptabilité
» («Le Capital », L. III, t. 3, p.
228) (2).
La pratique du socialisme semble bien
montrer le dépassement progressif de
la production marchande, dépassement
qui la nie et la développe à la fois, pour
rompre le cercle production marchande
— production naturelle. Si ce stade du
communisme demeure encore largement
marchand, il l'est fondamentalement
moins que le capitalisme, notamment
parce que désormais la force de
travail n'est plus une véritable marchandise,
ce qui permet de dominer par
le plan les automatismes marchands.
Ainsi les catégories et rapports marchands,
au heu d'être tout-puissants et
aveugles, sont subordonnés. Ils sont
utilisés comme moyens pour un autre
but économique que la plus-value et
dans le cadre du plan (et non du marché
souverain). Et ce, précisément dans
certaines de leurs formes les plus déve -
loppées, qui ont déjà dépassé la forme
capitaliste classique dans le capitalisme
monopoliste d'Etat (formes modernes
de la monnaie, crédit, banques, etc...)
mais désormais avec un contenu nouveau
socialiste qui suscite un nouveau
développement.
Le fait qu'en régime socialiste l'aliénation
marchande n'est plus le fait de
propriétaires privés ne présente pas
une difficulté inattendue. Il signifie,
sans doute, que la marchandise a commencé
à changer de nature, n'est plus
« seulement une marchandise » (Lénine).
Mais aussi, il rappelle les toutpremiers
échanges marchands entre
communautés primitives. « L'échange
des marchandises commence là où les
communautés finissent, à leurs points
de contact avec des communautés
étrangères » («Le Capital», L. 1, t. 1,
p. 98 (3). Tout l'aspect positif des formes
marchandes n'est pas supprimé
mais développé (avec le contenu nouveau
qui rend possible la suppression
graduelle des aspects négatifs) et en
voie de dépassement qualitatif dans des
formes nouvelles, alors que progresse,
avec la marche au communisme, le
passage de la nécessité aveugle capita-
(1) Remarquons qu'il n'est pas question,
ici. d'attribuer des valeurs d'échange aux produits,
de constater la quantité de t avail social
qu'ils contiennent par un détour (la forme
marchandise et la monnaie), comme ont pu
le penser certains économistes soviétiques, opposât
a'nsi Marx à Engels (« Anti-Duhring »,
p. 348-349) et à lui-même. Il s'agit simplement
de la détermination de la quantité de
travail soci'fl que contient un produit, de la
détermination de la valeur. Dans le « Capital
», Ma"X distingue nettement la valeur du
produit (travail social contenu) des valeurs
d'échange des marchandises. Voir notamment
sur cette distincticn lcs« Notes marginales pour
le «Traité d'Economie politique», d'Adolphe
Wagner (« Le Capital », Ed. Soc., L 1, T. 3,
Annexes, p. 241 et suivantes).
(2) Dès la manufactu "e, avec le caractère
nouveau des forces productives (dont la coopération
manufacturière), il y a le ge~me
d'une transformation du problème de là valeur.
« Qu'une marchandise ne doive coûter
que le temps de travail socialement nécessaire
à sa f'abricat'on, cela apparaît dans la production
marchande en général l'effet de la
concurrence. . . Dans la manufacture, au contraire,
la liv"aison d'un quantum de produit
donné dans un temps de travail donné devient
une loi technique du procès de production
lui-même » (Le Capital, L. I, T. 2, p.
36). — « Là où la division naturelle du travail
à l'intérieur de la société est la forme
fondamentale de la product'on, elle imprime
aux produits la forme de marchandises...
(on a vu) le mode de production nouveau...
introduire au beau milieu de cette division du
travail naturelle sans méthode qui régnait
dans toute la société, la division méthodique
du t-avail telle qu'elle était org-n'sée dans la
fabrique individuelle » (Anti-Diihring, p. 309).
(3) Il semble que les problèmes du dépassement
des formes marchandes, posés par la
pratique socialiste, devraient être, dans la mesure
du possible, confrontés aux problèmes
voisins posés par des modes historiques différents
(communauté primitive, société féodale,
capitalisme actuel) selon la méthode historique
de Marx).
44 ECONOMIE POLITIQUE
liste à l'utilisation consciente du déterminisme
social.
3) Forme générale de la
production, nécessité sociale
et formes phénoménales
Nous rejoignons ici les réalités phénoménales
(et les questions de la concurrence)
évoquées dans la première
partie de cet article. Ces réalités semblent
en effet s'éclairer, une fois replacées
dans le cadre plus général de la
production marchande et à la lumière
de la conception marxiste du déterminisme
social et de la liberté historique,
que nous évoquons ici uniquement sous
l'angle économique.
Dans les sociétés humaines le déterminisme
naturel prend la forme du déterminisme
social (1). Mais les hommes
doués d'autonomie et de conscience,
apparaissent (et sont subjectivement)
libres, poursuivant (et atteignant)
leurs propres buts particuliers. En réalité,
du choc de ces « libertés » individuelles
résulte le déterminisme social.
Un homme agit mais à son action s'oppose
celle d'un autre, et cet autre est
donné. Une génération trouve donné
extérieurement le stade de développement
atteint par la génération précédente
(2). Toutes ces libertés qui se
contrecarrent se heurtent aux mêmes
bornes extérieures, le stade borné du
développement des forces productives
exprimant la contrainte de la nature
extérieure, dans le travail producteur
de biens matériels dont l'homme n'est
pas libre de se passer pour vivre. Dans
leurs actes, les hommes se heurtent,
avec leurs moyens, à la nécessité externe
et ce faisant, ils créent entre eux
une nécessité interne, sociale, indépendante
de leur volonté, correspondant à
ces moyens (3). A un certain niveau de
développement, ces moyens déterminent
la scission de la société en classes
et la polarisation des individus dans les
classes (dans la contradiction puis la
lutte desquelles, on retrouve la liberté
historique productive de nécessité sociale).
Les hommes font ainsi leur histoire,
mais ils n'obéissent pas à une
volonté collective consciente selon un
plan d'ensemble, et la nécessité sociale
est aveugle (4).
Les réalités phénoménales de la concurrence
semblent être à la fois les
formes sous lesquelles apparaît le déterminisme
social, dans la production
marchande, et les moyens par lesquels
il s'impose (et se modifie finalement
sous l'action des hommes). Dans des
conditions données qui définissent un
mode de production, les actions appa-
(1) « Gomme tous les animaux, nos ancêtres
anth-opoïdes furent entièrement soumis à la
nature. Leur évolution fut une évolution absolument
inconsciente, une adaptation au milieu
ambiant... (l'homme) est devenu un animal
qui fabrique des outils. L'outil est un
organe à l'aide duquel l'homme agit sur la
nature pour atteindre ses fins, un organe qui
soumet la nécessité à la conscience. . . Et les
propriétés de l'homme social se définissent à
chaque instant par le degré de développement
des forces productives... D'immédiate la dépendance
de l'homme à l'égard du milieu géographique
devient médiate. C'est par le truchement
du milieu social que le milieu géographique
agit sur l'êt-e humain... L'évolution
du Milieu social est soumise à ses propres
lois... L'action de l'homme sur la nature
par le truchement de la production engendre
un nouveau mode de dépendance humaine,
un nouveau mode d'esclavage, la nécessité
économique » (Plekhanov, « Essai sur
le développement de la conception mcniste de
•l'histoire », 1895, Moscou, 1956, p. 266-267-
268). Plekhanov (ib'd.. p. 165) après Engels
(préface de « L'origine de la famille » et lettre
à Marx du 8 décembre 1882) souligne la survivance
importante du déterminisme naturel
de départ (animalité des rapports entre humains,
surtout pour le groupe familial), dans
les premières sociétés déià ^ ^~"«-ronnement
des forces productives est le moteur essentiel
de la société.
(2) Marx et Engels « L'idéologie allemande »,
Première partie, 1845-1846, Ed. soc., p. 29-30.
Cf. aussi lettre d'Engels à J. Bloch du 21 septembre
1890 (« Etudes philosophiques », p.
129); Plekhanoy, ouvrage cité, p. 127.
(3) Cf. « Idéologie allemande », p. 67. Cf.
aussi p. 75 : « Ce d"Oit de pouvoir jouir en
toute tr"nquillité de l'accidentel à l'intérieur
de certaines conditions, c'est ce qu'on appelait
jusqu'alors la liberté personnelle. Ces conditions
d'existence ne sont naturellement que
les forces productives et les formes de circulation
de cbacrue période ».
(4) Au contraire, après l'abolition du capital'sme
: « L'anarchie à l'intérieur de la production
sociale est remplacée rtar l'organisation
planifiée consciente. La lutte pour l'existence
individuelle cesse. Par là, pour la première
fois, l'homme se sépare, dans un certain
sens définitivement du règne animal. »
(Anti-Dûhring t p. 322).
LE CAPITAL 45
remment libres et réellement accidentelles,
se contrecarrent plus ou moins,
des différents individus prendraient
une forme déterminée (contradictoire)
qui refléterait le déterminisme des forces
productives du mode. Cette forme
déterminée créerait par la moyenne des
actions, polarisées par les conditions du
mode, les lois internes du mode de
production, qui seraient pour ainsi
dire des lois spécifiques de grands
nombres (1).
Ainsi, cette forme apparente qui cache,
exprime et crée le mouvement
essentiel, n'est pas seulement subjective.
Elle a, en liaison avec son caractère
subjectif général, un pouvoir contraignant
qui finit par imposer son modèle
à l'action individuelle. Nous l'avons déjà
vu, dans la première partie, à propos
du coût de production. Le salariat
fournit un autre exemple très expressif
: « Le travailleur appartient en fait
à la classe capitaliste, avant de se vendre
à un capitaliste individuel. Sa servitude
économique est moyennée, et
en même temps, dissimulée par le renouvellement
périodique de cet acte de
vente, par la fiction du libre contrat,
par le changement des maîtres individuels
et par les oscillations des prix de
marché du travail » («Le Capital», L.
I, t. 3, p. 20).
Il semble qu'un problème analogue
se pose dans les productions naturelles
du passé. Bien que dans des conditions
moins visibles, moins évidentes, parce
que la dépendance du serf ou de l'esclave
(dans la mesure où le rapport
esclavagiste est naturel) exclut la liberté
apparente de l'ouvrier. Et en même
temps, dans la production naturelle
sont moins masquées aux individus les
forces humaines réelles qui limitent
leur action. Mais cette liberté subjective
de l'exploité existe cependant (elle
se manifeste, notamment, dans la lutte
de classes) et les hommes libres voient
aussi s'entrechoquer leurs volontés. On
peut se demander si ici aussi il n'y a
pas un monde apparent et médiateur.
Au lieu de l'apparence du rapport entre
choses qui masquent les rapports entre
hommes dans la production marchande,
ici, au contraire, les rapports de
dépendance concrets entre hommes et
l'idée qu'on s'en fait, masqueraient le
rapport avec les choses (la lutte de
l'homme contre la nature) et la liberté
historique des vrais rapports entre
hommes (2).
Le lien indispensable entre nécessité
sociale et liberté historique fait que
cette nécessité exclut le fatalisme. Non
seulement l'action des hommes permet
à la nécessité de changer de forme,
mais surtout la complexité du déterminisme
historique permet véritablement
aux hommes de faire leur histoire. De
même, plus l'intelligence de la nécessité
progresse et plus croît la possibilité de
liberté réelle. Ainsi le passage nécessaire
d'un mode de production à un
autre n'est pas fatal. La classe déclinante,
profitant de conditions favorables,
peut, au prix de grandes souffrances
pour les masses et de tentatives
de régression, prolonger son agonie
et faire pourrir le plus longtemps
possible le mode où elle domine. Mais
aussi le passage, devenu inéluctable,
peut ne pas se faire, car les sociétés
sont mortelles et ainsi la Rome antique
disparaît en tant que telle de la
scène de l'histoire (3). Il faudrait étudier
la particularité des conditions con-
(1) « Au livre II, nous devions, bien entendu,
présenter la sphère de circulation sous le seul
rapport des formes définies qu'elle engendre
et montrer comment la structure du capital y
poursuit son développement. Mais, dans la
réalité, cette sphère est celle de la concurrence
; à cons'dérer chaque cas isolément, en
voit que c'est le hasard qui y règne : la loi
interne qui s'impose au sein de ces accidents
fortuits et les régularise ne devient visible que
lorsque ces accidents fortuits sont groupés par
g-andes masses » (« Le Capital », L. III, T. 3,
p. 205-206).
(2) « Dans les structures sociales antérieures
[au capitalisme], cette mystification économique
se manifeste principalement à propos
de la monnaie et du capital porteur d'intér
ê t . . . [Au contraire] « la domination des conditions
de production sur les producteurs est
ici marquée par les rapports de maître à esclaves
«u l'on voit, et qui paraissent êt~e les
ressorts directs du procès de production...
Même dans les corporations du moyen-â"e. ni
le capital ni le travail ne paraissent indépendants,
leurs rapports semblent déterminés par
le système corporatif (« Le Capital », L. III,
T. 3, p. 208-209).
(3) Voir le projet de lettre de Marx concernant
la Russie, au directeur des Otétchestvennye
Zapiski, et le commentaire de Plekhanov
(ouvrage cité, p. 292 et suivantes).
46 ECONOMIE POLITIQUE
crêtes (géographie, influence historique
extérieure, etc.) qui rendent compte
des réalités phénoménales, si différentes
suivant les pays, exprimant le
même mouvement économique essentiel
et permettant une action subjective
différente (1).
4) Formes du travail
et rapports entre hommes
L'économie marchande apparaît par
rapport à l'économie naturelle, comme
un effort pour s'arracher à la nécessité
contraignante de la nature et de l'aspect
le plus' naturel des rapports humains.
Ce pas vers la liberté n'est fait
cependant que pour tomber dans une
nécessité plus rigoureuse et plus aveugle.
L'aspect social, artificiel, du déterminisme
historique se développe encore.
Cependant ce développement considérable
de la nécessité sociale prépare
la disparition de la contrainte sociale
aveugle (2), la nécessité utilisée consciemment,
devenant l'instrument de la
liberté (3). Dans les sociétés marchandes
(moins hiérarchiques) se développe
la contrainte sociale par les
choses, et donc l'administration des
choses qui semble préparer ainsi le moment
où elle remplacera l'administration
des hommes.
Les classes exploiteuses accaparent
cette administration des choses, de
même qu'elles dirigent à leur profit
l'administration des personnes (4).
Les classes exploiteuses jouent un
rôle économique important (rôle dont
l'utilité décline au cours de l'évolution
de leur mode de production). Elles ont
une fonction propre, elles comprennent
des agents économiques spécifiques,
comme l'explique Marx dans « Le Capital
». Sur cette base réelle, qui explique
leur existence, elles développent
l'exploitation inhumaine des autres
hommes et leur parasitisme. Ainsi Engels
explique la naissance de l'esclavage,
non seulement parce que le niveau
atteint des forces productives
permet à un homme de produire plus
qu'il n'est nécessaire pour son propre
entretien, mais aussi parce qu'il exige
que d'autres hommes, privilégiés, se
consacrent à d'autres activités que la
production matérielle directe (5).
La scission en classe ( et la lutte des
classes qui va en résulter) a comme
base cette division fondamentale de
l'activité entre travail manuel et travail
intellectuel. Le niveau insuffisant
des forces productives ne permettant
qu'à une partie de la société d'avoir la
forme d'activité la plus humaine (intellectuelle),
elle maintient le plus
longtemps possible l'autre partie dans
la sujétion et l'activité inférieure. D'un
mode de production à l'autre, avec le
développement historique des forces
(1) Marx se référant à propos du commerce
extér'eur aux différences économ'ques entre
les nations les caractérise au niveau des catégories
phénoménales (« Le Capital », L. III,
T.' 3 p. 249*.
(2) Cf. Plekhanov, ouvrage cité, p. 268.
(3) Outre tous les aspects strictement économiques
de cette nécessité prometteuse de liberté,
on peut se demander si, avec le développement
du règne des choses et du caractère
social des forces productives, ne croît
pas, en même tpmps, la tendance h la science
et au rationalisme (et au matérialisme) dans
la pensée des sociétés marchandes. Ainsi avec
le rationalisme grec, arabe, italien du XV"
siècle.
(4) Ce double aspect de l'administration se
retrouve, 'semble-t-il, dans le double aspect
du rôle de 'l'Etat conce~nant l'économie. Le
rôle principal de l'Etat est indirectement économique
et consiste à maintenir les rapports
de sujétion et d'exploitat'on (et à accélérer ou
retarder leur transformation dans les périodes
de transition). Mais aussi, l'Etat, force organisée
de la société, a un -oie directement économique.
Il intervient directement dans le processus
économique ((au service de la clause
exploiteuse dans les sociétés de classe antagonistes).
« L'Ftat auquel les groupes naturels
de communautés d'une même tr'bu avaient
abouti dans leur évolution, simplement, afin
de ne pas perdre de vue leurs intérêts communs
(par exemple l'irrigation en Orient) et
en raison de la défense contre l'extérieu-, a
désormais tout autant pour fin de maintenir
par la violence les conditions de vie et de
domination de la classe dominante contre la
classe dominée » (Engels, « Anti-Duhring »,
p. 180).
(5) « Anti-Duhring », p. 213-214. Et encore
p. 320 : « A côté de cette grande majorité exclusivement
vouée à la corvée du travail, il
se forme une classe libérée du t"avail directement
productif, uni se charge des affaires
communes de la société : direction du travail,
affaires polit'ques. justice, science, beaux-arts,
e t c . . . C'est donc la loi de 1" division du travail
qui est à la base de la division en classes.
Cela n'empêche pas d'ailleurs [la transformation
d e ] . . . la direction sociale en exploitation
des masses ».
LE CAPITAL 47
productives, semble se développer le
caractère intellectuel, l'humanité, pour
ainsi dire, du rôle des exploités, bien
que de façon antagonique. De sorte que
l'on puisse assister à une scission relative
entre les exploités, de ce point
de vue, dans le capitalisme. Au contraire
le rôle intellectuel des exploiteurs
paraît diminuer. La disparition
totale des classes (et pas seulement de
l'antagonisme des classes) est liée à la
disparition de la division entre travail
manuel et intellectuel.
la sphère matérielle. Ainsi, dans le capitalisme
le travail productif est, normalement,
dans une proportion écrasante,
le travail de la sphère matérielle
(travail manuel principalement, mais
de plus en plus travail intellectuel).
Cependant, d'une façon générale, tout
travail qui rapporte de la plus-value
est un travail productif (2). Le travail
de la production non matérielle peut
rapporter de la plus-value. Soit qu'il se
traduise en produits matériels, en mar-
Le développement des forces productives
du capitalisme actuelle et du socialisme
montre que cette disparaition
se fera au profit d'un type d'activité
intellectuel. En effet, en même temps
que se développe le travail intellectuel
dans la production matérielle, on voit
progresser considérablement la production
non matérielle et la production
proprement spirituelle.
Dans cette forme supérieure d'économie
naturelle où disparaîtra la division
en classes, en raison désormais
du progrès des hommes et non de leur
primitivité, la division de l'activité d'un
homme entre production matérielle et
production non matérielle et spirituelle
aura, semble-t-il, beaucoup plus d'importance
que la division entre travail
nécessaire et travail extra. Cette dernière
division, qui bien sûr ne disparaîtra
jamais, est la plus tyrannique
dans la société capitaliste qui, poursuivant
la production de la plus-value,
cherche à augmenter la quantité de
surtravail pour extraire des hommes le
maximum de valeurs d'échanges (1).
La production capitaliste s'intéresse
avant tout au travail productif de plusvalue.
La division entre travail productif
et improductif est caractéristique
d'une forme (développée) d'économie
marchande où, du fait de la circulation
des marchandises, le surproduit peut
être recherché sous sa forme valeur (et
ne connaître ainsi aucune limite).
La question du travail productif est
étroitement liée à celle du travail de
(1) «Le surtravail (capitaliste) créé les
moyens matériels et le germe d'une situation
qui, dans une forme plus élevée de société,
permett-ait d'établir une corrélation entre ce
travail et le temps consacré au travail matériel
qui serait plus restreint. Car suivant que
la force productive du travail est plus ou
moins développée, le surtravail peut être important
pour une courte journée de travail...
La richesse vé"itable de la société et la possibilité
d'un élargissement ininterrompu de son
procès de reproduction ne dépendent donc pas
de la durée du surtravail, mais de sa productivité
et des conditions plus ou moins perfectionnées
dans lesquelles il s'accomplit. En fait
le royaume de la liberté commence seulement
là où l'on cesse de travailler par nécessité et
opportunité imposée de l'extérieur ; il se situe
donc par nntu"e au delà de la sphère de
la production matérielle pronrement dite...
Avec son développement (de l'homme) s'étend
également le domaine de la nécessité naturelle,
parce que les besoins augmentent ; mais en
même temps s'élareissent les forces productives
pour les satisfa're. En ce domaine, lia
seule liberté possible est que l'homme soc'al,
les producteurs associés règlent rationnellement
leurs échanges avec la nature, qu'ils la
contrôlent ensemble au lieu d'être dominés par
sa puissance aveugle et qu'ils accomplissent
ces échanges en dépensant le minimum de force
et dans les conditions les plus dignes, les plus
conformes à leur nature humaine. Mais cette
activité constituera toujours le royaume de la
nécessité. C'est au delà que commence le dé«
veloppement des forces humaines comme fin
en soi. le véritable royaume de la liberté qui
ne peut s'épanouir qu'en se fondant sur l'autre
royaume, sur l'autre base, celle de la nécP^
Hfi. La condition essentielle de cet épanouissement
est la réduction de la journée de
t ava'l » («Le Capital», L. III, T. 3, pages
198-199).
(2) « Seul est productif le travail qui produit
de la plus-value ou qui -sert au capital
de moyen pour produire de la plus-value et de
se po«er. par conséquent, en canital»... «Le
résultat du procès de production capitaliste
n'est ni un simple produit (valeur d'usage) ni
une marchandise, c'est-à-dire une valeur d'usage
ayant une valeur d'échange déterminée c'est
la création do la plus-value » (Marx, « Histci"
e des doctrines économiques », trad. M'Olitor,
T. 2, p. 190 et 199). Voir les exemples du
contexte. Voir aussi à propos du maître d'école
productif, le « Capital », T. 2. p. 184 : « Donc
n'est censé productif que le travailleur qui
rend une plus-value au capitaliste ou dont le
travail féconde le capital ».
48 ECONOMIE ,
chandises proprement dites (livres),
soit qu'il soit vendu avec profit par un
capitaliste sous forme de service (artistes).
Mais, dans ce domaine, les possibilités
de production de la plus value
paraissent limitées. L'aliénation
marchande des services ne peut s'étendre
considérablement. Le travail produisant
des biens matériels est par
excellence celui dont le résultat
prend la forme marchande. La valeur
d'échange de son produit peut le
plus se détacher de sa valeur d'usage.
Au contraire, le travail directement et
individuellement consommé comme
service est plus dépendant du besoin.
De même le produit échappe plus facilement
au contrôle du producteur dans
la production non matérielle.
Le développement du travail de type
intellectuel et surtout de la production
non matérielle, caractéristiques du capitalisme
actuel et du socialisme, ainsi
que de leurs forces productives, semble
s'opposer à la forme marchande de
l'économie (1).
Quel que soit l'aspect sous lequel on
examine les formes marchande et non
marchande de l'économie, c'est à l'évolution,
en quelque sorte naturelle, des
forces productives matérielles et aux
rapports pratiques entre les individus
qui en découlent qu'il faut toujours re-
' POLITIQUE
venir. En dehors de ces rapports de
production, l'analyse des forces économiques
ne peut dépasser l'apparence.
C'est le mode de production qui détermine
sa propre forme générale. Ce sont
les contradictions internes du mode de
production qui expriment le contenu
réel des formes du fonctionnement et
les conditions de leur développement
(2).
(1) Dans l'économie féodale non marchande, le travail de la sphère matérielle lui-même prend la forme d'un service qui est livré ecmme tel (corvée). Cf. « Histoire des doctrines
économiques », T. 2, p. 12. Peut-on rapprocher
cet aspect de service du caractère privé
des forces productives, lié à une direction
largement personnelle et autonome du travail ?
Ce travail est ainsi plus intellectuel et apparaît
plus comme une manifestation de soi
naturelle du producteur (comme s-ouvent dans
le travail non matériel, par exemple dans la
danse), que comme une limitation de soi par
quelque chose d'extérieur, bien que cette manifestation
soit dépendante. (Voir sur les manifestations
de :sci et le travail, ]'« Idéologie
allemande », p. 62). Il semble en découler un
contrôle du produit par le producteur alors
que dans la production marchande on assiste
à une domination du produit sur le producteur.
(2) « Si vous vous figurez que, pour Ma'i,
les formes de production peuvent se développer
« par soi-même », vous vous trompea
cruellement. Qu'est-ce que des rapports sociaux
de production ? Des rapports entre êtres humains.
Comment peuvent-ils se développer
sans ces êtres?... absurdité de l'antithèse...
entre l'individu et les lois de la vie en société,
entre l'activité des hommes et la logique interne
des formes de leur co-existence » (Plekhanov,
ouvr. cité, p. 259).
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