Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Pour un droit effectif à la formation continue

 

Table ronde avec :

Paul Boccara (1) Economiste,

Sylvian Chicote (2) Inspecteur du travail,

Régis Regnault, syndicaliste

Paul Santelmann (3), spécialiste de la Formation professionne lle continue.

 

 Quel est l’état des lieux de la formation professionne lle continue ?

Régis Regnault : : Depuis trente ans un droit à la formation profess ionne lle cont inue (FPC) est reconnu pour chaque salarié. Il est resté largement virtuel.

Un salarié sur deux tra vaille dans un secteur d'activité différent de celui de sa format ion initiale, un sur trois n'a aucune cer tificat ion profess ionne lle reconnue . L’es pérance moyenne de format ion n’est que de dix-sept heur es, et nom br e de salariés en sont exclus. Son contenu est confisqué par les em ployeurs contr e le développ ement des capacités humaines.

Paul Sante lmann : il faut aborder la quest ion de la format ion professionne lle cont inue en prenant la population active comme base de départ, et appr écier l’effor t de formation dans sa globalité, et pas seu lement à par tir des parcours des seuls salariés en emploi. L’effor t public de format ion cont inue pour les moins qualifiés est impor tant mais cet effor t inter vient « tar divement » quan d ils sont au chômage alors qu’en tant que salariés ils sont les plus mal lotis. Le fait que les pouvoirs publics s’occu pent des sans emploi et les par tena ires sociaux des salariés a auss i favorisé les dérives inégalitaires.

Sylvi an Chicote : Une partie des besoins de format ion de la société est générée par l’évolution des techn iques, une autr e par l’objectif d’éra dication du chômage et de la précarité qui passe par la poursu ite de la réduct ion du temps de tra vail. Il y a déjà beso in de former pour répondr e au manque de salariés qualifiés dans cer taines profess ions, la réduct ion du temps de tra vail nécess ite la format ion des privés d’emplois afin qu’ils puissent pour voir les postes de travail qualifiés libérés par la réduct ion du temps de travail. Beaucou p de jeunes précaires ou chômeurs sont culpabilisés alors qu’ils doivent atten dre un à trois ans avant d’obtenir une place dans des stages de format ion. C’est dire l’exigence de financements pour répondr e aux besoins mass ifs.

Paul Boccara : La format ion cont inue après la format ion initiale est un nou veau principe révolutionna ire en soi, mais l’application en est refoulée dans le système . Paradoxalement , ce sont les plus formés qui bénéficient le plus de cette format ion, avec une grave insuffisance pour les publics où le manque de format ion est le plus for t. Avec son développement , on a ass isté à la baisse très sens ible des temps moyens de format ion. On constate des dépenses très impor tantes , mais auss i des gâchis énormes .

Il faudrait toucher toute la population active, plus tous les privés d’emploi (par exemple les femmes sor ties du marché du travail). En 2000, 72% des salariés, n’avaient suivi aucune format ion au cours des deux dernières années , 40% exprimaient un désir de format ion. La quest ion des tar ifs est cruc iale : en 2000, de 24 francs à 150 francs de l’heur e suivant que c’est un barème public ou une dépense d’entreprise. D’où l’extrême inégalité pour les contenus et selon les publics.

Nous sommes confrontés aux nou velles exigences de la révolution informat ionne lle et en même temps aux besoins criants liés au chômage mass if, à la précar ité.

La créat ion de soi-même par la format ion s’oppose au traitement des êtr es humains comme de simples instruments . Être payé pour êtr e formé , ce n’est plus le rappor t tra vail contr e salaire. Le temps de tra vail doit êtr e rédu it pour permettr e de faire de la format ion, mais pour autant la format ion n’est pas du tra vail ni de l’emploi.

 Face aux défis du chômage et de la révolution informationne lle que nous avons déjà évoqués, mais aussi à ceux des travaill eurs âgés et des travaill eurs non qualifiés, comment affronter ces nouveaux problèmes ?

Paul Santelman. On trouve parmi cette population des att itudes différentes par rappor t à la format ion cont inue en fonct ion, notamment , du passé scolaire . Il y a ceux qui ont un bon souvenir de leur format ion initiale et qui acce ptent la format ion, mais pour les autr es il peut y avoir des blocages. Une inst itut ion comme l’AFPA ne constate pas de déficits cognitifs spéc ifiques liés à l’âge de ses stagiaires contra irement à l’idée que plus on avance en âge et moins on est performant dans l’acquisition de nou veaux savoirs. Par ailleurs , cer tains chômeurs de longue durée sont souvent en situat ion d’auto dévalorisation, ce qui s’avère êtr e un handicap pour s’engager dans la format ion professionne lle. Initialement , l’AFPA accue illait un public populaire qui était motivé et qui savait qu’en se qualifiant il retr ouverait un em ploi ; cette mécan ique a été cassée par le chôma ge de masse et il y a désorma is un doute sur la garant ie de trouver un emploi dans le métier appris. C’est pour quoi il faut clarifier l’engagement de l’entr eprise vis à vis des chômeurs qui se forment , autr ement c’est un jeu où tout le monde perd. Com bien de gens sont aujour d’hui dans un mét ier pour lequel ils s’éta ient formés ? Ce problème doit êtr e soum is à la réflexion des par tena ires sociaux car l’Etat et les pouvoirs publics ne peuvent le résoudr e à eux seuls. Il faut oser poser la quest ion de la responsa bilité de l’entr eprise vis-à-vis du chômage. Aujourd’hui nous sommes plus organisés pour remplir les stages que pour y donner des débouc hés. Il faut organiser l’inser tion dans l’entr eprise à l’issue des stages. Qui dispose de l’informat ion sur cette offre de salariés formés ? Faut-il organiser cette inser tion en amont ou en aval ? Il y a des inter faces à organiser.

Régis Regnault : La FPC est confrontée à des défis de différents ordres : révolution informat ionne lle, lutte contr e le chômage, inégalités d'accès à la format ion cont inue. Le système actue l reconna ît le droit à la format ion sur le temps de tra vail et cons idéré comme tel, l'obligation pour l’entr eprise de la financer mais pas celle pour l’employeur de former ni de valider les acquis ou les effor ts de formation.

L’effor t de la nation est impor tant mais les inégalités selon la caté gorie, la taille de l’entr eprise sont telles que les moyens financ iers mob ilisés pour cer tains salariés peuvent êtr e 15 à 18 fois ceux mob ilisés pour d’autr es.

A contrar io du discours dominant , les techno logies informationne lles n’entra înent pas automat iquement une amé liorat ion des con ditions de tra vail ni le développement individuel. Il existe des secteurs entiers où leur intr oduction s'est tradu ite par une dégradat ion des con ditions de travail, de la situat ion, du statut des salariés avec le recours à des tâches uniform isées niant com pétences et savoir-faire.

Quant aux tra vailleurs âgés, leurs difficultés proviennent souvent de leur non-accès à la format ion pendant toute leur vie profess ionne lle dans l’entr eprise. L'accor d sur la formation le prend en com pte. Il tente d’es quisser des solutions en mettant en cause la tendance au déclin, avec l’âge, de l'espérance de format ion liée au x ch oix de gest ion des ressour ces humaines, et à l’insuffisance des pouvoirs des salariés, des syndicats et des comités d'entr eprise sur la format ion. Pour tant l’expérience accumu lée des salariés âgés doit êtr e reconnue et transm ise notamment par le tutorat des jeunes .

Paul Boccara : Il faudrait une nou velle construct ion inst itut ionne lle, des financements avec d’autr es critèr es.

Les gest ions des entr eprises visant à la baisse des dépenses par salarié doivent êtr e infléchies pour prendre en com pte les exigences de dépenses de format ion suffisamment élevées.

L’infléc hissement des gest ions peut par tir des aides publiques et sur tout du système de cré dit, avec des bonificat ions d’intérêts pour inciter aux dépenses de formation. Des pédagogies nou velles ont commencé déjà à êtr e expérimentées pour aider les jeunes en échec à par tir de leur expérience pratique et d’activités de production ou, comme on dit, du «faire». Les expériences de programmes de format ion pour les handicapés, avec des moyens importants et des méthodes adaptées montr ent que des résu ltats impor tants sont poss ibles.

La quest ion du débouc hé en emploi renvoie aux objectifs de créat ions d’emplois assoc iés aux programmes de formation.

Dans l’organisation actue lle de la format ion cont inue, avec tous ses gâchis, il y a un « grand ména ge » à faire pour une trans format ion, qui exige l’engagement des organisations profess ionne lles, des syndicats , des élus et des par tis politiques.

 

Sylvi an Chicote : Il faut effect ivement s’atta quer aux gas pillages. Dans la format ion cont inue, une bonne par tie de l’offre de format ion relève d’entr eprises dont le seul objectif est de faire du profit. Des dérives comme les signatures de com plaisance de cer tificats de présence faites à des entr eprises pour des salariés qui n’ont pas fait de stage en sont un exemple ou encor e le coût élevé de l’inter vention de consu ltants . L’efficac ité des mesur es visant à rédu ire les inégalités de la format ion exige une plus grande mutua lisation des ressour ces et une plus grande sélectivité, en réser vant plus de financement aux publics les moins formés et aux deman deurs d’em ploi. Il faut auss i dénoncer les entr eprises qui font appel à une main-d’œuvre étran gère qualifiée pour com penser les insu ffisances de leurs dépenses pour former les salariés (cf. les press ions en faveur d’une immigration sélective réser vée aux salariés qualifiés).

Régis Regnault : L'Education nationale, en ne remplissant pas sa mission de pivot des dispos itifs de format ion cont inue, laisse le terra in aux organismes privés liés au patr onat dont l'offre déterm ine les deman des des entr eprises. La créat ion d’un ser vice public de la format ion tout au long de la vie reste donc d’actua lité.

Paul Santelmann : L’app areil de format ion doit faire l’objet d’un état des lieux quant itatif et qualitat if (évaluation de ses performances) : il n’est pas cer tain qu’il puisse répondr e à tous les besoins de format ion. Même si beaucou p de formateurs sont rét icents à une telle démar che, tous les intér essés , notamment les usagers , doivent êtr e assoc iés, pour évaluer la performance du système de formation des adultes

Paul Boccara : Pour quoi ne pas deman der que soit fait un bilan sur les activités de la format ion cont inue, à l’initiative de syndicats de salariés et auss i d’ense ignants et en relation avec l’AFPA, afin d’organiser un débat public avec tous ceux qui sont concernés en vue d’une trans formation profonde.

A priori le ser vice public présente des con ditions qui excluent la domination de la renta bilité financ ière, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problème. Il y a le poids des cor porat ismes et des trad itions sur l’Educat ion nationale. Ainsi il est encor e souvent cons idéré que l’enseignement n’a rien à voir avec l’entr eprise. Mais l’entr eprise ce n’est pas seulement les actionna ires. Il faut une véritable révolution cultur elle sur ces quest ions .

Les adultes peuvent davanta ge exprimer leurs exigences et avoir des pouvoirs sur l’organisation des format ions . Un ser vice socialisé et mutua lisé de la format ion cont inue sera it plus soup le qu’un ser vice état isé. Un tel ser vice enca dré par la loi, devrait com por ter un rôle beaucou p plus impor tant de l’Educat ion nationale et des inst itut ions publiques et il devrait êtr e mis à l’abri des press ions de la renta bilité financ ière sur les organismes de format ion.

Face à cet ét at des lie ux les réformes se succèdent : loi Aubr y, loi de mod ernisation sociale et aujour d’hui une nouvelle réforme va être discutée à la suite de l’accor d inter professionn el signé dernièrement : quelle est votr e app réc iation sur ces différent s texte s ?

Régis Regnault : Les employeurs souha itent la remise en cause des dispos itifs existants pour en promou voir de nou veaux leur permettant de développer com pétences et qualifications , notamment pour fidéliser les salariés les plus qualifiés, tout en faisant peser l’effor t sur le salarié, afin d’accr oître leur profitab ilité. Le MEDEF enten d redéfinir les normes de la format ion professionne lle et leur hiérar chie dans sa logique de refondation sociale.

Dans ce conte xte, la signatur e de l’accor d par la CGT se veut offens ive. Ce n’est pas un quitus à l’ensem ble des dispos itions. Il s’agit au contra ire d’agir avec les travailleurs dans les luttes pour l’ouverture du nouveau droit individuel à la format ion (DIF). Il peut êtr e l’embr yon de garant ies collectives attac hées à la personne permettant d’exercer ses dr oits indépen damment des aléas économ iques , des ruptur es de contrat de tra vail. Le DIF peut êtr e une forme d’une sécur ité sociale profess ionne lle, d’un nouveau statut du tra vail salarié. Ce droit est un levier pour que chaque salarié puisse êtr e acteur de son parcours profess ionne l. Nous avons signé pour êtr e aux côtés des salariés, les aider à modifier le rappor t de forces afin de rendre ce droit effect if.

Sylvi an Chicote : Pour ma par t, j’ai du mal à voir une différence de natur e entr e le congé individuel de format ion et le droit individuel de format ion. En effet, dans les deux cas il s’agit d’un droit et dans les deux cas l’employeur peut repor ter la format ion deman dée. Avec le DIF , on a une forme de congé dest iné à la format ion que le patr on peut refuser pendant deux exercices consécut ifs, le salarié devenant alors prioritaire pour un CIF. Quant aux format ions à l’initiative de l’employeur dans le cadre du plan de formation, on constate un dangereux glissement depuis dix ans . On a ouver t le système du co-invest issement pour des stages de format ion dont les heur es sont prises sur le temps de tra vail et hors temps de tra vail. Avec la loi Aubry a cont inué dans ce sens avec un garde fou cependant : l’adaptation à l’em ploi, éta it une obligation pour l’employeur et donc cette format ion devait êtr e décom ptée sur le temps de tra vail. On a maintenant un glissement supp lémenta ire, avec le risque que les actions d’adaptation bana les à l’évolution des em plois (intr oduct ion d’une nou velle mach ine, appr ent issa ge d’un nou veau logiciel, polyvalences ....) soient prises hors temps de tra vail et aboutissent donc à une augmentat ion, de plus mal payée, de 50 à 80 heur es par an de la durée annue lle.

Le second problème concerne le contrat de profess ionnalisat ion. Le contrat de qualificat ion était déjà bien insuffisant en termes de format ion avec 25 % de format ion théor i q ue h ors d e l’entr e pr ise . Avec l e contrat d e profess ionna lisat ion on descen d à 15 % du temps en formation, cer tes c’est un planc her et on peut faire plus. D’autr e part cette format ion pourra êtr e dispensée dans l’entr eprise et il n’y a plus de contrô le avec la dispar ition de l’agrément public préalable des entr eprises. Le contrat est également ouver t à tous les publics y com pris aux BTS. On peut donc craindre la généra lisat ion des dérives actue lles du contrat de qualification : la créat ion d’une nou velle aide à l’embauc he, la créat ion d’une période où des jeunes qualifiés sont sous payés et se succèdent en CDD sur un même poste .

Paul Santelmann : Sans porter de jugement de valeur sur cet accor d, celui-ci va génér er une deman de de format ion plus fragmentée (ce que le DIF suppose ). Pour des raisons différentes , l’app areil de format ion public, assoc iatif ou privé n’est pas préparé à gérer la com plexité et le calibrage de ces deman des. L’accor d va-t-il susc iter des flux suffisamment impor tants pour permettr e des réponses individualisées de qualité ? Les organismes de format ion dédiés aux cadres risquent de capter l’usa ge du DIF. Pour l’ouvrière de la PME du Limous in la lisibilité et l’usa ge de ce droit peut êtr e beaucou p plus difficile. L’enjeu c’est que le ser vice public arr ive à s’organiser rapidement par rappor t aux salariés les moins qualifiés. Cela concerne auss i la validation des acquis de l’expérience (VAE) qui par t de ce que les gens savent faire, de ce qui les met en postur e d’autovalorisation. La VAE est un élément centra l du bon usage du DIF pour encoura ger les salariés à progresser dans leur vie professionne lle. Autour de cette com binato ire VAE et DIF, il y a des potent iels que le ser vice public devra optimiser. L’armement des moins qualifiés, ouvriers et em ployés, autour de cette mise en œuvre du DIF se jouera dans la lectur e qu’en feront ces salariés. S’ils cons idèrent que ce droit n’est pas pour eux, l’enveloppe ira ailleurs … Le fait que les mêmes mécan ismes financ iers s’adressent aux cadres et aux moins qualifiés est une véritab le quest ion pour l’usa ge ciblé des fonds issus de l’obligation légale de financement de la format ion (loi de 1971).

Régis Regnault : Sur le contrat de profess ionna lisat ion, la jungle des dispos itifs existants (cont rat de qualificat ion, etc .,) con duisait à des dérives. Il y avait un beso in de simplification. Le contrat de profess ionna lisat ion répond en par tie à ce besoin de les fondre dans un même contrat L’accor d a déterm iné des planc hers (heur es de format ion, etc .) qui peuvent êtr e relevés au niveau de la branc he, de l’entr eprise. L’inté gration des dispos itifs précé dents dans un nou veau contrat unique mais modu lable explique qu’il soit fait référence à « 15% » d’heur es de format ion dans le contrat de profess ionna lisat ion, ce qui corr es pond en fait à cer taines dispos itions de ces anciens contrats . Mais il est auss i inscr it dans le texte « 25% » et « 150 heures ». Lors que l’on mettra en place un contrat de profess ionna lisat ion équivalant à l’ancien contrat de qualification, ce sont les « 25% » qui devront s’imposer .

Le contrat de qualification à deux publics : le premier concerne les jeunes qui sor tent de l’école sans diplôme ni qualification. Les inter locuteurs sociaux, sauf la CGT, ont convenu qu’il devait viser un deuxième public plus qualifié pour l’adapter au marché du tra vail. Nous avons toujours con damné cet ajout por teur de dérives. En effet, le contrat de qualification s’est alors subst itué au contrat d’appr entissage et à l’ense ignement techno logique et professionne l. Il ser t par exemple à préparer des BTS pour des titulaires de Bac pro ou de Bac techno logique. Cela exclut de fait les jeunes du premier public qui ne trouvent plus de dispos itifs leur corr es pondant et vide les format ions du ser vice public. L’accor d n’empêche pas ces dérives et n’inter dit pas de recour ir au contrat de professionna lisat ion pour faire de la format ion initiale. Mais il en borne les opp or tunités. Ce que pourra it détricoter la loi, si la press ion des organismes de format ion privés devait l’em por ter . Il y aura donc besoin de se battr e pour que l’es prit des dispos itifs d’inser tion par alternance au ser vice des jeunes en difficulté soit res pecté .

Enfin un véritab le ser vice public de la cer tificat ion doit permettr e à chaque salarié une juste reconna issance sociale de ses qualificat ions et com pétences , dans l’em ploi ou non. Une même qualificat ion peut cer tes s’obtenir avec 15 ou 25 % de format ion dans le cadre du contrat de professionna lisat ion, avec 50% dans celui de l’appr entissage ou avec 70 à 80% dans celui de l’ense ignement . Mais il y a problème si le niveau de dépar t était identique. Dans une entr eprise personne ne com prendrait qu’une même cer tificat ion soit obtenue avec des niveaux et des contenus de format ion auss i différents .

Paul Boccara : Il faut voir auss i bien les avancées que les insuffisances et les difficultés , les risques de recul. Mais le principal, c’est les bata illes qu’il faut mener. Pour le DIF, par rappor t au congé de format ion, chacun peut y avoir droit avec un financement prévu pour cela. Dans le droit, il y a soit la simple possibilité, soit l’obligation. Le DIF, ce n’est pas encor e une obligation comme l’obligation scolaire, mais

c’est p lus q u’une s imp l e p oss i b ilité comme le congé, car les h ora i res et les financements sont définis pour chaque salarié. Mais y aurat-il effect ivement les moyens suffisants ? C’est une autr e question.

Il y a auss i l e problème de la limitat ion du DIF aux CDI et de l’extens ion aux CDD pour les quels la négociation n’a pas encor e a b out i. La

trans féra bilité du droit d’une entr eprise à une autr e n’a pas été obtenue , alors qu’elle aura it été une con quête très impor tante , sauf en cas de licenc iement économ ique, de restructurat ion, de fermetur e ou de démission.

Le droit individuel à la format ion est prévu pour le les PME, mais que va-t-il s’y faire ? C’est tout le problème des déser ts syndicaux, est-ce que la CGT et les autr es syndicats vont s’invest ir sur cette quest ion des PME ou bien au contra ire va-t-on voir les pires dérives ?

Se pose auss i la limitation de la durée : 120 heur es, avec 20 heur es par an cumu lables sur 6 ans . C’est très faible. Dans le Nord-Pas-de-Calais, simplement pour une préparat ion à la format ion, la région a organisé des modu les de 350 heur es !

Alors que faire en 120 heures pour ceux qui ont besoin de par tir de très bas? Cela risque d’entra îner de simples adaptat ions à de nou veaux postes . Il y a donc un problème de bata ille pour que le DIF soit une por te d’entrée pour aller plus loin. Un revenu de 50% du salaire lors que la format ion est hors du temps de tra vail, c’est asse z dissuas if sur tout pour ceux dont les revenus ne sont pas très élevés.

L’augmentat ion des contr ibutions obligato ires des entr eprises (de 1,5 à 1,6% de la masse salariale pour celles de plus de 10 salariés et de 0,25 à 0,4% puis 0,55% pour celles de moins de 10 salariés) est très insuffisante .

La CGT dit « signatur e exigeante ». Mais il faut êtr e très exigeant sur cette exigence . Il ne s’agit pas de s’enfermer dans un débat entr e ceux qui ont critiqué très violemment les dispos itions nou velles et ceux qui disent « c’est bon et cela va mar cher ». Il s’agit de développ er des luttes nou velles sur une straté gie de con quêtes effect ives. Par ailleurs , il va y avoir d’autr es négociations. Ainsi, sur l’entretien et le bilan personne l, des négociations sont prévues pour juin 2004. Que va-t-on en faire? Il faudra des mob ilisat ions syndicales et politiques pour développ er une consc ience nou velle et sens ibiliser les salariés pour des revendications de trans format ion.

Le plan de format ion avec la ment ion des « actions de développ ement des com pétences » est précisé de façon intér essante . Mais que va-t-on faire de ces act ions ? Comment les am plifier ? Quelles exigences pour les femmes ?

Pour le contrat de profess ionna lisat ion, cer tes une unification a été recherchée ; mais n’y a-t-il pas une press ion pour faire que les 25% du temps de format ion soient l’exception et que les 15% soient la règle ? La conflictua lité entr e le patr onat et les tra vailleurs n’a pas disparu , bien au contra ire. Dans une large mesur e, ce com promis peut êtr e la base de nou velles conflictua lités et de nou velles luttes tand is que le patronat veut pousser la réduct ion des droits.

Certes, les contrats de professionna lisation ne concernent plus seulement les jeunes non qualifiés, mais auss i les deman deurs d’emploi, les salariés de 45 ans et après 20 ans de tra vail pour une seconde carr ière... Mais comment utiliser au mieux une telle d’extens ion ? Il y a en outr e la discrimination des rémunérat ions selon l’âge...

Enfin se pose le problème de la « format ion qualifiante » sur une année et financée par les pouvoirs publics. Si c’était mass if, ce sera it quelque chose de cons idéra ble. Le DIF pourra it en êtr e une porte d’entrée , mais à la con dition que cet enjeu soit clairement exprimé.

Il y a une res ponsa bilité pas seulement des syndicats , mais auss i les par tis politiques, des élus terr itor iaux et des organismes de format ion, notamment publics pour une straté gie de luttes coor données .

Peut-on en s’appuyant sur les offres publiques et sociales qui n’ont pas les mêmes impérat ifs de renta bilité financière faire monter les exigences d’une autr e deman de, en organisant les publics concernés ?

Il faut ar ticuler les objectifs sociaux, les pouvoirs et les financements .

Le cré dit peut permettr e d’augmenter , en les anticipant, les prélèvements obligatoires et les dépenses effect ives des entr eprises, s’il est rendu incitatif avec des taux d’intérêt nuls ou très bas. Il peut êtr e mutua lisé et trans féra ble, le remboursement étant opéré par celui qui emploiera et en fonct ion de l’emploi. Il pourra it y avoir des Fonds publics régionau x de bonificat ion des intérêts , c’est-à-dire des prises en charge de tout ou par tie des intérêts par des fonds publics.

Au-delà des Fonds régionau x, on peut réclamer une autr e action de la Banque Centra le Européenne pour un autr e modè le eur opéen . La BCE doit pouvoir refinancer des cré dits à des taux abaissés , voire nuls, voire négatifs (c’est à dire avec des sub ventions) pour les dépenses de formation et pour les invest issements matér iels ou de recherche dans la mesur e où ils programment de la format ion.

Infléchir les gest ions renvoie à la mise en cause du statut d’entr eprise et pas seulement du statut du salarié, sur l’emploi et de la format ion.

Paul Santelmann : L’offre de format ion sera-t-elle à la hauteur de ces enjeux ? Il faut atténuer la strat ificat ion et les cloisonnements du ser vice public. La montée en com pétences et en conna issance des adultes nécess ite une zone de confiance avec le monde de l’entr eprise, les employeurs et le collect if de tra vail. Si on veut que les salariés puissent faire valoir l’acquisition de com pétences dans les entr eprises, il faut que le ser vice public soit auss i en capacité de com prendre les exigences , les besoins, les systèmes de production, l’évolution du tra vail. Il faut mener de front les réponses aux comman des des entr eprises et la montée en com pétence des salariés au delà de leur appar tenance à telle ou telle entr eprise. Le système de format ion professionne lle est un élément du système de production luimême , qui rétr o-agit, qui s’alimente de la progress ion du tra vail, se réappr oprie le savoir, le forma lise et le réinjecte chez les salariés. Est-ce que le ser vice public (GRETA, AFPA, etc.) doit répondr e aux comman des des employeurs ou pas ? Bien sûr que oui, car si l’on abandonne ce terra in à l’app areil privé on s’inter dit de com prendre une partie de ce qui se passe dans le monde de l’entr eprise. Cela ne nous empêche pas de voir plus loin et d’avoir une vision pr os p ect ive et d ynam i q ue d u devenir des salariés. L’accr oche du tra vail c’est une postur e d’engagement de format ion plus solide pour les in divid us q ue le fait d e se retr ouver face à l’exclusion. Il faut remonter l’effor t d e format ion quan d les gens sont au tra vail, ce qui facilitera ensu ite leur position-

nement sur le marché du tra vail . On ne prépare pas asse z les gens à s’inscr ire dans une tra jecto ire promot ionne lle. Avec le bascu lement démograph ique, il y a des créneau x promot ionne ls qui s’ouvre pour les ouvriers. Pour quoi n’at-on pas dans les dernières décenn ies mené le même effor t en format ion profess ionne lle cont inue qu’en format ion initiale? Ce refus a con duit à des fractur es entr e les générat ions dans les entr eprises. Ainsi on voit sou vent des jeunes pren dre des places qui aura it dû revenir à des adultes dans le cadre d’une politique de promot ion. D’où auss i les rét icences pour les adultes à transmettr e des conna issances aux plus jeunes de peur de se voir rap idement dépassés par ces derniers. D’où les ranc œurs chez de nom breux salariés…

Régis Regnault : Nos res ponsa bilités por tent sur des points impor tants , dont le temps de tra vail pendant lequel la format ion doit exclusivement s’acquérir. Notr e signatur e ne modifie en rien notr e position de fond : la format ion est consu bst antielle à l'activité professionne lle. Elle doit êtr e cons idérée comme du temps de tra vail effectif et garder un lien avec l'emploi, même si elle doit auss i par ticiper à la promot ion sociale, à l'éducat ion permanente , notion qui dispara ît du Code du tra vail avec le projet de loi Fillon. Le CIF est un droit que le salarié exerce indépendamment de son activité profess ionne lle. Le lien de subor dination avec l’employeur demeur e notamment au tra vers du versement des rémunérat ions. Avec le DIF, l’initiative n’est plus à l’employeur, comme avec le plan de format ion, elle est au salarié, comme avec le CIF, mais en liaison avec l'entreprise. Le salarié a le choix de son action de format ion, de son parcours qualifiant, diplômant . C'est une révolution culturelle avec une responsa bilité accrue des syndicats . Les salariés doivent êtr e consc ients que la format ion dépend d’une démar che de leur par t, maîtrisée du début à la fin par eux-mêmes , en liaison avec le collectif de tra vail.

La CGT est favora ble à ce que la format ion professionne lle occu pe 10 % des heur es collectivement tra vaillées , soit quatr e ans sur une vie profess ionne lle ou 160 heur es de format ion annue lle. On en est loin avec les 20 heur es annue lles du DIF mais c'est un début. La prise de consc ience des salariés, leur volonté de revendiquer pour leur droit sera déterm inante .

Pour les financements , la CGT est favora ble à des fonds régionau x du développement social, dans lesquels sera ient inscr it les fonds de la format ion profess ionne lle. Des out ils nationau x de péré quation, le concours impor tant d’un pôle financ ier doivent permettr e d’assur er l’égalité de tous les citoyens devant ce droit. Ces fonds doivent êtr e alimentés par les ressour ces des entr eprises, en prélevant sur la production de valeur ajoutée . Cela nécess ite auss i des fon ds publics nat ionau x et eur opéens . Ces dépenses publiques doivent progresser en volume afin de satisfaire les besoins et définir les priorités .

La réponse aux besoins sociaux de format ion et d'emploi est au croisement entr e logique profess ionnelle et logiq ue terr itor iale. La gest ion de la format ion profess ionnelle à par tir de fon ds régionau x d evraient êtr e inscr ite d ans ce maillage de solidarité contr edisant la gest ion actue lle des entr eprises.

Paul Boccara : Le système actue l joue sur les opp ositions . Il s’agit, au contra ire, de rassemb ler tous les salariés et privés d’emploi sur des objectifs communs . Il y a besoin d’un programme de propositions de luttes . Sinon tout ce cham p d’act ivité risque d’êtr e laissé à la press ion des forces qui dominent , le patronat et les organismes privés de format ion. Les syndicats , les organismes de format ion publics, les élus, les partis politiques peuvent organiser une grande cam pagne de trans format ion de la format ion cont inue en res pectant l’autonom ie de chacun . Au PCF, nous proposons un projet de société, un système de sécurité d’emploi ou de format ion, avec une grande cam pagne que nous allons mener sur ces quest ions . La format ion cont inue en const itue un chantier décisif. Les 10% du temps de tra vail en format ion de la CGT est un objectif élevé par rappor t à la situat ion actue lle. Mais dans l’avenir une majorité du temps pourra êtr e consacrée à la format ion, ce sera it une autr e civilisation. La recherche et la format ion sont des activités qui font partie du système de production. Et avec la révolution informat ionne lle, ce sont ces éléments qui deviennent les plus décisifs. Or la valorisation de la recherche, sans la format ion est handicapée. Mais il y a auss i le but de la cultur e et de la maîtrise de sa vie pour chacune et chacun . ■

 

  1. Auteur de « Une sécurité d’emploi et de formation », Collection ESPERE, Le Temps de Cerises.
  2. Coauteur, avec Gérard Filoche, de «Bien négocier les 35 h» (Editions La Découverte).
  3. Chargé d’enseignement à PARIS I, a rédigé de nombreuses contributions sur la formation professionnelle continue. Il a notamment publié « Qualification ou compétences, en finir avec la notion d’emplois non qualifiés »– Editions Liaisons (2002) et « La formation professionnelle, nouveau droit de l’homme ? » Éditions Gallimard, (2001) collection « Folio actuel », Le Monde.