Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Sécuriser l’emploi et la formation pour sécuriser les retraites

L’attaque portée par Raffarin-Fillon et le Medef contre le système de retraites prend plac e dans toute une tentative de construction de société fondée sur la domination du marché financier, avec une vision à l’américaine.

La contr e-atta que sur ce terra in doit donc elle-même , pour êtr e efficace et rassemb leuse , s’ancr er dans une vision alternat ive d’ensem ble développant la maîtrise

sociale, dans l’es prit, d’ailleurs , de ce qui a été fait naguère pour con quérir la Sécur ité sociale. Celle-ci, en effet, était un élément essent iel de toute une construct ion de sor tie de la crise systém ique de l’entr e-deux guerr es (avec les nationalisations , la réor ientat ion et la mob ilisat ion du cré dit banca ire avec un autr e rôle de la Banque de France , l’utilisation mass ive du f i n a n c e m e n t public soutenant l’invest issement réel et la créat ion d’em p lois, d e nou veau x dr oits p our les sa l ariés…).

C’est donc une construct ion d’ensemb le nou velle pour faire reculer jusqu’à l’éra diquer l’insécur ité sociale qu’il s’agit de faire avancer , mais en visant une sécur ité dans la promot ion individuelle, dans une mob ilité positive avec la Révolution informat ionne lle, et non pas une sécur ité rigide, archaïque, rétr ograde , état iste à la soviétique.

Pour passer de la défensive à la contr e-offens ive sur les retra ites , il paraît indispensab le de prendre appui sur cette grande vision de dépassement du marché du travail que l’on peut por ter avec l’idée de « Sécur ité d’emploi ou de formation ». Cela renvoie à trois grands piliers :

  • La sécur isation du revenu ;
  • La base « emploi-format ion » du système de répar tition ;
  • L’exigence de nou veaux financements , émanc ipés du marché financ ier, et favorisant l’élargissement de cette base.

L’emploi, base du financement

La réforme des retra ites renvoie bien sûr, à l’enjeu d’une nou velle répar tition des richesses . Mais elle ouvre insé parab lement sur l’exigence d’une trans format ion des con ditions mêmes de la production de richesses .

En effet, avec une multiplicat ion par deux du nom bre de retra ités par cot isant d’ici à 2040 (0,4 en 2000 et 0,8 en 2040), la par t des prestat ions vieillesse dans le PIB, passe rait de 12,6% en 2000 à 16% en 2040. Cela ferait même 18,5% avec l a mise en cause nécessa ire de la loi BalladurVeil de 1993. Celleci a intr oduit une ruptur e de parité entr e l’évolution du pouvoir d’achat des actifs et celui des retra ités . Sa mise en œ uvre con d uit à une sens ible diminut ion d u tau x d e remplacement net mo yen ( 64% en 2040 contr e 78% en 2000).

Cela, bien sûr, fai t sur gir un besoin de finance ment . Il est cependant tout à fait maîtrisab le s’il est tra ité dans le cadre d’une politique dura blement favora ble à l’expans ion de l’emploi et au recul du chômage.

Le rappor t du Conse il d’orientat ion des retra ites (COR) indique ainsi que si le taux de chômage en France était ramené à 4,5% à par tir de 2010 (situat ion dite de “ pleinemploi ”) et maintenu à ce niveau jus qu’en 2040, le besoin de financement sera it de l’ordre de 4 points de PIB à législation inchangée. Il sera it de 6 points de PIB si on décidait de mainten ir le taux de remplacement à 78%.

En l’état , un tel effor t sera it conforme à la tendance histor ique, puisque de 1959 à 2000, la part du PIB consacrée aux retra ites est passée de 5,4% à 12,6% (+7 points) .

Cela confirme l’impor tance cruc iale pour le système des retra ites par répar tition de politiques favora bles à l’emploi et faisant dura blement reculer le chômage.

Cependant, le choix du COR de reten ir de 2010 à 2040 un taux de chômage de 4,5% en France , assoc ié à une hypothèse de croissance pess imiste de 1,7% par an, tradu it une ambition à la fois irréa liste et insuffisante .

Cette hypothèse est irréa liste , car il paraît peu plausible de penser que le taux de chômage pourra it descen dre à 4,5% d’ici à 2010, malgré les évolutions démo graphiques, avec le maintien d e l a d om inat ion d es marchés financ iers et les rejets vers le c h ôma ge qu’entra înent les techno logies d e l’informat ion utilisées pour la renta bilité financ ière.

D’ailleurs , il remonte sens iblement et régulièr ement depuis 2001, alors même q ue les pers pectives de croissance demeurent dura blement ralenties.

Auss i, postu ler le maintien à ce niveau du taux de chômage au cours des trente années 2010-2040 a d e q uo i laisser rê veur, même en intégrant la perspective d’une diminution de la population active à par tir de 2010.

Mais cette hypot hèse tradu it auss i un niveau d’ambition histor ique très en dessous du niveau des défis à relever.

Elle signifie, en effet, le maintien d’une régulation du marché du tra vail par le chômage avec, donc, le maintien d’une armée de réser ve d e c h ômeurs con ditionnant le caractèr e fondamenta lement précaire du contrat de tra vail salarié.

Bref, l’horizon histor ique proposé est celui inchangé du capitalisme et de son immense cohor te de précaires, de précar isés et de précar isab les avec les nou velles techno logies.

C’est ce niveau d’ambition qui était affiché par Lionel Jos pin (le retour au « plein emploi »). On a vu com bien il éta it trom peur, mais sur tout insuffisant pour ancr er la volonté et la créat ivité nécessa ires à une politique vraiment alternat ive à gauc he.

D’ailleurs , c’est auss i ce niveau d’ambition que préten d ser vir le gouvernement Raffarin, dans la foulée d’ailleurs des hypothèses retenues officiellement au sein de l’Union européenne depuis le Sommet eur opéen de Lisbonne .

Dépasser le « plein emploi »

En réalité, les conflits de répar tition qui aujour d’hui se crista llisent autour des problèmes de réforme des retra ites en France et en Europe, expriment sans doute un besoin de dépassement de cette régulation du mar ché du tra vail salarié par le chômage avec les nou velles techno logies. L’enjeu est bien de chercher à aller au-delà du « plein emploi » trad itionne l et de ne pas régresser par rappor t aux exigences d’un début de dépassement du salariat lui-même, en visant l’extinction progress ive du chômage grâce à la format ion tout au long de la vie.

En effet, comme le confirme à sa façon le COR, l’enjeu des retra ites c’est avant tout celui de leur financement en liaison avec l’emploi. Car les cot isat ions sociales, qui financent le système par répar tition, sont ass ises sur les salaires et prélevées sur la valeur ajoutée créée par les salariés, const ituant ains i une pr ise sur les profits.

Auss i a pp ara î t une exigence fon damenta le : pour sécur iser les retra ites p ar répar t i t ion , il faut sécur iser l’emploi, au lieu de le précar iser ; et cela en quant ité et en qualité.

En effet, le volume de l’em p loi d éterm ine l e nom bre de cot isants par rappor t à ce lui d es retra ités . Et plus l’emploi est q ua lifié, grâce à la format ion ( initiale et cont inue) et p lus les richesses produites et la masse d es cot isat ions pr ogressent avec les salaires.

On p eut pr en dr e l a mesur e : un million d’emp lois supp lémenta i res c’est 20 milliards d’eur os en plus pour la protect ion sociale, et donc environ 10 milliards d’eur os pour le système des retra ites par répar tition (en incluant les retra ites com plémenta ires) .

Précar ité, mob ilité régress ive, chômage, bas salaires, renoncement à l’activité de nom breux Rmistes et chômeurs alimentent les difficultés de financement des retra ites . L’instab ilité des tra jecto ires individuelles et des revenus met en cause le caractèr e pérenne et stab le des cot isat ions sociales.

A leur façon , les ca pitalistes cherchent à tra iter ces enjeux de sécur isat ion. Ne parlent-ils pas désorma is de « format ion tout au long de la vie », d’assurance -emploi… A leur façon , pour la renta bilité financ ière des capitaux, ils cherchent à augmenter le taux d’emploi :

Par exemple, en baissant les cotisations sociales patronales et en entassant les salariés les plus vulnéra bles dans des dispos itifs d’emploi à bas salaire et basse qualificat ion ; Ou encor e en avançant dans les solutions de type « workfare », en incitant les privés d’emplois à acce pter n’impor te quel em ploi (chômeurs , Rmistes , tra vailleurs vieillissants , femmes …), avec des formu les comme le Plan d’aide au retour à l’emploi (PARE), la prime pour l’emploi (PPE), ou avec le Revenu minimum d’activité (RMA) remplaçant le Revenu minimum d’inser tion (RMI), tand is que l’indemnisation et la format ion des chômeurs sont rationnées . Les tra vailleurs âgés sont par ticulièrement en ligne de mire. En effet, la France présente le taux d’emploi des plus de 55 ans le plus faible des pays de l’Union européenne . Cela tient à la pratique désastr euse des « préretra ites » si recher-

c h ées p ar les gest ionnaires de grandes entr eprises. Et cela alors même que la faiblesse de la natalité et l’insuffisance persistante de format ion font se pr ofiler un r isque d e p énur i e c hr on i q ue d e main d’œ uvre q ualifiée dans plusieurs secteurs ; d’où les effor ts p our o bliger les tra vailleurs âgés à r even i r sur l e marché du travail en retard ant l’âge d u d é p ar t effect if à la retra ite et en les obligeant à acce pt er des em plois sous -payés, sous l a menace d e retra ites très insuffisantes .

Ce t y p e d e réponse réact ionna i r e face au x enjeux de sécur isation met en cause la sécur ité des retra ites en faisant prolifér er une pr écar isat ion généra lisée pour toutes les caté gories de salariés et en ma intenant à b as niveau la par t des salaires dans les richesses nouvelles produites.

Rompre pour une autre logique

Tout cec i sou lig ne com b ien il faut com mencer à rompre avec cette logique de précar isation et de chômage en créant les con ditions progress ives d’une tout autr e logique : Elle fera it reculer le rôle des marchés financiers dans le financement de l’économ ie et sécur isera it toujours plus l’emploi et la format ion jus qu’à éra diquer le chômage. C’est cela même qui, fondamenta lement , contr ibuera it à sécur iser le système de retra ites par répar tition.

Cela signifie que, tout de suite, le com bat pour sauver les retra ites par répar tition peut et doit con verger avec le com bat contr e la précar ité, contr e les licenc iements , pour le retour ou l’accès à l’emploi des chômeurs et des Rmistes avec la format ion, pour une véritab le réduct ion du temps de tra vail salarié tout au long de la vie et pour donner droit à l’exigence d’une retra ite qui soit un troisième temps de la vie libéré de toute subor dination aux employeurs (1). Au-delà de ces con vergences nécessa ires imméd iates ,

cela ouvre sur le besoin et la visée poss ible, avec la Révolution informat ionne lle, d’une nou velle pers pective : un système de sécur ité d’emploi ou de format ion, qui permet tra it à chacun-e d’alterner tout au long de sa vie act ive emploi stab le et corr ectement rémunéré et format ion pour se développer, se cultiver et, ainsi, accé der à de meilleurs emplois, des activités plus enrichissantes , avec une sécurité de revenu et des droits relevés.

Chacune , grâce à un tel système , pourra it êtr e dans l’emploi et percevoir un salaire, ou êtr e en format ion et percevoir un revenu de format ion socialisé. Ainsi, grâce à un droit effectif à la format ion tout au long de la vie assuré par

une mutua lisat ion beaucou p plus avancée de son financement à par tir des entr eprises , chôma ge et pr écar ité p ourra ient reculer jus qu’à progress ivement dispara ître.

La rotat ion em p loiformat ion permettra it en effet pour chacun-e, une mob ilité ascens ionne lle dans la sécur ité autor isant les suppr ess ions d’emplois obs olètes ou inefficaces sans q ue cela ne fasse du chômage.

Dans le cadre d’une telle construct ion, le finance ment des retra ites pourrait alors êtr e d’autant mieux assuré que la base cotisante du système par répar tition, liée à l’emploi en q uant ité et q ua lité , s’élargirait avec la formation tout au long de la vie et au x r evenus q u’elle génèr erait, de marché (les salaires des formateurs) ou socialisés (les revenus de format ion).

Cela appelle de profondes transformations structurelles concernant les moyens financiers et les pouvoirs

Le financement de l’emploi et de la format ion const itue ainsi une variable-clef pour la sécur isation du système de retra ite. Cela concerne la format ion initiale aujour d’hui soum ise aux rat ionnements de la dépense publique de développ ement avec le pacte de stab ilité et une BCE souc ieuse avant tout de défendre le taux de profit et la renta bilité financ ière. Cela concerne auss i la format ion cont inue si élitiste et si gâchée par le chômage et la précarisation des emplois.

Une exigence imméd iate est posée , alors que l’Europe est en bute désorma is à des tendances déflationnistes : celle de la mob ilisat ion de la monna ie et du cré dit pour sécur iser l’emploi et la format ion avec les invest issements efficaces nécessa ires.

Tout de suite cela app elle la mise en cause des politiques actue lles d’emploi fondées sur la baisse du coût salarial avec les allégements de cotisations sociales patr onales.

Ces allégements sont censés encoura ger les entr eprises à créer des emplois tout en soutenant leur com pétitivité par la baisse du coût salarial. Le résu ltat est parlant depuis longtemps : précar isation généra lisée, press ions renforcées à la baisse des salaires, insuffisance de deman de et de qualifications, recherche obsess ionne lle de revenus financ iers , dynamitage de la protect ion sociale.

Une alternative est possible

Elle cons istera it à bascu ler progress ivement les 18 milliards d’euros de financement public, consacrés à alléger les cotisations sociales patronales, vers l’alimentat ion d’un Fonds national et décentra lisé pour sécur iser l’emploi et la format ion avec les nou velles techno logies.

Ce Fonds, ouver t à l’inter vention et aux propositions des salariés, des citoyens et des élus, accor derait des bonifications permettant de baisser le taux d’intérêt des cré dits à long terme pour les invest issements des entr eprises de façon sélective : plus ces investissements programmera ient de créat ions d’emplois et de mises en format ion et plus les taux d’intérêt des cré dits banca ires ser vant à les financer sera ient abaissés par subventionnement public de ce Fonds.

Ainsi, par une autr e utilisation du financement public des incitations à l’emploi, pourra it êtr e mob ilisé un nou veau cré dit pour l’invest issement qui fera it du réel, de l’emploi et de la format ion.

Les nécess ités de refinancement d’un tel cré dit poseraient alors la quest ion du rôle de la Banque de France dans le système européen de banques centra les, de l’orientat ion de la BCE et de l’utilisat ion de l’eur o : Cela pourra it se tradu ire, sous le contrô le des parlements européen et nationaux, par une baisse sélective des taux d’intérêt de la BCE encoura geant le cré dit banca ire pour les invest issements créateurs d’emplois et accom pagnés de format ions et, au contra ire, renc hérissant le coût du cré dit pour les opérations financ ières, la spécu lation, les invest issements de pure productivité.

Cette démar che de con quête d’un nouveau financement , sécur isant l’em ploi et la format ion et faisant reculer le besoin d’app el au marché financ ier, pourra it progresser au rythme de toutes les luttes visant à sécur iser la vie et de leur con vergence en France et en Europe. Cela pourra it ouvrir la marche pour un progrès sans précé dent du modè le social-européen vers une Sécur ité commune d’emploi ou de format ion, au lieu de sa régress ion vers le modè le anglosaxon.

Un enjeu insé p ara ble est celui d e la con q uête d e nou veaux pouvoirs effect ifs d’informat ion, d’inter vention et de contr e-proposition des salariés, des citoyens et des élus sur l’utilisat ion de tous les fonds. Cela renvoie notam ment à l’exigence d’une mise en cause de la monar chie patronale dans les entr eprises et du recours à de nouveaux critères d’efficacité sociale pour trans former leurs gestions, à commencer par les entr eprises publiques et mixtes.

Mais cela concerne auss i précisément tous les doss iers de la décentra lisat ion, en ruptur e avec la fausse décentra lisat ion qu’enten d imposer le gouvernement de droite pour favoriser une emprise beaucou p plus éten due du marché financ ier et des grands groupes sur toutes les ressour ces matér ielles et humaines de la société.

La quest ion de l’éco le et de la format ion initiale, en liaison avec la format ion cont inue, est par ticulièrement impor tante . Est posée en pratique, avec le mouvement des ense ignants , la nécess ité et la possibilité du rejet d’un pilotage plus étr oit par les exigences de renta bilité financ ière et le patr onat , pour ouvrir l’alternat ive d’une meilleur e maîtrise sociale de la nation sur l’ensem ble des moyens de format ion et développ er toutes les capacités humaines, sans élitisme ni exclusion.

 

1. On retrouve là , en réalité, les différents chantiers de construction d’un système de sécurité d’emploi ou de formation. Cf P.Boccara : Une sécurité d’emploi d’emploi ou de formation-Le Temps des cerises-Paris -2002.

 

Par Dimicoli Yves , le 31 mars 2003

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