Plutôt qu'une tentative de sauv er la répartition comme le prétend le gouvernement, les réformes à venir (retraite et assurance maladi e) s’inscrivent dans un projet de société ultra libéral.
Le professeur Matte ï sait jouer de son image de médec in human iste . Mais il n’ou blie pas qu’il vient du très libéra l Par ti Républicain. Cela le rend par ticulièrement sens ible aux thèses du Medef. Ce dernier avait pesé de tout son poids, lors de la dernière cam pagne des présidentielles en publiant son projet de « Réforme de la protection sociale» (1). L’object if avoué était d’en finir avec les mécan ismes de solidarité mis en place à par tir de 1945. Denis Kessler qui con duisait cette opérat ion de refondation sociale aimait dire que ces inst itut ions devaient faire place nette à l’es prit entr eprenar ial. Il parlait des fonds de pension pour la retra ite et des assurances pour la maladie.
Ce que M Matte ï annonce pour l’automne est directement ins piré du projet patr onal. Il com pte pour cela sur la réappar ition du déficit, dont on peut penser qu’il le laisse volonta irement filer. Pour pr éparer cette réforme , il a comman dé un rappor t à M. Chadelat, haut fonct ionna ire qui a alterné les postes de res ponsa bilité chez AXA et la sécurité sociale. Il dirige actue llement le fond de gest ion de la CMU. Ce rappor t vient d’êtr e publié sous le titre « La répartition des interventions entre les assurances maladie obligatoire et complémentaires en matière de dépenses de santé » (2).
Il par t du constat que le système actue l d’assurance maladie a de plus en plus de mal à remplir sa mission de cou ver tur e de l’ensem ble des soins. Les exemples les plus connus sont les taux de remboursement dérisoires dans des domaines comme les lunettes , les prothèses denta ires et plus généra lement tous les app areillages méd icau x. Il y a auss i le nom bre croissant de médicaments tota lement ou très largement dé remboursés .
Le rappor t Chadelat propose donc d’officialiser la notion de « panier de soins », c'est-à-dire la liste , régulièrement révisable, de ce que la sécur ité sociale cont inuera à prendre en charge. A contrar io, tout ce qui ne sera pas dans cette liste sera com plètement abandonné à ce que le rappor t appelle pudiquement l’assurance maladie com plémenta ire. L’AMC, c'est-à-dire en clair les mutue lles et les com pagnies d’assurance , se verra it confier la tota lité des rembourse ments de pans entiers du système de soins, mais auss i la gest ion de ces soins.
Dans un premier temps , le rappor t s’en tient à des domaines où la sécur ité sociale a déjà largement failli (dents , lunettes) et des domaines dont elle cherche depuis longtemps à se désen gager (cu res therma les, médec ine douce) . Le rappor t y ajoute le secteur des médicaments où les enjeux capitalistes sont cons idéra bles. Mais la procédure proposée de révision périodique du " panier de soins " permettra très vite d’éten dre le domaine réser vé aux assu rances . La pression, en France et en Europe pour rédu ire les prélèvements sociaux poussera for t dans ce sens . Chacun sait bien qu’une cur ieuse alchimie libéra le fait qu’une dépense sociale soit une dépense insu pp or tab le quan d elle est financée par la sécur ité sociale et se trans forme en sour ce de valeur inappr éciable quan d elle est financée par les assurances .
Cer tains objecter ont peut-êtr e que ces cra intes sont exagérées puisque le secteur des assurances com plémentaires est aujour d’hui largement dominé par les mutue lles et non par les assurances . Il est vrai que le mou vement mutua liste a un poids idéologique et politique réel. Ses dirigeants insistent sur leurs 35 millions d’adhérents . Mais que font-ils de cette puissance ? Peut-on parler de victoire quan d en échange de leur sout ien au plan Juppé ils obtiennent un strapont in au conse il d’administrat ion de la CNAM ?
Elles sont de plus l’objet de press ion pour abandonner leurs valeurs fondatrices de solidarité. Plusieurs directives européennes les ont obligées , au nom de l’égalité des con ditions de la concurr ence , à adopter des règles de gest ion de plus en plus proches de celles des com pagnies d’assu rance (con stitut ion de réser ves financ ières, différenciation entr e les adhérents selon leur niveau de cotisation). Jus qu’ici, les assurances n’avaient pas mass ivement invest i le domaine de la santé . Elles cra ignaient le poids de la Sécur ité sociale, toujours mar quée par la logique de solidarité malgré les cou ps por tés Si la proposition du rappor t Chadelat d’ouvrir les por tes à ces com pagnies, par le retra it de la Sécur ité sociale de pans entiers de la santé , était mise en œuvre, il y a for t à craindre que les mutue lles soient balayées ou, ce qui revient au même , per dent leur âme pour tenter de pr éser ver quelques
miettes .
Le calendrier politique fait que, dans le domaine de la réforme de l’assurance maladie, beaucou p dépendra de la bata ille en cours à propos des retra ites . C’est ce qui explique que M. Matte ï soit souda in devenu très discret. Mais en sens inverse , la révélation de ces projets en matière d’assurance maladie est un atout impor tant dans la bata ille d’idées pour montr er que la réforme gouvernementa le de la retra ite s’inscr it dans une cohérence régress ive. Contra irement à ce qu’il préten d M. Raffarin ne cherche pas un moyen de sauver la retra ite de tous les França is. Pour la retra ite comme pour la santé c’est bien un choix de société qui est en cause : ou bien une société basée sur la solidarité et le développement humain ou bien une société au ser vice des marchés financ iers . ■
« La nouvelle architecture de la Sécurité sociale » (MEDEF). Voir article de J. Caudron dans Economie et politique septembre-octobre 2002.
Voir à ce propos le livre collectif sous la direction de C. Mills « Main basse sur l’Assurance maladie ». Fondation Copernic, à paraître en septembre 2003. Ed. Syllepse.