Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Construire un nouveau modèle d’entreprise publique

La notion de service public est le point de rencontre d’aspirations fondamentales :

  1. L’égalité : en terme de droit d’accès pour tous à un certain nombre de biensjugésessentiels, indépendamment du niveau de revenus.

  2. La solidarité : avec l’objectif de cohésion sociale et territoriale, notamment à traversles systèmesde péréquation tarifaire et l’obligation d’assurer le service sur tout le territoire.

  3. La maîtrise citoyenne : avec l’idée que les secteurs d’activité relevant de l’intérêt général doivent faire l’objet de politiques publiques.

Un besoin profond de réforme et de reconstruction

Les évolutions de notre société (la mondialisation de la production et des échanges, l’émergence de nouvelles technologies et donc de nouveaux biens et services, l’explosion des inégalités, des exclusions et du chômage) renforcent le besoin de service public et poussent à élargir le champ de ses missions.

Par exemple sur l’égalité d’accès : dans notre pays, l’éducation, la santé, les transports, l’énergie, la poste, sont considérés comme relevant du service public. Mais ne faut-il pas étendre cette notion à d’autres domaines comme l’eau, le logement ou le crédit pour répondre aux besoins d’aujourd’hui ? Et aussi intégrer les nouveaux services découlant des avancées technologiques, notamment dans le secteur de la communication, si on ne veut pas que ces progrès débouchent sur l’aggravation de la fracture sociale?ENTREPRISE PULIQUE EST A INVENTER

Au-delà, la nécessité de protéger l ’ envir onnement et d’ assurer le renouvellement des ressources naturelles, les aspirations à vivre mieux et à participer aux décisions poussent à faire de la contribution au développement durable, au progrès social, à la participation citoyenne des missions de service public en tant que telles. Cependant, il n’y a consensus ni sur les contenus du service public, ni sur ses formes. Les uns comme les autres font l’objet de bataill es politiques :

  • Dans les conceptions qui s’inscrivent dans le cadre du système capitaliste, il s’agit d’assurer un service là où le marché ne peut le faire (c’est la vision des ultra-libéraux), ou de corr iger les effets négatifs de ce dernier (c’est celle du social-libéralisme).

  • Dans la conception communiste, le service public est au contraire conçu comme un levier de la transformation de la société et de la construction d’un monde plus juste et plus solidaire.

C’est parce qu’elle porte ainsi des enjeux essentiels pour l’avenir de notre monde que la question du service public est aujourd’hui l’un des principaux terrains de la lutte qui oppose partisans et adversaires du libéralisme.

Cet affrontement se joue essentiellement sur deux plans :

  • Le type de rapports qui doivent gouverner l’économie des ser vices (concurrence ou coopération) ;

  • Les structures à mettre en place, et donc la place, la finalité et le fonctionnement du secteur public (c’est-à-dire des entreprises publiques en réseau assurant un service public et des administrations publiques).

Or, sur ce deuxième point, l’indice de satisfaction global des Français ne doit pas masquer le décalage qui grandit entre les besoins de service public et la réalité. Après avoir apporté une contribution décisive au développement de la société, le secteur public est aujourd’hui en crise, victime de deux maux :

  • Le premier est un défaut hérité des origines et marquant les limites du modèle français de service public, c’est l’étatisme et l’absence de pouvoir réel des citoyens en termes de décision et de contrôle.

  • Le second est la prégnance des critères de rentabili té, aggravée par l’ouverture des activités à la concurrence et les privatisations.

Face à cette crise, il serait illusoire d’opposer aux projets actuels des libéraux la simple défense d’un existant qui ne répond plus qu’imparfaitement aux attentes de notre société et se trouve véritablement miné par la logique du privé. Si les luttes de résistance ont permis de freiner la remise en cause des pr incipes et des conquêtes sociales qui fondent l’existence du secteur public, elles sont en effet restées impuissantes à remettr e en cause les orientations de fond. Aujourd’hui, bien loin de constituer un rempart efficace contre les thèses libérales, le secteur public tend à jouer le rôle d’accélérateur de la mondialisation capitaliste. Pour qu’il devienne un instrument de réponse aux besoins et de maîtrise des services par les citoyens, une refonte profonde de ses objectifs, de ses choix stratégiques,de ses modes de fonctionnement est incontournable.

 

Un nouveau modèle

d’entreprise publique

est à inventer.

 

 

 

Changer les stratégies et les gestions

 

Se dégager des marchés financiers

En raison de la réduction des dépenses sociales de l’Etat et des charges financières qu’elles supportent, la plupart des ent reprises publiques souffrent aujourd’hui d’un manque de moyens plus ou moins criant pour faire face à leurs missions actuelles. Or, il s’agit d’étendre largement le champ de ces missions, de faire des services publics un vecteur pr i v ilégié de développement des capacit és humaines, en termes d’emplois, de formation, de progrès technologique, de recherche et de coopérations nationales et internationales. Des ressources supplémentaires importantes doivent donc être dégagées. Comment relever en pratique ce défi autrement qu’en privatisant : telle est la question.

Donner aux services publics un rôle moteur dans la transformation de la société implique qu’une partie plus importante des richesses produites leur soit réallouée. Le rôle de l’Etat est donc essentiel, mais des changements d’orientation majeurs sont nécessaires :

  • Le desserrement des contraintes qui pèsent sur le budget national, en premier lieu l’abandon du corset que constitue le Pacte de stabilité européen conçu pour les seuls intérêts des marchés financiers ;

  • L’inversion des priorités au bénéfice des dépenses sociales ;

  • Une réforme de la fiscalité frappant les revenus spéculatifs et les grandes fortunes, à l’opposé d’une baisse des impôts qui profite essentiellement aux plus riches et qui a pour corollaire la dégradation des ser vices publics.

Ces t rois réformes per met t r ai ent de dégager des ressources nouvelles pour une augmentation significative des budgets publics.

Ces réflexions ne sont cependant pas exclusives du besoin d’impliquer directement d’autres acteurs économiques.

On connaît la contribution souvent décisive du secteur public aux immenses profits patronaux. Plus de la moitié de ceux-ci ne va pas à des investissements productifs créateurs de richesses et d’emplois, mais sert à des placements boursiers, phénomène à l’or igine de la crise profonde que traversent les économies. Ce constat est un point de départ pour imaginer de nouvelles sources de financement.

Un point essentiel dans cette recherche est la nécessité de se dégager de l’emprise des marchés financiers.

Ainsi, l’expérience a montré en quoi l’ouverture au capital privé, même limitée, était incompatible avec un développement de service public, en raison de la logique de rentabilité vers laquelle pousse la pénétration de capitaux privés aux détriments des objectifs de progrès social pour les usagers et les salariés des services publics. Souvent, cette logique est d’ailleurs déjà à l’œuvre avant même l’ouverture du capital, précisément dans le but d’att irer le privé en offrant un taux de profit substantiel. Par ailleurs, la question des privatisations ne peut plus être abordée à l’ère de la financiarisation de l’économie dans les mêmes termes qu’il y a vingt ans. En effet, avec la volatili té des marchés financiers, les actionnaires privés ne peuvent plus être considérés comme des partenaires stables. Chacun a en mémoire la grave crise provoquée fin 1998 dans le groupe Alcatel par le départ des fonds de pension américains qui détenaient 40% du capital. Mais le récent effondrement de Vivendi (qui s’est conclu par la vente d’une partie de ses actifs) démontre qu’il est devenu illusoire de constituer des prétendus «noyaux durs »censés protéger les entreprises privatisées des vicissitudes de la Bourse.

D’autr es pistes que l’ouverture au capital privé doivent donc être envisagées, dans le cadre de la bataille pour une autre utili sation de l’argent.

Une idée profondément novatrice, avancée par les économistes communistes, est de mobiliser les ressources gérées par le système bancaire et de crédit.

Cela implique une mutation du rôle et de l’architecture de ce système, avec la création d’un pôle public rassemblant les banques et institutions publiques et semi-publiq ues, à but non lucratif, à vocation mutualiste ou coopérative (Caisse des Dépôts, Caisses d’Epargne, services financiers de la Poste, …).

La mission de ce pôle serait de mettre le crédit au service de l’emploi, de la formation et du développement technologique. Il pourrait également jouer un grand rôle pour proposer des solutions de financement aux entreprises publiques industrielles et réduire en particulier leur endett ement . Des crédit s à moyen et long ter me seraient accordés à des projets d’investissements avec des taux bonifiés en fonction de leur contribution à la création d’emplois et à la croissance réelle de l’économie, et cela sous le contrôle des salariés, des populations et de leurs élus. Cette formule ne serait bien sûr pas réser vée aux seules entreprises publiques, mais celles-ci pourraient faire la preuve de leur supériorité sur le privé dans la réponse aux critères requis, faisant par la même la démonstration de l’efficacité de telles incitations. Un Fonds national décentralisé serait chargé de la distribution de ces crédits bonifiés, alimentés notamment par la conversion des actuelles aides publiques à l’emploi, dont on sait comment elles sont actuellement détournées de leur objectif. Ces crédits pourraient en partie ne pas être remboursés, mais conver tis progressivement en participation du Fonds national dans les entreprises concernées, ce qui présenterait l’avantage de consolider la propriété publique de ces dernières.

On peut envisager également des prélèvements spécifiques, gérés directement par les autorités de tutelle des services. C’est déjà le cas dans les transports urbains franciliens, où les entreprises participent au financement des infrastr uctures et de l’exploitation à travers le versement transport et la prise en charge d’une partie du coût de la Carte Orange. Les bénéficiaires réels des réseaux que sont les grands centres commerciaux ou les promoteurs immobili ers pourraient de même être mis à contribution.

De nouveaux critères de gestion

Qu’est-ce que l’efficacité et comment la mesurer ? Cette question au centre des choix de gestion du secteur public a de tout temps fait l’objet de polémiques. Avec le débat sur la responsabilité sociale de l’entreprise, elle prend une acuité plus grande. Cependant, faute d’alternative élaborée, les réponses dominantes ont été et restent celles imposées par la vision capitaliste de l’économie : hier la minimisation des dépenses de fonctionnement pour s’inscrire dans les politiques d’austérité, aujourd’hui la maximisation de la rentabili té des capitaux et de la marge brute d’exploitation pour gagner en compétitivité et favoriser la croissance financière.

Proposer et imposer de nouveaux critères de gestion est donc un impératif pour les forces qui veulent réorienter la finalité des entreprises et administrations publiques. Ces critères, appelés à servir de référence interne, mais aussi dans les rappor t s avec les t ut el les, doi vent être bâtis à partir des obj ect i fs de ser v i ce publi c et par conséquent intégrer les différent es « ext ernalités » engendrées par l’activité de l’ent reprise : l’impact sur la réduction des inégalités, sur l’emploi, sur l’environnement. Ils doivent ainsi met t re en rapport le coût des moyens humains et mat ériels engagés avec :

  • D’ une par t l a val or i sat ion des services produits (qui est fonction de leur utilité sociale, du nombre d’usagers y accédant et du niveau de qualité des prestations),

  • D’autre part les économies induites à l’échelle de la société par la création d’emplois, par la mise en œuvre de procédés de production non-polluants, par la contribution au renouvellement des ressources, par la contribution au financement de la protection sociale.

Cette démarche porte une nouvelle conception de l’efficacité, mesurant la contribution de l’entreprise à l’aune de son apport aux besoins de la collectivité humaine. De ce mode d’évaluation découlent des principes de gestion radicalement en rupture avec le modèle de l’entreprise privée, tels que la compensation entre activités bénéficiaires et activités déficitaires, la péréquation tarifaire, l’utilisation d’une partie des surplus pour la recherche-développement.

Les prémisses de tels principes existent d’ailleurs dans le fonctionnement actuel du secteur public. C’est par exemple le cas avec le type de facturation pratiqué par EDF : c'est le coût de production de la dernière centrale appelée sur le réseau qui est pris en compte en cas d’augmentation de la demande. Ces tarifs traduisent ainsi dans leur structure les coûts marginaux de développement du système électrique, favorisant une vision à long terme de la politique énergétique. Quant à leur niveau, il est globalement ajusté de manière à assurer un équilibre des comptes de l'entreprise, à l’opposé de toute recherche de profitabili té. Il est tr ès significatif que ce mode de calcul, déjà écorné depuis les années 80 (dans la mesure où EDF est sollicité pour apporter des recettes au budget de l’Etat), soit actuellement remis en cause par les partisans de l’ouverture à la concurrence et de la privatisation de la distribution de l’énergie.

Vers la coopération économique

Les ravages quotidiens de la guerre économique en termes de suppressions d’emplois, de gâchis de ressources naturelles, d’inégalités de développement, de sources potentielles de conflits obligent à envisager un autre avenir pour les relations économiques, faute de quoi c’est l’existence même de l’espèce humaine qui est menacée.

Un autre modèle de développement fondé sur la coopération est à promouvoir. Le sect eur publ i c a un r ôl e important à jouer dans ce sens.

Et d’abord en son sein.

Car une des conséquences du libéralisme est l’exacerbat i on de l a concurrence au sein même du secteur public. Le transport de voyageur s en fourni t quel ques ill ustrations significat i ves : l à où i l faudrait travailler à harmoni ser l es o ff r es dans une perspective d’intermodalité, on a au contraire l’affrontement entre la SNCF et Air France sur les grands axes, au prix d’une dégradation en termes d’offre et de tarifs de la desserte des villes moyennes ; sur le marché des transports urbains, c’est une guerre acharnée que se livrent la RATP, la fili ale de la SNCF Kéolis et le groupe TransDev contrôlé par la Caisse des Dépôts. La constitution d’un pôle public du transport de voyageurs serait certainement un outil pour contrecarrer ces évolutions et proposer des offres complémentaires et coordonnées du point de vue de la desserte des territoires, de la cohérence tarifaire, de la correspondance entre modes et de la continuité de service. Ce besoin de coopération entre acteurs publics concerne aussi les services de proximité. La notion de « Maison de service public »est utilisée par les libéraux pour justifier les réductions d’emplois et l’abandon de missions. Mais dans les zones rurales peu denses ou dans certains quartiers urbains aujourd’hui à l’abandon, obtenir la création d’un lieu commun permettant l’accès des usagers aux différents services (moyens de communication postaux et télématiques, services fiscaux, agences de l’eau et de l’énergie) n’est-elle pas un moyen de répondre aux attentes et d’aider

à reconstituer le lien social ?

La même exigence doit prévaloir dans les rapports entre secteur public et secteur privé. Si leur coexistence est nécessairement conflictuelle, puisqu’il y a lutte pour la prédominance dans l’économie, elle suppose également une coopération, à travers leurs complémentarités et synergies, dont la raison d’être est de conduire l’ensemble vers des objectifs de progrès social.

Plusieurs terrains sont ici en jeu :

  • la passation des marchés publics,

  • les contrats de sous-traitance,

  • les services fournis par le public aux entreprises privées, notamment à travers les modalités tarifaires.

Il s’agit à la fois de résister à la volonté de mainmise des grands groupes sur la gestion des entreprises publiques (ce qui implique de refuser les prises de participation croisées), mais aussi de concevoir des formes de coopération contraignantes pour la partie privée, à travers l’introduction de critères de création d’emplois, de développement de la recherche et de la formation. C’est pourquoi les accords de partenariat à long terme sans participation avec des garanties et des pénalités doivent être pr ivilégiés. C’est par exemple le cas pour les rapports à construire entre GDFet les fournisseurs de gaz (Sonatrach, Gazprom, Statoil, TotalElf-Fina), où la conclusion de pactes stratégiques permettr aient de garantir à la fois la sécurité d’approvisionnement et la stabili té des prix sur une longue période.

C’est sur des principes similaires que l’on peut aborder la dimension internationale du développement des entreprises publiques.

Les besoins à satisfaire sont colossaux, notamment dans les pays du tiers-monde et ceux de l’est européen, dans la perspective de l’élargissement de l’Union Européenne. Face à cette exigence, le secteur public français a bien mieux à faire qu’à jouer les prédateurs. Le financement des grands projets d’équipement ou des dépenses de recherche-développement appelle le partage des ressources et des savoirfaire. L’important est de veiller à ce que les formes d’alliance choisies préservent l’identité de chaque partenaire et permettent d’éviter la mainmise des marchés financiers. Ce qui suppose qu’elles portent sur des projets bien définis visant à développer l’accès des populations aux services. Plusieurs modalités de coopération avec les opérateurs ét rangers concernés (qu’ils soient publics ou privés) peuvent être envisagées dans ce but, comme la création de filiales communes ou de groupements d’intérêts économiques.

De nouveaux pouvoirs, de nouveaux droits

Sous le contrôle des usagers

Une des principales réformes à opérer dans le fonctionnement du secteur public concerne la place qu’y occupent les usagers. Aujourd’hui exclus des processus de décision, ceux-ci doivent avoir les moyens de par t iciper effectivement aux choix concernant :

  • la stratégie de l’entreprise et la définition des priorités d’investissement,

  • la politique sociale, et notamment l’emploi et la formation,

  • l’organisation des structures du service public et leur évolution.

  • Faire vivre ces droits nouveaux passe par une réforme des institutions existantes.
  • Les structures de direction des entreprises sont ainsi appelées à évoluer dans deux directions :
  • Leur désétatisation, ce qui implique que le mode de représentation dans les conseils d’administration évolue sensibl ement, avec une place plus importante des associations d’usagers et des élus de la population.

  • Leur décentralisation, conjuguée au maintien du caractère national des entreprises et des statuts des personnels, à travers la création d’instances de décision décentralisées ayant délégation pour traiter les questions d’ordre régional ou local.

Mais cette évolution ne concerne pas que le fonctionnement des entreprises publiques ; les rapports entre cellesci et leurs autorités de tutelles sont confrontés au même besoin de changement.

Aujourd’hui, la régionalisation est conçue comme un moyen de faire éclater le statut des entreprises et des personnels qui y travaillent, de favoriser le désengagement financier de l’Etat et de préparer l’ouverture des marchés à la libre concurrence. Mais n’est-il pas juste que les communes, les départements, les régions, à travers leurs assemblées élues, interviennent davantage dans la définition des services dans leurs dimensions locales ou régionales ? Une autre conception de la régionalisation est ainsi envisageable, conciliant à la fois les exigences d’égalité (à travers le respect de normes communes en matière de niveau de ser vice et de dimensionnement des moyens) et de démocratie (par l’appli cation du principe de subsidiarité dans la définition du champ de compétence des régions).

Enfin, il faut créer de nouveaux lieux d’inter vention citoyenne sur les ser vices.

Certains existent déjà comme les « comités de ligne » mis en place dans le cadre de la régionalisation du transport ferroviaire, ou le « comité des partenaires du transport »créé par la loi SRU en Ile-de-France. Rappelons aussi que la loi de décentralisat ion a prévu la créat ion de

« commissions de modernisation des services publics » rassemblant sous l’autorité du préfet de département les acteurs concernés : élus, associations d’usagers, organisations syndicales.

Cette disposition, jusqu’ici restée lettre morte, peut être reprise et enrichie, et éventuellement généralisée au niveau de chaque commune ou groupe de communes. Ces commissions auraient vocation à être consultées sur toutes les décisions concernant les services publics sur leur zone d’intervention et à formuler des propositions de développement de nouveaux services et de synergies. Elles bénéficieraient de moyens d’expertise, d’évaluation et de contrôle, et pourraient organiser des débats et des référendums sur toute question importante, avec obligation de prise en compte du résultat de ces derniers, jouant ainsi un rôle important dans le développement des collectivités territoriales.

Des agents citoyens

Une des caractéristiques principales du secteur public en France est l’existence des statuts des personnels. Vilipendés par les libéraux comme d’exorbitants privilèges, ils constituent pourtant un socle sur lequel on peut bâtir une nouvelle conception du travail.

Cet aspect ne concerne pas que les agents du secteur public. En effet, dans une société où le nombre de ces derniers est important, la nature de leur lien au travail constitue inévitablement une référence pour l’ensemble des salariés. C’est d’ailleurs une raison essentielle de l’acharnement du grand patronat et des forces réactionnaires à obtenir l’éclatement des statuts : au-delà de la recherche d’un abaissement des coûts salariaux, l’objectif est bien d’imposer une norme sociale dévalorisée. Notamment en matière d’emploi, où il s’agit pour eux d’imposer la précarité comme la forme « normale » du contrat de travail signé avec l’employeur, dans le cadre de leur projet de «refondation sociale ».

A l’inverse de ces tendances, l’enjeu de la défense et du développement des statuts est de ne plus réduire l’homme à sa seule force de travail et de lui permettr e de gagner sa dignité de citoyen dans son activité professionnelle.

Il s’agit de définir un ensemble de droits et de devoirs fondant cette citoyenneté à l’entreprise et ses conditions d’exercice. Vus dans cette perspective, les statuts apparaissent comme tout autre chose qu’un simple contrat de travail, même amélioré, mais qui laisserait perdurer le lien de subordination entre le salarié et l’entreprise. Tout au contraire, l’objectif est de bâtir une relation de travail d’un nouveau type articulée sur les notions de liberté et de responsabili té.

Pour cela, les statuts doivent être enrichis dans trois directions :

  • Commencer à concrétiser la mise en place d’une sécurité d’emploi et de formation pour tous. C’est-à-dire un rapport des hommes au travail où l’emploi ne soit plus une variable d’ajustement des stratégies des entreprises et où la force de travail ne soit plus une marchandise. Les statuts publics actuels portent cette idée, mais seulement de façon embryonnaire. Pour répondre aux aspirations à ne pas faire toute sa vie le même travail, à changer d’environnement ou de région, les possibilités de mutation sur la base du volontariat d’une administration ou d’une entreprise à une autre pourraient ainsi être étendues, avec la reconnaissance d’un véritable droit à la formation continue.

  • Etre un outil du partage du pouvoir dans l’entreprise et de la promotion de l’inter vention des salariés dans les gestions. Ceci concerne les choix d’orientation à tous les niveaux, les décisions d’organisation (et donc les restr ucturations), les procédures de management (notamment les recrutements, les nominations, les promotions). De nouveaux droits sont à conquérir, à la fois collectifs et individ uels.

  •   Garantir une réelle liberté aux personnels en incluant en particulier des dispositions sur le droit d’expression, le droit au débat contradictoire et le droit au retrait. Ce sont là en effet aut antd’élément s indispensab les pour rendre effective l’indépendance des personnels vis-à-vis des pouvoirs polit iques ( not ion au cœur de l ’ actuel statut de la fonction publique).

Ce contenu largement élargi des garanties collectives actuelles permettrait à l’ent reprise publique de retrouver un r ôl e de vitr ine sociale dans un contexte où, en réaction aux plans de l i cenci ement massifs et en réponse à l’aspiration à maîtriser tous les aspects de sa vie, la question d’un statut du travail salarié commence à être posée dans l’ensemble de l’économie.

Cet enjeu n’est pourtant pas le seul. En effet, il existe un lien étroit entre les conditions d’emploi des personnels et la finalité assignée au secteur public. Aujourd’hui, la coupure art ificielle entre le travail et le hors-travail (on est citoyen dans la cité, mais pas à l’entreprise) est le moyen de mobiliser les hommes autour d’un objectif interne à l’entreprise (la rentabilité maximale des capitaux), qui n’a pas de rapport direct avec les besoins de la société. N’est-ce pas là l’origine de la perte de sens qu’une grande partie des agents publics ressent dans son activité professionnelle ? A l’inverse, en finir avec cette aliénation, développer la citoyenneté sur le lieu de travail est une condition pour tourner l’entreprise vers la société et ses attentes, pour que les valeurs du service public y imprègnent chaque décision, et pour qu’un dialogue effectif, y compris affrontant les inévitables contradictions, se noue entre producteurs et usagers des services.

Un levier pour changer l’économie

La nouvelle entreprise publique qu’il s’agit de construire n’a pas seulement vocation à répondre aux besoins de service public. Elle peut être un élément central d’une transformation de toute l’économie.

Depuis longtemps déjà, nous vivons dans une économie mixte, où ce sont les critères capitalistes et le privé qui prédominent et imposent leur loi. Quelle nouvelle conception opposer à cette réalité ?

Si la cohabitation entre secteur privé et secteur public est appelée à perdurer (car chacun a son rôle à jouer en fonction de ses spécificités et de ses avantages), le renversement de la domination entre formes de propriété et critères privés d’une part, publics de l’autre est une exigence au cœur de tout projet de transformation sociale. Ce processus pose bien indissociablement les questions du contenu et du champ du secteur public.

En particulier, c’est l’entreprise privée qui joue aujourd’hui le rôle pilote dans l’ensemble de l’économie, dans la mesure où ce sont ses critères, ses modes de gestion et ses pratiques de management qui servent de référence, y comp r i s dans l e public. Inverser les rôles, imposer un nouveau modèle d’entreprise, tel est l’enjeu de la rénovation en profondeur du sect eur public.

C’est porteur de cet t e concept i on renouvelée qu’on peut revendiquer pour celui-ci une pl ace ét endue et donc des réappropriations publiques et social es d’ un nouveau type ( au premi er r ang desquelles il faut sans doute placer France Télécom, Air France, Vivendi Environnement, le Crédit Lyonnais). Au-delà est posé dans un certain nombre de secteurs le besoin de création de pôles publics avec un réseau d’entreprises agissant en partenariat : la communication et l’audiovisuel, les transports de voyageurs, la gestion de l’eau et des déchets, le crédit et les institutions financières.

Cette extension du secteur public, couplée avec une réorientation en profondeur de son mode de fonctionnement, est un des axes de construction d’une nouvelle économie mixte à prédominance publique et sociale, dans une perspective de dépassement du capitalisme.

Toute avancée dans cette voie est directement fonction des reculs que le mouvement de transformation parviendra à imposer au libéralisme. Tel est tout le sens de la bataille pour mettr e en échec les projets de privatisation.

 

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