Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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AGRICULTURE – ALIMENTATION – PAC ET MONDIALISATION : Des questions cruciales pour l’avenir de l’humanité

Les questions agricoles et alimentaires sont cruciales pour l’avenir de l’Humanité. Et on ne peut pas aborder l’avenir de l’agriculture française et européenne sans l’intégrer dans le débat sur la mondialisation

Au Sud deux milliards de personnes souffrent de carences alimentaires et 830 milli ons subissent la faim quasi quotidiennement. Les trois quart sont des paysans et le quart restant est constitué d’ex ruraux venus s’agglutiner dans les bidonvill es des grandes métropoles des pays en développement.

L’exode rural frappe de par le monde entre 40 et 50 milli ons de personnes par an.

Au Nord, en Europe, une ferme disparaît toutes les trois minutes. En France, ce sont 25000 exploitations et 30 000 emplois qui ne sont pas remplacés chaque année. La France qui comptait en 1945, 7 milli ons de paysans n’en compte guère plus aujourd’hui que 500 000.

Sous la pression des politiques européennes, 10 % des exploitations agr i col es concent rent 67 % des revenus produits en Europe et 50 % des plus petites n’en réalisent que 5 %. Des régions se spécialisent dans des productions au prix d’une désertification, d’une présence humaine raréfiée et de dégâts sur l’environnement. La mécanisation à outrance, en supprimant de nombreux emplois, aggrave les conditions de vie des paysans (temps de travail plus long, str ess économique, isolement, crise de confiance en l’avenir). La désespérance conduit certains agriculteurs à abandonner leur métier avant la retraite.

Depuis 1990, alors que les pr ix alimentaires ont augmenté de 11 % pour les consommateurs, ceux à la production ont baissé de 15 %. D’où l’effondrement des revenus des agriculteurs, inférieurs au SMIC pour 50% d’entre eux.

Et la situation serait encore plus catastrophique en Europe, sans les subventions(1) car les revenus de la plupart des agriculteurs, seraient nuls ou négatifs. Rappelons la moyenne des subventions versées par agriculteur :

  1. USA : 15 245 euros

  2. Suisse : 30 490 euros

  3. Europe : 12 196 euros

Cette situation peut paraître paradoxale quand on sait que dans les pays du Nord, la productivité agricole augmente régulièrement et plus vite que celle de l’industr ie et des ser vices.

Les méfaits du libre échange

Ces subventions permettent aux agriculteurs de travailler en dessous du prix de revient de leur production car le «prix mondial » est fixé par le moins disant, c’est-à-dire celui imposé par les tr ès grands domaines de plusieurs milli ers d’hectares employant une main d’œuvre à très bon marché, que l'on retrouve dans le groupe de Cairns, au Canada, en Australie, en Nouvelle Zélande, au Brésil ou ailleurs, une agriculture latifundiaire qui est intimement liée à l'agrobusiness. En effet les capitaux délocalisés du Nord s'investissent pleinement dans ce type d'agriculture. Cette pression permanente sur les prix agricoles à la production conduit à la mise sur le marché de denrées à des prix très inférieurs au prix de revient moyen de tous les paysans du monde. Les agriculteurs américains vendent ainsi leurs produits à des prix inférieurs de 40% à leur coût de production.

Cette pression sur les prix accroît la disparition de paysans, l’exode rural, ainsi que la chute des salaires tout en favorisant la concentration des exploitations agricoles au Nord et le développement d’une l agriculture industrielle. Celle-ci, elle-même, n’a comme solution que de favoriser les exportations pour survivre face à la baisse des prix à la production. Et les exportations massives vers les pays du Sud, de concert avec la politique d’ajustements structurels prônée par le FMI et la Banque Mondiale, ont ainsi développé un énorme flux alimentaire s’écoulant des USA et de l’Europe en direction du Tiers Monde. Ainsi à la suite de l’accord de libre échange nord américain (1) , la proportion de produits alimentaires import és au Mexique est passée de 20 % en 1992 à 43 % en 1996. 18 mois après la signature de cet accord, 2,2 millions de mexicains ont perdu leur emploi et 40 milli ons sont tombés dans l’extrême pauvreté.

En effet, avec la mondialisation capitaliste, les pays agricoles du Sud deviennent de plus en plus dépendants des importations alimentaires de l’agriculture du Nord subventionnée, mais ne disposent pas des devises nécessaires pour payer les produits alimentaires importés.

En fait, ce n’est pas le défaut de productivité, argument si souvent avancé, qui est responsable de la famine et de la disparition des agriculteurs européens, mais la baisse des prix agricoles résultant de ce dumping des investisseurs en mal de terre et de l’agro-business qui contrôlent le marché des semences et le commerce des produits alimentaires tandis que les firmes de l’agro-alimentaires font main basse sur l’alimentation et l’agriculture. D’où, face à toutes ces déréglementations, l’exigence dans un premier temps de mesures de protection pour tout agriculteur où qu’il se trouve, si l’on veut qu’il survive. Et de poser avec force la question de la rémunération au juste prix du travail.

Si, par malheur les USA (par OMC interposé) et avec l’aval de l’UE, imposait un libre échange intégral en Europe, les capitaux se précipitereraient sur les anciennes fermes d’Etat des pays de l’Est. C’en serait fini de notre agriculture.

Des aides publiques agricoles nécessaires

D’où l’importance de bien faire la clarté sur le dossier du subventionnement agricole au moment où l’on parle de réformes, de la PAC ainsi que de l’accord de Cotonou, de l’UEavec les pays de la zone ACPpour l’adapter aux règles de l’OMC.

Pour les libéraux, emmenés par les Etats-Unis, l’obstacle majeur à de meilleures règles en matière de productions agricoles pour l’ensemble des pays, notamment pour les pays en développement, serait les subventions des pays du Nord à leur agriculture. Leur suppression suffirait disent-ils à empêcher la destr uction des agricultures des pays en développement.

On voit bien où veulent en venir les USA dont l'agriculture, tr ès fortement subventionnée est, elle aussi, basée sur d'immenses exportations agricoles. En lançant le débat sur les aides publiques à l'agriculture les Etats-Unis entendent déstabili ser l'agriculture européenne, rendre dépendant les populations des pays en développement.

Ils donneraient ainsi aux pays de l’agriculture intensive et industrielle et plus particulièrement des Etats Unis la possibili té de dominer unilatéralement le marché alimentaire, d’imposer la dictature de l’insécurité alimentaire et les modèles définis par les multinationales de l’agro-alimentaire, privant finalement les populations du monde du choix de leur propre modèle social de développement. Or la souveraineté alimentaire doit être la règle pour chaque pays. Il y a donc lieu d'alerter les pays en développement sur le danger qui les menace. Car subissant les effets néfastes des subventions agricoles des pays riches et incapables financièrement de mobili ser des subventions pour le développement de leur propre agriculture, les pays en développement pourraient être tentés d’approuver l'offensive menée par les USA, lors des négociations de l'OMC, pour interdire à terme tout subventionnement.

Ils se priveraient alors pour leur avenir de cet outil de développement agricole efficace, après s’être déjà largement privés des possibilités de protections tarifaires (largement utilisé par les pays développées durant les 50 dernières années et remises à la mode périodiquement si besoin est…) Ces aides publiques à l'agriculture doivent désormais être part agées au plan mondial pour aider à la régulation des marchés et compenser les handicaps naturels et climatique. Un plan alimentaire mondial piloté par la FAO (2) et s'appuyant sur un fonds d'aide à l'agriculture dont le financement serait assuré par une taxe sur les industries agroalimentaires doit être élaborée. Cela implique bien sûr, de sortir l'agriculture des négociations de l'OMC, de nouveaux accords dans le cadre d'un co-développement agr icole durable, pour la coopération et non dans la concurrence doivent être conclus avec le MERCOSUR et l'ALENA.

Cette campagne américaine est aussi une aubaine pour les dirigeants de l’UE qui veulent élargir l’Europe sans augmenter le budget. Le poids du budget agricole est en effet un obstacle à cet objectif. Ne plus subventionner l’agriculture européenne, en particulier française serait une belle aubaine.

Mais si tel était le cas, et c’est tout l’enjeu du contenu de la réforme de la PAC, ce serait à coup sûr la disparition de centaines de milliers d’exploitants agricoles en France et en Europe, et la porte ouverte à une agriculture industrielle. C’est pourquoi, dans le débat actuel, il est nécessaire de rappeler avec force parallèlement à l'exigence de prix agricoles convenables, que l’aide publique à l’agriculture est un outil incontournable pour développer une agriculture garantissant l’indépendance alimentaire et la liberté de choix des sociétés.

Une nouvelle politique agricole commune

Bien entendu, il s’agit, dans le même temps, de revendiquer au sein de l’UE, une nouvelle politique agr icole commune de subventionnement, favorisant l’agriculture paysanne familiale. Il faut en finir avec une PAC où 80 % des subventions vont à 20 % des agriculteurs. Les aides doivent être réser vées aux petits producteurs ou à ceux situés dans les zones défavorisées. Cela doit s’accompagner de l’arrêt du subventionnement à l’exportation. L'exportation à bas prix des produits agricoles a des effets dévastateurs pour les pays en développement.

Notre choix de société, c’est une ruralité vivante, un aménagement du terr itoire dynamique avec de nombreux actifs agricoles, à l’opposé d’une agriculture industrielle. La qualité et la diversité des produits ne peuvent venir que d’un réseau dense d’exploitations familiales dont le travail doit être convenablement rémunéré.

Il faut sortir de la dérive libérale de la PAC à laquelle nous assistons depuis plusieurs années. La PAC devrait se fixer comme objectif :

  • de mieux prendre en compte la réalité agricole dans sa diversité régionale et nationale, ce qui est loin d’être le cas comme on l’a vu avec les éleveurs du bassin allaitant,

  • de sortir d’une logique productiviste pour aller vers une agriculture qui produise des productions gustatives, nutritionnelles et sanitaires de qualité,

  • de promouvoir une agriculture qui occupe pleinement l’espace, aménage les territoires et soit respectueuse de l’environnement,

  • de rétablir pleinement la préférence communautaire sur toute les productions,

  •  de mettre en place des dispositifs qui permettent, parallèlement au aides publiques à l’agriculture en faveur des petits producteurs, de relever le prix au producteur pour rémunérer correctement le travail agricole. Et si l’on considère la part tr ès faible que le prix des matières premières représente dans le produit alimentaire, ce relèvement du prix payé aux producteurs n’aurait qu’une faible incidence sur le panier de la ménagère. Il faut cependant noter pour l’intégrer au débat sur l’agriculture que nous souffrons en Europe, mais aussi dans le monde, non d’un excédent agricole, mais d’un déficit de la consommation par manque de demande solvable par la faibl esse du pouvoir d’achat de nombre de consommateurs. De ce fait la bataille pour les salaires, le relèvement des minima sociaux et l’augmentation du pouvoir d’achat font partie intégrante de l’action pour l’alimentation de qualité pour tous. A cela ajoutons que l'Union européenne est le premier importateur de produits agricoles,

  • de refuser les semences génétiquement modifiées dont le seul but est d’instaurer un monopole sur les semences par quelques groupes multinationaux nord américains notamment qui priverait ainsi les pays de leur indépendance alimentaire. Ce qui ne veut pas dire arrêter toute recherche
  •   d’instaurer un plan protéine visant à reconvertir les jachères et les cultures céréalières excédentaires en culture protéïques (dont nous sommesdéficitaires pour 75 % de nos besoins). Cela sup pose de rendre caduques les accords de Blair House avec les USA sur la limitation des cultures oléagineuses et protéagineuses dont le déficit est colossal en Europe (36 milli ons de tonnes équivalent en tourteau importé soit l’équivalent de la superficie cultivée de 10 millions d’ha). cela devrait s'accompagner de la suppression de la prime au maïs fourr ager tr ès peu écologique et de l'augmentation de la pr ime à l'herbe fondée sur la culture des légumineux (trèfles, luzerne) qui permettr ait de se passer des engrais azotés sur les prairies et de réduire les importations de soja. En relançant toutes ces productions, l’UE conforterait notre souveraineté alimentaire et permett r ait l e développement de bonnes pratiques agronomiques, sur ce sujet mais en toute transparence et en les contrôlant par les laboratoires publics.

Cette nouvelle politique agricole commune pourrait s'appuyer sur une politique du crédit à long terme et à des taux tr ès avantageux que proposerait la BCE en faveur de l'installation de jeunes agriculteurs et du développement des filières agricoles et des activités agro-alimentaires de transformation. L'élargissement de l'UEaux pays de l'Est ne doit pas être l'occasion de la disparition de centaines de milliers d’exploitants agricoles en Pologne ou ailleurs, et l’émergence de grandes exploitations agro industrielles comme le souhaite la Commission Européenne, mais au contraire de permettr e la aussi la mise en place d’une agriculture solidaire et partagée, s’appuyant sur une agriculture paysanne, familiale et durable.·

Quatre défis à relever

Quatre défis dans le débat politique sur le développement agricole doivent être relevés :

  • celui du part age de l’outil de l'aide publique à l'agriculture au niveau mondial pour le développement des pays du Sud et leur permettr e d’aboutir à une véritable souveraineté alimentaire,

  • celui du nombre d’actifs comme un indicateur obli gatoire du modèle de production agricole paysanne et familiale et donc de l’utili sation de ces subventions,

  • Celui de la juste rémunération du travail,

  • celui de la sécurité alimentaire (systèmes de santé cohérents, traçabili té et cert ification des produits, développement durable, environnement diversifié…) contre le mercantilisme, l’hégémonie et l’uniformisation des multinationales agro-pharmaceutiques.

Je tiens à remercier Eric Fermet-Quinet pour son apport dans les réflexions concernant la question des aides publiques à l'agriculture.

FAO : organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture.

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