La journée d'hier a permis des échanges très utiles sur le contenu de notre projet et des axes de propositions pour une nouvelle industrialisation. Dans son prolongement, nous vous proposons de mettre l'accent ce matin sur l'utilisation de ces idées dans la bataille politique, leur expérimentation dans l'action, ainsi que les implications à envisager en matière d'organisation. L'industrie et les services sont le cœur de cible de la tentative du patronat avec le gouvernement Hollande-Valls d’intégrer salariés et syndicats à la logique et aux objectifs de rentabilité du capital. Cette tentative, qui se heurte heureusement à des résistances, est un élément politique dominant de la période, un enjeu majeur de l’affrontement de classe actuel. Elle est en cohérence avec la tentative de pérenniser un ancrage libéral du PS.
Parce qu'il ne faut pas laisser faire, parce que nous avons la volonté d'agir et rassembler pour une alternative de progrès social, cela nous met au défi d’investir, de ré-investir, mais dans des conditions et de façon nécessairement nouvelles, le combat politique organisé dans les entreprises.
L'entreprise est en effet le sujet et le lieu d'une action idéologique de grande ampleur menée par le grand patronat, avec l'appui des prétendus « experts » qui monopolisent l'information économique dans les médias, et ralliée par un pouvoir socialiste qui affiche son amour de l'entreprise telle que la veulent grand patronat et marchés financiers.
Cette action idéologique se prolonge dans une action politique et institutionnelle, comme avec l'ANI puis le pacte de responsabilité, présentés au terme de négociations pipées entreainsi-dits « partenaires sociaux » ; l'objectif, c'est une « union sacrée » en faveur d'une compétitivité des entreprises, conditionnée par la flexibilisation du travail, la mise en pièce du code du travail, la baisse du coût du travail et des dépenses publiques. Soit dit en passant, cette logique d'union sacrée, de collaboration de classe patronat-salariés est aussi celle que défend le Front national, dans une version nationaliste de repli et de stigmatisation de l'étranger, capital « apatride » et travailleurs immigrés confondus.
Le Medef donne le ton ; il martèle, avec un esprit de suite remarquable, ses arguments sur l'entreprise, la compétitivité, le coût du travail, avec le relais suiviste de Hollande et Valls.
Quelques citations pour illustrer :
Hollande : « J'ai fait … le choix de la compétitivité, parce qu’on ne peut rien construire, rien, sans qu’il y ait des entreprises solides … Soutenir les entreprises, c’est soutenir ceux qui y travaillent … C'est le sens du pacte de responsabilité. »
Gattaz : « Le pacte de responsabilité, c'est une révolution culturelle pour faire accepter l'entreprise comme alpha et oméga de la création de richesse. »
« L’entreprise n'est ni à droite ni à gauche ; elle doit être hors du débat politique. »
« il faut enfin cesser d’opposer ménages et entreprises, salariés et entreprise, de parler de « cadeaux aux entreprises ou de cadeaux aux patrons. »
« Pour relancer l’investissement, nous avons besoin de capital, de fonds propres, de dividendes et de plus-values... La France doit faire sa révolution culturelle, accepter que l’entreprise est le cœur de l’économie. »
« Tout notre travail, c'est justement de faire du social, de lutter contre le fléau du chômage. Mais pour cela, il faut être compétitif. »
et quand Manuel Valls lui emboîte le pas devant l'Université d'été du Medef, c'est quasiment un copié-collé :
«Cessons d’opposer systématiquement ! D’opposer État et entreprises ! D’opposer chefs d’entreprise et salariés, organisations patronales et syndicats ! Cherchons plutôt à coopérer, à trouver des chemins qui servent l’intérêt général… ce sont les entreprises qui, en innovant, en risquant les capitaux de leurs actionnaires, en mobilisant leurs salariés, en répondant aux attentes de leurs clients, créent de la valeur, génèrent des richesses qui doivent profiter à tous. Moi j’aime l’entreprise … Ce sont les entreprises qui créent des emplois. Il n’y a pas d’emplois sans employeurs ; c'est pourquoi il est absurde de parler de « cadeaux faits aux patrons » . Une mesure favorable aux entreprises, c’est une mesure favorable au pays tout entier… quand les entreprises gagnent, c’est la France qui gagne. »
Gattaz situe le niveau de l'enjeu quand il parle de « révolution culturelle ». Une contre- révolution plutôt : c'est avec l'exception française qu'il s'agit d'en finir, avec une culture de lutte de classes dont Marx avait relevé l'originalité, et qui a été facteur de grandes conquêtes de progrès. Il s'agit dans cette longue période de crise du système capitaliste, et alors qu'une nouvelle phase aiguë de cette crise s'approche, de désarmer les salariés et de fermer la porte à toute perspective de changement pour laisser la voie libre à la course au profit, sur le dos des salariés et du potentiel productif.
De fait, cela pèse contre les luttes face aux licenciements, aux suppressions d'emplois, aux fermetures et délocalisations d'entreprises. Il y a besoin d'agir avec autant de ténacité au plus près des salariés, pour donner confiance dans une autre logique, avec des arguments convaincants, des propositions alternatives audacieuses et réalistes, à même de rassembler les salariés. N'est-ce pas aussi essentiel pour une contre-offensive efficace face à la séduction du FN, son exploitation du désespoir social, du sentiment d'impuissance de la politique et sa division des salariés ?
On ne peut se limiter à dénoncer l'action et les projets du patronat et du pouvoir; il s'agit d'organiser en grand sur le terrain, dans des actions concrètes, avec des propositionsprécises et cohérentes, la bataille de la responsabilisation sociale, territoriale et environnementale des entreprises.
Vous le savez, vous en êtes les acteurs, nous sommes, comme parti politique, pleinement partie prenante des luttes pour la défense du potentiel productif et de l'emploi (je pense à nos initiatives et interventions locales et nationales dans des batailles comme celles des salariés d'Arcelor-Mittal, d'Alstom, de la SNCF, de Sanofi, de Petroplus, de Fralib, de Kem
One, et tant d'autres qu'on me pardonnera de ne pas nommer). C'est l'occasion de présenter, débattre, expérimenter nos propositions comme l'a fait par exemple Pierre Laurent dans sa lettre à François Hollande à propos d'Arcelor-Mittal, ou en s'adressant publiquement à Manuel Valls avec des propositions alternatives au dépeçage d'Alstom. Dans les deux cas, nous avons mis en avant notamment des contre-propositions concernant le financement, le crédit bancaire et un processus de nationalisation, en cherchant à les appliquer aux situations concrètes de ces groupes.
Nos élus, du local au national et jusqu'au niveau européen mettent leurs moyens d'intervention au service des luttes. Au delà des actes de soutien, je pense à différentes propositions de loi visant la sécurisation de l'emploi, ou encore à des commissions d'enquête (rapport d'Alain Bocquet sur la sidérurgie, rapport de Michelle Demessine sur le CICE, Commission d'enquête sur l'industrie aéronautique demandée en liaison avec notre réseau de l'aéro et du spatial par André Chassaigne, etc...).
Ces expériences permettent de vérifier l'utilité d'élus en phase avec les luttes, et la nécessité de relations de travail, avec le mouvement syndical et les associations concernées, celle du dialogue et la possibilité de convergence, avec des élus des territoires, au-delà des nôtres, et jusqu'à des patrons de PME.
Comme le soulignait le texte préparatoire, la bataille politique à mener ne consiste pas seulement à interpeller l’État, mais tout autant le patronat et les banques. L'action politique transformatrice, pour être efficace et regagner en crédibilité face au sentiment d'impuissance de la politique qui la discrédite, doit viser à conquérir des positions de pouvoir étatiques, et des pouvoirs de décision face au patronat, aux actionnaires, aux marchés financiers pour la mise en œuvre de critères nouveaux de gestion des entreprises et d'attribution des moyens financiers.
Cela n'appelle-t-il pas d'ailleurs à dépasser la conception d'une coupure – luttes sociales à l'entreprise face au patronat – action politique dans les institutions pour interpeller l’État ; à lier dans l'action à tous les niveaux, de l'entreprise au Parlement, les objectifs de progrès sociaux, avec les moyens financiers et les pouvoirs qui en conditionnent la réalisation.
D'ores et déjà peuvent être évoquées, pour en débattre, à partir des idées abordées hier, et sans que cela soit limitatif, quelques pistes d'actions immédiates :
Tout cela a besoin d'être approfondi, précisé. Le chantier de travail et d'action est considérable. Cette convention nous permet d'avancer, de formuler les axes d'une vision cohérente, pour une nouvelle industrialisation. C'est utile tout de suite pour agir, comme pour le débat à gauche sur le contenu d'une alternative. Mais c'est aussi à considérer comme une étape dans un travail à poursuivre durablement. C'est pourquoi est envisagée la constitution d'une commission « Industrie-Modèle productif » travaillant en lien étroit avec la commission Entreprises, comme c'est déjà le cas avec la commission Économique.
Notre analyse, notre responsabilité d'action nous amène enfin logiquement à ouvrir une réflexion sur la question de notre organisation. Il y a besoin d'un PCF à même de porter à la hauteur de l'enjeu la bataille politique dans les entreprises.
Le « compromis historique » prôné par Hollande est un compromis de régression sociale, et d'enfoncement dans la crise ; il s'agit, comme le soulignait le texte préparatoire, de lui opposer le défi d'un nouveau compromis social de progrès, à l'image de celui réalisé hier dans le cadre du CNR dans les conditions de l'époque, mais devant aller bien au delà. Cela concerne particulièrement un recul sans précédent des critères et du système de pouvoir capitaliste dans la production et les services en même temps que la promotion de nouveaux rapports de la France à l'Europe et de celle-ci au monde.
Il s'agit de rassembler :
Cette bataille a une dimension et des enjeux proprement politiques ; les syndicats agissent sur ce terrain, et leur intervention sur les stratégies d'entreprises, leur gestion, ainsi que sur la politique du gouvernement a bien sûr une portée politique ; mais ils n'ont pas vocation à couvrir tout le champ de l'action politique susceptible de changer le rapport de force. Pour sa part, le Parti communiste a la responsabilité de s'impliquer avec ses initiatives, ses propositions, et cela ne peut qu'aider le mouvement syndical, les luttes.
Cela nous renvoie au besoin d'être organisés dans les entreprises.
En effet, pour une telle bataille, une intervention politique de l'extérieur des entreprises, si utile soit-elle, ne saurait suffire. La situation, la nature de la bataille à mener fondent le
besoin de communistes organisés pour l'action et la bataille idéologique parmi les salariés, à l’intérieur des entreprises, dans les bassins d'emploi, et à l'échelle des groupes et branches de l'industrie et des services.
On ne peut pas laisser l'entreprise au patronat. Et nous ne sommes pas de ceux qui pensent que, désormais le combat serait ailleurs, que « l'entreprise n'est plus un lieu de socialisation politique ».
Avancer dans une ré-organisation dans les entreprises est une clé pour les luttes immédiates et pour avancer dans la construction d'un rassemblement populaire transformateur. Ne faut-il pas l'envisager aussi comme un atout indispensable face aux forces du capital dans le cadre d'un processus victorieux de transformation.
Nous avons beaucoup reculé, et notre culture originale d'organisation politique à l'entreprise aussi. Nous avons besoin non pas de chercher à refaire à l'identique ce qui a existé, mais de chercher comment nous donner les moyens de répondre aux défis d'action politique d'aujourd'hui, dans le salariat et les entreprises tels qu'ils sont, au défi d'unité du salariat face à tout ce qui le divise, d'affirmation consciente de la classe ouvrière d'aujourd'hui.
Je dis « chercher comment », parce qu'il n'y a pas de réponse toute faite, ni facile. Et on voit bien les obstacles de toutes sortes.
Des cellules, quelques sections ont continué d'exister ou dans quelques cas se sont constituées. Certaines fonctionnent activement, d'autres moins. Quelques formes de réseaux ont été expérimentées. Une évaluation serait utile.
Mais, au total, on est loin du compte. Beaucoup d'adhérents du parti sont des salariés ou des retraités de l'industrie et des services, mais peu sont organisés pour agir dans le champ de l'entreprise. En même temps, le parti est très sollicité par les batailles électorales, incontournables, mais qui ne nous rapprochent pas forcément des entreprises.
Comment avancer ?
Ne faut-il pas mettre les enjeux de fond en débat, autrement dit prolonger dans le parti à tous les niveaux nos débats de ce week-end, tout en cherchant à avancer dans une
construction :
Je ne pense pas que nos débats de ce week-end auront le pouvoir de tout résoudre. Mais, en appui sur le chantier de notre projet pour l'industrie, ils peuvent contribuer à motiver, à donner envie d'ouvrir une phase nouvelle de ré-organisation et de renforcement du Parti communiste dans les entreprises de l'industrie et des services, pour le plus grand bien d'un nouvel élan du PCF au service des travailleurs, de leurs luttes, d'un rassemblement transformateur.
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