Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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L’impôt sur le revenu a cent ans et pas toutes ses dents !

Il y a 100 ans au cours du mois de juillet 1914, soit peu de temps avant le déclenchement de la Première Guerre mondiale, était votée la création d’un impôt effectif sur le revenu. Son histoire est très tourmentée. Aujourd’hui l’enjeu d’une nouvelle évolution de l’impôt progressif sur le revenu porte en définitive sur l’augmentation de la part du produit des prélèvements directs et progressifs dans les recettes fiscales de l’État afin de faire reculer le poids des prélèvements proportionnels, au premier rang desquels se situe la TVA, qui ne tiennent absolument aucun compte des capacités contributives réelles des citoyens contribuables.

Le moins qu’on puisse constater est que la France n’était pas particulièrement en avance en ce domaine sur ses voisins européens, notamment sur la Grande-Bretagne qui avait adopté depuis 1842 un impôt progressif sur les différents revenus de chaque contribuable et l’Allemagne qui s’était dotée dès 1893 d’un impôt progressif sur le revenu des ménages.

C’est après de longs et houleux débats que la France adoptait le principe d’un tel impôt dont on attribue la paternité à Joseph Caillaux, ministre des Finances de l’époque. Mais cela ne doit pas faire oublier le rôle important du mouvement social et notamment du syndicalisme de l’époque incarné par la CGT dans cette conquête.

Cet impôt, fruit d’un parcours compliqué, a connu par la suite une histoire tout aussi complexe. Il aura fallu deux lois, celle du 15 juillet 1914 et du 31 juillet 1917, pour en assurer l’installation définitive dans l’arsenal fiscal national. Et avant de devenir un impôt général sur le revenu, il se présentait sous la forme de taxations propres à divers revenus, classés en cédules d’imposition, connu sous le vocable d’impôt cédulaire (impôt qui taxe différemment chaque catégorie de revenu en fonction de son origine). Par la suite, cet impôt a rendu le législateur très prolixe.

à ce stade un historique brossé à très grands traits de l’évolution de l’impôt et de la fiscalité en France nous permet d’observer comment au gré des conjonctures économiques, les divers prélèvements mis en œuvre témoignent de la complexité naturelle de tout système fiscal, et cela quelle que soit l’époque. Car dans la plupart des cas ces prélèvements puisent leur origine dans des difficultés financières conjoncturelles, soulignant en contrepoint l’incapacité de l’État de se doter d’une organisation fiscale et d’outils fiscaux adaptés aux enjeux économiques et financiers du moment. Cela fut particulièrement manifeste lors de l’accroissement de la dette publique résultant des grandes spéculations boursières sous Louis XVI. Et, dans un contexte différent à bien des égards, mais qui n’est pas sans ressemblances, c’est également le cas aujourd’hui.

En cela, on ne peut ignorer que la fiscalité de l’Ancien Régime a préfiguré la fiscalité moderne dans une certaine forme de spécialisation des impôts faisant se côtoyer des impôts généraux et des impôts spéciaux, frappant soit des produits particuliers soit des services (par exemple aujourd’hui, la TICPE ex TIPP).

On peut ainsi dire que la fiscalité de l’Ancien Régime se caractérise par la coexistence de trois catégories d’impôt 

– Un impôt royal (perçu au profit du Trésor royal) ;

– Un impôt seigneurial (impôt local perçu au profit des seigneurs) ;

– Un impôt d’Église (perçu au profit de l’Église).

À cette hétérogénéité s’ajoutait la distinction entre les impôts directs et les impôts indirects.

Sous l’Ancien Régime seul le Tiers-État était soumis à l’impôt, noblesse et clergé n’en payaient pas. à la Révolution, l’Assemblée abolit les privilèges ce qui se traduit par la suppression de la dîme et des droits seigneuriaux et l’instauration du principe mettant chacun à égalité devant l’impôt. Sur ce fond de justice et d’égalité, cette proposition est votée.

à partir de cet événement historique charnière, on peut analyser l’évolution de l’impôt et de la fiscalité en France à l’aune des différents prélèvements suivants :

Sous l’Ancien Régime

Impôts royaux directs

La taille : pratiquée depuis le début du moyen âge, elle est votée définitivement en 1 439 et devient définitivement annuelle.

La capitation : mis en place en 1 695 cet impôt sur les personnes touche tous les Français, y compris les privilégiés. Il est calculé à partir d’une répartition de la population en 22 classes reflétant le rang de la personne et l’estime qu’on en a. Le clergé en est exclu. Les pauvres qui payent moins de 40 sous en sont exempts. Il durera jusqu’à la Révolution après une courte interruption entre 1697 et 1702.

Le vingtième : se substitue au dixième, impôt cédulaire (1710-1749). Le vingtième est instauré à partir de 1750 et représente un prélèvement de un vingtième sur tous les revenus, privilégiés y compris. Il n’alimente pas le Trésor royal mais une caisse destinée à faire face aux remboursements des dettes de l’État.

Les impôts indirects

La gabelle : créée en 1355 par les États généraux, est un impôt sur le sel. Il sert notamment à financer l’armée alors que le royaume est en pleine guerre de Cent Ans. Les États généraux créent en la même occasion l’office de général super-intendant, chargé de contrôler la levée des impôts collectés pour le compte du roi hors du domaine royal. La gabelle comportait six régimes différents au sein desquels les prix du sel variant très fortement, ce qui occasionnait une importante fraude.

Autres impôts : « les traites » et « les aides »

Les traites sont des droits prélevés à l’entrée non seulement du Royaume (sorte de droits de douanes) mais de certaines provinces.

Les aides sont des impôts sur la consommation et la circulation des denrées (boissons, huiles, papiers, bétail, poisson de mer, or, etc.) Leur montant était d’une grande disparité d’une province à l’autre.

L’impôt ecclésiastique

La dîme : instituée par Charlemagne (fin du viie siècle)  est la source principale des revenus de l’église. Elle ne porte que sur les fruits de la terre et ne concerne aucun produit fabriqué. Prélevée en nature elle s’applique aussi bien aux terres appartenant au roi, à la noblesse qu’au clergé. Elle est divisée en grosses dîmes (sur le blé et le vin) et menues dîmes (autres céréales et autres produits de la terre).

Quelques impôts seigneuriaux spécifiques

Au-delà de la taille, rétribution de la protection du seigneur, on peut relever au titre des contributions les plus marquantes :

Les corvées : service physique rendu par les paysans au seigneur (nettoyer les fosses) ;

Le Cens : taxe fixe payée tous les mois par le paysan au seigneur ;

Le Champart : loyer payé pour la location des terres au seigneur, calculé en fonction de la récolte.

Ne sont cités ici que les principaux prélèvements en vigueur sous l’Ancien Régime, leur liste exhaustive serait trop longue et mériterait une étude particulièrement détaillée. Il est cependant possible de constater la grande disparité fiscale qu’avait entraînée le système d’imposition en vigueur sous l’Ancien Régime, ainsi que la lourdeur des prélèvements subis par les contribuables, sujet important de préoccupation dès le début du xviie siècle, à la mort de Louis XIV.

Sous la régence, Philippe d’Orléans, inquiet de cette situation, adresse dès le 4 octobre 1715 une lettre à « Mrs les intendants commissaires départis dans les provinces », dans laquelle il pointe le poids excessif des différentes taxes et annonce son intention d’établir un système d’imposition plus juste et plus égalitaire. C’est la révolution de 1789 qui allait faire le travail.

A partir de la Révolution de 1789

Dès 1790-1791, les impôts indirects dont l’exécrée gabelle sont supprimés. Une vaste politique de réforme fiscale conduit à la refonte du système fiscal français. Les impôts de l’Ancien Régime sont supprimés et quatre grandes contributions directes voient le jour :

La contribution foncière, sur les biens fonciers, (23 novembre 1790) ;

La contribution mobilière sur le logement, (février 1791) ;

La contribution des patentes, assise sur l’industrie et le commerce, (mars 1791) ;

La contribution des portes et fenêtres, fondée sur le nombre et la taille des fenêtres des immeubles (novembre 1798).

Ainsi la fiscalité du xixe siècle est fondamentalement axée sur le patrimoine. Elle fait abstraction des revenus d’activité, notamment des produits du capital certes encore imprécis, pour se concentrer essentiellement sur la fortune.

C’est ainsi qu’au cours du xixe siècle il sera tenté de pallier cette « carence ». Dès la Révolution de 1848, Proudhon propose la création d’un impôt du tiers frappant les revenus des biens mobiliers et immobiliers. Reprise par les Républicains cette idée débouche en 1872 sur la création de l’impôt sur les revenus mobiliers, Gambetta avançant, dès 1876, la création d’un impôt proportionnel sur tous les revenus. Cette proposition ne sera suivie que de la création, en 1896, d’un impôt sur les revenus boursiers, bien que Clémenceau ait dès 1880 repris la revendication de la création d’un impôt sur le revenu.

Au xxe siècle : le siècle de la création fiscale

Aujourd’hui, il ne subsiste quasiment rien des impositions révolutionnaires. La fiscalité française, telle qu’elle existe actuellement, est née au xxe siècle. La création de l’impôt sur le revenu est finalement adoptée, le 7 juillet 1914.

La principale caractéristique de la fiscalité du xxe siècle est une évolution de la mentalité fiscale faisant de l’impôt non plus seulement le moyen visant à entretenir « la force publique et les dépenses d’administration » mais à assurer désormais le financement de services sociaux de plus en plus étendus, ainsi qu’une redistribution sociale.

C’est dans ce contexte que naît et se développe l’impôt sur le revenu. Sorte de serpent de mer depuis 1896. Il voit donc le jour en 1914 et il faut attendre 1948 (1) pour sortir de la conception d’un impôt cédulaire et passer à un impôt sur le revenu des personnes physiques. Celui-ci comportait deux éléments : une taxe proportionnelle sur les divers revenus du contribuable (à l’exception de certains revenus exonérés) et une surtaxe progressive calculée sur le revenu net global du contribuable (y compris les revenus exonérés de taxe proportionnelle). Ces deux taxes constituaient les deux éléments d’un seul et même impôt.

Une réforme définitive interviendra avec le vote de la loi du 28 décembre 1959. Les anciennes taxes proportionnelles et surtaxe progressive sont supprimées. Leur est substitué, à compter du 1er janvier 1960, un impôt annuel unique sur les revenus des personnes physiques.

Aujourd’hui le constat qui peut être tiré du fonctionnement de l’impôt sur le revenu est qu’il ne remplit pas ou plus son rôle redistributif initial. En cause, les évolutions régressives qu’il a connues, notamment sous l’ère Sarkozy (réduction du nombre de tranches, abaissement du taux sommital, intégration dans le barème de l’abattement de 20 %) et dernièrement avec la non actualisation du montant des tranches du barème par rapport à l’inflation.

Pour redevenir un outil efficace de la solidarité nationale, l’impôt sur le revenu doit retrouver une vraie progressivité par une augmentation de son nombre de tranches d’imposition et par le rehaussement de son taux sommital à 65 %. Il doit également intégrer dans le calcul de son assiette (base), l’ensemble des revenus des personnes physiques c’est-à-dire les revenus du travail et du capital ; revenus de capitaux mobiliers et plus-values de cession, notamment. Cet impôt doit aussi être toiletté, particulièrement s’agissant des niches fiscales dont il est mité afin de ne conserver que celles ayant une utilité sociale reconnue et effective. L’enjeu d’une nouvelle évolution de l’impôt progressif sur le revenu porte en définitive sur l’augmentation de la part du produit des prélèvements directs et progressifs dans les recettes fiscales de l’état afin de faire reculer le poids des prélèvements proportionnels, au premier rang desquels se situe la TVA, qui ne tiennent absolument aucun compte des capacités contributives réelles des citoyens contribuables. n

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(1) Quelques autres repères fiscaux :

– Instauration du quotient familial en 1945 ;

– Création de l’impôt sur les sociétés par le décret du 9 décembre 1948[2], modifié par une loi du 28 décembre 1959 ;

– Création de la TVA en 1954 ;

– Remplacement des contributions foncières par la taxe foncière sur les propriétés bâties et non bâties en 1959.

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