Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Budget européen en crise : choc entre intérêts capitalistes

Rosa Moussaoui

La tentation est grande, pour ceux qui ont défendu le «oui» à la constitution européenne, de mettre sur le compte des «non» français et néerlandais le fiasc o du Conseil européen des 17 et 18 juin derniers, qui s’est conclu par un échec des négociations sur les perspectives financières 2007-2013 . En réalité, le blocage était programmé de longue date.

 

Dès le conse il européen de mars , Jacques Chirac s’en prenait au raba is con quis à l’usur e par Margaret Thatcher en 1984, et dont les Britann iques bénéficient sur

leur contr ibution au budget de l’Union. Et le 22 mai dernier, une semaine avant le référendum frança is, le ministre des Finances de Tony Blair, Gordon Brown, prévenait que la Grande Bretagne était prête à utiliser son veto pour défendre son «chèque». M. Brown avait fait cette annonce quelques heures avant une rencontr e des ministres européens des Affaires étran gères en réact ion à une (première) proposition de com promis luxembourgeois remettant en cause la ristourne britannique. Outre qu’elle avait l’avanta ge de «noyer le poisson const itutionne l», la crispat ion autour des pers pectives financières tradu it et accé lère l’un des aspects de la crise multiforme que traverse l’Union européenne .

La Grande Bretagne a donc défendu bec et ongles, comme elle l’avait annoncé , le raba is consent i il y a plus de vingt ans et qui lui permet de rédu ire de deux tiers sa contr ibution à un budget dont elle estime qu’il lui est défavora ble en termes de retombées strictement nationales. Alors qu’il s’élevait à 4,6 milliards d’euros en 2003, il doit, s’il n’était pas remis en cause , augmenter mécan iquement pour atte indre les 7 milliards d’euros par an entr e 2007 et 2013, ce qui dispensera it Londres de toute contr ibution au financement de l’élargissement . Les propositions de la présidence Luxembourgeoise de limiter le raba is à son niveau actue l, puis de le plafonner à 5,5 milliards d’euros ont été fermement refusées par les Britanniques.

De son côté , Jacques Chirac, encor e sonné par les résu ltats du référendum, n’a pas appr écié les atta ques en règles multipliées par Tony Blair contr e la politique agricole commune , jugée « archaïque ». Seule véritable politique intégrée, la PAC absorbe 40% des dépenses , soit environ 50 milliards d’euros par an. En 2002, elle avait fait l’objet d’un accor d, les Etats membr es s’engageant à maintenir les aides agricoles à leur niveau actue l jusqu’en 2013.

La France , principale bénéficiaire de la PAC (23%), s’est opposée à toute remise à plat imméd iate et globale. Tony Blair n’a pas hésité à revenir sur l’ accor d scellé en 2002, prônant un rééqu ilibr age au profit des dépenses de « com titivité » : infrastructur es, recherche, innovation, qu’il a précisé, lors de son inter vention devant le parlement eur opéen, vouloir branc hées « sur le business ». Autre argument imparab le mis en avant par l’hôte de Downing Street, souda inement très soucieux du sor t des Pays du sud : les subventions de l’Europe à son agriculture handicapent sérieusement celle des pays les plus pauvres. L’inte lligence de Tony Blair cons iste ici à taper

«là ça fait mal» : incontesta blement , la PAC, qui, dans sa configurat ion actue lle, favorise l’agrobusiness , le productivisme et les aides aux exploitants les plus riches, doit êtr e, non pas abandonnée , mais profondément réformée . Derrière ce bras de fer franco britann ique qui a occu le devant de la scène médiatique : Stockholm et la Haye, principaux payeurs , avec respectivement 304 et 280 euros par an et par habitant , ont refusé de céder sur leur exigence de baisse de leur contr ibution, Paris et Berlin refusant de payer plus pour l’élargissement . D’où le veto de la Suède et des Pays Bas. Enfin, du côté des bénéficiaires des fonds structur els, l’enveloppe globale reste largement insuffisante au regard des besoins de développement des 10 nouveaux entrants , Bulgarie et Rouman ie com prises. C’est ce qui a con duit l’Espagne à aller au clash en refusant la nouvelle enveloppe. Lors de ce sommet , chaque Etat s’est en fait évertué à défendre sa marge, sans que jamais, les quest ions de fon d soient posées . Sur les recettes d’abord : elles sont restées , dans toutes les configurat ions proposées , largement en deçà du niveau nécessa ire, pour répondr e aux besoins des populations européennes , «réuss ir» l’élargissement , investir dans la recherche et l’innovation, financer des politiques favora bles à l’investissement et à l’emploi pour relancer une croissance dura blement en panne. Or, en février dernier déjà, six contr ibuteurs nets aux finances de l'UE (Allemagne, France , Royaume Uni, Pays-Bas, Suède, Autriche) avaient, ensem ble, réclamé le plafonnement de l'enveloppe budgétaire de l'Union à 1% du PIB. Contra ints par le carcan du Pacte de stab ilité budgétaire, confrontés pour la plupart à une croissance molle, ces pays ont refusé de poser sérieusement la quest ion du montant du budget de l’Union, qui ne peut, dans la construct ion actue lle, recour ir à l’emprunt. Mais l’échec des négociations sur les pers pectives financières (un accor d «techn ique» était trouvé, assur ent de nom breux négociateurs) est auss i, et peut-être avant tout , un symptôme de l’aporie dans laquelle se trouve aujourd’hui le projet européen. Se posent dès lors toutes les quest ions soulevées par les «non» frança is et néer landais. La construct ion européenne doit-elle êtr e mise au ser vice de la Finance , de la renta bilité maximale des capitau x, ou doit elle offrir à ses citoyens une voie moderne , originale de développement , axée sur la croissance , l’emploi, la solidarité ? A cette quest ion, Tony Blair, à la faveur de l’impasse dans laquelle se trouve une Union cou pée des citoyens européens , enten d répondr e, en plein accor d avec la Commission de Bruxelles, par l’accé lérat ion des réformes libéra les (en particulier pour le marché du travail), qui ont déjà, y com pris en France , des effets humains, sociaux et économ iques désastr eux.

Quant aux pers pectives financ ières 2007-2013, il est for t peu probable qu’un accor d soit trouvé pendant les six mois que durera la présidence britann ique..

 

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