Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Réforme des stages: les propositions de "GénérationPrécaire»

Parmi les multiples facettes de la précarité dans notre pays, il y a celle de la situation des stagiaires, un mouvement «Génération Précaire» en porte depuis 2005 le combat. Nous reproduisons ci-dessous le tableau qu’il dresse de leur vécu et les propositions qu’il avance pour en finir avec l’injustice et favoriser l’emploi

 

La situation des stages en France (1)

Conçus à l’origine comme une ouverture du monde universitaire au monde professionnel, les stages ont acquis une importance décisive dans l’insertion professionnelle. Dans un contexte de chômage massif des jeunes, les stages ne constituent plus un « tremplin pour l’emploi » mais tendent à enfermer les jeunes actifs dans la précarité.

Des stages plus nombreux ettoujoursplus longs Le Conseil Economique et Social chiffre à 800.000 le nombre de stagiaires chaque année. De son côté, l’APEC estime que 90% des diplômés de niveau bac + 4 et plus ont effectué au moins un stage au cours de leurs études, 50% en ayant effectué trois ou plus. Par ailleurs, la durée des stages s’est allongée. Les formations de troisième cycle recommandent ainsi des stages d’une durée de quatre à six mois. Des formations d’écoles de commerce ou d’ingénieurs incitent quant à elles leurs étudiants à effectuer des stages d’un an dans le cadre d’années «de césure». Pour une majorité d’étudiants, la durée totale de travail comme stagiaire au cours de leurs études dépasse aujourd’hui un an. Le stage est devenu de facto une étape obligatoire dans le parcours des étudiants, un pré-requis indispensable mais certainement pas suffisant pour l’obtention d’un emploi stable.

Lamisdispositiond’unevéritableforcedetravail La multiplication des stages pour les étudiants et l’allongement régulier de la durée des études ont fourni aux entreprises, administrations et associations une quantité croissante de stagiaires. Confrontées à une conjoncture économique difficile, les employeurs ont peu à peu appris à utiliser cette main d’œuvre dont la rémunération n’est pas obligatoire.

 

Le «contrat moral» initial du stage, outil « gagnant-gagnant », mi-pédagogique, mi-professionnel, s’est peu à peu perdu. Il est aujourd’hui fréquent que les stagiaires occupent de véritables postes de travail, sans aucune dimension pédagogique. Plus grave, des stagiaires se succèdent parfois indéfiniment sur un même poste remplaçant ainsi un salarié permanent. Confrontés à un marché de l’emploi caractérisé par un très fort taux de chômage des jeunes, les stagiaires acceptent d’occuper des postes de salariés. Près de 25% des jeunes actifs sont touchés par le chômage (Insee, 2005) et préfèrent travailler « gratuitement » comme stagiaires plutôt que de renoncer à leur insertion dans le domaine ans lequel ils se sont spécialisés et de se désinsérer socialement et professionnellement. Plus grave encore, de nombreux diplômés prolongent artificiellement la durée de leurs études à la seule fin de continuer à effectuer des stages. Pour autant, le statut juridique des stages ne s’est pas adapté à cette évolution.

Un gime juridique inadapté

Alors que les apprentis et les étudiants en contrat de professionnalisation bénéficient d’une reconnaissance et d’un statut, le droit du travail ignore les stagiaires. Les stagiaires ne sont jamais considérés comme des salariés mais comme des étudiants. Leur protection sociale relève de l’université. Ils ne bénéficient d’aucune des protections assurées par le droit du travail et ne peuvent prétendre à une rémunération. Un arrêté du 20 décembre 1986 exonère de cotisations sociales les entreprises qui «gratifient» leurs stagiaires en stage obligatoire conventionné d’un montant inférieur à 30% du SMIC. Cette disposition crée un effet de seuil important, au point que des rémunérations supérieures sont très rares, indépendamment du travail fourni par le stagiaire et de la durée du stage. Mais bien souvent les stagiaires ne bénéficient d’aucune rémunération, en particulier pour les stages effectués dans le secteur public.

Les stagiaires ne bénéficient d’aucun droit en contrepartie de leur travail :

  1. Pas le droit de participer au financement de la protection

sociale : Les stagiaires ne cotisent notamment ni pour la retraite, ni pour l’assurance chômage

  1. Pas le droit de toucher une rémunération décente pour leur

travail : La quasi-totalité des stagiaires gagne au maximum 30% du SMIC, soit 360 euros... ou environ 60% du seuil de pauvreté... Le statut de stagiaire est en outre incompatible avec la perception du RMI.

  1. Pas le droit de prendre des congés payés ou de bénéficier

de RTT : un stagiaire travaille donc plus longtemps que ses collègues salariés.

  1. Pas le droit de saisir les Prud’hommes, de se syndiquer ou

de revendiquer une amélioration de son statut : un stagiaire peut ainsi être renvoyé du jour au lendemain sans motif, sans préavis ni indemnités.

Des conséquences sociales destructrices Néfastes d’un point de vue économique social, les stages abusifs jouent contre l’emploi des jeunes et au-delà, pèsent sur l’ensemble de la société.

Pour les étudiants et les jeunes actifs :

  1. Chômage massif et difficultés d’insertion : les stages, en

remplaçant parfois de vrais postes (CDD / CDI) sont un obstacle supplémentaire à l’insertion des jeunes actifs.

  1. Infantilisation durable des jeunes adultes : du fait de leur précarité, les jeunes actifs ne peuvent pas s’autonomiser. Ils rencontrent notamment de grandes difficultés d’accès aux logements ou au crédit.

  2. Problème psychologique du manque de reconnaissance :

l’insertion dans l’entreprise par le stage est souvent vécue comme une humiliation. Les jeunes développent alors un sentiment de défiance envers un monde du travail apparemment sans loi ni considération.

 

Pour le marc du travail et l’économie :

  1. Concurrence déloyale entre entreprises : les entreprises qui

abusent des stages instaurent une concurrence destructrice en réduisant indument leurs coûts de production (dumping social)

  1. Précarisation générale des salaires et des conditions de travail : Les stagiaires ne sont qu’une facette des invisibles, les «sansdroits», les intérimaires, les pigistes, les intermittents, les «temps partiel imposés», etc. Du fait du statut actuel des stagiaires, les entreprises n’ont en effet pas intérêt à proposer des heures supplémentaires, de nouveaux postes, des piges ou des missions d’interim...

  2. Un frein à la mobilité professionnelle : les personnes qui souhaiteraient se réorienter y renoncent de peur d’être confrontées à la « concurrence déloyale » de stagiaires sous-payés.

 

Pour la société en général :

  1. Coût accru de la formation pour les familles : 90% des diplômés ont fait au moins un stage et 50% en ont fait plus de trois, les jeunes adultes sont donc autonomes de plus en plus tardivement. Certains redoublent exprès pour conserver leur statut d’étudiant et obtenir une convention de stage.

  2. Accentuation des inégalités sociales : l’expérience professionnelle et les stages sont devenus un critère décisif pour l’obtention du premier emploi. Ceux qui n’ont pas été en mesure de financer une année ou plus de stages sont « disqualifiés » dans leur recherche d’emploi.

 

Des propositions simples pour en finir avec l’injustice et favoriser l’emploi

Statut et rémunération, pour rendre au stage son caractère pédagogique et utile pour l’insertion professionnelle

 

1/ Inscrire le statut du stagiaire dans le Code du Travail Nous demandons que le statut du stagiaire relève du Code du Travail pendant la durée de son stage, avec les droits et obligations afférents, au même titre que les apprentis ou les étudiants en contrat de professionnalisation. La durée du stage doit également être limitée dans le temps. Il nous semble par ailleurs essentiel que l’impact des stages sur le marc du travail et la population active soit enfin pris en compte dans les études publiques, type INSEE.

 

2/ Responsabilisation des parties prenantes :

Nous souhaitons que le stage retrouve son caractère pédagogique et favorise l’insertion des jeunes actifs. La loi doit préciser les obligations de chacun.

Pour l’organisme de formation :

  1. Obligation de contrôler l’adéquation du stage avec la formation dispensée

  2. Faculté de dénoncer la convention de stage si l’institution d’accueil n’assure pas d’encadrement pédagogique

Pour l’entreprise, administration ou association d’accueil :

  1. Obligation d’instaurer un tutorat adéquat

  2. Respect d’un délai de carence entre deux stagiaires sur un même poste

  3. Instauration d’un quota de stagiaires par rapport au nombre de salariés

 

Pour le stagiaire :

  1. Obligation d’évaluer l’apport de son stage par rapport à sa

formation, ainsi que la qualité de l’accueil et de l’encadrement pédagogique dont il a bénéficié.

  1. Respect du lien de subordination qui le lie à l’employeur.

 

3/ Instaurer une rémunération minimale, progressive, et assujettie aux contributions sociales

  1. Rémunération minimale : nous demandons que les stages soient systématiquement rémunérés à hauteur de la moitié du SMIC et que ce niveau devienne le plancher obligatoire et minimum. Objectif : donner corps au principe selon lequel «Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante» (Article 23 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme). Ce niveau minimal de rémunération reflète la valeur du stage qui doit être à la fois une période de travail et une expérience pédagogique.

  2. Rémunération progressive : nous demandons une progres-

sion de la rémunération en fonction du nombre de mois de stage effectués. Objectif : remédier aux stages longs le stagiaire devient « rentable » en réduisant l’écart, aujourd’hui considérable, entre un employé « régulier » et un stagiaire. Ce système simple, facilement applicable, et non discriminant, permet en outre de ne pas pénaliser les employeurs qui souhaitent s’inscrire dans une véritable démarche de formation et qui recrutent des stagiaires sur une durée plus courte.

  1. Rémunération assujettie aux cotisations sociales : il nous semble essentiel que les stagiaires comme les employeurs participent pleinement au fonctionnement du système de protection sociale en s’acquittant de toutes les cotisations sociales en vigueur et ce, dès le premier euro de rémunération. Objectif : inscription du stage comme véritable composante du système français de protection sociale.

 

(1) Avertissement : ce document traite uniquement des stagiaires étudiants du supérieur ou bénéficiant d’une convention délivrée par un organisme habilité. Ne sont donc pas concernés : Les stages "d’observation" de très courte durée Les stages des élèves du secondaire Les stages de la formation professionnelle continue des salariés Les stages des étudiants en contrat d’apprentissage Les stages des étudiants en contrat de professionnalisation.

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