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Ce que le Medef cache aux Français

La semaine d’action de l’organisation qui commence ce lundi vise à créer un écran de fumée sur les difficultés de PME étranglées par les groupes du CAC 40.

Ce n’est pas le Medef qui vous l’apprendra, cette semaine, il va pleurer misère. Mais en cette année 2014 la France serait en tête de gondole au rayon du fric-frac. Elle serait le plus important payeur de dividendes en Europe, hors Royaume-Uni, selon l’indice du cabinet  anglo-saxon Henderson. Ce dernier évalue le total de la rémunération des actionnaires à 40,7 milliards de dollars rien qu’au deuxième trimestre, en hausse de 30 % par rapport à 2013. De source officielle, côté cadors du capital, au cours du 1er semestre 2014, les grands groupes du CAC 40 ont engrangé 31,4 milliards d’euros de bénéfices. Près des deux tiers du budget annuel de l’Education nationale en seulement 6 mois !

Ce résultat paraît étonnant. En effet, le tassement de la demande en France a pour effet d’écraser l’activité et de contribuer fortement à la dégradation des résultats de micro-entreprises et PME  Comment les cakes du CAC 40 font-ils pour tirer leur épingle du jeu et dégager, eux, des résultats en progression (cf. graphique) ? Ils font leur pelote grâce d’abord à leur redéploiement ailleurs que dans cette Europe plombée par l’austérité. En 2011, selon des données de l’Insee, les multinationales sous contrôle français réalisaient 52 % de leur chiffre d’affaires dans leurs filiales étrangères et y employaient plus de la moitié de leurs effectifs.

Sur le territoire national, les grands groupes français ont une rentabilité très au-dessus des autres entreprises. Avec seulement 34 % de l’emploi ils réalisent 40 % de la richesse créée par les entreprises, et la moitié des profits bruts. Des données qui ne sont pas made in Medef mais tirées d’études de l’Insee. Cette profitabilité, ils l’obtiennent à la fois en pratiquant des politiques salariales restrictives, en sabrant l’emploi, mais aussi en spéculant et en étranglant les PME sous-traitantes.

Une caste de grands patrons tient les rênes de l’économie, accumule des masses énormes de capitaux, s’enrichit à bon compte en appauvrissant le pays et ses habitants. En cette année 2014, le nombre de milliardaires en France est passé en un an de 55 à 67, selon la revue « Challenges ». Le montant total des 500 premiers patrimoines professionnels français aurait augmenté de 15 % en un an, pour atteindre 390 milliards d'euros. Leurs ressources sont à l’identique. Comme nous l’avons révélé dans « L’Humanité », la moyenne des revenus imposables des 10 % de ménages fiscaux résidant dans le quartier de la Muette, dans le 16e arrondissement de Paris, l’un des quartiers où la grande bourgeoisie française a établi son ghetto, s’élève à 19 946 euros par mois. Ceux du quartier Saint-James, à Neuilly, où habite la 1ère fortune française, Liliane Bettencourt, propriétaire de l’Oréal, disposent eux en moyenne de 28 727 euros par mois, soit l’équivalent de 25 Smic nets !

Ce pillage a sa source dans l’entreprise. Selon l’Insee, dans les sociétés non financières, les revenus de la propriété versés à des particuliers et à d’autres entreprises représentaient en 2013, l’équivalent du quart de leur valeur ajoutée contre 16,3 % pour les cotisations sociales. Au fil des années, ces revenus ont gonflé, gonflé, … constituant 15,8 % de la valeur ajoutée des entreprises en 1981, 18,5 % en 1990, 23,8 % en 2000, et donc 24,8 %. en 2013.

Ces revenus de la propriété prélevés sur les entreprises s’élèvent à 265 Mds d’euros en 2013, ils se décomposent essentiellement en dividendes, en charges d’intérêts payés aux banques. Ils sont supérieurs aux dépenses d’investissements matériels de ces mêmes entreprises non financières (241 Md€ en 2013). On consacre plus d’argent pour payer les actionnaires que pour renouveler l’appareil productif, le rendre plus efficace !

Là encore, le Medef et son président « bidonnent ». A les entendre, pour investir et embaucher, il faudrait donner plus de marges au capital, mais l’histoire récente dément une telle affirmation. Sous les coups de butoir de la politique de rigueur conduite par les gouvernements socialistes puis ceux de la droite dans les années 85 et 90, la part des salaires dans la richesse créée par les sociétés non financières (SNF), est tombée de 73,3 % en 1981 à 70,3 % en 1985, 62,6 % en 1998. Cela n’a pas pour autant permis de booster l’investissement qui lui aussi a piqué du nez, passant d’environ 22 % de la valeur ajoutée des SNF dans les années 70-80 à un petit 20 % dans les années suivantes.

Le redressement du taux de marge a en fait servi à augmenter les dividendes des actionnaires. Cet enrichissement a un effet terriblement pervers, le capital grossit, mais plus il grossit, plus il réclame rémunération, cela d’autant que les taux de rentabilité élevés obtenus dans les opérations spéculatives imposent leur diktat aux activités productives qui s’efforcent de se hisser à leur niveau en utilisant les nouvelles technologies contre la croissance, l’emploi, les salaires, le développement humain et l’environnement.

Deux exemples le montrent. Fin décembre 2007, avant le krach financier de 2008, l’action Renault valait 98 euros. Après le krach, elle est tombée à 11,525 euros, puis elle est remontée. Actuellement elle est à 64,52 euros. Comment la direction du groupe a-t-elle fait pour regonfler le cours ? En relançant la distribution de dividendes. Zéro dividende en 2009 et 2010, 0,3 euro par action en 2011, 1,16 euros en 2012, 1,72 euros en 2013 et 2014. Ce « décollage » s’est effectué contre l’emploi, en France particulièrement. En 2013 par rapport à 2012, les effectifs monde du groupe ont diminué de 5 279 et de 4,2 %. Les effectifs français ont diminué de 4 653 et de 8,7 %. C’est dire que 88 % des réductions de poste dans le groupe ont été réalisées dans les sites hexagonaux.

En 2013, Sanofi a perçu 11,5 millions d’euros au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi et près de 125,7 millions d’euros en crédit impôt recherche. La même année, le groupe a supprimé près de 600 emplois en France. Entre 2009 et 2014 4 800 emplois ont été supprimés en France. Durant la même période, le dividende par action est passé de 0,66 à 2,81 euros et le rendement du titre (ratio dividende/cours) de 0,79 à 3,63 %

Au niveau des entreprises, en France pour un PIB qui a progressé de 5,3 % entre mars 2009 et mars 2014, l’indice CAC 40, qui mesure l’évolution de la valeur des actions des grands groupes français, c’est-à-dire le capital accumulé de ces sociétés a augmenté de 71,1 %. On constate une même enflure des dettes publiques. En France, pour un PIB en progression de 8,6 % entre 2007 et 2013, on a une dette publique en hausse de 57,7 %. Or si pour le contribuable français celle-ci représente un coût, pour les banques et les compagnies d’assurance qui achètent ces titres de dette, c’est une source de rapport. Les charges d’intérêt payées par les finances publiques représentent 48,5 milliards d’euros, soit un peu plus que le budget de l’Éducation nationale. Avec la même dette, mais un taux proche de 0 %, cette charge d’intérêt disparaîtrait quasiment, générant un ballon d’oxygène de 48,5 Md€.

Le contraste est saisissant : des masses énormes de capitaux sont accumulés, des profits considérables sont dégagés et par ailleurs, le nombre de chômeurs ne cesse de progresser. Le niveau de vie est en recul. Selon les données de l’Insee, de 2009 à 2012 son niveau médian est passé de 1 680 à 1 645 euros. Comment mettre un terme à cette hémorragie ? En faisant reculer cette emprise de la finance. En impulsant d’autres critères de financement et de développement des activités que ceux fondés sur l’accumulation d’argent.

Pierre Ivorra

 

Article publié dans l'Humanité du 2 décembre 2014

 

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Ce que le Medef cache aux Français

Par Ivorra Pierre , le 02 December 2014

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