Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Un triste anniversaire pour le service public en Europe

En cette année 2006, nous « fêtons » le 20è anniversaire de l'Acte unique européen, qui a débouché sur le marché unique intérieur. Souvenons nous de la France de 1986 : EDF-GDF, les PTT, la SNCF, étaient toutes des entreprises intégrées de service public de réseau dont la propriété était 100% public.

Aujourd'hui le paysage a changé. EDF a été séparée de GDF. GDF, en voie de fusion avec le groupe SUEZ, verrait la part de l'Etat dans son capital tomber à moins de 34%. EDF a été coupée en deux entités, le réseau de transport de l'électricité (RTE) et la production d'énergie électrique. Son capital a été ouvert aux actionnaires privés. La SNCF a été éclatée en plusieurs morceaux : Réseau Ferré de France (RFF) pour les infrastructures (lignes et gares), une entité fret, une entité voyageurs...On a retiré sur les locomotives affectées aux marchandises les boîtiers nécessaires à la traction de train de voyageurs. L'administration des PTT a été dissoute, France Télécom est devenu une entreprise dissociée de la Poste, au capital largement ouvert au privé... EDF, la SNCF, France Télécom ont perdu tout ou partie de leur monopole.

Dans un rapport de mars 2006 (1), L'OCDE préconise que la France aille plus loin dans le démantèlement vertical et horizontal des entreprises publiques ou semi-publiques, accélère et poursuive « un programme ambitieux de privatisation », ouvre à la concurrence toutes les prestations de service, y compris celles relevant du service universel.

L'Acte unique a été la base juridique qui a conduit à cette situation.

L'outil en a été une série de directives sectorielles sur le marché intérieur, les transports, les télécommunications et l'énergie, élaborées de 1986 à 2006, par la Commission européenne, et adoptées par le Parlement européen et le Conseil des ministres de l'Union européenne (2) . Ces directives ont été mises en oeuvre, en étant transposées en lois par les gouvernements successifs de la France. Ces lois ont été votées par les majorités parlementaires du moment. Certes les gouvernements de gauche entre 1986 et 2002 ont parfois ralenti, ou bloqué temporairement le processus de traduction en droit français de ces directives. Mais force est de constater qu'ils ne s'y sont jamais opposés frontalement et qu'ils n'ont jamais été promoteurs d'autres choix (3). Ce comportement de la gauche, n'est pas pour rien dans ses échecs et dans la catastrophe du 21 avril 2002.

Comprendre l'action de la Commission européenne, implique de revenir au contexte économique de 1986. En Europe, l'ampleur des investissements à consentir, les importantes immobilisations en capital à accepter, et des raisons de sécurité nationale, avaient conduit, à partir de la fin des années trente, à concéder à l'Etat, sous une forme ou une autre la gestion des grands services publics de réseaux (électricité, chemin de fer, télécommunication,...).

A la fin des années 70, avec l'amortissement d'une partie des infrastructures, les révolutions technologiques et informationnelles, les débuts de la globalisation des mouvements de capitaux, les services publics de réseau se sont retrouvés en situation d'offrir des niches de profits substantiels.

Pour exploiter ces sources de profits, il fallait privatiser et déréglementer, et donc trouver un moyen de contourner l'obstacle que représentait les monopoles naturels. Il aurait été absurde et dispendieux de construire un réseau de distribution d'électricité parallèle à celui d'EDF, idem pour le réseau ferré de la SNCF où pour les câbles des PTT. C'est pourquoi, le premier travail de la Commission européenne fut d'imposer la séparation de la gestion des réseaux de distribution, des infrastructures, de la fourniture et de la production du service. L'accès aux réseaux et aux infrastructures se faisant sous contrôle d'autorités de régulation dites indépendantes (4) , le prétexte étant d'empêcher des subventions croisées et des distorsions de concurrence.

Ce système permet ainsi à COMEX de faire circuler ses trains de marchandise sur les voies de RFF, à SUEZ de vendre de l'électricité en utilisant les lignes de RTE, aux concurrents de France Télécom de profiter du dégroupage de ses installations.

La justification du système résiderait aux dires de ses laudateurs, dans la possibilité pour l'usager devenu consommateur d'accéder à un service de meilleure qualité à moindre coût grâce à la concurrence.

Le problème est que la réalité et l'expérience montrent le contraire.

Ce système appliqué à la production et à la distribution d'électricité en Californie, a entraîné pénuries d'électricité, pannes, hausses vertigineuses des prix pour les particuliers et les industriels, faillite frauduleuse de l'électricien privé ENRON. En Grande-Bretagne, la privatisation et la vente à la découpe des chemins de fer en 1996, a conduit à une dégradation générale du service cause de plusieurs accidents mortel (5).

En France, RFF qui a du endosser la majeure partie de la dette de la SNCF, se trouve dans l'incapacité d'entretenir convenablement de nombreux segments du réseau ferré avec des conséquences nuisibles sur le trafic des trains Corails et des TER. Le système de charcutage de l'organisation des services publics de réseau aux Etats-Unis est responsable de la gestion calamiteuse de la catastrophe de la Nouvelle Orléans. Surtout lorsqu'on compare cette gestion avec l'efficacité de l'intervention des services publics à la française lors de la tempête de 1999.

Le système de séparation des activités et la privatisation ne profitent pas aux consommateurs. Le plus souvent le service se dégrade et coûte plus cher. Les salariés sont les premières victimes de ce système (condition de travail, salaires, emploi, qualification), mais les gros actionnaires en tirent profit.

Derrière la chasse aux subventions croisées, la désintégration verticale et horizontale des entreprises de services publics, se cache la volonté d'en finir avec l'un des principes centraux de toutes conceptions de service public : la péréquation. C'est à dire, la péréquation entre citoyens pour garantir l'accès égal aux services, mais aussi la péréquation entre entités d'une même entreprise : recherche, réseau, infrastructure, production,... La destruction des relations de coopération et de péréquation entre entités ou entreprises de service public, voire même leur éclate-

ment et leur mise en concurrence, conduit à des pertes de savoir faire, au sous investissement, et à des emprunts au prix fort sur les marchés financiers.

Quitte à provoquer une crise majeure mais salutaire avec la Commission européenne, la gauche ne pourra réussir en 2007 que si elle revient sur les privatisations d'EDF, GDF, France Télécom, nationalise SUEZ et met fin à l'existence de RTE, RFF... en reconstruisant des services publics rénovés faisant toute leur place aux salariés et aux usagers.

  1. Rapport Jens Hoj et Michael Wise, sur « Concurrence sur les marchés de produits et performance économique en France », mars 2006. disponible sur www.oecd.org/eco-fr

  2. Au Conseil de l'Europe, siège les ministres des différents gouvernements de l'Union européenne.

  3. Exception faites des tentatives de Jean-Claude Gayssot.

  4. C'est à dire indépendante des choix politiques, économiques et sociaux des peuples.

  5. Voir www.christianwolmar.co.uk

Un article PDF, ci-joint, de Yann Lepollotec

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