Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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De la crise du CPE à l'ampleur nouvelle des enjeux de la précarisation et des luttes contre elle

Enjeux des contrats de précarisation généralisés

Les luttes pour le retrait du CPE ont aussi porté contre l'offensive de la droite pour des contrats de précarisation généralisés. Déjà le Contrat Nouvelles Embauches (CNE), venait de permettre, pour les entreprises de moins de 20 salariés, de licencier sans motif pendant deux ans. Le Contrat Première Embauche (CPE) a repris le licenciement sans motif pendant deux ans pour les jeunes de seize à vingt-cinq.

En s'appuyant sur les difficultés réelles des jeunes à entrer dans l'emploi, et sur leur fragilité, il s'agissait de généraliser cette précarisation radicale, en frappant tous les jeunes avec ce contrat, et aussi de tenter de l'utiliser contre tous les contrats de travail. Cela concerne une régression fondamentale par rapport à la protection minimum du droit social: l'obligation de motiver le licenciement et la possibilité de recours auprès des tribunaux pour motif abusif, à l'opposé d'un droit arbitraire absolu du patronat.

D'ailleurs , on vient aussi d'instaurer le contrat « senior » : à cinquante-sept ans, un CDD de dix-huit mois, renouvelable une fois. On pourra licencier un senior au CDI pour le mettre en contrats précaires de dix-huit mois. Et, au-delà, l'idée a été avancée dans des rapports d'économistes, dans la droite, dans le MEDEF, d'un contrat unique qui remplacerait la dualité CDI et CDD, et pour lequel le licenciement serait permis sans motif.

Nouveauté de la précarisation, conditions de son
aggravation récente, montée de la protestation

À côté du chômage massif qui est monté graduellement dans le monde entier depuis une trentaine d'années et qui persiste à des niveaux élevés dans l'Union européenne, l'explosion de la précarité des emplois (CDD, intérim, contrats aidés, etc.) et des emplois dits atypiques (temps partiel, etc.) est encore plus marquée, grandissante, surtout pour les nouvelles embauches.

Cela renvoie sans doute à la conjonction, d'une part, des exigences de rentabilité financière du capitalisme mondialisé, avec la mise en concurrence des salariés du monde entier et la pression sur leurs salaires et, d'autre part, des conditions de la révolution technologique informationnelle.

La productivité formidable, économisant comme jamais le travail direct et les moyens matériels (et le travail qu'ils demandent), combinée à la pression concurrentielle sur le salaire et les dépenses sociales, en tendant à déprimer la demande globale , pousse au chômage massif. Mais aussi, les vagues répétées d'innovations techniques radicales et d'investissements corrélatifs matériels et financiers, peuvent relancer momentanément, en attendant l'éclatement des suraccumulations matérielles et financières entretenant la

dépression de l'emploi, la croissance réelle et des reprises d'emploi, à côté des destructions.

D'où les exigences de précarisation, qui en outre renvoient à la concurrence entre salariés et facilitent les pressions sur les conditions de rémunération et de travail, tandis que les pressions des entreprises sont épaulées par les politiques des États.

Cette précarisation connaîtrait une aggravation récente dans le monde, en Europe et notamment en France. À l'échelle mondiale, c'est la maturation des nouvelles technologies, et l'accélération de l'élévation de la productivité dans la production matérielle industrielle et aussi désormais dans les services. Cela s’est traduit par la chute temporaire des activités de la dite « nouvelle économie » de 2001 à 2003, y compris aux États-Unis, puis le renforcement de la concurrence mondialisée au cours de la reprise ultérieure. Au niveau de l'Union européenne, c'est l'aggravation de sa croissance moindre, par rapport à celle des États-Unis et des pays émergents, avec le renforcement des exportations de capitaux favorisé par la politique menée de la Banque centrale européenne, surtout dans les pays dominants comme l'Allemagne et la France, vers les États-Unis, les pays émergents, le reste de l'union européenne élargie. Cette croissance financière extravertie et cette moindre croissance réelle poussent au relèvement des objectifs de rentabilité financière ainsi qu’à des pressions accrues sur l'emploi et les salaires, à généraliser la précarisation. En France, outre les exigences des chefs d'entreprise et du MEDEF avec l’exacerbation de l’irresponsabilité sociale et nationale des entreprises, surtout des plus grandes, y compris par leur pression sur les sous-traitants, les conditions politiques ont également pu favoriser encore l'agressivité du gouvernement contre le droit social et pour la précarisation.

En effet, après l'élection présidentielle de 2002, avec la désaffection populaire pour « la gauche plurielle », liée aux capitulations social-libérales, la montée de l'extrême droite, puis pour la rejeter, le vote très massif pour Chirac suivi du vote pro -UMP, ces majorités électorales ont été récupérées pour renforcer la politique dite de « réformes», de mise en cause hyper-libérale et de régression du modèle social français pour tenter de briser ses résistances et celles des travailleurs. D’où la série de réformes de traitement réactionnaire des problèmes sociaux et économiques aigus, des retraites à la maladie et à la sécurité sociale, à propos desquelles les protestations, pourtant massives, ont pu être négligées par le gouvernement et sa majorité écrasante, s'appuyant aussi sur les divisions syndicales. D'où le lancement ultérieur, avec les rivalités dans la droite pour une politique de droite dure, populiste et pour récupérer des voix avec les thèmes d'extrême-droite, de la succession de mesures de précarisation radicale des contrats d'emploi.

 

Mais aussi, on a assisté à la progression de l'opposition sociale face aux mesures de réforme réactionnaire et aux blocages politiques. On a vu le début de conversion de cette opposition sociale en opposition politique, avec le succès de la gauche aux élections régionales, et encore plus le non de gauche au traité européen. Avec la progression des agressions de la précarisation, la montée de cette opposition a été encore plus forte contre le CPE, avec désormais la conjonction des luttes des jeunes et des salariés ainsi que l’unité syndicale.

Portée de la jonction jeunes/salariés contre la précarisation Le risque de la précarité radicale des Contrats première embauche pour les jeunes contre les autres emplois et tous les autres contrats, d'une part, et la gravité de la menace contre les emplois stables et une vie normale jusqu'à vingt-six ans pour tous les jeunes ont été des facteurs décisifs de la montée de l'opposition conjointe des syndicats de salariés et des syndicats d'étudiants ou de lycéens. La progression de plus en plus étendue de la mobilisation des jeunes, a contribué considérablement à renforcer l'unité et la détermination des syndicats de salariés et celles-ci ont à leur tour crédibilisé et accru la mobilisation des jeunes, leurs blocages des universités et des lycées, les manifestations conjointes. C'est un changement qui, s'il est perpétué, représente, après avoir obtenu le retrait du CPE, une force considérable pour une transformation sociale de progrès radical.

Déjà, la durabilité du chômage massif et la prolifération de la précarité ont fait monter à la longue, à l'opposé des divisions sociales fondamentales entre salariés qualifiés et non qualifiés, employés, ouvriers et cadres, divisions qui représentent peut-être le soutien le plus important de la domination des capitalistes, des rapprochements plus profonds que jamais des conditions et des aspirations. Il s'agit de rapprochements par le bas, pour ainsi dire, avec la précarisation des salariés qualifiés, des cadres, ou dans la fonction publique, d'où le besoin commun de sécurisation, et aussi par le haut, avec le besoin, pour tous, de formation continue plus

ample et démocratique, y compris pour les moins qualifiés, et aussi de responsabilité et de maîtrise dans le travail.

Sur ce fond, la volonté d'utiliser les jeunes, pour les fragiliser encore et comme un bélier contre les autres, a pu se retourner en une conjonction nouvelle non seulement des différentes catégories de salariés mais aussi inter-générationnelle, jusqu'aux travailleurs âgés.

L'utilisation de la peur des licenciements, de la culpabilisation des menacés dans leur emploi, et encore plus des chômeurs, de leur prétendue responsabilité individuelle, face à l'irresponsabilité sociale des entreprises et de l'État, et la résignation à la prétendue fatalité de la «nouvelle économie» de flexibilité inévitable avaient entraîné de profondes divisions entre les travailleurs, entre leurs organisations, entre celles-ci et les plus précaires. Le refus de s'identifier à ceux qui sont frappés avait pu ainsi se manifester, comme on l'a vu avec l’insuffisant soutien aux chômeurs à propos du PARE puis de la récente convention UNEDIC. Mais tout cela a pu grandement reculer à propos des mesures contre les jeunes, avec les nouveaux rapprochements et identifications massifs dans les manifestations pour le retrait du CPE, avec la montée de l'unité de lutte inter-salariale et inter-générationnelle.

En effet, les jeunes représentent l'avenir pour tous, ils ne peuvent être prétendus responsables de mesures les frappant dans l'emploi qu'ils n'ont pas, tandis que l'absence de motivation des licenciements, outre qu'elle s'oppose à une logique de culpabilisation, menace directement ceux qui ne sont pas chômeurs. Après le mouvement des banlieues puis la loi contre les immigrés, à l'opposé de la relance des efforts pour discriminer et diviser encore, on pourrait voir monter au contraire les rapprochements à l'intérieur des trois ensembles sociaux et entre eux : des salariés, des genres et des générations (femmes et hommes, jeunes et âgés), d'origine (issus de l'immigration et immigrants) pour des revendications convergentes.

 

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