Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Conjoncture : éléments pour un diagnostic

Divers indicateurs de conjoncture montrent qu’une accélération de la croissance est en vue en France et en Europe. Mais sa durée autant que son ampleur et, surtout, son impact du point de vue de l’emploi demeurent extrêmement incertains, alors que le chômage demeure consi­dérablement élevé et que prolifèrent précarité et pauvreté.

En effet, les conditions internationales sont en train de changer, notamment à partir des Etats-Unis où se cherche une phase nouvelle de gestion des contradictions engendrées par la reprise en cours depuis 2002. Elle y a développé une formidable suraccumulation matérielle, financière et immobilière avec des déséquilibres colos­saux, particulièrement sur les comptes extérieurs, large­ment financés par l’étranger, la Chine en tête. Si le finan­cement de ce déficit devenait plus difficile, le dollar pourrait chuter dangereusement obligeant les Etats-Unis à relever fortement leurs taux d’intérêt, ce qui pourrait interrompre la croissance.

Les Etats-Unis entendent donc continuer de faire financer par le reste du monde leur déficit extérieur béant, tout en dispo­sant d’un niveau du dollar et de leurs taux d’intérêt suscep­tible d’augmenter la compétitivité de leurs exportations, au détriment particulièrement de l’Europe ou l’euro est main­tenu élevé pour attirer les capitaux, et de sauvegarder leur croissance dominatrice. C’est d’ailleurs dans le sens d’un recul « contrôlé » du dollar que les ministres de finances du G7 ont décidé de coordonner leur politique récemment. La remontée des taux d’intérêt dans le monde, qui va accentuer la rivalité pour attirer les capitaux, notamment entre la zone euro et les Etats-Unis, de même qu’une tension accrue sur les marchés pétroliers et les marchés de matières premières, sont les principaux aléas pouvant mettre en cause une accélération auto-entretenue de la croissance de ce côté-ci de l’Atlantique. Au-delà, se profile la montée du bras de fer mondial entre les Etats-Unis et la Chine alors que, comme tout cycle conjoncturel ( de 7 à 10 ans en moyenne), celui qui est en cours pourrait se terminer dans une réces­sion nouvelle, autrement plus violente, en 2010-2012.

UNION EUROPEENNE :

Selon les prévisions économiques de printemps de la Commission européenne, la croissance économique devrait s’accélérer pour atteindre 2,3% dans l’Union européenne et 2,1% dans la zone euro en 2006, contre 1,6% et 1,3% respec­tivement en 2005. Et cela :

  1. Tout en conservant les règles du pacte de stabilité au nom duquel sont rationnées tant et plus les dépenses publiques,

  2. Et tout en saluant le dogmatisme monétaire de la BCE dont la politique de taux d’intérêt, au service d’un taux de change élevé de l’euro pour attirer les capitaux financiers et faciliter les rachats d’entreprises dans le monde, freine la croissance.

Et, de fait, selon la première estimation dite « rapide » publiée par l’office statistique européen Eurostat, la zone euro aurait enregistré une croissance de 0,6% au premier trimestre 2006, contre 0,3% au quatrième trimestre 2005. De même, dans le secteur manufacturier, l’activité semble n’avoir pas été aussi forte depuis près de six ans, tandis que, dans les services, l’indice d’activité est à son plus haut niveau depuis six ans et demi. Ce frisson laisse cependant béant l’écart de croissance accumulé depuis la seconde moitié des années 1990 avec les Etats-Unis et les pays émer­gents (1). Et tandis que le taux de chômage officiel outre-Atlantique est de l’ordre de 4,8% aujourd’hui (taux de chômage de « plein emploi »), il demeure de plus de 8% (8,1%) au sein de la zone euro !

Cette prévision pourrait, cependant, être trop optimiste. Elle table, en effet, sur une reprise vigoureuse et durable de l’activité en Allemagne tirée par les exportations massives de ce pays dans le monde.

Cependant, comme titre Le Figaro du 12 mai, « l’espoir d’une forte reprise en Allemagne s’estompe ». En effet, le climat des affaires y est euphorique, car les profits réalisés par les Konzerns n’ont jamais été aussi élevés. Pour autant, la crois­sance allemande n’a affiché qu’une hausse insignifiante de 0,4% au premier trimestre 2006 par rapport au dernier trimestre 2005. Les économistes tablaient sur un rebond de 0,6%. Ce revers est cependant cohérent avec l’annonce récente d’un recul de 2,4% de la production industrielle et de 2,7% pour les ventes de détail en mars par rapport à février. Cela témoigne, en réalité, du poids considérable du chômage et de l’austérité salariale outre-Rhin, alors même que la consommation y a reculé de 0,6% au dernier trimestre 2005. Dans ces conditions, le ralentissement déjà attendu de la consommation, et donc de la croissance, que va provo­quer la hausse de trois points de la TVA en janvier 2007 promet de rendre encore plus incertaine l’hypothèse d’une reprise impétueuse et durable de l’activité en Allemagne.

Cela se conjugue avec la persistance d’une orientation restrictive de la BCE. J-C. Trichet président de la BCE et porte-parole du G-10 a confirmé que les taux d’intérêt allaient remonter en déclarant que « nous devons suivre les risques inflationnistes avec une grande attention ». Cette déclara­tion redouble celle faite le 5 mai dernier annonçant qu’une «grande vigilance» est requise face à un risque de dérapage des prix en zone euro avec la hausse du pétrole... risque qui, pour l’heure, n’apparaît pas, tant est violente la déflation engendrée par la concurrence internationale. Sans doute, J-C. Trichet craint-il que les gouvernements et les gestion­naires d’entreprises ne puissent tenir face à une montée éventuelle de la protestation populaire contre l’austérité sala­riale et budgétaire qui étreint la zone euro depuis des années. Montée de la protestation dont la France a déjà donné un exemple parlant. La hausse des taux d’intérêt joue alors comme une puissante incitation à maintenir les pres­sions anti-salariales dans les gestions des entreprises et les pressions anti-dépenses publiques dans les politiques budgétaires gouvernementales.

Dans ces conditions, la hausse des taux d’intérêt va tendre à raréfier le crédit dont la distribution a été rendue, depuis des années, très facile pour les opérations financières, immobilières et pour les exportations de capitaux. Cela risque de peser sur nombre de PME. En même temps, le coût du service de la dette va être accru pour les Etats, alors même que, avec le pacte de stabilité, l’augmentation des recettes engendrée par l’accélération de la croissance écono­mique doit servir avant tout à réduire les déficits (règle du 3%) au lieu de soutenir les dépenses publiques utiles. De même, le taux de change de l’euro ne cesse de se renchérir, dans ces conditions, vis à vis du dollar. Cela pèse d’autant plus sur l’activité. Par contre, cela facilite d’autant les expor­tations américaines de marchandises vers l’Union euro­péenne, les exportations de marchandises de la Chine (dont la monnaie est indexée sur le dollar), tandis que sont encou­ragées les délocalisations vers les pays de la zone dollar.

FRANCE :

Tous les indicateurs sont à la hausse. Selon l’INSEE, la production manufacturière française s’est accrue en mars de 1,6% par rapport au mois précédent. Pour une part, certes, ce résultat est le contrecoup de la baisse enregistrée en février (1,2%). Sur l’ensemble du premier trimestre 2006, la croissance du secteur s’établit à seulement 0,6% par rapport au trimestre précédent. Cependant, ce redressement apparaît aux observateurs comme le début de confirmation de l’amélioration du climat des affaires annoncée de façon répétée par les enquêtes de conjoncture.

En effet, le moral des industriels est au plus haut depuis octobre 2004. L’indicateur synthétique mensuel du climat des affaires dans l’industrie a augmenté de 2 points en avril, à 108 points, son plus haut niveau depuis octobre 2004.

Cela tranche nettement avec le fait que le moral des ménages demeure toujours en berne. L’indicateur de l’INSEE le mesurant s’établit en effet à –27 points contre –26 points en mars et –24 points en février ( données CVS).

Cela, fondamentalement, tient au chômage, problème ressenti comme le plus important, et de loin, tant par les couches populaires que par les couches moyennes sala­riées de plus en plus précarisées et déstabilisées.

Certes, officiellement, le chômage recensé recule. Le nombre de demandeurs d’emploi inscrits en catégorie 1 (2 288 300) diminue de 1,3% en mars (-30 900) en données corrigées des variations saisonnières. Le nombre des inscrits en caté­gorie 1+6 (ayant une activité réduite inférieure à 78 heures !), à 2 743 800, ne recule, lui, que de 6,7%. Le taux de chômage

au sens du BIT s’établit, fin mars, à 9,5%. Cela recouvre des réalités contrastées : 22,1% pour les jeunes de moins de 25 ans (un record en Europe), 8,9% pour les actifs âgés de 25 à 49 ans et 6,5% pour les actifs de 50 ans et plus.

Cependant, ce recul officiel est du à différents facteurs qui n’ont rien à voir avec une reprise de l’emploi dans les entreprises :

  1. C’est, d’abord, la forte progression des arrêts de recherche d’emploi dus, en partie, au découragement : 33 604 en mars contre 30 080 en février (+8,6%) ;

  2. C’est, surtout, la progression très rapide des « absences au contrôle » (sic) et des radiations administratives : les premières, à 151 108, ont augmenté de 38,8% en un mois et les secondes, à 40 974, ont crû de 10,5% en un mois.

  3. C’est aussi la montée en régime des contrats aidés à bas coûts salariaux dans les secteurs non marchands mais, aussi, avec le CNE, dans les entreprises de moins de 20 salariés. Il a été montré que le CNE se substitue largement à des emplois existants, offrant de gros effets d’aubaine aux employeurs.

En réalité, la croissance de l’emploi demeure très faible. Et quand des emplois sont créés c’est avant tout sur un mode précaire, voire ultra-précaire.

La pression sur les salaires continue donc d’être très forte : les salaires réels augmentent moins vite que la producti­vité apparente du travail ce qui tend à faire baisser la part salariale dans la valeur ajoutée. Cette pression sur les salaires est d’autant plus forte que les entreprises qui investissent utilisent les nouvelles technologies pour réduire l’emploi, avant tout, tandis que les dépenses de formation des entreprises sont très insuffisantes.

C’est un facteur de freinage de la croissance économique et, cependant, d’envolée des profits. Dans ce contexte déprimé, les profits des groupes continuent d’exploser en effet, après l’année record de 2005 ( 84 milliards d’euro de bénéfice net pour les entreprises du CAC-40), grâce à cette pression permanente contre l’emploi, mais aussi, et dans une large mesure, parce que, ne trouvant pas la croissance suffisante en France et en Europe, les groupes vont la chercher aux Etats-unis, en Chine, dans les pays émergents d’Asie et d’Amérique latine. Les exportations de capitaux sont très importantes.

Simultanément, le déficit du commerce extérieur augmente, traduisant certes l’alourdissement de la facture pétrolière mais aussi, et de plus en plus, l’ insuffisance d’efficacité du système productif français. L’expansion très vive du contenu en importations de la demande des entreprises conjuguée à une relative faiblesse des exportations se solde par une contribution de plus en plus négative du commerce exté­rieur à la croissance du PIB : Elle a été de –1,0 point en 2005. L’existence de l’euro fait que ce processus peut se déve­lopper sans être sanctionné par une dévaluation monétaire. Mais le relèvement du taux de change de l’euro encourage les importations et rend un peu plus difficile les exportations de marchandises et de services, tout en rendant encore plus attrayantes les délocalisations.

La remontée des taux d’intérêt peut faire tourner court l’accélération de cette croissance malsaine qui se dessine.

 

En tout cas, celle-ci n’est toujours pas auto-entretenue. Mais peut-elle l’être ?

Les PME risquent d’être encore plus fragilisées par le durcis­sement du loyer de l’argent et la concurrence des produits étrangers. Cela explique sans doute la multiplication des annonces démagogiques faites à leur intention par le Premier ministre.

Quoi qu’il en soit, le calcul du gouvernement est bien celui de pouvoir bénéficier d’un contexte international suffisamment porteur pour tenir l’activité jusqu’aux élec­tions de 2007-2008, sans avoir à changer ses orientations fondamentales au service des capitaux financiers et de grands groupes dans la guerre économique.

Il espère ainsi pouvoir faire face à ses engagements euro­péens en matière d’austérité budgétaire. Déjà marquée par un gel des crédits de l’Etat en volume, l’élaboration du projet de budget pour 2007 n’annonce aucun projet de soutenir l’activité, bien au contraire. D. de Villepin s’est en effet engagé, en janvier, lors de la conférence nationale des finances publiques, à présenter un budget 2007 dont les crédits progresseront de 1 point de moins que l’inflation...et cela, avec une hypothèse d’inflation de 1,8% seulement alors que, désormais, la hausse des taux d’intérêt renchérit le service de la dette. Bien sûr, la poursuite d’un emballement sur les marchés pétroliers peut faire augmenter l’inflation au-delà de l’hypothèse retenue. Dans ce contexte, l’annonce du lancement de quelques grands programmes industriels pour le compte de grosses multinationales ne saurait faire illusion.

Que se passe-t-il sur les marchés pétroliers ?

La hausse continue du prix du pétrole et des matières premières pèse sur la croissance réelle et augmente la facture des importations payées en dollars.

Cette hausse, s’agissant du baril de brut et de l’essence à la pompe, traduit, avant tout, le besoin fondamental et pressant d’une révolution énergétique (2) que se refusent à entre­prendre les pays industrialisés.

Au premier rang de ce refus, on trouve les Etats-Unis, le plus grand gaspilleur d’énergie fossile dans le monde, et de loin.

Le refus des pays de l’OCDE de développer audacieusement les énergies renouvelables, leur refus de promouvoir de façon très audacieuse les biocarburants, la recherche sur les moteurs propres, la recherche sur les moyens d’une énergie nucléaire pleinement sécurisée, leur refus de lancer des programmes ambitieux de renouvellement des parcs de logements sociaux très peu « énergivores »...tous ces refus, pour cause de rentabilité financière, font que la consom­mation de pétrole redouble avec la montée de l’industria­lisation nécessaire des pays émergents, la Chine en tête. Cette demande accrue s’accentue avec la croissance de l’ac­tivité économique. Elle vient buter, de façon structurelle désormais, sur des goulots d’étranglement du côté de l’offre pétrolière. Cela tient au fait que, des années durant, les compagnies pétrolières, trouvant insuffisante la renta­bilité de ces activités, ont refusé d’accroître leurs efforts de recherche et d’investissement dans l’amont pétrolier et dans le raffinage, en pleine connaissance de cause.

D’où, la pression à la hausse des cours, qui fait exploser les profits des majors. On note cependant que, si cela entraîne un prélèvement net sur la croissance, nous sommes encore loin, en termes constants, des 100 dollars le baril atteints au plus haut du second « choc pétrolier ».

Cependant, la situation est fébrile et peut s’envenimer au grés des tensions géopolitiques, mais aussi parce que, aux Etats-Unis, va avoir lieu le rush annuel des vacanciers et de leurs 4X4 si dévoreurs de carburants.

C’est sur ce terrain qu’interviennent les spéculateurs, tant pétroliers que financiers, tandis que les Etats, en France particulièrement, font supporter par les automobilistes un racket qui serait beaucoup moins important si la fiscalité des carburants était moins pénalisante.

Pour l’heure, comme disent les économistes, cet emballe­ment des marchés pétroliers n’a pas eu « d’effets de second tour », c’est à dire que les hausses de prix ne se propagent pas dans tous les compartiments de l’économie, et parti­culièrement aux salaires. Cela tient au fait que les nouvelles technologies, utilisée pour accroître la rentabilité finan­cière, exercent une formidable pression contre l’emploi, tandis que s’accentue la concurrence internationale.

Cependant, cela pèse sur la croissance mondiale et peut conduire à des goulots d’étranglement dans les économies développés, comme le craignent les dirigeants américains eux-mêmes désormais, du fait de l’insuffisance des capacités de raffinage installées. Et puis, les salariés, en Europe notam­ment, vont–ils continuer d’accepter durablement ces prélè­vements et les sacrifices salariaux qui leur sont imposés ? Ce n’est pas assuré ... D’où l’appel des grands argentiers à surveiller l’inflation. n

  1. Entre 1996 et 2000 la croissance du PIB (à prix constants) a été de 4,1% aux Etats – Unis, mais de 2,9% dans l’Europe à 25 et de 2,7% dans la zone euro. Entre 2001 et 2004, les Etats-Unis affichent une croissance moyenne annuelle de 2,3%, tandis quelle n’a été que de 1,67% pour l’UE à 25 et de 1,37% pour la zone euro.

Voir les articles de Claude Aufort et Alain Vigier dans ce numéro.

Un article PDF, ci-joint, de Yves Dimicoli

 

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