Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Un outil de travail précieux

Voici un ouvrage qui réuss it le tour de force d'êtr e à la fois clair et pédagogique tout en restant scientifique et d'un bon niveau théorique et empirique. Un ouvrage qui va cons idéra blement aider tous ceux qui, dans le renou vellement d'un mar xisme vivant, cherchent à la fois à inter préter le monde et à le trans former. Ce tra vail de fond permettra aux lecteurs d'Economie et Politique et d'Issues de prendre un peu de recul face à l’évènement et de disposer d'un cadrage théor ique et empirique d'ensem ble dans lequel ils reconna îtront l’influence de l’école mar xiste systémique de la régulation.

Cet ouvrage va const ituer un out il de tra vail précieux sur lequel on pourra revenir, avec lequel on pourra tra vailler sérieusement . Il va aider à la fois les militants mais auss i les ense ignants et les étu diants . Il pourra se subst ituer avec bonheur au fameu x Les rouages de l'économie nationale de Jean-Marie Alber tini, qui a si longtemps dominé avec ses simplifications pédagogiques mais auss i ses silences dommageables. Il const itue un out il pour com battr e toutes les variantes de la pensée unique et pour sor tir de "l'horr eur économ ique".

Ce livre est bien constru it, bien écrit, bien référencé . Dans chacune de ses leçons , Nasser Mansour i Guilani por te en premier lieu un diagnost ic, propose ensu ite une analyse en confrontant au préalable diverses théor ies, effectue la critique des politiques économ iques dominantes en France , avance enfin des propositions. Il aidera cons idéra blement les militants , en leur fourn issant des out ils pour leurs luttes , leurs inter ventions, les construct ions nou velles à impu lser.

Cet ouvrage s'app uie sur des références solides, bien actua lisées , il app or te des out ils empiriques, notam ment des stat istiques pr écieuses . L'auteur élabore de nom breux tab leaux et graph iques (pas toujours suffisamment lisibles cependant) et l'on doit saluer tout l'intérêt des étu des de cas , souvent brûlants et actue ls. La présentat ion en colonnes rend plus digeste un texte dense et la lectur e de l'ouvrage est très agréab le. C'est à la fois une initiation mais au-delà un out il d'analyse et de synthèse permettant d'affronter les débats actue ls les plus chauds mettant en jeu la théor ie et la politique écono miques.

LA PREMIÈRE LEÇON VISE À RÉHABILITER LES DIMENSIONS SOCIALE ET ÉTHIQUE DE L'ÉCONOMIE. Elle pose le débat marché/ré gulation, à par tir des grands courants de la pensée économ ique, malgré l'absence de références directes précises aux auteurs , ou à l’histoire de la pensée économ ique (1). D'une façon généra le, le décou page entr e libérau x et « progress istes » estom pe l'évolution de la pensée écono mique (y com pris la théor ie néoc lass ique) et la confusion qui s'opère aujour d’hui sous nos yeux avec une tendance au « sociallibéra lisme ». Le terme « d'économ ie con ventionnelle » pour désigner les diverses variantes de la pensée unique ou dominante n'est pas très heur eux dans la mesur e où il existe un courant théor ique avec des as pects relativement inno vants , qui s'intitule « économ ie des con ventions ». On regrettera auss i (mais cela aura it peut-êtr e cons idérablement alour di un ouvrage qui se devait d'êtr e cour t), l'absence de références précises directes à Marx et quelques insuffisances concernant les développements du mar xisme contem porain.

C’est le cas en ce qui concerne les textes fondateurs , comme d'ailleurs le non retour aux tra vaux pour tant séminaux de la fin des années 1960 et du début des années 1970. Il en résu lte quelquefois une cer taine impréc ision des nouvelles inter prétat ions et des développements des conce pts mar xistes , les quels sont souvent cons idérés comme connus .

LA DEUXIÈME LEÇON SOUHAITE RÉSORBER LE DÉFICIT D'EMPLOIS.

Après une analyse for t utile des problèmes démo graphiques, l'auteur pointe la quest ion centra le: celle du recul du taux d'activité (10 points chez les hommes de 1975 à 1997 mais + 5 points chez les femmes) . Il montr e que la France est caractér isée par un faible taux de créat ion d'emplois en même temps qu'une progress ion rap ide des emplois précaires et mal payés. La mutat ion du salariat est analysée ainsi que la progress ion de la précar ité. Au-delà d'une croissance dite « plus riche en emplois », on peut noter qu'il s'agit sur tout d'une croissance « pauvre en salaires » et en emplois stab les, en même temps qu'on ass iste à une dévalorisation inquiétante du tra vail qualifié dont l'impor tance progresse beaucou p alors que montent l'exigence de format ion et d'une ruptur e avec toutes les formes de discrimination (notam ment concernant les femmes) . Le taux de chômage reste mass if et pers istant même s'il recule un peu, notamment chez les jeunes (en par ticulier en liaison avec les emplois-jeunes) . L'explicat ion dominante du chôma ge est dénoncée par Nasser Mansour i, du taux de chômage natur el du libéra l Milton Friedman, au taux de chômage d'équilibre du néo-keynésien E. Phelps. Ce dernier dogme de la pensée unique fait des ravages auss i bien auprès de Jean-Paul Fitouss i, disciple de E. Phelps, qu'auprès des inst itut ions officielles. On relève notamment l'influence de ce dogme sur les tra vaux effectués par le Commissaire du Plan, Jean-Michel Char pin, lequel dans le rappor t L'aven ir de nos retraites s'en tient à un taux de chômage d'équilibre de 9%. Nasser Mansour i analyse alors finement le « modè le » amér icain et effectue la critique de la straté gie per verse de l'OCDE pour l'emploi.

LA TROISIÈME LEÇON : PRODUIRE POUR RÉPONDRE AUX BESOINS, s'intér esse au taux de croissance du PIB, facteur clé du débat de politique économ ique. En même temps , l'auteur souligne que cette croissance doit êtr e équitable et

« soutenab le ». Il ne s'agit pas de faire du « productivisme » à tout prix mais de s'intér esser au contenu de cette croissance , d'où le rejet d'une croissance centrée sur des emplois pauvres et précaires. Nasser Mansour i-Guilani pose comme centra le la quest ion du type de productivité. L’ou vrage aura it d’ailleurs gagné à intégrer l'analyse publiée dans la revue Issues (2) sur les facteurs de la crise de str uctur e et notamment sur le rôle cruc ial de l'élévation du rappor t capital/pr oduit comme déclenc heur de la crise. Auss i, il ne critique pas les illusions stat istiques, négligeant la diminution du stoc k de capital par l'accé lérat ion des retra its au cours de la crise systém ique et ne cons idérant pas l'impor tance de la baisse récente du rappor t capital/pr oduit, même si elle est plus for te aux Etats -Unis. Cette baisse renvoie auss i bien aux nou velles techno logies qu'à leur utilisation sous domination de renta bilité financière poussant au chômage mass if.

LA QUATRIÈME LEÇON POSE LA QUESTION DE LA MODIFICATION DU PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTÉE POUR ACCROÎTRE L'EFFICACITÉ.

Apr ès avoir montré que la VA a trois dest inat ions salaires, impôts et taxes, profit brutl'auteur reprend le débat (enco re à affiner) sur la natur e des cot isations sociales présentées souvent de façon discutab le comme une forme socialisée du salaire et non comme prélèvement sur les profits. Il fourn it un très intér essant tab leau sur le rappor t salaires/ VA selon les br anc hes. On pour rait d'ailleurs calculer auss i le rappor t charges sociales/ VA.

Il analyse la baisse de la par t des salaires dans la VA (8 points dans les entr eprises industr ielles et de ser vices de 68,8% en 82 à 59,7% en 98). Alors que dans le même temps , la par t des profits et sa dest ination renforcée vers les placements financ iers au détr iment des invest issements productifs s'accr oissent . Nasser Mansour i critique le dogme selon lequel les coûts salariaux sera ient trop élevés en France com parat ivement à d'autr es pays de l'OCDE. Pour souten ir cette thèse , il aura it pu utilement s’app uyer sur d'autr es sour ces que l'OCDE, les tra vaux de Pierre Concialdi notamment aura ient per mis d'affiner cette étu de (3). L'auteur critique la course aux exonérat ions des cotisations patr onales, notamment sur les bas salaires (la trappe à bas salaires) en par ticulier, il réfute le rappor t Malinvaud et la thèse de l'excès du coût du tra vail (qui sera it lié aux charges sociales sur les emplois les moins qualifiés).

LA CINQUIÈME LEÇON SOUHAITE RELANCER LA CONSOMMATION ET L'INVESTISSEMENT PRODUCTIF. L'auteur reprend le débat sur l'épargne en montrant que la France ne sou ffre pas d'un manque d'épargne (le taux d'épargne en France est le plus élevé des pays du G7) mais de l'insuffisance de la consom mation et de l'invest issement . Tandis que le taux d'invest issement baisse (jus qu'en 1998), l'épargne brute des sociétés atte int des sommets ainsi que la capacité de financement des entr eprises. L'épargne proprement financ ière est élevée et l'on relève que le financ ier est largement plus dynamique que le productif. On peut noter dans ce chapitre le très riche app or t const itué par les tab leaux fourn is par l'auteur , nourr is par un tra vail direct original sur les données des Rapp or ts sur les Comptes de la Nation (INSEE). La logique de la financ iarisation pèse d'ailleurs sur toutes les réformes en cours , elle ins pire largement le rappor t du CAE sur l'épargne et la retra ite (4) ainsi que le rappor t Charpin (5), lequel programme l'insuffisance de la croissance réelle de la production, de la productivité et de l'emploi. Cependant l’analyse de l’auteur sur les retra ites aura it néanmo ins gagné à s'enr ichir d'autr es sour ces que les seuls tra vaux (excellents cer tes) des syndicalistes .

LA SIXIÈME LEÇON PRÉTEND MOBILISER LE SYSTÈME FINANCIER POUR L'EMPLOI en posant non seulement la quest ion d'une réor ientat ion du cré dit et de la créat ion monéta ire monétaire mais auss i celle de la place de la Bourse et de la spéculation comme de l'évolution de l'économ ie d'endettement vers l'économ ie des marchés financ iers . Le financement des entr eprises est au cœur de ce chapitre ainsi que les relations entr e entr eprises et mar chés financ iers . L'auteur relance alors le débat sur la baisse nécessa ire mais non suffisante des taux d'intérêt réel comme facteur de relance de l'incitat ion à invest ir. Il relève la contra diction entr e la politique de déflation des salaires et des dépenses sociales et l'inflation des marchés financ iers . Nasser Mansour i-Guilani veut nous aider à com prendre pour quoi la Bourse monte tant . Il étu die l’accr oissement des revenus financ iers des entr eprises non financ ières et pose la nécess ité d'une réor ientat ion des fonds des entr eprises (fonds propres, crédits, etc .) vers l'emploi, la production, la croissance réelle, ce qui bien sûr va impliquer un autr e type de globalisation financ ière.

LA SEPTIÈME LEÇON SOULIGNE LA NÉCESSITÉ DE RENDRE L'INTERVENTION PUBLIQUE PLUS EFFICACE. Le budget est présenté comme le reflet d'un choix de société. L'auteur veut réhab iliter la place des prélèvements obligatoires dans l'économ ie tout en proposant quelques pistes de réforme de la struc tur e et de l'efficac ité des impôts . Il critique l'idée que le capital sera it trop taxé alors que la par t de l'impôt sur les société a tendu à diminuer. Inter pellé par la quest ion de la montée de la dette publique (premier poste de budget puisqu'il faut bien la rembourser) , il pose cer tes la quest ion de la réduct ion des déficits mais insiste sur tout sur la façon de les rédu ire et critique les politiques mises en œuvre organisant la réduct ion des dépenses publiques et sociales et tendant à limiter la croissance réelle alors que monte la croissance financ ière.

LA HUITIÈME LEÇON S'ATTAQUE À LA NÉCESSAIRE PROMOTION DU CO-DÉVELOPPEMENT. On ass iste à une montée des excédents commer ciaux corré lée à un déficit d'emplois en France . Ce pays est bien un pays com pétitif ce qui con duit à rejeter le dogme de la concurr ence par les pays à bas salaires. La quest ion de fond est alors : à quoi ser t l'excédent ? Comment s'ar ticulent épargne nationale et financement inter national ? L'analyse du type de mond ialisat ion en cours débouc he sur une critique for te et sur des propositions alternat ives pour un autr e type de mond ialisat ion, les quelles aura ient pu encor e êtr e affinées . On peut relever notamment l'intérêt des étu des de cas sur le mar ché des changes comme sur les fusionsacquisitions, l'analyse fine de la montée des investissements étran gers dans les sociétés du CAC 40 frança is. Les propositions concer nant la réforme du FMI avec une monna ie commune mond iale à par tir des Droits de tirages spéc iaux (DTS), à l'opposé de la domination du dollar aura ient pu enrichir la thèse de l’au teur (6).

LA NEUVIÈME LEÇON VISE À ORIENTER L'EURO VERS L'EMPLOI ET LE SOCIAL. L'auteur critique la logique qui a prévalu jus qu'ici d'intégration par le marché et montr e les effets déflationnistes de la démar che libéra le. Il propose de revoir les critèr es de la BCE, réclame des rééqu ilibr ages nécessa ires et souligne l'urgence de mettr e l'emploi au centr e, au lieu de se contenter de quelques lignes directr ices souvent utilisées en fait pour privilégier la flexibilisation à la baisse du coût du tra vail. Nasser Mansour i-Guilani aura it pu préciser davanta ge les avancées nou velles et pistes pour une réor ientat ion de la construct ion eur opéenne à par tir d'une sélectivité nou velle d'un cré dit à taux abaissé pour l'emploi et d'une politique d'expansion monéta ire commune pour la croissance réelle et non pour la croissance financ ière.

LA DIXIÈME LEÇON CONCLUT SUR LA NÉCESSITÉ DE ROMPRE AVEC LE LIBÉRALISME ÉCONOM IQUE et propose des pistes alterna tives.

Reprenant les analyses de Paul Boccara sur la révolution informat ionne lle, il montr e quels points d'app ui cela fourn it pour une nou velle civilisation, une nou velle régulation avec la montée de critèr es non marchands (par tage et non échange marchand).

Il pointe la nécess ité et l'insu ffisance d'une réor ientat ion de la politique conjonctur elle, l'urgence d'un nou veau type de plein emploi des ressour ces humaines. Nasser Mansour iGuilani renvoie alors à la proposition de construct ion d'un nou veau système de sécur ité d'emploi et de format ion (7).

L'auteur insiste auss i sur la nécess ité de res ponsa biliser les entr eprises ainsi que sur l'impu lsion d'un nou veau type de productivité. Il pose for tement la quest ion de la place du secteur public. Il réaffirme la nécess ité d'une réor ientat ion de la finalité du marché financ ier. En ce qui concerne une refonte efficace du financement de la protect ion sociale, s'il situe à sa juste place la proposition de réforme de l'ass iette des cotisations patr onales, sa présentat ion un peu troptechn ique de la modu lation des cotisations patronales reste cependant difficile (8).

Nasser Mansour i-Guilani term ine son ouvrage sur l'économie frança ise par un plaidoyer pour des propositions visant à réor ienter le type de construct ion eur opéenne , ainsi qu'à impliquer la France dans un véritab le co-développement de tous les peuples.

 

Nasser Mansour i-Guilani, L'économie française en 10 leçons, Editions de l'Atelier, Points d'app ui, 1999, 125 F.

  1. Cf. Pour une vision critique, Paul Boccara, cours de 2ème année, Histoire de la pensée économique, cité dans Catherine Mills, Economie et Politique, les courants fondateurs. Valeur et répartition, éditions Montchrestien, collection AES, 2ème édition, 1997.

  2. Paul Boccara, Issues, 1, 4e trimestre 1978, pp. 5-68 et 2, 1er trimestre 1979, pp. 67-138, « Travaux statistiques sur le système productif français et théorie des facteurs de la crise de structure ». Voir aussi Issues, 35, 3e trimestre 1989, Colloque international, « Nouvelle phase de la crise et enjeux des issues ».

  3. Pierre Concialdi, « Coûts de main d’œuvre et protection sociale : une perspective internationale », in Sociétés et représentations, sept. 99

« Protection sociale : quelle réforme ? », pp. 49-63.

  1. Conseil d’analyse économique, Retraite et épargne, Olivier Davanne, Jean-Hervé Lorenzi, François Morin ; La Documentation française 1998.

  2. Jean-Michel Charpin (dir.), L’avenir de nos retraites, rapport au Premier ministre, CGP, La Documentation française 1999.

  3. Cf. Paul Boccara, « Un ensemble de mesures monétaires et financières cohérentes » Economie et Politique, novembre-décembre 1998.

  4. P. Boccara, Issues, 47-48, 4e trimestre 1995. 1er trimestre 96. Voir aussi in « Protection sociale : quelle réforme ? », Sociétés et représentations, septembre 1999, « Pour une sécurité d’emploi ou de formation : au-delà du plein emploi traditionnel ».

  5. Avancée par P. Boccara dès 1977, sur laquelle j’ai personnellement travaillé dès 1983. Cf. notamment C. Mills, Economie de la protection sociale, Sirey 1994.

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Par Mills Catherine , le 31 January 2000

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