Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Après le procès de Prétoria, changer les règles dans l’industrie pharmaceutique

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Le 19 avril dernier est la date d'une belle victoire pour tous ceux qui dans le monde se battent pour que le choix de l'être humain l'emporte sur la dictature des multinationales. Les 39 plus grands laboratoires pharmaceutiques, après trois ans de bataille juridique et politique, renoncent à leur plainte contre l'Etat Sud-africain qui affirmait son droit d'acheter et de produire librement les médicaments nécessaires pour faire face à l'épidémie de Sida.

Cette victoire est d'abord celle du gouvernement de ce pays qui, depuis trois ans, refuse de céder aux diktats et campagnes de presse des laboratoires pharmaceutiques..

C'est aussi le résultat des campagnes d'ONG comme Médecins sans frontières qui allient l'action concrète dans les pays les plus dramatiquement touchés et les campagnes d'opinion pour l'accès de tous les peuples aux médicaments essentiels. MSF a ainsi recueilli 240 000 signatures demandant l'arrêt des poursuites contre l'Afrique du Sud.

Le Parti communiste français a pris sa part dans cette campagne avec une pétition internationale qui demandait l'abandon des poursuites, mais aussi la continuité de l'action pour que tous les pays concernés aient véritablement accès aux médicaments existants pour le Sida et toutes les maladies tropicales et que soit mise sur pied la coopération avec les pays du Sud pour développer les recherches et de maîtriser les technologies leur permettant de répondre à leurs spécificités sanitaires avec les financements appropriés.

Permettre à chaque pays d'accéder aux médicaments existants

Le principal obstacle à l'accès universel à tous les médicaments existants est le prix de vente des médicaments les plus modernes, souvent hors de portée des pays les plus pauvres.

C'est un fait indiscutable que la recherche pharmaceutique coûte de plus en plus. On cite des chiffres de 3 à 5 milliards de francs d'investissements et de dix ans de recherche pour mettre au point un médicament nouveau.

Mais ces seuls chiffres ne décrivent pas l'ensemble des problèmes. Il faudrait aussi parler des frais de promotion probablement aussi élevés. Et surtout faire la différence entre les profits financiers et le financement nécessaire des recherches à venir. Cette course au profit financier se traduit dans les pays développés par des restructurations où on ferme des centres de recherche et de production pour se concentrer sur les seuls médicaments où le taux de profit sera maximal, tandis que d'autres sont abandonnés au mépris des malades et plus particulièrement des malades des pays les plus pauvres.

En effet, l'ensemble des choix stratégiques des principaux laboratoires sont tous faits en fonction d'un marché d'environ 10 % de la population mondiale, pour l'essentiel les USA, l'Europe de l'Ouest et le Japon.

Ainsi, une étude de l'ONU qui chiffre à 3 milliards de dollars par an les dépenses nécessaires pour faire face à l'épidémie du Sida en Afrique ajoute que les Etats-Unis consacrent 52 milliards de dollars pour traiter l'obésité.

Quand, face aux pressions de l'opinion publique, les plus grands laboratoires annoncent qu'ils sont prêts à diviser le prix de certains médicaments par dix, on peut légitimement se poser des questions sur les conditions de fixation des prix. Les prix annuels d'une tri thérapie varie de 10 400 dollars dans les pays développés à 1 000 dollars au Sénégal. Et un laboratoire indien vient d'annoncer un prix de 600 dollars pour les Etats du Tiers-monde et même 350 dollars pour les ONG.

Ceux qui faisaient un procès à l'Afrique du Sud cherchèrent à défendre un système léonien des brevets qui donne vingt ans de monopole absolu au propriétaire du brevet. La fixation des prix est négociée en position de force puisque le brevet assure le monopole. Ainsi, en France, ce n'est pas le coût du médicament, gardé secret, qui sert à fixer le prix des médicaments innovants, mais le service rendu ou espéré, par exemple la durée d'hospitalisation évitée.

En fait, on assiste à un alignement des prix dans chaque pays sur ceux du marché américain.

C'est la protection sociale des pays européens qui solvabilise les médicaments. Et on comprend pourquoi les pays du tiers-monde ne sont pas pris en compte dans les calculs de rentabilité des laboratoires pharmaceutiques.

La première mesure à prendre serait donc d'exiger la transparence sur la fixation des prix de chaque médicament. Cela permettrait de s'attaquer aux gâchis financiers des prélèvements des marchés et d'organiser des partages de coûts, notamment de recher-ches et développements pour les maîtriser. La politique actuelle de fixation des prix aboutit à l'arrêt de productions de médicaments jugés non rentables. Ainsi, Martine Bulard, dans un article du Monde Diplomatique (janvier 2000) cite deux médicaments abandonnés ces dernières années par HMR (aujourd'hui Aventis) qui soignaient la maladie du sommeil (150 000 morts par an) et les méningites bactériennes particulièrement actives dans les pays du Sud.

Les laboratoires qui considèrent comme quantité négligeable tous les pays du Sud se sont pourtant donnés avec l'OMC un outil redoutable pour défendre le monopole que leur donne le système de brevet (voir encadré sur l'ADPIC).

Les pays les plus gravement touchés par des épidémies comme le Sida, mais aussi toutes les maladies tropicales sont aussi -et ce n'est pas un hasard- parmi les pays les plus pauvres. Pour certains de ces pays, faire passer le coût annuel d'une tri thérapie de 10 000 dollars à 350 dollars reste une pure abstraction quand le niveau de vie moyen ne dépasse pas quelques dollars par jour.

En même temps que la bataille pour faire encore baisser le prix des médicaments en défendant le droit de ces pays à se fournir en médicaments génériques, il faut donc créer les conditions qui leur permettent d'acheter ces médicaments et de mettre en place les structures sanitaires pour leur bonne utilisation. Il faut savoir que l'Afrique consacre quatre fois plus d'argent au remboursement de la dette qu'à la lutte contre le Sida. Cela ne pose t il pas l'exigence d'un fonds mondial de crise pour faire face à la situation ?

L'OMS a bien essayé de mettre sur pied une liste de médicaments essentiels dont tous les pays devraient pouvoir disposer. Mais les médicaments les plus modernes sont exclus de cette liste parce que trop chers

Assurer une véritable autonomie sanitaire

 

On l'a vu, les choix industriels des laboratoires pharmaceutiques ne prennent pas en compte les problèmes des pays du Sud. Il existe aussi dans les pays du Nord des maladies non rentables parce qu'elles touchent un trop petit nombre de malades, les « maladies rares ». Les USA, puis récemment l'Europe ont mis au point des systèmes d'aides publiques pour que ces maladies soient enfin prises en compte par les laboratoires. Ce progrès encore trop récent pour avoir déjà des effets visibles doit tout à la pression de l'opinion publique.

Mais pour les maladies du Tiers-monde, tout reste à faire. Médecins sans frontières parle des « maladies négligées ». Au mieux, quand une maladie touche à la fois les pays riches et les pays pauvres, l'OMS (Organisation Mondiale de la Santé) arrive à mettre sur pied une campagne mondiale d'éradication. C'est déjà fait pour la variole. C'est en cours pour la poliomyélite. Par contre une campagne contre le paludisme s'est arrêtée après que la maladie ait disparue des pays du Nord à la fin des années 50. Elle n'avait même pas été engagée en Afrique.

Un chercheur de l'Institut Pasteur déclarait en avril 2001 qu'avec les crédits actuels, il faudrait plus de dix ans pour mettre au point un vaccin contre cette maladie qui tue chaque année 2 millions de personnes dont la moitié d'enfants.

Permettre aux pays les plus gravement atteints de se fournir en génériques n'a de sens que s'il y a des pays capables de fabriquer ces génériques. Aujourd'hui, il y a le Brésil, l'Inde, la Malaisie. Mais pas de pays africains. C'est bien parce que l'Afrique du Sud a les structures industrielles qui lui permettraient de créer une telle industrie que les 39 laboratoires tenaient tant à empêcher ce pays de se doter d'une loi lui permettant d'acheter et de produire les médicaments indépendamment des propriétaires des brevets.

Mais la liberté d'accès aux génériques ne règle qu'une partie du problème. Quand les médicaments n'existent pas, il faut bien se poser la question de la recherche sur les maladies sans traitement.

Dans un rapport pour préparer le Sommet mondial pour le développement social qui s'est tenu en juillet 2000 à Genève, le secrétaire général de l'ONU citait: " Selon l'OMS moins de 10 % des dépenses de recherche médicale ont été consacrés à des maladies qui touchent 90 % de la population mondiale. Selon une étude de l'UNICEF, de 1975 à 1999, sur les 1 223 nouveaux médicaments brevetés, seulement 13 concernaient des maladies tropicales. Enfin, sur les 5 médicaments majeurs anti-parasitaires développés après 1980, un seul est issu de la recherche pharmaceutique, deux sont issus de la recherche militaire, un de la recherche vétérinaire et de la pharmacopée chinoise".

Il n'y a rien à attendre de la philanthropie des entreprises capitalistes qui viennent de s'illustrer dans le procès de Pretoria. Au mieux, quand elles se disent prêtes à offrir « certains » médicaments à « certains » pays, c'est pour torpiller les tentatives évoquées plus haut de créer une industrie indépendante. On connaît la pratique avec l'utilisation de l'arme alimentaire pour détruire l'agriculture des pays les plus pauvres. Une toute autre démarche pourrait être initiée en s'appuyant sur des institutions comme l'Institut Pasteur ou l'INRA en France qui ont une tradition, non seulement de recherche sur les maladies tropicales, mais aussi de formation. Des tentatives existent aussi dans les universités. Dans sa pétition lancée au départ contre le procès de Pretoria, le PCF propose d'aller jusqu'au bout du droit pour tous les pays à accéder aux soins en mettant sur pied un programme de transfert de technologies pour la production et la recherche pharmaceutique où les organismes de recherches publics et privés des pays développés coopèrent avec les pays du Sud qui le souhaitent.

Une prélèvement sur les profits considérables des grands laboratoires permettrait de financer la mise en place de ces plans de développement mutuel entre pays du Sud et du Nord.

Inventer d'autres règles que le profit pour piloter l'industrie pharmaceutique

Avec le procès contre l'Afrique du Sud et le problème des maladies tropicales, on voit bien combien la gestion capitaliste est totalement antagonique avec le droit à l'accès de toute l'humanité aux soins essentiels. Mais ce constat ne se limite pas aux pays du tiers-monde. Quand Aventis cherche comment réduire ses capacités de recherche en France pour se concentrer sur les deux ou trois axes thérapeutiques où il espère le taux de profits exigé par les actionnaires, c'est toujours le même problème qui est posé.

L'industrie pharmaceutique vit pour l'essentiel de financements publics en amont avec la recherche publique et les aides de l'Etat et, en aval, avec la Sécurité sociale. C'est une industrie qui fabrique un produit qui ne peut pas être une marchandise comme une autre. Une telle industrie ne peut pas fonctionner selon les règles du marché capitaliste. Au-delà de l'échec organisé de la nationalisation de Rhône-Poulenc, il faut bien voir que la gravité des enjeux pose bien de fait la question d'une maîtrise sociale où il faut arriver à imposer que les choix stratégiques obéissent à d'autres critères que ceux de la rentabilité financière. n

 

 

L'A D P I C

ADPIC : « Aspects des droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce »; en anglais TRIPS.

Cet accord, signé en 1994 dans le cadre des négociations de l'Uruguay round, visant à créer l'OMC, a pour objectif l'interdiction progressive (de 1996 pour les pays développés jusqu'en 2006 pour les pays du Tiers-monde) de produire ou d'acheter un médicament sans l'autorisation du propriétaire du brevet (droit valable pendant 20 ans).

Le caractère particulier de la santé qu'il est difficile de considérer uniquement comme un objet commercial a poussé à reconnaître deux exceptions en cas d'urgence sanitaire ou de refus de vente du propriétaire du brevet ou à des prix trop élevés.

Face à ces situations, les gouvernements concernés ont théoriquement le droit de recourir à des "licences obligatoires" permettent de fabriquer sans passer par le propriétaire du brevet ou à des importations parallèles permettant de les acheter auprès d'autres pays. Ces concessions sont, en fait, très limitées car parmi les pays susceptibles d'y recourir, bien peu ont les infrastructures industrielles nécessaires (actuellement aucun pays d'Afrique n'a d'industrie pharmaceutique) et, d'ici 2006, aucun pays n'aura la possibilité de produire hors brevet..

Si limitées soient-elles, ces dérogations font suffisamment peur aux laboratoires occidentaux pour qu'ils fassent tout pour empêcher leur mise en œuvre. C'est tout le sens du procès fait à l'Afrique du Sud, mais aussi d'une plainte des Etats-Unis devant l'OMC contre le Brésil qui, avec l'Inde, est l'un des principaux fabricant mondial de médicaments génériques.

 

 

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