JulieDébat d’Economie et Politique organisé avec le PCF, les groupes communistes du Sénat et de l’Assemblée nationale (3 mai 2001)et Alain Mori
Compte rendu du débat
Remi Brouté, collaborateur du groupe communiste à l'assemblée nationale, rappelle qu'en 1997, Lionel Jospin s'est engagé à revenir sur la loi sur le licenciement et que pour y contribuer, avec des syndicalistes et des juristes, 27 mesures ont été élaborées et rassemblées dans une proposition de loi du groupe communiste. Dans le cadre d'une « niche parlementaire », six d'entre elles ont pu être débattues. Si le groupe socialiste s'est refusé à soutenir ces propositions, Martine Aubry, ministre de l'emploi, s'est engagée à travailler avec la majorité sur deux points: rechercher les moyens d'éviter les licenciements et obliger l'entreprise à assurer de bons reclassements en cas de suppression inévitable d'emplois.
Sur le second point, il y a, selon R.Brouté, des mesures intéressantes dans les propositions faites par le gouvernement, mais rien n'est fait pour éviter les licenciements qui ne sont justifiés par aucun motif économique.
Or, le groupe communiste veut permettre de contester le motif économique, celui-ci doit être redéfini, afin que le licenciement ne puisse intervenir qu'en dernier recours.
Il faut que l'entreprise fasse la preuve qu'elle a utilisé tous les moyens autres que ceux qui s'appuient sur la réduction des coûts salariaux, par exemple, en ne recourant pas, à l'intérim ou à la sous-traitance qui entrent en concurrence avec les emplois menacés.
Rémi Brouté présente les autres propositions du groupe: obligation de reclassement des entreprises, droit à un recours suspensif du comité d'entreprise, obligation de mieux protéger les 85% de salariés touchés par des projets de suppression d'emploi exclus de tout plan social, mesures pour assurer la mise en place de comités d'entreprise dans un nombre plus important d'établissements, système de bonus – malus sur les taux de cotisation UNEDIC pour dissuader les licenciements
Pour la recherche du motif économique il est proposé d'élargir le bénéfice des expertises au-delà de l'établissement ou de l'entreprise en introduisant la notion de groupe élargi jusqu'aux entreprises sous-traitantes. Dans ce cas les prérogatives des comités d'entreprise des donneurs d'ordre seraient étendues aux entreprises sous-traitantes.
Rémi Brouté estime que la proposition d'introduire le bénéfice d'une entreprise comme motif économique pour refuser des licenciements n'est pas pertinent: outre qu'elle risque d'être d'anticonstitutionnelle, il existe de nombreuses techniques pour dissimuler l'ampleur des bénéfices. Il lui semble que « nous allons plus loin en obligeant l'entreprise à apporter la preuve qu'elle a bien utilisé tous les autres moyens que la baisse des coûts salariaux pour faire face à de prétendues ou réelles difficultés ».
Jean Robert Franco, responsable communiste du 11 ème arrondissement de Paris voit bien la nécessité de modifier les règles du jeu pour freiner les licenciements et se demande s'il ne faut pas non plus traiter le problème du financement.
Certes, il faut favoriser le crédit des banques plutôt que les marchés financiers. Mais ne faut-il pas aussi intervenir pour modifier le comportement des actionnaires, rassembler ceux qui sont prêts à faire fonctionner les entreprises selon d'autres règles. En effet, la plupart des fonds qui entrent dans le capital des grandes entreprises dans le cadre des fonds de pension provient de l'épargne des salariés.
Indrajet Mike Balchand, délégué du personnel de Marks & Spencer remercie les participants pour les 1 800 francs qui ont été collectés ce soir, et les élus et les militants du 9ème arrondissement qui les soutiennent depuis le début du conflit. Il s'interroge sur la rapidité des solutions apportées par l'adoption des amendements, mais estime qu'elles permettraient d'aider demain les salariés confrontés aux même situations. Il demande aussi de mesurer ce que vivent aujourd'hui les salariés de son entreprise, et appelle à être à leurs côtés, et d'aller à leur rencontre.
« Enfin une réunion sur les licenciements » s'exclame Josiane Blanc de la fédération CGT du Textile qui, après avoir regretté l'absence des élus communistes dans leur colloque sur ce thème, auquel tous les autres groupes de l'assemblée nationale ont répondu, rappelle que cette la branche a perdu, en France, 300 000 emplois en 10 ans.
En 2000, les licenciements ont touché Myris, Cellatex, Lacoste, DMC, ... Actuellement, 40 plans de licenciements, souvent liés à des délocalisations décidées par de grands groupes, sont en cours. Elle remarque que même le gouvernement passe aujourd'hui ses commandes à l'étranger (militaire, administration).
J. Blanc exprime également son inquiétude sur l'avenir de Courtauds, détenue par la multinationale Sarah Lee et contrôlant, elle-même, Marks et spencer, qui refuse de solder ses stocks importants et aggrave encore la situation actuelle de l'entreprise.
Elle attire l'attention sur la situation des salariés des PME qui sont sous protégés. Dans l'habillement, sur 6 000 entreprises, 80% d'entre elles ont moins de cinquante salariés.
Elle dénonce le comportement des grands groupes qui vont produire à l'étranger et souligne l'urgence de demander des comptes aux préfets et au gouvernement qui laissent faire. Elle met en avant le rôle des donneurs d'ordre, notamment de la grande distribution, dans la fragilisation des entreprises sous-traitantes et appelle à des mesures fortes. Souvent ces sous-traitances sont confiées à des aventuriers qui un jour disparaissent en laissant les salariés sans recours.
Elle rappelle les 9 milliards de francs d'aides publiques attribuées aux entreprises de cette branche sans contrôle et sans contrepartie, et constate à quel point les licenciements contribuent à la dégradation de la santé de nombreux salariés.
Elle doute de l'efficacité du renchérissement des licenciements proposé par Elisabeth Guigou qui se traduirait dans le textile par 4 500 francs supplémentaires sur des indemnités qui sont, dans la branche, de l'ordre de 30 000 francs. Enfin elle insiste sur la nécessité de contrôler les aides publiques et de promouvoir une politique industrielle aujourd'hui insuffisante, et qui ne pourra être efficace sans mettre un coup d'arrêt à l'explosion actuelle de la sous-traitance, notamment dans le textile.
Bernard Devert, de la fédération CGT de la métallurgie s'interroge sur les responsabilités politiques face aux attentes et aux exigences dans le domaine des licenciements. Il estime que tous les licenciements relèvent du financier ou du boursier, et réfute le critère d'« économiquement viable ».
Dans la métallurgie, 27 groupes projettent de licencier 16 000 salariés et de fermer 17 établissements. On tente, selon lui, de justifier cela en invoquant les coûts salariaux, sans jamais parler des gâchis financiers (ainsi AEDS, ex Aérospatiale, s'apprête à fermer trois établissements tout en versant 2,6 milliards de francs à ses actionnaires), ni des pertes de savoir-faire, de même que des conséquences sur les territoires et leurs services publics.
Il refuse de distinguer les entreprises bénéficiaires des non bénéficiaires. En effet, estime-t-il, dans la téléphonie, par exemple, tout le monde savait que le comportement des marchés financiers allait conduire à la catastrophe, mais on a laissé faire.
Ne faut-il pas mieux maîtriser le type de mondialisation actuelle? Proposer des mesures pour s'y opposer? Prendre la mesure des conséquences de l'ouverture du capital dans les entreprises et les services publics? Examiner de nouvelles interventions du public, de l'état et des salariés dans le capital des entreprises ? Pousser à une représentation du personnel dans les conseils d'administration des groupes?
Quant aux PME, Il rappelle qu'elles appartiennent pour 60% à des groupes, et dans la métallurgie 40% d'entre elles dépendent du capital étranger. Dans les deux cas, les lieux de décision s'éloignent des salariés.
Enfin, à propos du statut salarial, il considère que le PCF doit laisser ce champ d'intervention au syndical
Daniel Brunel, vice-président du conseil régional d'Ile-de-France, chargé de l'emploi et de la formation ressent le double besoin d'être une force de proposition et d'ouvrir des pistes d'action face à l'urgence.
« Nous avons un parti pris » dans l'affrontement actuel entre deux logiques: d'un côté celle de la rentabilité financière des patrons qui, certes, sous la pression, recherchent un habillage social à leurs choix avec des reclassements, des conversions, des reconversions industrielles qu'il ne faut pas négliger, mais où domine la loi de l'argent, de l'autre celle de l'efficacité sociale qu'exprime l'idée que certains font toujours plus de fric et d'autres sont toujours plus pressurisés. Selon Daniel Brunel, si ce sentiment ne nous donne pas des réponses concrètes, il appelle une autre logique, une logique d'efficacité sociale et économique pour l'émancipation de l'homme et une autre société. Nous devons nous appuyer sur cette évolution de l'opinion.
Que peut-on faire concrètement dans ce sens se demande-t-il ? Il montre que la décision de la région de suspendre un financement de 20 millions de francs d'infrastructures pour la réalisation du « centre mondial de la recherche de Danone » qui, pour le groupe a une portée financière limitée, à été, avant tout, reçue par son PDG comme un « défi politique » du conseil régional.
De même, selon lui, le vote de la loi Hue a interpellé notre région : « Cela a amené à réfléchir sur une évaluation de l'efficacité des trois milliards de francs d'aides publiques consacrées dans la région à l'emploi et à la formation professionnelle, à veiller à introduire des critères d'emploi et de formation, y compris des clauses prévoyant des remboursements en cas de non-réalisation des objectifs, dans les conventions que nous signerons avec les entreprises ».
Le projet d'une commission d'évaluation de l'efficacité des aides régionales va, dit-il, permettre d'ouvrir des chantiers « d'ingérence citoyenne ».
De même la mise en place d'une agence économique devrait permettre de préparer une conférence financière pour réfléchir à mobiliser autrement les fonds dans l'objectif de mieux répondre aux problèmes des salariés.
Claudine Chilz, salariée de la société Générale, attend de ce débat des pistes pour inverser le processus de ces plans de licenciements. Elle témoigne de la détresse des gens confrontés à cette situation. Travaillant dans une grande institution financière, elle estime que l'argent doit revenir dans les entreprises car la logique de la Bourse et des gros actionnaires mène les gens à la dérive.
Elle s'interroge sur le comportement de l'Etat comme grand actionnaire et sur le paradoxe d'un progrès social rimant avec licenciements.
Fiodor Rilov, universitaire, aborde 2 sujets: les avancées contenues dans les 27 propositions du groupe de l'assemblée nationale et quelques pistes pour une annulation des licenciements boursiers. La proposition communiste, considère-t-il, restreint le champ des motifs économiques admis par le droit alors qu'aujourd'hui un licenciement boursier peut être licite. Cette proposition sanctionne d'avantage les patrons qui manquent à leurs obligations de reclassement des travailleurs. Au lieu d'indemniser un salarié non reclassé comme aujourd'hui, la proposition annulerait le licenciement. Cette disposition pourrait rendre impossibles des licenciements boursiers.
Il invite à réfléchir à la législation allemande qui prévoit qu'un licenciement non motivé est nul. Dans le cas de licenciements économiques, ce sont les représentants du personnel qui vérifient si le motif est réel. S'ils constatent que le licenciement est seulement financier, ils peuvent utiliser un droit d'opposition. La procédure est suspendue jusqu'à ce que le juge confirme. Dans ce cas toute interruption du contrat de travail est annulée.
Selon F Rilov, ce mécanisme permet de répondre à l'exigence d'annulation des licenciements boursiers, et contraint les patrons à prendre en compte les alternatives avancées par les salariés, dans la mesure où ils savent que le droit d'opposition leur ouvre des prérogatives.
Jean louis Chesneau « citoyen électeur de Palaiseau » qui a participé à toutes les assemblées des Danone du site de Ris-Orangis, témoigne des traumatismes des salariés qui ont le sentiment de perdre bien plus que leur salaire, mais aussi tout leur univers de relations personnelles.
Il montre que l'implantation à venir de Vitapole, le centre de recherche de Danone, à Palaiseau n'est pas sans contradiction. Ainsi des militants sont en désaccord avec leur député maire socialiste et même quelques élus communistes qui ont refusé le boycott des produits Danone dans leur commune.
Il approuve les décisions de gel des aides du conseil régional et du conseil général de l'Essonne tout en réprouvant les aides aux aménagements du centre de recherche de Danone prévues par ces institutions.
Patrice Busque, salarié à la Caisse des dépôts et consignations, critique l'idée d'« une fenêtre de tir » pour les licenciements entre les municipales et les présidentielles car il s'agit de bien autre chose qu'un problème de conjoncture politique qui ne serait qu'un mauvais moment à passer.
Nous assistons, selon lui, à un ralentissement brutal de la croissance aux Etats-Unis, où l'on annonce cent mille licenciements par mois, mais aussi sur toute la planète. Dans un tel contexte, il pense que la norme de 15% de rentabilité financière, qui de plus ne tient pas compte des fluctuations de l'activité, impose en permanence un ajustement sur les salaires et sur l'emploi. Pour cela on a multiplié les fusions-acquisitions, les rationalisations, les rachats d'actions, la pression sur la sous-traitance et maintenant, avec le recul de la croissance, on risque de généraliser les licenciements. Ce sont les fonds de pension, les grandes banques, les assureurs, qui disposant des deux tiers des actifs financiers dans le monde, imposent de telles normes. Il y a besoin de faire reculer cette domination en faisant émerger d'autres normes, favorables à l'emploi et à la formation contre celle de la rentabilité financière.
Outre les interrogations qu'il a sur le terme de licenciement boursier Marc Cohen Solal, syndicaliste à la BNP-Paribas, souligne que l'UIMM, aile marchante du patronat, « voit dans les mouvements sociaux actuels une forte contestation du système par la société ».
En effet, selon lui, derrière le débat sur le licenciement boursier ou non, ce qui est contesté, c'est la justification des licenciements par l'insuffisance de rentabilité financière et de productivité apparente du travail, c'est-à-dire les critères capitalistes les plus fondamentaux. Les communistes doivent prendre position à ce niveau-là, notamment dans leurs propositions. Ils doivent contester une telle vision sociale et sociétale qui est celle des directions d'entreprises. L'aspiration à promouvoir d'autres critères ne doit pas empêcher de contester les fausses réponses qui sont avancées, comme les fonds éthiques qui permettent de faire cohabiter rentabilité et morale ou l'« actionnariat populaire contrebalançant les actionnaires dominants », comme le prétendent les promoteurs de la loi sur l'épargne salariale.
Il se dit d'autant plus frappé par les rachats de leurs actions par les groupes (13 milliards de francs à la BNP en 2000) afin de faire monter les cours, qu'ils s'accompagnent d'un appauvrissement des capacités réelles des entreprises. Pour lui, il faut aller à l'essentiel en proposant d'autres critères d'efficacité dans la société: création de richesse disponible pour les travailleurs et pour les populations, formation des hommes pour une productivité nouvelle. Ainsi, selon lui, on peut être plus fort sur ce qui fait tant peur au patronat.
Paul Boccara, voir encadré page 15.
François Gaudu, Professeur de droit, attire l'attention sur le fait que les élections agissent sur le timing des licenciements car les plans sociaux s'accompagnent de financements publics difficiles à négocier avant une échéance électorale.
Il estime que si les élus du personnel ne sont pas pris au sérieux par les responsables des entreprises, cela s'explique d'abord par le fait qu'ils n'ont pratiquement aucun pouvoir sur rien. Le plus important, ce n'est pas une définition scientifique du motif économique, c'est qu'ils aient des contrepouvoirs qui empêchent le patronat de décider seul sur tout ou presque. De tels contrepouvoirs peuvent concerner les heures supplémentaires, le règlement intérieur, ...
Ainsi le droit allemand qui donne aux salariés un pouvoir sur l'embauche, permet d’agir sur la précarité, la formation...
Dans le droit du travail français, des avancées existent déjà dans le droit au reclassement qu'il faudrait pousser jusqu'à l'obtention de nullité du licenciement en cas de non reclassement. Ce qui constitue aussi un enjeu important pour les gens qui sont licenciés en dehors des plans sociaux.
Dans le débat sur les formes de participation des salariés à la gestion des entreprises, il souligne l'existence de négociations tripartites dans les pays du nord de l'Europe, ou encore de la cogestion en Allemagne. Un droit des travailleurs à participer à la gestion est reconnu dans la constitution française, il ne pense pas que l'actionnariat des salariés soit un bon levier pour l'exercer sauf, peut-être, dans le cas des OPA. Enfin il constate que la France est quelquefois un cheval de Troie régressif dans les choix de gestion en Europe comme le montre l'entrée massive des fonds étrangers dans le capital des entreprises dans notre pays.
Selon Maurice Levret, salarié à France Télécom, le rejet des critères justifiant les plans de licenciement est si fort que nous avons l'occasion de commencer à mieux faire passer nos propres propositions sur les critères d'efficacité sociale, à finaliser, dans la société.
Il estime que nous devons renforcer notre bataille pour la mise en œuvre de la loi Hue et la publication des décrets aujourd’hui une partie des fonds publics financent encore les plans sociaux. Il attire également l'attention sur les questions des reconversions qu'il est nécessaire de contrôler tant l'expérience montre à quel point de nombreux reclassements se sont traduits par de fortes dévalorisations du statut des salariés.
Nicole Borvo, Présidente du groupe communiste du Sénat estime, compte tenu de l'émotion populaire, qu'il est temps que chacun prenne ses responsabilités. Et que pour sa part elle les a prises avec ses collègues du Sénat en s'appuyant sur deux constats : le refus du droit pour les salariés de discuter les décisions de leur direction comme chez Marks & spencer, et celui de voir le politique et le gouvernement sans prises sur les décisions économiques, impuissant devant les forces de l'argent.
L'opinion réfute cela.
Cela a amené le groupe communiste à proposer trois amendements pour :
– permettre aux salariés de suspendre les licenciements, – empêcher qu’une entreprise qui fait des bénéfices fasse des licenciements, en liant cet objectif à la « mise en tas » de tous acteurs concernés (syndicats, direction de l'entreprise, élus, administrations, banque...) pour rechercher des solutions alternatives,
– sanctionner le capital si l'entreprise continue d'enfreindre l'interdiction de licenciement avec l'obligation de rembourser les fonds publics qu'elle a touchés, et des pénalités sur le plan fiscal et sur les ventes d'actions.
Elle rapporte que le débat au Sénat a été simple : pour la droite le droit du travail ne doit pas contredire le droit boursier.
Le gouvernement a déposé une série de dispositions pour donner la possibilité de contredire les plans de restructuration, sans les suspendre toutefois au-delà de quinze jours, ainsi que pour renchérir le coût des licenciements.
Selon la présidente, « suite à l'engagement pris devant les salariés, les communistes doivent prendre clairement position. Et même si nous pouvons encore affiner nos propositions, pour moi, leur sens doit être celui-là ».
Nadège Lechevrel, jeune adhérente du PCF, s'interroge sur la fatalité de voir les états faire le jeu des multinationales. Elle imagine une force politique indépendante agissant à contre-courant des orientations de l'OMC. Pour cela, ajoute-t-elle, il lui semble nécessaire de dépasser la coupure actuelle entre le syndicalisme et le politique, de faire reculer l'emprise de l'argent, de la consommation, de l'individualisme dans la jeunesse, de transformer les partis et leur image dégradée dans la jeune génération. Elle se félicite de voir qu'au Sénat des élus défendront les mêmes idées que ceux qui se battent aujourd'hui dans les associations de lutte contre les orientations actuelles de l'OMC.
Thierry Bodin, Salariés d'Aventis, première entreprise des sciences de la vie en Europe, attire l'attention sur le projet de suppression de 1 800 emplois sans un seul licenciement. Un tel plan social risque d'aboutir à terme à la fermeture des sites de Romainville, de Vitry et de Lyon, soit 4 000 emplois. Toutes les organisations syndicales ont refusé ce plan, mais la direction « s'est assise sur cette opposition »
La colère des salariés a été d'autant plus forte que dans le même temps la direction décidait d'augmenter de 63% les dividendes versés aux actionnaires. Face à cette situation il lui semble nécessaire de travailler, non seulement sur les licenciements, mais aussi sur les plans sociaux dans leur totalité, et sur de nouveaux objectifs sociaux: ainsi en est-il de la proposition des salariés d’Aventis de ne pas réduire les capacités de recherche sur la santé publique et la santé animale et d'empêcher toute fermeture de centre en donnant pour cela de nouveaux droits aux salariés.
Yves Dimicoli, membre du collège exécutif du PCF, souligne combien l'émotion sur les licenciements a placé dans l'embarras le PS, la droite et Medef. Cette protestation est morale, mais c'est une porte d'entrée nouvelle pour un débat qui renvoie aux pouvoirs des patrons de jeter les salariés au chômage, au nom de l'intérêt de l'entreprise face au marché. Aujourd'hui, c'est ce pouvoir qui est discuté et aussi, avec le levier des incitations financières, celui dont dispose le gouvernement, de l'Etat et des élus dans leur ensemble.
Le débat sur les gestions des entreprises semble donc se conjuguer avec celui dont fait l'objet la politique gouvernementale. Cela conduit à une politisation du débat sur l'em-ploi et la politique économique. L'entreprise, interroge-t-il, est-elle seulement l'affaire des actionnaires ? « Mais l'entreprise, c'est avant tout les salariés et les populations qui mettent à la disposition des entreprises des moyens de fonctionner ».
Quant à l'Etat, son aide va-t-elle favoriser les marchés financiers et les grands actionnaires pour renforcer leur monopole d'informations ou répondre à la demande de formation, d'emploi, d'accès à la culture et à l'information des salariés et des populations.
Sur le plan politique, Y Dimicoli se demande si l'on n'assiste pas à la répétition de l'affaire Michelin. A ce propos, Lionel Jospin disait hier « il ne faut pas tout attendre de l'Etat », aujourd'hui il dit « ce n'est pas seulement à la législation de régler les problèmes sociaux dans les entreprises ». Même si cela est vrai, ajoute l'orateur, cela n'empêche pas une intervention du politique et nécessite aussi de modifier le cap de la politique économique qui, comme le montre le rapport de présentation du Plan français d'action pour l'emploi, récemment déposé à Bruxelles, reste fondé sur trois axes : continuer et renforcer l'allégement des charges sociales patronales, favoriser le retour à l'emploi avec le Pare (ouvrant à des reclassements déqualifiants), corriger les excès d'une régulation qui reste celle de la rentabilité financière. « Il s'agit bien, conclut-il, d'une bataille politique, donc sur les pouvoirs, qui appelle des droits nouveaux pour les salariés et d'autres acteurs comme les élus et les associations, des pouvoirs sur la gestion dépassant le seul droit de discuter avancé par Elisabeth Guigou, un pouvoir d'intervention sur les plans d'investissement et de financement des entreprises. Tous ces acteurs ont une légitimité à intervenir, d'abord sur les profits, pour les mobiliser afin de développer les capacités humaines et la croissance réelle, et aussi sur tous les fonds que la société met à la disposition des entreprises, comme les aides publiques et les crédits ».
Félix Abecia, formateur spécialisé, attire l'attention sur la situation des établissements de formation professionnelle des handicapés. Régis par la loi de 1975 qui attachent ces établissements au domaine médico-social, cette loi donne à la COTOREP les moyens de financer cette formation spécialisée. Récemment, un amendement a été introduit, en première lecture d'une loi, remettant en cause ce lien entre ces établissements et le domaine médico-social, ce qui menace les moyens dont dispose cette formation.
Il est nécessaire de mettre en échec cette tentative qui aurait de graves conséquences sur ces catégories de salariés.
André Dellinger, enseignant en économie à la retraite, s’imagine les salariés des sites menacés de fermeture de Danone, décider de continuer leur activité. Alors tout le droit serait en contradiction avec une telle décision : droit des brevets,... Cela poserait d’énormes questions à la gauche comme aux syndicats.
C'est pourquoi il faut, selon lui, s’attaquer, dans le domaine des droits, à la question essentielle, celle des pouvoirs de décision. Plutôt qu’un retour à l’autorisation administrative de licenciement, ne faudrait-il rechercher du côté d'un droit d'autorisation des élus et des salariés dans les bassins d'emploi ? C'est pourquoi, si le politique ne veut pas être dépassé par le social, il faut être prêt, selon lui, à proposer de nouvelles alternatives.
Hervé Tourniquet, juriste, partage le constat de l'exigence sociale forte contre les licenciements. Mais il est plus perplexe sur les propositions avancées dans le débat. Il estime, qu’en ne faisant pas connaître les propositions qui avaient été élaborées dans la proposition de loi du groupe communiste de l’assemblée, le PCF a perdu deux années pendant lesquelles ces propositions auraient pu être discutées, notamment dans les entreprises concernées par les plans sociaux. D'où un déficit sur la lisibilité de nos propositions aujourd'hui.
Quant aux mesures qui ont été avancées par le groupe communiste au Sénat, il estime que l'on revient vingt ans en arrière avec la proposition de donner au ministre du travail l'autorisation ou non de suspendre un plan de licenciements. Il reconnaît que les 27 propositions du groupe de l’assemblée peuvent être améliorées en intégrant, par exemple, la proposition de la nullité du licenciement dès lors que le motif économique n'existe pas. Mais réfutant le caractère défensif de ces propositions, elles souffrent surtout, selon lui, d’être méconnues. Il estime ce qui est présenté, aujourd'hui, comme des propositions nouvelles y était, pour une part, déjà contenu. C'est le cas, notamment de l'interdiction des licenciements boursiers sur laquelle la jurisprudence a déjà statué. Il estime que le débat sur le motif économique n'est pas dépassé. Il émet des doutes sur l’association des acteurs extérieurs, alors que 50% des entreprises qui devraient avoir mis en place leur comité d’entreprise ne l’ont pas fait. Il faudrait interdire tout recours à un plan de licenciement tant que le comité d’en-treprise n’est pas en place. Pour les entreprises qui n’y ont pas droit, il faudrait accorder aux Unions locales de syndicats les mêmes droits que les comités d’entreprise. Il ne faut pas seulement s’occuper des plans sociaux car 85% des salariés touchés par les licenciements ne sont pas concernés par ceux-ci. n
IBM Corbeil : Une lutte symbolique et exemplaire
A IBM Corbeil, l’une des plus grosses usines de composants informatiques d’Europe, pourtant ultra-moderne, la multinationale US en mai 1999 veut supprimer près de la moitié des emplois (42%, soit environ 1.150 (21) , mais sans aucun licenciement). Elle se retire en partie et laisse le contrôle de la génération suivante des composants produits à une nouvelle société partagée entre IBM et le groupe allemand Siemens.
En soit, ce « cas » illustre l’antagonisme entre la domination des marchés financiers et le développement de l’emploi-formation,dans un secteur au coeur de la révolution informationnelle. En 5 ans, de 1993 à 1997, la part des charges de personnel dans leChiffre d’affaires d’IBM-France a d’ailleurs reculé de 2,4 points, tandis que celle des coûts du capital augmentait de 3,7points (22).
Le contenu politique
Un tel « cas » de lutte est au coeur d’une nouvelle « cohérence de progrès social », cohérence encore insuffisammentdéveloppée : une autre façon de faire la politique, la place essentielle d’un mouvement social multiforme, l’anti-libéralismeen actes en intervenant sur l’utilisation de l’argent.La lutte a souligné l’impérieuse nécessité d’engagements sociaux européens chiffrés sur l’emploi et la formation,contraignants, financiers et vérifiables dès le terrain, comme coeur d’un pacte européen pour l’emploi, la formation etla croissance préfigurant un modèle social de mobilité dans la sécurité par le progrès de l’emploi et de la formation. Unmodèle responsabilisant les entreprises et les groupes, avec des pouvoirs d’intervention, de suivi et de contrôle par lescitoyens et les travailleurs, grâce à une autre mobilisation des profits, des aides publiques, de la finance et du crédit, modèle porteur donc aussi de nouvelles institutions.
Eléments de cadrage et d’ambiance politique et sociale
Le conseiller général communiste Bruno Piriou a obtenu la réunion d’une table ronde économique et financière autourdu préfet avec les élus salariés et politiques, la direction de l’en-treprise, la Banque de France et les services de l’Etat pourexaminer la situation, l’emploi et les financements. Finalement tout le conseil général s’est rallié à sa motion (y compris SergeDassault, maire de la ville). Le préfet a présenté la réunion de la table ronde du vendredi 7 mai dernier comme n’étant qu’unepremière réunion, entendant par là que l’expérience devait se poursuivre.
En phase avec l’intersyndicale d’IBM et proches de la population de Corbeil, les communistes ont réclamé « des comptes à laDirection d’IBM et à l’Etat » et proposent d’examiner des chemins sécurisant et développant l’emploi-formation, dans unesouplesse de progrès et de coopération, sans camper sur un statu quo. Surtout, ils ont réclamé pour cela d’autres pouvoirs politiques, pour les citoyens, les salariés et leurs différents élus, des pouvoirs sur ce qui compte : l’emploi (moratoire) et lesfinancements (conditionnalité, suspension, suivi).
Pour situer le « dossier
Il s’est agi officiellement de fermer une ligne de production (mémoires 16Mb) en fin de vie et prétendue (rien n’est sûr)déficitaire, suite notamment à la crise financière et à la chute du Yen, pour (1) une mutation vers les circuits « logiques », (2) installer une ligne produisant des mémoires 64 Mb et (3) ouvrir une coopération « aval » sur les composants detélécommuni-cations avec Siemens. Corbeil serait le « Centre de compétence mondial pour les mémoires avancées ». Siemens possèderait la moitié des actions + une, IBM le reste.
Rappelons que d’une part le groupe IBM-Monde vient d’annoncer 9,1 milliards de francs de bénéfices (+50%), rachète sesactions, tandis que d’autre part IBM-France venait d’investir environ 3 milliards de francs d’équipements en 1996 et à nouveauen 1997 (une bonne partie à Corbeil) et de bénéficier de nombreux cadeaux fiscaux et sociaux, sans conditions, dont le dernieren date était une aide à la Taxe Professionnelle à l’initiative de Serge Dassault, maire actuel de Corbeil-Essonnes.
IBM-France (12 537 salariés en 1997) est par ailleurs la tête d’un sous-groupe couvrant l’Europe et le Proche et Moyen-Orient,comptant environ 21 000 salariés en France. Son chiffre d’affaires est constitué pour moitié de vente de matériel et pour moitiéde ventes de services, de logiciels, maintenance, etc.
Le site d’IBM est à la fois très moderne (une ligne de production : ce sont des équipements implantés dans une salle blanche,contrôlés par des ouvriers très qualifiés derrière des ordinateurs, auxquels on va proposer de travailler quasiment en 3*8, aumépris de leur santé et de leur vie sociale et de famille) c’est aussi une très ancienne implantation, datant d’avant-guerre (pendant la guerre, déjà, le site avait fonctionné sous contrôle allemand...). Le site comprend en outre un petit laboratoire deRecherche et Développement, actuellement en rabougrissement, alors que les camarades demandent des engagements sur ledéveloppement à « IBM-Siemens » et autour d’activités de services couplées aux productions actuelles et futures... Dans ce sens, les camarades avaient fait le pari, avec des instruments de maîtrise, d’une coopération tripolaire USA-France-RFA,impliquant notamment les services publics, acheteurs, mais pourquoi pas ultérieurement « le sud », à condition qu’il y aitdéveloppement de l’emploi et de la Valeur ajoutée disponible pour les populations en France et en Europe
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