Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Algérie : les ravages du néo-libéralisme

Durant son premier mandat – 1999-2004 – Abdelaziz Bouteflika martelait que sans le retour de la paix, il n’y aurait pas de relance économique. La loi sur la Concorde civile, adoptée massivement en septembre 1999, devait y conduire. Servi par une conjoncture pétrolière exceptionnelle - qui se poursuit aujourd’hui – couplée à une nette diminution de la violence islamiste, auxquelles s’ajoutaient des performances agricoles dues à une bonne pluviométrie, le président algérien se plaisait à la veille de l’élection présidentielle d’avril 2004 à présenter un bilan flatteur mais qui occultait une réalité sociale préoccupante (1).

Aujourd’hui, l’Algérie n’évolue plus dans les mêmes conditions que durant la période 1994-1997, période durant laquelle elle s’était vue imposer par le FMI un plan d’ajustement structurel sur fond d’une violence islamiste qui menaçait l’existence même de l’Etat algérien et dans un contexte de total isolement international. A la fin de 1993, le pays était en situation de quasi-cessation de paiement. Les réserves de change accusaient un solde négatif, le montant de la dette extérieure était de 25,7 milliards de dollars, son service de 9,05 milliards de dollars alors que les exportations étaient de 11,01 milliards de dollars. Autrement dit, le service de la dette absorbait à lui seul 82% du total des recettes d’exportation. Cette situation s’est aggravée en 1994. Avec un montant de 29,5 milliards de dollars, le stock de la dette a augmenté de près de quatre milliards. Le service de la dette ( 9,1 milliards de dollars) absorbait alors 95% des recettes d’exportations ( 9,5 milliards de dollars, en baisse de 2 milliards de dollars par rapport à fin 1993). Pays mono-exportateur, les hydrocarbures contribuaient pour plus de 80% aux recettes en devises du pays. De ce fait, une diminution de ces recettes se répercutait négativement sur l’appareil productif industriel public dont le fonctionnement dépendait des approvisionnements extérieurs et subissait de plein fouet la contrainte externe entraînant une sous-utilisation de ses capacités productives (2). De plus, cette situation avait entraîné la dégradation de la solvabilité du pays dans un contexte de fermeture des marchés financiers se traduisant par un recours excessif aux crédits à court terme qui, à son tour, gonflait l’encours de la dette. Les mesures de compression des importations de biens d’équipements mais surtout des biens de consommation primaires (blé, lait) qui ont eu pour effet de pénaliser les couches les plus démunies, le gel des salaires, l’arrêt de toutes embauches nouvelles – les départs en retraite n’étaient plus remplacés – n’ont pu empêcher la poursuite de la détérioration de la situation économique et financière du pays. De ce fait, dans un contexte de crise socio-économique d’une extrême gravité et de violence terroriste imposée par l’islamisme radical - le coût occasionné par les sabotages, incendies et destructions des infrastructures économiques a été estimé à plus de 20 milliards de dollars -, le plan d’ajustement structurel couplé au rééchelonnement de la dette extérieure était non seulement inévitable mais se présentait comme une sorte de ballon d’oxygène pour un régime politique en survie (3).

 

Les conséquences du plan d’ajustement structurel

Le rééchelonnement de la dette extérieure adossé à un plan d’ajustement structurel d’une durée de quatre ans ( 1994- 1997) fixait comme objectifs le rétablissement des grands équilibres macro-financiers, des réformes structurelles, la relance de la croissance. Le tout devait permettre de dégager des excédents afin d’honorer le service de la dette à l’horizon 2000. Concrètement, il s’est traduit par un désengagement social de l’Etat avec à la clé l’arrêt des subventions aux produits de première nécessité, la dévaluation graduelle du dinar ( la monnaie algérienne) afin d’atteindre la parité en vigueur au niveau du marché informel, le gel des salaires, l’arrêt de tout crédit d’investissement aux entreprises publiques déficitaires couplé à un programme de privatisation et, enfin, la libéralisation du commerce extérieur.

A fin 1998, si cette politique de rigueur budgétaire et monétaire a permis de réduire l’inflation - de 30% en 1994 à 6% à fin 1997 - de rétablir les grands équilibres macro-économiques et financiers et de reconstituer les réserves de change, pratiquement au niveau zéro en 1993 pour atteindre plus de 8 milliards de dollars fin 1997, elle s’est faite à un coût socialement douloureux pour les Algériens. Plus de 1010 entreprises publiques ont été fermées supprimant l’emploi de près de 500.000 travailleurs qui sont allés gonfler un chômage atténuant presque de 30% de la population active. Pis, les couches moyennes ont été laminées et le pouvoir d’achat a subi une baisse de près de 80 % tandis que les prix à la consommation, y compris l’électricité, le gaz et l’eau, du fait de la dévaluation de la monnaie ont été multipliés par dix. De manière générale, ledésengagement social de l’Etat qui s’en est suivi s’est traduit par une dégradation généralisée des conditions de vie, du logement, des soins et des services sociaux ainsi que par la précarisation de l’emploi et une paupérisation accrue : près de 30% des Algériens vivaient sous le seuil de pauvreté alors que ce taux ne dépassait guère les 15% à la fin des années 80. Le filet social, financé par la Banque mondiale devant atténuer les effets de cette thérapie de choc néo-libérale, ne fut ainsi qu’un pis-aller.

 

Huit ans après la fin du plan d’ajustement structurel, qu’en est-il de la situation ?

Sur le plan financier l’Algérie a assaini sa situation et sur le plan sécuritaire, la violence s’est nettement atténuée. Elle dispose d’une aisance financière sans précédent depuis une vingtaine d’années, grâce à une exceptionnelle conjoncture pétrolière dont tout indique qu’elle s’inscrit dans une relative durée : les réserves de change ont atteint 55 milliards de dollars à fin octobre 2005 et dépasseront sans doute la barre des 60 milliards à la fin de l’année. Depuis 2000, la balance commerciale est excédentaire pour la sixième année consécutive. Fin 2004, elle accusait un solde positif de 16,2 milliards de dollars. Et les prévisions pour 2005 donnent un excédent de 17 milliards de dollars. La balance des paiements est également excédentaire : fin 2004 elle a enregistré un solde net de 9,6 milliards de dollars. Le stock de la dette qui était de 29,5 milliards de dollars à fin 1994 n’est plus que de 19,1 milliards en 2005, tandis que le service de la dette a baissé considérablement (12,1%). Cette croissance continue de l’ordre de 5% par an en moyenne depuis 2001 a fait progresser le PIB par habitant de 1499 dollars en 1995 à 2620 dollars en 2004, retrouvant de ce fait son niveau du début des années 80. Cependant, ces indicateurs macro-économiques ne doivent masquer ni la structure toujours mono-exportatrice de l’économie algérienne où la croissance est tirée exclusivement par les exportations d’hydrocarbures, ni le fait qu’elle ne s’est pas traduite par une amélioration de la situation sociale du plus grand nombre. Elle met plutôt en évidence la vulnérabilité de l’économie algérienne à un double niveau. D’une part, un simple retournement de la conjoncture pétrolière, comme cela s’est produit au début des années 80, se traduirait dans le contexte actuel de désengagement de l’Etat, pour une majorité d’Algériens par des conséquences sociales sans doute plus graves que celles induites par la politique d’ajustement structurel de 1994-97 et, d’autre part, conséquence du libéralisme imposé par les institutions financières internationales et appliqué avec zèle par le pouvoir algérien, pour la première fois depuis 1971, l’Algérie n’aurait plus la maîtrise de sa production pétrolière et gazière.

Or, depuis 1995 et notamment depuis 2000, la part de la production de la Sonatrach, la compagnie algérienne, a baissé au profit des entreprises anglo-saxonnes (4). Ainsi sa part dans la production pétrolière nationale est passée de 98% en 1995 à 49% en 2004. Ce qui signifie que les sociétés étrangères, américaines notamment, contrôlent désormais plus de la moitié du pétrole produit en Algérie. Pire, conséquence de l’ouverture de l’économie algérienne, constate Ahmed Benyacoub, professeur à l’Université d’Oran, les rentrées de capitaux étrangers, sont inférieurs aux sorties. Si pour la période 2002-04, le montant des investissements directs s’est élevé à 2,5 milliards de dollars, les transferts ont atteint pour la même période 6,9 milliards de dollars (5). Pour le seul premier semestre 2005, les transferts ont atteint 2,1 milliards de dollars indique le rapport de conjoncture de la Banque d’Algérie (6). C’est considérable quand on sait que les hydrocarbures sont la principale source de rentrée en devises et de financement de l’économie algérienne.

Avec la nouvelle loi sur les hydrocarbures, adoptée sans débat, par le parlement algérien en décembre 2004, la situation risque de s’aggraver dangereusement et se traduire à terme par une dépossession des ressources énergétiques au profit des sociétés étrangères. Sous prétexte d’une séparation entre l’Etat propriétaire et l’entreprise publique, elle met fin au monopole qu’exerçait la Sonatrach sur l’activité pétrolière et gazière en matière de recherche-exploration et production-commercialisation. Si l’Etat reste propriétaire du sous-sol algérien, la production et la commercialisation du pétrole et du gaz obéissent désormais aux seuls règles de la concurrence. Dans ce cadre, la Sonatrach est désormais un agent économique au même titre que les autres sauf qu’elle ne possède ni les capacités technologiques des grandes compagnies anglo-saxonnes ni leurs moyens financiers. Pour survivre et faire face à la concurrence, elle n’a d’autre choix que le partenariat ou l’ouverture de son capital social, ce qui est prévu par la loi. Celle-ci étend désormais la possibilité d’intervention des sociétés étrangères et ouvre la voie à un processus rapide de dépossession de l’Algérie de son unique richesse et de privation de son seul levier de financement de développement, et ce, à un moment où l’envolée du prix du baril impose le maintien sous contrôle de l’Etat des ressources énergétiques (7). Pour autant, le gouvernement algérien aurait dû suivre les conseils du FMI qui, pour une fois, lui a recommandé dans son dernier rapport de « conserver une partie des richesses en hydrocarbures pour les générations futures » (8).

En attendant, les problèmes de toutes sortes s’accumulent. La quasi -totalité des entreprises publiques tournent au ralenti ou sont sur le point de déposer leur bilan. La dérégulation de l’économie, la libéralisation accélérée des échanges qui a atteint un point de non retour avec la préparation de l’accession à l’OMC et la mise en œuvre à compter de septembre 2005 de l’accord d’association de libre-échange avec l’UE impliquant un total désarmement tarifaire à l’horizon 2010, interdit de fait toute possibilité de financement des approvisionnements et des investissements des entreprises publiques par le budget de l’Etat ( Trésor). De plus, si le taux de chômage a baissé, passant de 30% en 1998 à moins de 20% en 2004, il demeure néanmoins à un seuil élevé. Le pouvoir d’achat a subi une érosion de 7,9% en 2004 par rapport à 2003, la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, bien qu’en légère baisse, est estimée à près de 20%, tandis que l’on assiste à l’émergence d’une classe de nouveaux riches ayant bâti leur fortune dans l’import-export. De manière générale, ainsi que l’indiquent ces émeutes sociales qui embrasent régulièrement le pays, les conditions de vie, loin de s’améliorer, se sont dégradées au cours de ces dernières année. Or, toute la question est de savoir comment transformer les énormes réserves de change dont dispose l’Algérie en investissements et en emplois au lieu de les laisser dormir dans les banques. La réponse du pouvoir est simple : il fautmoderniser l’économie. Entendre : accélérer la mise en œuvre des réformes structurelles qui devraient dès 2006 se traduire par la privatisation du secteur bancaire et financier. Pour l’heure, cette manne financière fait tout de même des heureux : les barons de l’économie informelle qui ne trouvent, contrairement aux entreprises publiques et du secteur privé industriel, aucune difficulté d’accès aux crédits en devises pour financer leurs importations de biens de consommation. Leur poids est tel dans la sphère commerciale qu’ils ont fini par mettre en difficulté voire à couler de nombreuses entreprises textiles et agro-alimentaires privées. Corruption aidant – celle-ci gangrène la société algérienne et s’ajoute aux ravages sociaux causés par le tout-libéral – ces nouveaux milliardaires disposent d’une capacité de nuisance telle qu’ils peuvent influer sur les choix de développement, voire les orientations politiques du pays (9). Qui plus est, la division des forces démocrates couplée à leur faible ancrage socio-politique et dont la seule stratégie consiste pour l’heure à la dénonciation de la politique du pouvoir, fait qu’il n’existe malheureusement aucune alternative sérieuse à la politique libérale du pouvoir.

  1. Hassane Zerrouky, Abdelaziz Bouteflika ou la régression programmée de l’Algérie in Recherches  internationales n° 71, 1-2004.

  2. Cette sous-utilisation des capacités productives était amplifiée également par une insuffisante maîtrise technologique des moyens de production.

  3. En 1994, les services occidentaux, CIA en tête, prévoyaient l’arrivée des islamistes au pouvoir au plus tard fin 1994. Aussi préconisaient-ils une solution à la soudanaise consistant en un partage du pouvoir entre l’armée et les islamistes.

(4) Selon la loi sur les hydrocarbures de 1992, les compagnies de pétrole sont liées par des contrats de partage de production – 50/50 – avec l’entreprise nationale algérienne, Sonatrach, en cas de découverte de gisement.

(5) Le Quotidien d’Oran du 1er décembre2005.

(6) Le Quotidien d’Oran du 11 novembre 2005.

(7) A noter que même des pays comme l’Arabie saoudite ont refusé de dénationaliser leur pétrole.

(8) Rapport du FMI cité par A. Benyacoub, le Quotidien d’Oran du 1er décembre 2005.

(9) Dans de nombreux cas, ils sont parvenus à faire échouer de nombreux projets d’investissements directs contraires à leurs intérêts

 

 

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