Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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En finir avec le chômage et la précarité :est-ce possible ? Comment ? (1)

Quand on pose la question « Comment en finir avec le chômage et la précarité ? », on met
haut la barre, on vise une transformation radicale. Mais c’est la gravité des difficultés, leur
persistance, les échecs répétés des soi-disant solutions qui posent cette exigence radicale.

I. POUR UN PROJET DE SECURISATION DE L’EMPLOI ET DE LA FORMATION

L’ampleur du chômage massif et encore plus de la précarité des emplois empoisonnent toute la vie sociale, comme le montre encore l’explosion dans les banlieues. Officiellement, il y a près de 2,4 millions de chômeurs, 9,7% de la population active, mais en fait plus de 3 millions et demi (y compris plus d’un million de Rmistes). Quant aux emplois précaires (CDD, intérim, temps partiels contraints, contrats aidés, petits boulots), ils atteindraient plus de 3 millions et demi. D’où au total, plus de 7 millions de personnes au chômage ou frappées par le sous-emploi.

Les légers reculs officiels récents sont en grande partie dus aux radiations du chômage et aux stages ou contrats aidés précaires. Tous les milieux connaissent une aggravation de la précarité : des habitants des cités populaires dont le chômage est le double de la moyenne nationale, aux licenciements ouvriers à répétition dans l’industrie, aux cadres dont le nombre de chômeurs a été multiplié par 2 depuis 2000 et à la précarisation dans la fonction publique.

La progression de cette insécurité sociale depuis une trentaine d’années révèle l’inefficacité et même le caractère pervers des mesures prétendant lutter contre elle. Le réalisme réclame une alternative radicale. Un autre projet de société devrait viser à supprimer le chômage et la précarité au lieu de composer avec eux. Les nouvelles technologies, sous domination des marchés financiers, avec les mises en cause des droits sociaux et la mise en concurrence des salariés en Europe et dans le monde entier, relancent sans cesse le chômage. Mais aussi, ces nouvelles technologies de la révolution informationnelle, autrement utilisées, avec notamment une ampleur considérable des activités de formation à côté de l’emploi, la réduction du temps de travail, etc., permettraient de sécuriser désormais les activités professionnelles, emploi ou formation, pour chacun. Dès 1996, a été avancé le projet d’une «Sécurité d’emploi ou de formation» visant l’éradication du chômage. Ce projet a été repris par le PCF et par d’autres forces alternatives. Ensuite, à son tour, la CGT a lancé le projet de «Sécurité sociale professionnelle». Enfin, la proposition de «Sécurisation des parcours professionnels» a été mise en avant, de façons diverses, de la CGT à la CFDT. Cette dernière expression vient d’être reprise par le Congrès du PS. Derrière la reconnaissance d’un besoin fondamental nouveau, il y a bien sûr des divergences, éventuellement profondes, mais aussi des rassemblements possibles.

L’enjeu fondamental serait : ou bien des avancées graduelles de sécurité allant vers l’éradication effective de la précarité et du chômage, ou bien le maintien du chômage considéré comme inéliminable, mais avec une continuité de droits améliorés, ce qui pourrait dériver vers de simples mesures d’accompagnement social. Cependant, pour beaucoup, le travail humain ne doit plus être traité comme une simple marchandise, achetable ou non et au moindre coût, avec des travailleurs jetables comme des Kleenex.

Une convergence des luttes et des propositions pourrait être développée pour faire progresser une sécurisation de l’emploi et de la formation. Un système de sécurité d’emploi ou de formation, quant à lui, assurerait, pleinement réalisé, à chacune et à chacun, un emploi ou une formation pour revenir à un meilleur emploi, avec une continuité de bons revenus et droits.

L’exigence de parvenir à une sécurité de revenu pour tous est légitime. Cependant, ses modalités posent les questions de son niveau et aussi des activités, emploi, formation, autres activités sociales utiles, répondant à l’épanouissement et à la dignité de chacun ainsi qu’à la contribution aux produits et services socialement nécessaires.

La question de la transformation du travail est aussi posée pour passer d’une activité dominée, contrainte et précaire à une activité maîtrisée et pleinement créative. La sécurisation et la promotion des activité professionnelles de chacun affronte encore le défi des divisions et discriminations contre les femmes, contre les jeunes ou les travailleurs âgés, contre tous les travailleurs que l’on dit issus de l’immigration.

Une construction tendant à en finir avec le chômage et la précarité devrait être au cœur d’un projet politique et social vraiment alternatif. A cette fin, il ne s’agirait pas de simples discussions de sommet entre organisations pour changer le rapport dans la gauche, pour la transformation sociale. Il faudrait que les travailleurs, les citoyens, les militants politiques, syndicaux, associatifs, prennent en main le plus possible les choses, en participant à l’élaboration des propositions, aux luttes de terrain et pour expérimenter des interventions pour les contrôles des gens concernés eux-mêmes.

II. DES PROPOSITIONS POUR UNE AUTRE CONSTRUCTION : OBJECTIFS ET MOYENS

Des objectifs de sécurisation de l’emploi et de la formation doivent s’exprimer dans de nouveaux droits sociaux, avec de nouveaux pouvoirs et des moyens financiers alternatifs, pour une refonte des institutions existantes à partir des luttes et débats en cours, et de nouvelles institutions avec d’autres lois. Cela renvoie à d’autres conditions d’une politique économique, industrielle et de recherche, mais aussi à d’autres gestions des entreprises, pour un autre type de croissance.

Indiquons cinq axes :

1er axe : Les chômeurs.

On peut partir de la nouvelle convention en discussion sur l’assurance-chômage. En prétextant le déficit de l’UNEDIC, le Medef voudrait rétablir la dégressivité des allocations, augmenter la durée d’emploi nécessaire à l’ouverture des droits, réduire la durée et les montants des indemnisations.

Il faudrait, au contraire, augmenter sensiblement les taux de cotisation pour non seulement ne pas amputer les droits mais les améliorer radicalement, en taux, en durée, en nombre des chômeurs couverts. Un accroissement supplémentaire des cotisations des employeurs serait instauré les frappant dans la mesure où ils font des emplois précaires. Sous couvert de pousser au retour à l’emploi, on exerce le maximum de pressions pour réduire et même supprimer les indemnisations. Au contraire, une amélioration radicale des indemnités et l’appui sur les services publics du logement social et des transports assurerait les meilleures conditions pour se consacrer à un bon retour à l’emploi. Au-delà, alors que moins d’un chômeur sur deux est indemnisé par l’UNEDIC, il s’agirait d’unifier le système d’indemnisation pour couvrir l’ensemble des chômeurs, tout en démocratisant son contrôle par les syndicats, les chômeurs et leurs associations, et en relevant très sensiblement les taux avec le Smic pour référence.

Un autre système du retour à l’emploi, à l’opposé des pressions actuelles pour accepter n’importe quel emploi, réhabilitera le droit de refus pour motif légitime, pour les emplois ne correspondant pas aux qualifications, aux rémunérations antérieures, ou trop éloignés, et instituera le libre choix de l’emploi et de la formation.

2ème axe : La formation continue.

Le service public de la formation continue, avec notamment l’AFPA, doit recevoir des moyens beaucoup plus importants et être démocratisé. Tout le système de la formation continue doit être refondu contre ses gâchis et ses inégalités extrêmes, son caractère anti-démocratique. Son expansion formidable participerait au renversement de l’instrumentalisation des êtres humains, pressurés et précarisés, dont le développement sécurisé des capacités et de la vie deviendrait au contraire un but prédominant, pour allier productivité nouvelle économisant le travail et sécurité des activités professionnelles.

3ème axe : Les entreprises et l’emploi.

Des moratoires suspensifs contre les licenciements doivent favoriser des propositions alternatives des salariés, de leurs élus et de leurs Comités d’entreprise, à partir de la notion de responsabilité sociale des entreprises. Il s’agit non seulement de rétablir mais d’aller bien au-delà des dispositions de la loi de modernisation sociale pour les pouvoirs de propositions et de recours des salariés sur les restructurations, avec des arbitrages, jusqu’à de bons reclassements et la réindustrialisation.

Toutes les entreprises et leurs stratégies, les entreprises publiques à développer et les entreprises privées, devraient faire l’objet d’un droit de suivi des gestions, tout particulièrement pour les emplois et leur création, par les salariés et leurs comités d’entreprise, en liaison avec les élus locaux et les besoins des populations. Il s’agit de faire avancer des critères de gestion d’efficacité sociale, fondés sur le développement des travailleurs et de leurs qualifications en liaison avec la recherche-développement, en faisant reculer le pillage par les actionnaires et la rentabilité financière

4ème axe : La résorption de la précarité.

La suppression des contrats dit de « nouvelle embauche », permettant de licencier à volonté pendant deux ans dans les entreprises de moins de 20 salariés, doit se poursuivre par un développement de la législation restrictive et son application avec un plan de résorption des divers contrats précaires pour des reconversions en emplois stables. Au-delà, de nouveaux contrats de pérennisation et de sécurisation de l’emploi, en passant d’une entreprise à une autre et de maintien des droits et des revenus, y compris par lepassage en formation, pourraient être proposés, avec par exemple des réseaux régionaux de sécurisation des parcours professionnels incluant les diverses entreprises et les services publics, avec des coopérations nouvelles entre eux.

5ème axe : Les territoires.

Sur chaque territoire, des objectifs annuels contraignants de créations d’emplois et de formations doivent permettre de résorber le chômage et de sécuriser les activité professionnelles, avec des mesures spécifiques contre toutes les discriminations, et en relation avec un développement alliant modernisation sociale et modernisation technique. À ce propos, les pôles de compétitivité expriment le besoin de coopérations «industrie - Recherche – université» et de fonds publics à cette fin, mais pour pousser la concurrence monopolistique entre entreprises et territoires français, entre salariés et aussi avec l'extérieur. Pilotés par les grands groupes et la rentabilité financière, ils s'inscrivent dans le processus de pressions sur les salaires, pour les suppressions d'emplois et pour les délocalisations. Il faudrait les transformer et leur substituer des réseaux de coopérations d'efficacité sociale des technologies, avec une démocratie participative d'intervention des salariés et des citoyens dans les gestions. Ces réseaux développeraient bien plus amplement les nouvelles productions avec la promotion des populations, de leur formation, de leurs emplois qualifiés, des recherches fondamentales sans restriction et de développement, des financements émancipés des marchés financiers.

Pour finir, je veux insister sur le facteur le plus décisif : les moyens financiers.

C’est d’abord les fonds publics. Leur contrôle du point de vue de l’emploi réclame leur remboursement en cas de licenciements. La vingtaine de milliards d’euros utilisés pour prendre en charge les cotisations sociales patronales au nom de l’emploi, surtout pour les bas salaires, sont gâchés pour faire pression à la baisse sur tous les salaires, déprimant la demande et favorisant le chômage.

Les fonds publics devraient être utilisés tout autrement : pour développer massivement la formation continue publique, à côté des prélèvements des entreprises, pour les entreprises d’insertion et d’économie solidaire, pour des créations d’emplois dans les services publics, et aussi pour contribuer au changement des relations des entreprises avec les banques, par les incitations à un autre crédit et à une autre gestion.

Des fonds publics peuvent prendre en charge tout ou partie des intérêts des crédits des banques, à condition que ces crédits aux taux d’intérêt très abaissés financent des investissements matériels ou de recherche accompagnés d’engagement de créations d’emplois. Les taux seraient d’autant plus abaissés, jusqu’à zéro, que des créations d’emplois seraient effectuées.

Dès maintenant, cela peut commencer avec des Fonds Régionaux pour l’emploi et la formation. Quelques uns ont été institués ou sont en voie de l’être par des Conseils régionaux à majorité de gauche. Mais les pressions persistent pour des utilisations traditionnelles et des cadeaux au patronat au lieu de moyens de pression sur les gestions en appui des luttes.

Au-delà, au niveau national, un Fonds National de bonification des intérêts pour l’emploi et la formation pourrait être institué. On encore un pôle financier public, regroupant les institutions financières publiques, semi-publiques et mutualistes pour d’autres types de financements.

Enfin, au niveau européen, tout à fait décisif, il faudrait supprimer le Pacte de stabilité contre les dépenses publiques pour un Pacte de nouvelle croissance sociale. Mais surtout, il s’agit de la Banque centrale européenne. Il ne suffirait pas de demander un contrôle politique de la BCE et une «mission emploi» pour elle. Ainsi, une simple baisse des taux d’intérêt de la BCE pour refinancer par sa création monétaire les crédits des banques, sous prétexte d’emploi, peut très bien favoriser les placements financiers et les exportations de capitaux contre l’emploi. Il faut donc une «sélectivité» des abaissements de taux d’intérêt, de plus en plus abaissés en fonction des engagements d’emplois et au contraire relevés pour les placements financiers.

Une avancée fondamentale du modèle social européen se fonderait sur :

1. des objectifs annuels contraignants de création d’emplois et de résorption du chômage et de la précarité ;

2. des droits généralisés de sécurisation des parcours et des activités professionnels, alliant sécurité des activités et mobilité de promotion, au lieu de la dite «flexisécurité» de précarisation.

Aux différents niveaux, local, régional, national et européen, on pourrait aller ainsi vers l’éradication du chômage en contribuant à une autre civilisation.

(1) Introduction de l’atelier n°4 du Forum national de Villepinte le 26/11/05

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