Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Apprentissage : la fausse bonne réponse aux jeunes en difficulté

Au beau milieu des violences urbaines qui ont secoué les banlieues pendant trois semaines De Villepin propose l'accès à l'apprentissage des jeunes dès l'âge de 14 ans comme solution à la désespérance de la partie la plus pauvre et la plus exclue de la jeunesse, majoritairement issue de familles immigrées.

Cette idée aux apparences séduisantes fait aussitôt un tabac dans la population mal informée des réalités de l'apprentissage.

Cette proposition est tout d'abord en décalage complet avec les caractéristiques des jeunes qui entrent en apprentissage. Pour deux raisons principales, le premier Ministre a tout faux :

Premièrement l'âge d'accès à l'apprentissage est en réalité de plus en plus tardif. Alors que l'âge légal d'entrée en apprentissage est de 16 ans seuls 27 % des apprentis ont cet âge lorsqu'ils débutent. On trouve autant d'apprentis âgés de 20 ans et plus. La statistique confirme certaines réactions patronales aux annonces de De Villepin : la plupart des patrons veulent des jeunes dotés d'un bon niveau de formation générale et d'une maturité suffisante.

Deuxièmement les employeurs recrutent très peu de jeunes issus de familles immigrées d'Afrique. Aucune statistique nationale n'est disponible mais des données partielles indiquent que ces jeunes représenteraient seulement 2 à 4 % des apprentis (1). Autrement dit ces jeunes sont encore plus victimes de la discrimination à l'embauche que leurs aînés et les adultes. Sachant que l'apprentissage est pratiquement la seule voie d'entrée dans l'entreprise pour les les jeunes de 16 à 18 ans, il en résulte le constat dramatique que les plus jeunes enfants de l'immigration qui ont quitté l'école très tôt sont exclus en quasi totalité du travail et de la formation. Et on s'étonne de leur colère !

En décalage avec les réalités De Villepin a encore tout faux parce qu'il se trompe d'époque.

Le succès populaire de la proposition tient en grande partie au caractère un peu mythique de l'apprentissage, à une vision passéiste et bucolique avec l'image de l'apprenti qui apprend patiemment son métier auprès du compagnon qui prend le temps de s'occuper de lui. Certes l'apprentissage reste encore assez bien adapté dans certaines branches d'activité comme dans le bâtiment par exemple compte tenu des caractéristiques de métiers traditionnels où les gestes professionnels acquis par la pratique tiennent une place importante et où les techniques ont évolué lentement. Nombre d'apprentis dans cette branche réussissent, deviennent d'excellents professionnels salariés ou indépendants. Mais le bâtiment est maintenant lui aussi concerné par des évolutions technologiques considérables qui requièrent des acquis généraux et théoriques plus importants. Ce phénomène est patent et déjà ancien pour nombre de métiers comme ceux du chauffage ou de l'électricité mais aussi pour des métiers plus traditionnels.

Plus généralement cependant l'apprentissage est une modalité de formation professionnelle pauvre qui compromet l'avenir des jeunes. D'abord parce que la moitié du temps se passe en production et dans les conditions actuelles de la production dictée par des impératifs de productivité très exigeants, ce qui laisse peu de place pour une formation de qualité. Sans compter les emplois ou entreprises où l'apprentissage est avant tout un moyen de disposer d'une main-d’œuvre à très bas coût, jusqu'à dans certains cas, la gratuité, avec souvent de mauvaises conditions de travail, des durées de travail très longues comme dans la restauration, et des emplois pour lesquels, comme dans certains secteurs du commerce, un apprentissage de deux ans ne se justifie pas. Tout cela explique pourquoi 25 % des apprentis abandonnent en cours de route.

Le choix de l'apprentissage, comme des autres types de formations en alternance, par les jeunes de familles pauvres, ne s'explique pas d'abord par un rejet de l'école mais surtout par la rémunération, même modeste. Ces jeunes préféreraient les conditions de formations des lycées d’enseignement professionnel si leurs familles avaient les moyens de subvenir à leurs besoins.

D'où la nécessité d'instaurer une allocation autonomie -formation comme le prévoit le projet de programme du PCF. La priorité donnée à l'apprentissage est en contradiction avec les besoins d'un pays moderne. Elle s’oppose aux aspirations à l'épanouissement de tous les individus par la promotion de chacun, avec les bouleversements actuels et à venir des technologies qui rendent obligatoire la capacité à s'adapter. Il faut, au contraire, un haut niveau de formation général pour tous et une formation professionnelle complète, d'une grande qualité, pour laquelle l'entreprise n'est pas adaptée. Refuser qu'une partie des jeunes soit reléguée nécessite l'explosion des budgets consacrés à la formation professionnelle initiale à plein temps, la construction et la modernisation de lycées professionnels pour toutes les filières et tous les niveaux de formation, de l'ouvrier au technicien supérieur.

Enfin, si on veut que de nombreux jeunes choisissent les filières technologiques, y compris au niveau ouvrier, ces choix doivent aussi cesser d'être considérés comme ceux de l'échec. Les métiers doivent être revalorisés en premier lieu dans le salaire d'où l'exigence de grilles de salaires nationales avec des salaires minima par niveau de formation mais aussi avec l'amélioration des conditions de travail, des durées de travail abaissées, le droit d'intervention dans la gestion pour les ouvriers.

(1) Une étude effectuée en Haute Normandie portant sur le nombre d'apprentis habitant les quartiers pauvres est encore plus alarmante : sur 1800 apprentis du CFA de Val de Rueil (métiers de bouche) dix en sont issus, au CFA du bâtiment d'Evreux on en trouve 9.

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