Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Au sujet de la table ronde sur les 50 ans d'Économie et Politique*

  1. Sur l'histoire de la Revue

L'objet de cette tab le ronde n'éta it pas, je le com prends de retracer l'histo ire d'Economie et Politique, et, en toile de fond, celle de la Section centra le économ ique qui y est intimement liée. J'ai apporté avec René Basso le Eugène Dumou lin (aujourd'hui décé dés), et Fernan d Nicolon, quelques éclairages à ce sujet (1). Mais il reste un tra vail véritable d'histor ien à faire. Quoi qu'il en soit, l'histoire de la Revue ne commence pas avec Henri Jour dain, avec lequel j'ai eu des liens par ticuliers en raison de mon beau-père dépor té comme lui et mor t à Maut hausen . Il y a eu, notamment , Lavallée, Baby, Hilsum, Axel, Weil, Alph ander y, Winter, Laur enceau , Dessau , Brunet , Debeauvais, Barel, Godelier, Baby, Denis, Vano li, Meyer, Nataf, Barjonnet , Bénar d, Guiard, Kahn, Hincker, Eisler, de Felice, Fabre, Flavien, Pronteau , Frischman , Krasuc ki, et bien sûr Dumou lin et Nicolon….

  1. Sur la crise

Dans sa première inter vention Paul Boccara tra ite de la crise, celle de la Revue et celle de la crise de structur e. Ceci app elle quelques précisions .

Concernant la crise de la Revue, nous nous en sommes expliqué dans l' ar ticle des Cahiers d'histoire. Mais les remarques de Boccara me con duisent à sou ligner de nouveau la confusion entr e la notion politique de la crise généra le du système ouver t par la révolution de 1917 (la crise de struc tur e), et les crises cycliques. Cette confusion fut poussée jus qu'à l’obs ess ion de la fata lité de la crise, inélucta ble, du ca pitalisme, chez cer tains d'entr e nous , par ticulièrement Henr y Claude. Il faut dire auss i que les désastr euses thèses de Thorez sur la paupérisation absolue ne facilitaient pas la com préhension, dans le même temps où l'essor de la croissance con duisait nom bre d'économ istes à reléguer les crises au musée de l'histo ire, et d'Univers ités à rayer de l'ense ignement la théor ie des crises…Aujour d'hui sinon l'existence du cycle de Kondratiev, du moins ses moda lités présentes , ses déformat ions et son utilisat ion en pros pective, cont inuent à êtr e des quest ions ouver tes .

  1. Sur le "et"

C'est pour moi la quest ion la plus impor tante de votr e tab le ronde. Et je trouve très fines les obser vations de Francette Lazard. J'en reproduis ce qui me semb le les passa ges essent iels pour les commenter .

D'abord cette interr ogation : «Comment concevoir les relations entre connaissances, théories et élaborations politiques, pour faire prévaloir des contenus transformateurs nouveaux ?» Ensuite ce constat : «(les) déconstructions successives libéraient les possibles, mais dans un contexte d'échecs set d'affaiblissements politiques majeurs. Elles n'appo rtaient pas par ellesmêmes une construction neuve, dépassant le léninisme ce «et» d'économie et politique dans une approche inédite de la fonction théorique et de la fonction politique. C'est une question complètement ouverte pour ces débuts du XXIe siècle : comment articuler créativité sociale, créativité des luttes, créativité théorique dans le champ de l'économie et créativité dans la construction politique elle-même ?»

Quan d s'est posée la quest ion du titr e de la Revue j'ai proposé celui d'Economie et Politique qui a été retenu . Le «et» à l'époque signifiait le double mou vement aller de l'économie à la politique et de celle-ci à l'économ ie. Ce qui concrè tement impliquait la conna issance des «lois» de l'économ ie comme fondement de la straté gie politique , et l'act ion de la politique sur l'économ ie, ce qui con duisait, entr e autr es, à définir une politique et des programmes économ iques du Par ti. Ceci dans le conte xte, sous l'influence anglo-saxonne , d'une cou pure épistémo logique de l'économ ie et du pouvoir. En dehors des marxistes , Franço is Perroux réintr oduisit beaucou p plus tar d (en 1973) le pouvoir dans l'économ ie.

Si j'avais de nou veau à proposer le titre d'une revue cela sera it «Anthropolitique». Ce terme bar bare, forgé par Edgar Morin , me semb le un premier élément de réponse aux inter rogations de Francette Lazard.

LA DIMENSION ANTHROPONOMIQUE

Le constat de Paul Boccara me semb le significat if :

«La question de «l'anthropono mie» est très peu venue dans Econo mie et Politique. C'est une faiblesse que de se limiter à l'écono mie et à la politique. Il peut y avo ir un aspect réducteur, avec ce qu'on appe lle «l'écono misme» ou encore «le politisme». En relation avec le système de la reproduction matérielle de l'écono mie, il y a aussi le système de la régénération sociale et de l'an throponomie ainsi que les valeurs, les formes sociales d'une civilisation».

Eh oui ! Le «et» n'est plus entr e seulement l'économ ie et la politique. Mais entr e cette dernière et les sciences humaines. Au demeurant la conjonct ion «et» ne rend plus com pte de la nou velle alliance . Il faut recour ir à d'autr es conce pts ... La reliance et la dialogique( 2). J'y reviendrai.

La r e mar q ue d e Boccara sou l ève d es q uest ions essent ielles : l'ant hroponom ie de Marx, celle de la place de l'économ ie politique dans les savoirs, le nouvel espace menta l, les finalités du commun isme.

Le mar xisme élargit la vision de l'homme et de la conce ption de la société . Il fut ant hropologique dans son fon dement , avec le conce pt de l'homme génér ique et une politique qui puisse suppr imer l'exploitation et rédu ire l'aliénat ion, avec le rappor t dialect ique de l'homme avec la natur e, la cont inuité-discont inuité entr e l'histo ire natur elle et l'histo ire humaine. Il le fut avec son noyau, la politique révolutionnaire, sa visée, la société sans classe , l'homme universe l. Mais il fut auss i une ant hronom ie restr einte car son noyau s'articulait exclusivement autour de l'homme producteur . Il manqua it à l'homme génér ique de Marx un second noyau : la psyché. Limitée au départ, son ant hropologie se restr eignit et sa traduct ion politique devint dogmatique. L'échec du commu nisme est moins celui de l'homme producteur que de l'homme so viét iq ue. On se sou vient d u serment d e Staline au x obsèques de Lénine «Nous bolchev iks sommes d'une essence à part….» Longtemps apr ès Kadar, le dirigeant Hongrois, constata it «Non, les communistes ne sont pas d'une essence à part, ils se distinguent des autres hommes par une vision du monde, mais ils ne sont pas différents». Le Léninisme aura it impliqué des sor tes de Saints laïcs. Gorbatc hev, dans son livre lucide «Perestr oïka», en dévoilant les blocages et les contra dictions explosives cumu latives de la société soviétique, metta it auss i à jour sa corru ption et sa crise mora le(3).

Deux remarques complémentaires doivent être faites sur l'anthroponomie marxiste.

Lénine avait décr ypté les trois sour ces du mar xisme : la philoso phie alleman de, l'économ ie politique anglaise, le socialisme frança is. Le mar xisme ant icipait donc sur ce qu'on a appelé plus tar d l'inter disciplinarité. L’inter disciplinarité de Marx est tri-dimens ionne lle. Ce n’est pas une multidisciplinarité par juxtapos ition, mais une réelle inter disciplinar ité : une philoso phie de l’homme et de l’human ité rencontr e l’analyse critique du capitalisme , et trouve une réponse dans l’exemple de la tentat ive de la Commune de Paris. La dialectique matérialiste en tant que méthode unit le tout , la dimens ion historique aboutit au projet de trans format ion de la société, à une vision prophétique. Tendu vers un projet révolutionna ire finalisé, c'éta it auss i une sor te de transd isciplinar ité.

La pensée de Marx exprimait auss i l’état du monde et des conna issances de l’époque. Depuis 150 ans il va sans dire que cet état a été mod ifié, révolutionné . Son ressour cement est nécessa ire et possible dans ses trois com posantes . Il requier t l'interact ion de la philoso phie de l'économ ie et de l'histo ire, et non l'isolement , l'enfermement disciplinaire des chercheurs .... L'es pace menta l du XXI ème siècle devrait inté grer d’autr es champs disciplinaires et inter disciplinaires apparus ou développés depuis l’œuvre de Marx. Le nou vel ensem ble, por teur de la théor ie du mou vement social, aura it un noyau mar xiste, mais auss i d'autr es noyaux, le nat ional, l'et hnie, le religieux, et le tout sera it différent des par ties. Par exemple, les nou velles branc hes de la sociologie, la démograph ie, la systém ique et les sciences de la cognition, la psychanalyse, la cybernét ique et l’informat ion, l’ingénierie biologique et l’éco logie, etc…Plus facile à énumér er qu'à faire.

La butée est celle de l'inter disciplinar ité, mot-problème et mot-solution écr ivait Althusser . Morin dit la même chose concernant la com plexité. Il y a des pistes et des principes, la modé lisat ion systém ique, un mode de pensée pour relier les par ties et les ensem bles disciplinaires. Mais cela va au-delà de mon propos.

Quelles que soient les difficultés il faut désorma is avancer dans cette direct ion. Il y a une formidable mutat ion ant hropologique au cours des 20 dernières années . L'économ ie politique est insuffisante et impuissante à en rendre com pte. Le «et» a changé de natur e.

Une seconde remar que a tra it aux implications de l'ensemb le ant hroponom ique. C'est la nou velle substance du projet sociéta l. Quelle est la vision du monde futur ? Quelle en est l'ét hique ? Quels sont ses es paces et ses temps ? Dans les années 50 je faisais des cours à l'École Centra le de Viroflay, je me souviens que celui qui me causa it le plus de difficultés était le passa ge du socialisme au commun isme, une fois cités les principes générau x d'Engels quelle était la substance des finalités ? Avec l'effon drement idéologique et théor ique de ces dernières décenn ies, je me deman de, quel est aujourd'hui le contenu de l'ense ignement .

Au projet prédéterm iné et, au demeurant , très vague, il faut maintenant bâtir un projet autoconstru it. C'est-à-dire par ticipatif, prospectif en par tant de la com plexité du présent , des processus en cours , des représentat ions des générat ions qui coexistent , des valeurs qui émer gent, de ce qu'on peut et ce qu'on veut changer. L'ant hropolitique c'est la politique au ser vice de l'homme et de l'human ité. Elle concerne tous les niveaux géopolitiques : le Monde, l'Europe, le National, le Local. Elle relie les différents niveaux du global-local. Elle ar ticule les tempora lités des cour ts, moyens et longs termes .

Le projet résu ltera it de la dialogique entr e l'ensem ble ant hropologique et la politique cons idérée comme "le goût de l'avenir" (Max Weber). Et comme la prospective c'est auss i le goût de l'avenir, c'est cette triade qu'il faut ar ticuler (selon le conce pt de la reliance) . Ÿ (Suite de la 2ème partie dans le prochain numéro)

(*) La publication dans le numéro de septembre–octobre 2004 de la table ronde consacrée au 50 ans de la revue a suscité, au delà de l’intérêt, de nombreuses réactions. Nous publions dans ce numéro la première partie d’une contribution de Pierre F. Gonod qui a été un des fondateurs de la revue. Nous entendons ainsi poursuivre le débat initié à l’occasion de la soirée du 26 janvier et l’Association des Amis d’Economie et Politique, dont c’est un des objectifs de sa création, ne manquera pas de continuer d’alimenter la réflexion dans nos colonnes.

 

  1. Voir René Bassole, Pierre Gonod, Fernand Nicolon, Eugène Dumoulin, "Retour sur l'histoire des débuts de la section économique du CC du PCF" Cahiers d'histoire, revue d'histoire critique, N°69, 1997.

  2. Au cours des réunions du bureau de la SCE qui se tenait à l'époque au 44 sous la présidence de Jacques Duclos, j'avais été frappé par son organisation. Il avait toujours un cahier à couverture rigide où il prenait des notes, carnet qui fut utilisé contre lui dans le "complot des pigeons". Quant à moi, j'ai commencé à tenir des cahiers depuis décembre 1948 jusqu'à maintenant. Si je peux donc restituer, à travers eux, l'essentiel des débats de l'époque, malheureusement ils sont inexploitables par d'autres.

  3. René Bassole et moi avions entrepris une recherche sur ces lois. Mais quand est paru le livre de Staline en 1952 nous avons remisé nos ambitions et cherché à déchiffrer les rébus qu'il nous posait.

  4. Edgar Morin "Introduction à une politique de l'homme" Seuil 1965

  5. La notion de reliance, inventée par le sociologue Marcel Bolle de Bal comble un vide conceptuel en donnant une nature substantive à ce qui n'était conçu qu'adjectivement, et en donnant un caractère actif à ce substantif. "Relié" est passif, "reliant" est participant, "reliance" est activant. On peut parler de "déliance" pour l'opposé de "reliance" Edgar Moirin "L'éthique", tome 6 de "La méthode" Seuil 2004.

  6. Autre concept forgé par Morin "Dialogique. Unité complexe entre deux logiques, entités ou instances complémentaires, concurrentes et antagonistes qui se nourrissent l'une de l'autre, se complètent, mais aussi s'opposent et se combattent. À distinguer de la dialectique hégélienne. Chez Hegel, les contradictions trouvent leur solution, se dépassent et se suppriment dans une unité supérieure. Dans la dialogique, les antagonismes demeurent et sont constitutifs des entités ou phénomènes complexes.

  7. Voir à ce sujet mon dans ouvrage "Dynamique de la Prospective" l'analyse systémique de la Perestroïka, Aditech, Ier trimestre 1990.

  8. Sans faire une bibliographie des travaux les plus marquants en langue française je sélectionne l'œuvre de Jean-Claude Guillebaud, de Michel Freitag, Paul Virilio, Marcel Gauchet, Jean-Pierre Algoud, et les travaux de Nicole Aubert, Yves Bonny, Michel Kokoreff, Pierre-André Taguieff, Michel Schneider, Eric Maurin, Dominique Martin et l'équipe des sociologues de l'Université Rennes II….

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