Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Entre craintes de l’inflation et fragilité de la conjoncture Où vont les politiques monétaires ?

Dans une conjonctur e mond iale qui traverse une phase plutôt favora ble, toutes les grandes banques centra les ont commencé à rendre plus restrictives leurs politiques monéta ires, susc itant une inquiétu de inhabitue lle chez les organisations économ iques internat ionales. Fin mai, l’OCDE nota it que la politique amér icaine éta it «en train de prendre un tour plus restrictif» et, pour ce qui concerne l’Europe, elle aver tissait la Banque centra le européenne que «le rythme d’un tel resserrement devrait être conditionné par des signes tangibles de résorption du retard de la demande». Début juin, le FMI esti-mait qu’en Europe «les conditions pour un resserrement plus continu et plus substantiel ne semblent pas réunies». Fin juin, la Banque des Règlements internat ionau x rappe lait aux banques centra les les responsab ilités qu’elles ont prises en tolérant l’apparition de profonds désé quilibres dans l’économ ie mond iale mais ajouta it qu’au point où nous en sommes la hausse des taux d’intérêt devenue inélucta ble devrait se faire avec beaucou p de «doigté». Selon ses économ istes , une hausse trop brutale pourra it entra îner «un retournement du cycle du crédit et, par-là même, une baisse des prix de l’immobilier et un tassement de la demande globale».

En clair, l’abondance du cré dit à l’échelle mond iale, encou ragée par la politique monéta ire amér icaine et entér inée, bon gré mal gré, par les autr es banques centra les, n’a pas seulement favorisé la reprise économ ique qui se manifeste depuis 2002. Elle a auss i alimenté la spécu lation immob ilière (selon The Economist, entr e 1997 et 2006 les prix des logements ont doublé en France et aux États -Unis et ils ont presque triplé en Grande-Bretagne, en Espagne ou en Irlande) et sur tout la reprise de l’inflation financ ière, tand is que Wall Street drainait les capitaux du monde entier, facilitant les investissements aux États-Unis au prix d’un déficit astr onomique de la balance des paiements amér icaine. Un resserr ement trop prononcé des politiques monéta ires risquera it de dérégler les délicats mécan ismes qui permettent à l’économie mond iale d’avancer malgré ces désé quilibres, et de déclenc her des évolutions potent iellement incontrô lables : krach bours ier (les hausses de taux d’intérêt décidées par les banques centra les ont déjà provoqué une chute du cours des actions au cours du printem ps, sur les marchés «émergents» d’abord, au Japon, aux États-Unis et en Europe ensu ite) ; effondrement des prix de l’immob ilier qui const ituera it un phénomène meur trier pour les ména ges for tement endettés et pour les banques ; et, finalement , chute de la deman de qui pourra it mettr e en péril l’expansion économ ique.

On a de bonnes raisons de penser que ces catastr ophes ne sont pas pour demain et que le cycle de croissance amor cé au début de la décenn ie n’est pas encor e arr ivé à son terme (voir dans ce numéro les articles précédents de Y. Dimicoli). Il n’en est pas moins vrai que les politiques monéta ires ont une responsa bilité énorme dans la marche de l’économ ie et, par-là, sur l’emploi et la situat ion de milliards d’êtres humains. Pour com prendre cet enjeu, il faut se deman der d’abord ce qui motive l’action des banques centra les, ensu ite s’il sera it possible de mettr e davanta ge cette action au ser vice d’un développement qui profite à l’ensem ble des citoyens et des peuples.

Les banques centra les affichent comme leur objectif principal le maintien de la stab ilité des prix. Cela peut sembler conforme à leur vocat ion de gardiennes de la confiance du public dans la monna ie. Dans la réalité, l’accent exclusif mis sur la lutte contr e l’inflation renvoie à une obsession des détenteurs de titres financ iers . En effet, la hausse des prix à la consomma tion ronge le pouvoir d’achat des patrimoines. De plus, si les salaires suivent plus ou moins cette hausse , leur augmenta tion vient amputer les profits. Rien d’étonnant , donc, à ce que les marchés financiers craignent comme la peste l’inflation des prix à la consommat ion. En revanc he, l’inflation des prix des actifs financiers (act ions, obligations …) ne les déran ge pas du tout , bien au contra ire; or, cette inflation a été énorme depuis maintenant un quar t de siècle. La mise en place de l’eur o et de ses con ditions — banque centra le indépendante des gouvernements , priorité absolue donnée à la «stab ilité des prix» sur la croissance et l’emploi, «pacte de stab ilité» répr imant les dépenses publiques , qu’elles soient socialement utiles ou non, politique d’«euro for t» accentuant la pression concurr entielle contr e les salaires en Europe — a ainsi fonctionné comme un puissant moyen de protect ion de la rentabilité du capital dans la zone euro. À la longue, la com pression de l’emploi, des salaires, des dépenses de recherche et de format ion a toute fois eu des consé quences néfastes : le poten-tiel de croissance et de maîtrise des nouvelles techno logies a pris du retar d, en Europe et particulièrement en France , par rappor t aux États-Unis (qui bénéficient du privilège du dollar pour att irer les capitaux du monde entier et peuvent se permettr e une politique monéta ire plus soup le, plus attent ive à la croissance ) et par rappor t aux «pays émergents» comme la Chine ou l’Inde.

Toutefois, depuis le début de l’année , la crainte de l’inflation agite les milieux financiers. Cela peut paraître surpr enant dans un monde où les derniers souvenirs d’une for te hausse des prix à la consommat ion remontent à près de vingt ans. Hors éner gie et alimentat ion, le rythme actue l de hausse des prix à la consommat ion n’a rien d’exceptionnel aux États-Unis et reste plutôt bas dans la zone euro (voir graph iques 2 et 3). Ces craintes s’appuient pour tant sur un phénomène réel : la hausse des prix du pétr ole et de la plupart des matières premières industr ielles, susc itée à la fois par la pression sur les ressour ces natur elles, qui const itue une menace de plus en plus évidente à moyen terme et, dans l’immédiat, par la très for te deman de de l’industr ie chinoise, dont la production croît à près de 18% l’an. En outr e, les pers pectives relativement élevées de la croissance mond iale font naître des pénuries de main-d’œuvre qualifiée qui pourra ient se tradu ire par des pressions à la hausse sur cer taines caté gories de salaires. Déjà, aux États-Unis, les salaires horaires ont commencé à augmenter plus vite que les gains de productivité du travail.

Toutefois, cette pression à la hausse , qui se manifeste depuis plusieurs années déjà, est largement contr ecarrée par deux mutat ions profondes de l’économ ie mond iale :

  • l’entrée sur le marché du travail capitaliste de dizaines de millions de salariés et de chômeurs chinois (et des autr es «pays émergents») qui fourn issent aux groupes multinationau x, à la fois une main-d’œuvre très bon marché sur place et un moyen de pression sur les salariés des pays industr ialisés, désorma is placés en permanence sous la menace des délocalisations et des restructurat ions ;
  • les économ ies de dépenses en capital et en travail permises par les débuts de la révolution informat ionne lle. Les nouvelles techno logies permettent de produire davanta ge avec moins de matière et d’éner gie, et provoquent des gains de productivité app arente du tra vail cons idéra bles dans de nom breux secteurs , y com pris celui des ser vices administrat ifs, com ptables, financ iers et de commun ication. Au lieu d’utiliser ces économ ies pour dépenser davanta ge pour l’embauc he, la format ion et la recherche, les groupes s’en ser vent pour renforcer encor e les profits de leurs actionna ires et leurs performances  bours ières.

Sous l’effet de ces deux puissants facteurs déflationnistes , les entr eprises ont été en état , jusqu'à présent , de ne pas réper cuter la hausse des prix de l’éner gie dans leurs prix de vente sans porter atte inte aux profits des multinationales et à la renta bilité des portefeuilles financ iers . Cependant, les tens ions accumu lées sous ce régime de croissance posent de sérieux problèmes aux banques centra les, particulièrement à la Banque centra le européenne qui ne bénéficie pas, comme la Réser ve fédérale amér icaine, des privilèges que confère la gestion de la monna ie sur laquelle repose la confiance des investisseurs du monde entier.

Le com portement de la BCE s’explique donc par les dilemmes auquel elle est confrontée .

  • Continuer son cycle de hausse des taux d’intérêt , c’est risquer d’étouffer la reprise, très atténuée par rappor t au reste du monde , qui commence à se manifester dans la zone euro. Mais ne rien faire, c’est à la fois :
  • laisser se développer la bulle immob ilière et l’inflation financ ière et rendre plus brutales les consé quences que leur dégonflement futur menace d’entra îner pour l’économ ie européenne ;
  • entér iner les sor ties de capitaux européens vers les États-Unis : la monna ie créée par les banques européennes est abondante (la croissance des cré dits des inst itutions financières banca ires aux agents économ iques de la zone euro dépasse 11% l’an) mais elle ne ser t que très partiellement à financer des investissements ou des créat ions d’emplois dans la zone euro. Les cré dits qui augmentent le plus sont ceux qui financent des fusions et acquisitions d’entr eprises. Pour sor tir de ces dilemmes , la nécess ité s’impose plus que jamais d’une politique monéta ire sélective, découra geant les opérat ions financières et favorisant les investissements , publics ou privés, qui contr ibuent à élever le potent iel de créat ion de richesses ainsi que les dépenses de recherche et de format ion. Les banques centra les, et en particulier la BCE, en aura ient les moyens techn iques si elles décidaient de modu ler leurs instru ments (tau x d’inter vention sur le marché monéta ire, réser ves obligato ires) en fonct ion de ces objectifs.

Pour réuss ir, une telle politique monéta ire aura it besoin d’appuis «sur le terra in», dans l’exercice par les salariés de nouveaux pouvoirs sur la gestion et le financement des entr eprises, pour rendre ces gestions favora bles à l’emploi et à la croissance . Elle aura it également besoin de nouvelles formes de coo pérat ion monéta ire à l’échelle mond iale, pour faire reculer l’hégémon ie du dollar et faire reposer le développement de la planète sur l’émission d’une monna ie gagée sur le potentiel de développement de tous les êtr es humains. Ÿ

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