Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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France : reprise précaire

Dans un contexte international plus chahuté, mais toujours porteur, la France a entamé l’année 2006 sur un rythme de croissance moyen de 0,5%. Selon les dernières prévision de l’INSEE (juin 2006 ), la reprise, limitée jusqu’ici aux Etats-Unis et à l’Asie, s’étendrait aussi désormais à l’Allemagn e et à toute l’Union européenne. Ce faisa nt, la production globale française acc élèrerait à 2,1% cette année, après 1,2% l’an passé. Mais ce rétabliss ement serait porté, pour l’essentiel, par le commerce et la construction

Dans ce contexte, la croissance du PIB s’installerait sur un rythme de 0,6% par trimestre jusqu’à la fin de l’année, et la croissance annuelle atteindrait 2,0%.

Le contenu en emploi de cette croissance un peu moins molle s’amé liorera it quelque peu, tout en demeurant extrêmement insuffisant pour faire reculer de façon très sens ible et dura ble le chômage de masse .

Après 99 000 emplois créés en 2005 dans l’ensem ble de l’économ ie fraça ise, le nom bre de créat ion d’emplois atte indrait 196 000 en 2006.

Cette progression proviendrait de façon nota ble d’une accélérat ion dans le secteur non marchand avec la multiplication d’emplois aidés, à bas salaires et faibles qualificat ions, des plans Borloo.

L’em ploi salarié marchand conna îtra it un profil un peu plus dynamique auss i : 75 000 créat ions nettes en 2006. Cependant, l’industr ie cont inuera it de détru ire mass ivement des emplois : -70 000 en 2006, soit un rythme annue l de –1,9%. Dans ces con ditions , le taux de chômage (au sens du BIT) cont inuera it de reculer, tout en demeurant à un niveau très élevé : il s’éta blirait à 9,0% à la fin de l’année 2006, soit 1,1 point de moins qu’a la fin du premier trimestr e 2005. On sait, cependant, que cette mesur e officielle du chômage sousest ime énormément l’am pleur du ph énomène du sousemploi.

Certes, cette petite amélioration peut commencer à être mise au compte de la création d’emplois dans les entreprises. Le rôle joué par le CNE dans la quant ité d’emplois créés ne doit pas êtr e surest imé. Les emplois en CNE se subst ituent , en effet, largement à des emplois existants sous CDI. Par contr e, l’effet sur la qualité des emplois doit être significative car le CNE est assor ti d’une mise à l’épreuve de deux ans pour les salariés qui en sont titulaires. Quoique réper tor iés officiellement comme des CDI, les emplois CNE sont sans doute vécus et pratiqués comme des CDD pendant les deux premières années , avec tout ce que cela peut com porter comme press ions possibles des employeurs sur les salariés concernés .

Mais c’est cependant la montée en charge du plan Borloo dit « de cohésion sociale » qui explique, pour beaucou p, le recul des chiffres officiels du chômage : le nom bre de bénéficiaires d’un contrat aidé dans le secteur non marchand est en augmentat ion fin 2005 et début 2006, alors qu’il diminuait les années précé dentes .
Enfin, le facteur démograph ique commencera it effectivement à jouer un rôle dans le repli des stat istiques officielles du chômage : la population active serait toujours en augmentat ion, mais ralentirait en 2005 et 2006 : +67 000 et +29 000, contr e +108 000 en 2004. Cette évolution est due sur tout , pour l’heur e, aux dépar ts anticipés en retra ite.

Pour autant , tout cela ne doit pas faire perdre de vue la gravité de la situation de l’emploi et du chômage en France. Rapp elons qu’en 2005 le tau x d’em ploi a connu une nou velle dégradat ion : 62,3% contr e 62,9% en 2002 (t rès inférieur e à la moyenne de l’Union Européenne) . Et, selon l’Insee , 17,2% des personnes occu pant un emploi en 2005 sont à temps par tiel, contr e 16,6% en 2004. Et 1,3 million de salariés souha itera ient tra vailler plus, soit 40 000 de plus qu’en 2004. Il faut noter la gravité des difficultés d’inser tion des jeunes . Il faut relever que, simultanément , les risques de pénur ies sector ielles d’emploi qualifiés augmentent , témo ignant de l’insuffisance des effor ts de format ion de la par t des entr eprises. Sur tout , on voit se multiplier les plans de licenc iements en France , malgré la reprise de l’act ivité (Sogerma , Dim, Seb, France Telecom …).

C’est la situat ion de l’emploi et la press ion permanente qu’elle entra îne sur les salaires, alors que les carnets de comman des se regarnissent , qui explique que le moral des ménages demeur e toujours en berne . Cela tranche , précisément , avec le moral des industriels qui, lui, est au plus haut depuis octo bre 2004.

De fait, la pression sur les salaires cont inue , au tota l, d’êtr e très for te. Fondamenta lement , elle est d’autant plus for te que les entr eprises utilisent les nouvelles techno logies, avant tout , pour rédu ire l’emploi, tand is que leurs dépenses pour la format ion sont de plus en plus insuffisantes . C’est dans l’industr ie que cette press ion est la plus intense : en 2005, le coût salarial unitaire y a diminué de 0,2%, après un recul de 1,3% en 2004. Simultanément , les emplois à bas salaires prolifèrent dans les ser vices.

Au final, sous l’effet, par ticulièrement , du freinage des salaires bruts (+ 3% en 2005, contr e + 3,5% en 2004), la croissance du pouvoir d’achat du revenu dispon ible brut des ména ges a ralenti en 2005 ( 1,3% après 2,5% en 2004), tand is que le taux d’épargne a chuté, soutenant la consommat ion.

Il est impor tant de noter que, simultanément , les revenus financ iers des ména ges (intérêts et dividendes nets) ont cont inué d’accé lérer: +5,1% après +4,9% en 2004.
Pour 2006, les prévisions de l’INSEE, laissent envisager une cer taine amé liorat ion, en liaison avec un chômage qui est moindre. Le salaire mensuel par tête (SMPT) progressera it de 3,1% en moyenne annue lle en 2006, après 2,9% en 2005, soit, en pouvoir d’achat, une augmentat ion de 1,3%, après 1,1% en 2005.

L’infime « coup de pouce » donné au SMIC au 1er juillet(+3,03% au lieu des 2,9% atten dus) aura un effet de sout ien dégressif jusqu’aux salaires équivalents à 1,4 SMIC seulement . Cependant, selon l’INSEE, au deuxième trimestr e 2006, sous l’effet d’un ralentissement du salaire de base, les salaires freinera ient à nouveau relativement à leur dynamique de la fin de l’année 2005.

Dans ce conte xte, c’est dans les administrations publiques que le profil des salaires sera it la plus médiocre : le SMPT n’y progressera it que de 1,6% en 2006, contr e +2,1% en 2005, soit une évolution en pouvoir d’achat de –0,2% en 2006 après un maigre +0,3% en 2005. Outre, la faiblesse de la dynamique salariale dans la fonct ion publique, cela serait du à la progression sens ible du nom bre des emplois aidés en 2006 dont les salaires sont parmi les plus faibles.

C’est dans ce conte xte que les profits des groupes progressent de façon époustou flante , après un recor d en 2005 : Les sociétés du CAC 40 ont affiché plus de 84 milliards d’euros de bénéfices nets cette année -là.

Cette envolée des profits résu lte bien sûr, pour une part, de la pression permanente qu’engendre, contr e l’emploi, l’utilisation faite par les entr eprises des nouvelles techno logies, ce qui tend à miner la croissance nationale. Mais elle résu lte de plus en plus, auss i, du fait que les groupes vont chercher la croissa nce aux Etats-Unis et dans les pays émergents, accentuant les difficultés de la production nationale, européenne auss i.

Les sorties de capitaux sont considérables :le cumu l sur 12 mois des investissements directs étran gers, à fin avril 2006, donne une sor tie nette de capitaux de 34,6 milliards d’euros. Elle est de 24,1 milliards d’euros pour les investissements de portefeuille. Au tota l, les sor ties nettes de capitaux, d’avril 2005 à avril 2006, ont donc été de près de 60 milliards d’euros (58,7milliards). Il faut mesur er l’ampleur des flux en cause . Les sor ties brutes de capitaux (déduction non faite des entrées) tota lisent , sur la période, plus de 300 milliards d’euros (300,6 milliards ), soit plus que la dépense tota le de l’Etat inscr ite au budget 2005 (290 milliards d’eur os) et l’équivalent de près d’un cinquième du PIB. Ces flux sont sur tout le fait des grandes entr eprises et des institutions financières (Source : Banque de France ).

D’ailleurs , la situat ion des PME est différente , même si l’activité se ranime pour elles auss i. Les défaillances d’entr eprises ont augmenté de 2,3% en 2005, en dépit d’une baisse de 8,1% en décem bre.

Alors, est-ce que cette expansion des profits va déboucher sur une reprise durable de l’investissement en France comme l’espère le gouvernement ?
Tout se passe , pour le moment , comme si les entr eprises ajourna ient leurs invest issements , puisque les dépenses d’équipement ont reculé de 0,1% au premier trimestr e 2006. Cela étant , les enquêtes sur les investissements indiquent que, après un recul de 3% dans l’industr ie en 2005, ils augmente raient de 5% en valeur en 2006. Cela pourra it concerner particulièrement l’industr ie des biens d’équipement .

Rappelons que la dernière hausse significat ive des investissements dans l’industr ie manufactur ière remonte à 2000. On peut penser, alors , que ce n’est pas un rebond de 5% qui permettra de corr iger ce retar d accumu lé.

Surtout, il faut se demander à quoi va servir l’investissement.
La part des investissements de renou vellement des équipements dans l’industr ie sera it de 26% en 2006, comme en 2005. En revanc he, la par t des investissements d’extens ion des capacités de production diminuera it à nouveau : 13% contr e 14% en 2005, au profit de la modern isation et de la rationa lisation (25% contr e 23% en 2005). Autrement dit, l’investissement serait plus que jamais tourné contre l’emploi.

Par contr e, les grandes entr eprises distr ibuent des dividendes de plus en plus impor tants (plus de 30 milliar ds d’euros en 2005). Elles se livrent au rachat massif de leurs propres actions pour en accr oître le rendement et augmenter leur auto-contrô le. Surtout, les fusions et acquisitions sont reparties en hausse , avec des batailles bours ières propulsant la cotat ion des entr eprises concernées vers des sommets , comme dans le cas de l’OPA de Mittal sur Arcélor.

Ces batailles boursières, qui font dépenser par les entr eprises en lutte des sommes pharaon iques, témo ignent en réalité de l’insuffisance des débouc hés solvables mais auss i, et sur tout, du besoin formidable de coo pérat ion pour par tager les coûts croissants de la recherche-développement et des qualificat ions avec les nouvelles techno logies. Au lieu d’organiser les coo pérat ions nécessa ires, les grands groupes, aiguillonnés par les exigences de renta bilité financ ière, cherchent à s’approprier les savoirs, les débouc hés et les équipements des concurr ents pour pouvoir mieux dominer. Des sommes colossa les sont ainsi gâchées dans la finance et la spécu lation, alors qu’elles pourra ient ser vir à développer les capacités humaines. L’ajustement se fait ensu ite contr e l’emploi, les dépenses de développement (recherche-formation), les salaires.

Et pour cela, en France , comme ailleurs dans la zone euro, les entr eprises ont recommencé à s’endetter. Le taux de croissance annue l de l’endettement intérieur total des sociétés non financières est passé de 3,8% en février 2005 à 7,3% en janvier 2006 et 7,8% en février 2006. Les banques sont de plus en plus sollicitées pour cela, alors que le robinet du cré dit demeur e serré pour les PME et pour les investissements programmant créat ions d’emploi et format ions.

Enfin, il faut noter l’importance du déficit du commerce extérieur.
Cela tradu it cer tes l’alour dissement de la factur e pétrolière, mais cela peut corr espondr e auss i à une perte d’efficacité du système productif frança is et aux premiers effets des trans fer ts et déloca lisat ions d’activité.

Les entr eprises impor tent de plus en plus (29,9% de leur deman de finale en 2005 contr e 27,7% en 2004), tand is que les exportations ont progressé insuffisamment , jusqu’à la fin de l’an dernier. Le tout s’est soldé par une contribution négative du commerce extérieure à la croissance du PIB(-1 point en 2005).

Au premier trimestr e 2006, les exportations frança ises en produits manufacturés ont fortement rebondi cependant. Cela est du à «l’exceptionne lle vigueur des commandes étrangères» note l’INSEE, dans un conte xte où le change de l’eur o était encor e à peu près favora ble. Toutefois, la récente appr éciation du taux de change (effectif réel) de l’eur o, ainsi qu’un plafonnement atten du de la deman de mond iale adressée à la France devrait peser sur les expor tat ions au deuxième trimestr e. Simultanément , les impor tations cont inuera ient de progresser vivement . Sur l’ensem ble de l’année 2006, elles augmentera ient de +10,5% en moyenne annue lle, plus vite donc qu’en 2005 (+7,4%). Dans ces con ditions, et sauf accident sur les prix du pétrole et des matières premières ou sur le dollar, le prélèvement du commer ce extérieur sur la croissance du PIB sera it moins impor tant , selon l’INSEE, qu’au cours des deux dernières années .

Il est impor tant de noter com bien, dans ces circonstances , augmentent les excédents commer ciaux de l’Allema gne vis à vis de la France . Comment com prendre, alors , que les désé quilibr es extérieurs pers istants ne finissent pas par interr ompre la croissance frança ise ?

Cela tient à l’existence de l’euro qui fait que ce processus peut se développer sans êtr e sanct ionné , comme autr efois, par une dévaluation monéta ire avec la dramat isation politique que cela entra înait. Mais la contr epartie en est , sans doute , une sélect ivité du cré dit en France encor e plus orientée contr e l’emploi et la croissance réelle, tand is que les créanc iers extér ieurs , alleman ds notamment , prennent possess ion de nom breuses entr eprises frança ises, des PME notamment . C’est auss i le système de l’euro (em pêchant toute spécu lation contr e le Franc, puisque celui-ci n’existe plus) qui fait que l’énorme discréd it politique du gouvernement et du Président de la République après le 29 mai, le retrait du CPE et l’affaire Clearstr eam n’a, apparemment , aucune consé quence tan gible sur la marche de l’économ ie.

En réalité, celle-ci continue de se dégrader en profonde ur, en liais on avec le développement canc éreux de comportements de gestion et politiques ultra réactionnaires, que protège le système actuel de l’euro.

Dans ce conte xte, cer tains secteurs pourra ient souffrir plus que d’autr es, malgré le redémarra ge de l’act ivité : c’est d’abord l’industr ie automo bile qui voit sa production en France décliner au rythme de 10% l’an depuis le début de l’année 2005. Il est légitime de se deman der s’il s’agit là d’un avatar conjonctur el ou si cela tradu it une réor ientat ion des activités automo biles au détriment du site frança is. Le type d’alliance que Renau lt-Nissan cherche à nouer avec Genera lMotors , pour dominer mond ialement , risque d’accentuer ce phénomène , tout en accr oissant la concurr ence mond iale dans ce secteur , au détriment des sites européens . L’industrie de l’habillement et de la chaussur e souffre auss i beaucou p, de même que celle de l’électr oména ger. Simultanément , des secteurs comme l’aéronaut ique ou la pharmac ie enca issent la press ion de recettes en dollars qui, changées en euros, tendent à se contractr er, tand is que les salaires en France et en Europe sont payés dans un euro qui s’appr écie par rappor t au dollar. Tout cela tend à fonct ionner, alors , comme une incitation permanente aux déloca lisations en zone dollar (USA, mais Chine auss i).

Si reprise il y a, il faut en mesurer, donc, le contenu malsain et contradictoire.
La remontée des taux d’intérêt, qu’accom pagne la BCE, peut d’ailleurs très bien faire tourner cour t l’accé lérat ion de la croissance même si celle-ci paraît désorma is plus solide. Dans ce conte xte, on peut penser que, malgré son discréd it, et en jouant sur le manque d’alternat ive politique cré dible de trans format ion sociale rad icale, le gouvernement es père pouvoir bénéficier d’un conte xte internat ional suffisamment por teur pour tenir l’act ivité jusqu’aux élections de 20072008, sans avoir à changer ses orientat ions fondamenta les, emploi aidés et chasse aux chômeurs à l’appui. Il espère ainsi pouvoir faire face à ses engagements européens en matière budgétaire. Avec l’annonce d’un projet de budget pour 2007 faisant diminuer, pour la première fois depuis longtemps , la dépense de l’Etat en volume (-1%) et suppr imant plus de 15 000 emplois nets dans la fonct ion publique (par ticulièrement dans l’Educat ion nationale), le gouvernement enten d ramener la dette publique de 66,6% du PIB en 2005 à 64,6% fin 2006, soit un sacr ifice de dépense de 30 milliar ds d’euros.

On mesur e alors la démagogie et le toupet de Chirac et de Villepin promettant , dans ce conte xte, d’accor der la priorité à l’emploi, de faire quelque chose pour les tra vailleurs de la SOGERMA, d’amé lior er la situat ion des personnes âgées dépendantes , de souten ir l’innovation industr ielle, ou encor e d’aider les PME. En réa lité, cette politique, toute entière au ser vice des capitaux financ iers , affaiblit en profondeur la France , joue contr e l’Europe, et foule aux pieds les intérêts des travailleurs et de leurs familles. Au lieu de booster l’économie frança ise dans la conjonctur e internat ionale, elle handicape plus encor e son potent iel de croissance , par les sacr ifices imposés aux capacités humaines, entr etenant les facteurs profonds de déficits et de dettes . Cela risque de mal placer le pays face au prochain retournement de la conjonctur e qui pourra it avoir lieu en 2010-2012.

C’est dire le besoin de rompre, pour une alternat ive cré dible, avec des propositions rassemb leuses qui fassent vraiment le poids, au lieu de discours génér eux mais vagues , parsemés de propositions irréa listes ou insuffisamment cohérentes . Ÿ

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