Alors que le nombre de défaillances d’entreprises ne cesse de progresser avec plus de 50 000 entreprises concernées en 2005 (soit la plus forte hauss e depuis 1998 ), les moyens d’intervention de l’Etat pour sauv egarder les entreprises sont de plus en plus réduits en raison notamment de la volonté masochiste d’autolimitation des pouvoirs publics par eux-mêmes et de la prégnance du droit de la concurrence au niveau de l’Union européenne (UE).
Pour tant , l’Etat dispose d’un réseau serré de ser vices dont l’objectif est de préser ver les entr eprises et donc l’emploi; en effet, cette politique est animée par un
comité interm inistér iel de restructurat ion industr ielle (CIRI) et des comités départementau x d’examen des problèmes de financement des entr eprises (CODEFI). Ces organismes inter viennent auprès des acteurs privés et publics pour aider les entr eprises en difficultés . Accom pagnés par d’autr es ser vices du ministèr e des finances comme les comm issions des chefs de ser vices financ iers et des organismes de sécur ité sociale (CCSF), ils disposent de moyens aujour d’hui sous-utilisés . Cette sous-utilisation con duit d’ailleurs ce réseau à adopter une conce ption minimaliste de son activité en phase avec les doctr inaires de la comm ission eur opéenne sur le droit « natur el » de la concurr ence . Ainsi, le CIRI a t-il été mis à contr ibution pour la rédact ion de la loi sur la sauvegarde des entr eprises du 26 juillet 2005 qui ne modifiera en rien la théo logie libéra le.
Et, pour tant , en 2003 et 2004, les CODEFI ont détecté 1 700 entr eprises en difficulté et ont soutenu 130 000 emplois dont près de 50 000 relèvent de l’act ion du comité interm inistér iel de restructurat ion industr ielle (CIRI). Près de 2 300 entr eprises en difficultés ont été contactées par les comm issions locales. 7 551 doss iers corr es pon dant à 439 000 emplois ont été examinés par l’ensem ble des ser vices de l’Etat . En dépit de ces chiffres officiels, les moyens mis en œuvre demeur ent dérisoires. Ainsi, en 2004, 7 prêts ont été accor dés par le CIRI pour un montant de 2,45 millions d’€ alors que le montant des audits diligentés s’éta blissa it à 120 000 € dont 30 000 € seulement pour les CODEFI.
Dans ce conte xte, le nou veau dispos itif mis en place en 2004, et défini par deux circulaires en date des 25 et 26 novembre 2004 dans le cadre des dispos itions du code de commer ce et de la réglementat ion communauta ire sur les aides d’Etat d’octo bre 2004, peut susc iter quelques interrogations légitimes . « Curieusement », alors que la région (décentralisation) devait s’affirmer comme le pôle des aides économiqu es aux entreprises, l’instance de niveau régional (le CORRI) a été supprimée (déconcentration) au profit des CODEFI. Les résu ltats des élections régiona les ne sont sans doute pas étran gers à ce changement de niveau terr itor ial. En effet, cer tains des nouveaux exécut ifs élus avaient annoncé leur volonté de clarifier le régime d’aides aux entr eprises en le con ditionnant à leur utilité sociale, sachant que l’Etat laisse les collect ivités terr itor iales contourner la législation eur opéenne par de multiples moyens dans le souci officiel de préser ver ou de favoriser l’emploi.
Cette pratique « aveugle » con duit, faute de rée lles contr epar ties sociales et de sanct ions, les entr eprises à pratiquer un chanta ge au licenc iement . Les collect ivités n’ont en effet pas toujours les moyens de s’assur er de la réa lité des difficultés évoquées par les entr eprises.
Il n’en demeur e pas moins que, désorma is, la déconcentra tion des out ils financ iers propres à sauvegarder les entr eprises en difficultés est mise en œuvre par les comités dépar tementau x d’examen des problèmes de financement des entr eprises (CODEFI). Cette « réforme » est accom pagnée par les nouvelles lignes directr ices en matière d’aides aux entr eprises, adoptées par la Commission eur opéenne
Le CODEFI devient l’instance de droit commun pour traiter, au niveau départemental, les situations des entreprises de moins de 400 salariés.
L’action du CODEFI ne peut être que limitée en raison des choix politiques.
Si le CIRI reste com pétent pour les entr eprises de plus de 400 salariés, tout en précisant dans son dernier rappor t d’activités que «les inter ventions publiques sont étu diées pour êtr e le plus économe poss ible en cré dits publics» (45% d’entr e elles concernent l’agroalimenta ire et 17% les trans por ts) , le CODEFI est devenu l’instance de droit commun pour les entr eprises de moins de 400 salariés. Animé notam ment par le Préfet, les ser vices financ iers , sociaux et fiscau x déconcentrés et le directeur de la Banque de France , sa d octr ine d’inter vent ion le con d uit à ne p as d evoir «prononcer un financement public» ; en effet, le CODEFI doit plutôt «trouver un point d’équilibre de l’ensem ble du plan de restructurat ion industr iel, social et financ ier permet tant l’obtention d’un consensus ».
En substance, l’emploi de fonds publics n’est donc jamais un préalable au traitement d’un dossier et doit être écarté de prime abord.
Outr e son rôle d’inter face et de méd iat ion entr e les ban ques et les entr eprises , entr e ces dern ières et les ser vices déconcentrés (par le biais de la CCSF), le CODEFI peut en outr e décider la réa lisat ion d’un au dit, apr ès accor d du chef d’entr eprise, dans la limite d’un finance ment de 40 000 €. On a vu que les sommes rée llement utilisées éta ient infimes. Il peut également décider de l’octr oi de pr êts pour le développ ement économ ique et social dans le cadre d’un plan de restructurat ion d’une entr eprise in bonis, même si la doctr ine du CIRI n’a pas – il le répète volontiers pour «objectif d’assurer le financement des entreprises en difficultés». En effet, le CIRI précise que la contr ibution financ ière publique, conformément au droit communauta ire, doit présenter un caractèr e subs idiaire, exceptionne l et permettr e un effet de levier sur les capitaux privés.
Dès lors , l’octr oi même de prêts dans le cadre du Fon ds de développ ement économ ique et social (FDES) ne peut êtr e que borné . La circulaire du 26 novembre 2004 relative à l'act ion de l'Etat dans la prévention et le tra itement des difficultés des entr eprises sou ligne que, en ce qui concerne l’octr oi de prêts , « la mise en place de financements ne peut s'env isager au profit d'une entreprise dont les marchés souffrent d'une surcapacité de l'offre au niveau français ou européen . Le recours à des ressources publiques ne doit pas permettre de freiner la restructuration nécessaire d'un secteur et d'introduire un facteur de concurrence déloyale ».
Dès lors , les CODEFI agissent sur tout comme des méd iateurs .
1.2) Accompagnant le réseau CIRI-CODEFI, d’autres services d’action économique interviennent par le biais des trésoreries et du CCSF
En 2004, ces actions en faveur des entr eprises en difficulté (hors DOM) ont concernées 6000 entr eprises. Elles con duisent les pouvoirs publics à mettr e en place différents dispos itifs d’aides :
restructurat ion, agréments fiscau x (7% des cas)
délais fiscau x et sociaux (23%)
intermé diation au près des par tena ires de l’entr eprise (5%)
Ainsi, 1 000 plans d’éta lement de dettes publiques sur 16 mois en moyenne pour un pass if moyen social et fiscal de 260 000 € ont été éta blis.
En définitive, l’Etat dispose des out ils qui permettra ient une inter vention beaucou p plus soutenue envers les entr eprises en difficultés. Il pourra it en effet accr oître le nom bre d e d écisions relat ives au x morato i res sur créances publiques , d’aides à la prorogation de concours banca ires et augmenter le niveau de prêts du FDES… si la législation eur opéenne n’éta it pas ce que les Etats membr es ont voulu qu’elle soit.
Le « nouveau » dispositif d’aides adopté par la Commission est plus contraignant pour les Etats membres
La Commission, qui dispose d’un large pouvoir d’appréciation, s’oppose en principe aux aides aux entreprises
La Commission a souha ité « resserr er » son contrô le sur les aides au sauvetage et à la restructurat ion des entr eprises en difficulté. L’affaire Alstom a été à l’origine, avec d’autr es, de cette volonté . En effet, le principe général de l’union européenne (UE) est la prohibition des aides d’Etat (article 87, paragraphe 1 du TCE). Les dérogations possibles doivent être visées a priori par la Commission. Le traitement communautaire des aides (tant décisionne l que jurisprudent iel) illus tre parfaitement l’opposition entre les objectifs de fonctionne ment concurrentiel du marché et les objectifs de politique industrielle et de protection de l’emploi. En outr e, la Commission reconna ît qu’il n’existe pas de définition communauta ire précise de l’entr eprise en difficulté qui pourra it enca drer son pouvoir discrét ionna ire.
Les conditions de définition des aides d’Etat aux entreprises sont cumulatives et vagues
Sont cons idérées comme aides d’Etat, tout soutien public qui fait bénéficier aux entr eprises un avantage anormal, octroyé au moyen de ressources d’Etat, affectant les échang es et faussa nt la concurrence.
Dès lors , toute aide publique aux entr eprises est présumée incom patible avec les règles communauta ires, même si les aides de minimis (100 000 € accor dés sur 3 ans) sont cons idérées comme n’affectant pas la concurr ence .
S’agissant des entr eprises en difficulté, c’est le critèr e de l’avanta ge anorma l qui prédomine. L’Etat doit prouver qu’il agit comme « un investisseur privé » ou qu’il n’allège pas les charges de l’entr eprise. Il n’y a donc aucune preuve sérieuse possible de la par t de l’Etat et la Commissi on dispose d’un très large pouvoir d’appréciation, soumis à un contrôle juridictionne l restreint, concernant la qualification juridique et opérationne lle des aides d’Etat. Ainsi, face à une aide d’Etat, la Commission se deman de si un invest isseur privé aura it agi de la sor te dans un objectif de renta bilité et « dans les con ditions norma les de marché ». Cette appr éciation, pour le moins com plexe (en raison, par exem ple, de la natur e même de l’Etat et de ses missions) , est désorma is effect ive sur l’ensembl e des interventions financières publiques (ce ssions de par ticipations, prêts , abandons de créances , garant ies) .
Le resserrement progressif du contrôle de la Commission sur la compatibilité des aides aux entreprises en difficulté s’inscrit dans la logique de promotion des règles de la concurrence
Les dérogations prévues par le TCE au principe de prohibition des aides sont de plus en plus contrô lées . Après avoir durci les règles (qui restent en vigueur) en 1999, la Commissi on a adopté de nouvelles lignes, en 2004 , encore plus contraignantes. Elles s’appli quent, pendant 5 ans, à toutes les aides notifiées après le 10 octobre 2004 .
La comm ission distingue deux sor tes d’aides (lignes 1999) aux con ditions d’attr ibution très restrictives : les aides au sauvetage et les aides à la restructurat ion.
Les aides au sauvetage sont exceptionnelles
Ce sont des aides exceptionne lles et très contra intes . Elles cons istent en des garant ies de cré dits ou des cré dits dont la durée de remboursement ne dépasse pas un an. Elles peuvent êtr e just ifiées pour des « raisons sociales aiguës » et doivent êtr e accom pagnées d’un engagement de l’Etat de transmettr e un plan de restructurat ion ou de liquidation dans un délai de 6 mois.
Les aides à la restructuration ne sont autorisées que si leur octroi n’est « pas contraire à l’intérêt de la communauté » Leur octr oi est con ditionné à la mise en œuvre d’un plan de restructurat ion qui doit atténuer « toute distors ion de concur rence ». En pratique, il s’agit souvent d’engagements de cess ions d’actifs (exemple du groupe Alstom ). Les contreparties de ces aides peuvent aller jusqu’à la privatisation de l’entreprise bénéficiaire qui constitue pour la Commissi on une garantie qu’il n’y aura pas d’autres recapitalisations.Ces aides ne peuvent êtr e versées qu’une seule fois en dix ans, c’est le principe dit de l’aide unique.
2.4) Les lignes de 2004 sont encore plus drastiques La Commission just ifie ce nouveau durcissement des règles par l’objectif de réduct ion des aides d’Etat en pourcenta ge du PIB (con seils européens de Stockholm et de Barcelone). Elle rappe lle que « le retr ait des entre prises inefficaces est une donnée nor male du fonctionnement du marché ». Le darwinisme économ ique relaye ici le flou juridique antérieurement constaté . En réalité, l’un accom pagne l’autr e. Ils finissent même par fusionner.
Dans ce cadre, le principe de l’aide unique (non récurr ente) est éten du aux aides au sauvetage afin que «les entre prises ne soient pas mainten ues en vie artificielle ment». Par ailleurs , le principe d’une contr ibution financ ière de l’entreprise bénéficiaire au plan de restructurat ion est réaffirmé et durci. La comm ission rigidifie l’attr ibution des aides aux entr eprises nouvelles.
Dans un conte xte eur opéen de concurr ence et de privatisations accrues , l’Etat ne se donne donc plus les moyens d’inter venir pour sauvegarder les entr eprises en difficultés. Dès lors , l’abandon de la politique industr ielle con duit naturellement à délaisser les entr eprises défaillantes au nom de la « natura lisat ion » d’un droit unique : celui de la concur rence dont la comm ission eur opéenne et la cour de just ice des communautés eur opéennes se veulent les gardiens intrans igeants . La vie et la mor t des entr eprises sont en effet perçues comme des réalités quasi biologiques. La législation communauta ire épouse le darwinisme écono mique et social.
Para llèlement , par le jeu de la décentra lisat ion, l’Etat ferme néanmo ins les yeux sur les aides publiques diverses versées aux entr eprises qui permettent de contourner petitement , secrètement le droit eur opéen, laissant des zones d’ombre s’insta ller sur la natur e et les montants des aides distr ibuées sans contr epartie sociale car sans régime de sanct ions possibles.
Il s’agit donc de créer les con ditions d’une rés iliation de contrat entr e les pouvoirs publics et les théo logiens de Bruxelles. Il s’agit de créer un droit d’ingérence industr ielle permettant aux différentes collect ivités publiques d’inter venir pour la sauvegarde des entr eprises et de l’emploi en fonct ion de critèr es nécessa irement sociaux.
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