Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

A propos du rapport du groupe technique interministériel sur la réforme du financement de laprotection sociale

Dans ses vœux de nouvel an 2006 , le président de la République a évoqué la possibili té de l’élargiss ement de l’assi ette des cotisations sociales dites patronales à la valeur ajoutée des entreprises. Dans la foulée, le gouvernement (à travers les ministères de l’Econo mie et de la Santé) a mis en place un groupe de travail appelé « groupe techniqu e interministériel ». Celui-ci a rendu son rapport début juin. Ce rapport sera examiné par le Conseil d’orientation pour l’emploi (COE) et le Conseil d’analyse écono miqu e. Le Centre d’analyse stratégique (ex-Commissariat général du Plan) doit faire la synthèse.

Que dit le rapport du groupe technique interministériel ?
Le rappor t vise à répondr e au souha it de Jacques Chirac concernant l’élargissement de l’ass iette actue lle des cotisations sociales, à la valeur ajoutée .

Le rappor t s’inscrit dans une double logique :
l’abaissement du coût de tra vail comme la réponse au problème du chômage et de la faiblesse de l’emploi ;
la réduct ion du rôle de l’entreprise dans le financement des dépenses de solidarité, d’où la volonté de distinguer entr e l’assurance et la solidarité nationale, y com pris dans les moda lités de financement .

Sur quelle base cette distinction est-elle suggérée ? Actue llement les cotisations sociales ser vent à couvrir un champ vaste englobant assurance maladie, retra ites et diverses allocat ions. Certains de ces postes obéissent à une logique assuranc ielle (par exemple, l’assurance maladie) ; d’autr es relèvent plutôt de la solidarité nationale (par exemple, les allocat ions familiales) . Les libérau x et le patr onat cons idèrent qu’il faut limiter les cotisations sociales aux seules fonct ions relevant d’une logique assuranc ielle, ce qui reviendrait à rédu ire les cotisations versées par les entr eprises ; en revanc he, disent-ils, il faut financer les fonct ions de solidarité nationale (qui sont aujour d’hui assurées par les cotisations) , par les impôts , ce qui reviendrait à repor ter les charges sur les ména ges et par ticulièrement les salariés, au bénéfice des entr eprises.

Ainsi, le rapport défend toutes les « réformes » mises en place ces dernières années et sout ien par ticulièrement la politique d’exonérat ions des cotisations sociales patronales. En effet, les pistes examinées visent à répondr e à la quest ion suivante : comment remplacer les 2,1 points de cotisations généra les qui restent encor e au niveau du SMIC (suite aux exonérat ions Fillon) par un impôt ? Rappelons que ces 2,1 points de cot isat ions représentent 9 milliards d’eur os ; autr ement dit, dans l’es prit du rappor t la réforme supposée por tera it sur un volume de 9 milliar ds d’eur os (sou lignons que le montant global des cotisations affectées aux régimes de base est de l’ordre de 190 milliar ds d’eur os).

Dans le rappor t du groupe techn ique interm inistériel six pistes sont examinées :
la cotisation sociale ass ise sur la valeur ajoutée (CVA) ;
la modulation des cot isat ions en fonct ion d’un rat io
masse salariale/valeur ajoutée ;
la « TVA sociale » ;

l’élargissement de l’ass iette actue lle des cotisations aux éléments de rémunérat ion qui échappent actue llement aux cot isat ions (ce que le rappor t app elle « la contribution patronale généra lisée ») ;
la cotisation sociale ass ise sur le chiffre d’affaires net de la masse salariale (ce que le rappor t appelle « coefficient emploi-activité ») ;
la réduct ion des niches sociales.

Les pistes envisagées sont examinées à l’aune de 5 critères :
impact sur l’emploi ;
impact sur la com pétitivité de la France ;
impact sur le financement dura ble de la protect ion sociale;
impact sur les différents secteurs économ iques ;
com patibilité avec la Const itut ion et le droit européen et
communautaire.

Résumé des principaux effets des différentes pistes envisagées dans le rappor t :
Au tota l, les simulations du rappor t con duisent à penser qu’une réforme ne se just ifiera it pas tant les effets sur l’emploi et les recettes sont limités et incer tains. On pourra it même penser qu’elles sont constru ites de manière à arr iver à une telle conc lusion.

CVA
A court terme :
sur le PIB    nul
sur l’invest issement  négatif
sur l’emploi    17 000 après 1 an, 28 000 après 2 ans
A long terme :
sur le PIB    faiblement négatif
sur l’invest issement  négatif
sur l’emploi    nul
Transferts entre entreprises
Cette piste péna lisera it les secteurs à for te intens ité capitalistique (éne rgie, finance et immob ilier) et avanta gerait les activités intens ives en main d’œuvre (con struct ion, ser vices aux entr eprises, ser vices aux par ticuliers) .

Modulation
Cette piste n’a pas fait l’objet de simulation spéc ifique. Le groupe techn ique interm inistér iel cons idère que cette piste aura it les mêmes effets que la CVA, cités plus haut.
Toutefois, les trans fer ts financ iers entr e secteurs sera ient moins for ts que dans le cas de la CVA.

TVA sociale
A court terme :
sur le PIB    nul, voire négatif
sur l’invest issement  légèrement négatif, voire nul
sur l’emploi    17 000 après 1 an, 23 000 après 2 ans
A long terme :
sur le PIB    faiblement négatif
sur l’invest issement  négatif
sur l’emploi    nul
Transferts entre entreprises
Pas de trans fer ts entr e entr eprises ; en revanc he, des trans fer ts entr e ménages pénalisant sur tout les ménages à revenu modeste .

Coefficient emploi-activité
Les effets de cette piste dépendent du com por tement des entr eprises et plus précisément selon qu’elles réper cutent la taxe sur les prix ou sur leur marge (le rappor t ne procè de pas à un chiffrage). Dans le premier cas, le rappor t cons idère que les effets sur l’emploi et la croissance seront globalement négatifs. Dans le second cas il y aura it des effets plus favorables sur l’emploi.
Transferts entre entreprises
Ils sera ient plus prononcés que dans le cas de la CVA.

Réaction des organisations patronales
MEDEF
Comme cela a été évoqué plus haut, le MEDEF trouve bien ses com ptes dans le rappor t du groupe d’experts mis en place par le gouvernement . Toutefois, il veut profiter de l’occas ion pour enfoncer le clou, remettr e en cause et privatiser le système de sécur ité sociale. Il affiche à présent l’ambition de suppr imer les cotisations sociales sous prétexte de trans parence et de responsa bilité des individus et de maîtrise des dépenses . Ce faisant , il cherche à déresponsa biliser tota lement les entr eprises vis-à-vis du financement de la Sécur ité sociale : « Le MEDEF considère qu’un levier pour y parvenir serait de fusionner les cotisations employeur et salarié en faisant peser l’ensemble sur les salariés. Leur salaire brut serait bien sûr parallèlement relevé pour compenser le transfert. L’objectif serait de mieux sensibiliser les salariés, devmieux leur faire comprendre les coûts de la protection sociale. Pour responsabiliser chacun, il faut en effet imaginer un système qui permette à chaque salarié de comprendre la part de son salaire qui correspond au financement de la protection sociale. » Par ailleurs , le Medef revendique un bascu lement des cotisations vers la TVA ou la CSG. Ces revendications visent en fait à privatiser la protect ion sociale. Chaque individu serait appelé à trouver les moyens de s’assur er. C’est une conce ption dangereuse et fortement inégalitaire : les plus riches s’offriraient des meilleurs ser vices, les pauvres seraient privés des ser vices de qualité, la faiblesse des salaires ne leur permettant pas d’assur er un accès à de tels ser vices. De plus, cette conce ption détru it les solidarités entr e les générations présentes et futur es.

CGPME
Selon la CGPME, la priorité reste la réduct ion des dépenses de la Sécur ité sociale. Elle évoque sur tout le beso in de stab ilité et déplore les changements des règles du jeu.

UPA
Elle se félicité de l’idée de chercher de nouvelle sour ces de financement . Elle est en faveur de la modu lation en fonct ion de la masse salariale. Elle privilégie néanmo ins la piste de la « TVA sociale ».

Eléments d’une critique du rapport du groupe technique interministériel
Les simulations présentées dans le rappor t du groupe technique sont fondées sur des hypot hèses discutab les. Le rappor t préten d que ses hypothèses sont cré dibles. Cette cré dibilité supposée s’appuie sur une appr oche normat ive critiquable. Il s’agit sur tout des hypothèses « class iques » concernant la mob ilité des facteurs de production : le capital est cons idéré comme quasi mob ile, contra irement au travail; cette hypothèse con duit nécessa irement à cons idérer tout prélèvement sur le capital comme défavora ble à l’investissement , à l’emploi et à la croissance ; inversement tout allègement de prélèvements , y com pris toute baisse de cot isat ions sociales des em ployeurs , est supposé favorab le à l’invest issement , à l’emploi et à la croissance . De plus, ces hypothèses négligent les modifications plausibles de la com binaison capital-tra vail suite à un changement du mode de cotisation. De ce point de vue, l’absence de simulations concernant la piste de modu lation des cotisations est révélatr ice. Le fait que le groupe de tra vail n’ait pas trouvé utile de réa liser des telles simulations sur les modulations montr e qu’il sous-est ime le dynamisme que peut provoquer une modu lation des cotisations en fonct ion des différences sector ielles et de mode de gest ion des entr eprises. L’enjeu d’une réforme du financement de la protection est multiple (2) :

conforter et accr oître les ressour ces de la Sécur ité sociale pour répondr e aux besoins ;
le développement de l’emploi qualifié et bien rémunéréré .
D’où l’idée d’une modu lation du taux en fonct ion de la gest ion de l’emploi ;
assur er une cotisation prélevée dans l’entr eprise (et non
sur le consommateur) et affectée à la Sécur ité sociale ;
tenir com pte des différences sector ielles en matière de
valeur ajoutée et de masse salariale. D’où l’idée de taux différenciés suivant les secteurs .

A l’aune de ces critèr es, nous examinerons ci-dessous les pistes envisagées dans le rappor t du groupe techn ique interm inistér iel.

« TVA sociale »
Il s’agit en fait d’une mesur e anti-sociale. La « TVA sociale » est un impôt indirect payé par le consommateur au tra vers d’un renc hérissement des prix des biens et des ser vices. Elle sera it génératr ice d’inégalités au détr iment des familles modestes sans vraiment app or ter un sur croît d’emploi. S’agissant des relations commer ciales avec le reste du monde , les effets de la « TVA sociale » sont com para bles à une « dévaluation com pétitive ». Cer taines impor tat ions sera ient marginalement freinées mais avec pour contr epartie une hausse des prix, donc une limitation de la consom mat ion. Les em plois éventue llement gagnés sera ient com pensés par des emplois perdus faute de débouc hés.

CVA
Cette piste ne tient com pte ni du com por tement des entr eprises, ni des différences sector ielles. Elle ne corr espond pas aux objectifs cités plus haut.

Coefficient emploi-activité
Cette piste souffre des mêmes défauts que la CVA. De plus, son instaurat ion con duirait à une dou ble taxation des consommat ions intermé diaires.

Cotisation patronale généralisée
Cette piste a le mérite d’élargir l’assi ette des cotisations. Mais elle n’intègre pas l’idée de modu lation. De plus, elle n’intègre pas les revenus financ iers des entr eprises.

Réduction des « niches sociales »
Cette piste a auss i le mérite d’élargir l’assi ette des cotisations . Mais elle n’intègre pas l’idée de modu lation.

Modulation
Cette piste se rappr oche des propositions défendues depuis plus de 20 ans notamment par la CGT et le PCF ; mais elle ne corr espond pas à la tota lité des objectifs cités plus haut.

En guise de conclusion
Une réforme de financement de la Sécur ité sociale est indispensa ble. Elle nécess ite un débat démocrat ique le plus large possible, car il s’agit d’un choix de société dont la portée concerne les générat ions présentes et futur es. Le rappor t du groupe techn ique interm inistér iel mis en place par le gouvernement ne répond pas aux quest ions fondamenta les qui se posent pour réformer le financement de la Sécur ité sociale. Le tra vail doit êtr e appr ofondi dans trois directions :
réa liser de nouvelles simulations à par tir d’hypothèses alternat ives ;
réa liser, dans ce nou veau ca dre, un croisement de plusieurs pistes : modu lation en tenant com pte des élargissement possibles de l’ass iette (« réduct ion des niches sociales », « cotisations patr onales généra lisées ») ;
inclure dans l’ass iette , outr e les facteurs cités plus haut,
les revenus financ iers des entr eprises et réa liser des simulations sur cette nouvelle base.

Mais les modè les économ iques actue ls ser vant à ces simulations qui ne jugent l’avenir que par rappor t au passé risquent de passer largement à côté de la quest ion centra le qui est celle d’un nouveau type de productivité (au ssi bien du tra vail que du capital) que permet la révolution informationne lle. En effet, à présent la gestion des entr eprises est axée sur la recherche des économ ies essent iellement sur le tra vail. Or, ce type de gest ion génèr e des contra dictions majeures qui expliquent la faible croissance potent ielle des pays eur opéens . Il va falloir consacr er relativement plus de moyens à la qualificat ion et à la format ion de toutes les caté gories de salariés. Cela ne peut se faire qu’en favorisant la recherche, les ruptur es techno logiques et la rémunérat ion des salariés. Les ressour ces gâchées dans les opérat ions spécu latives et les seules straté gies de croissance externe des firmes doivent êtr e taxées. Nous sommes à l’opposé de l’idée de péna liser l’invest issement efficace . Au contra ire.

Comme la cotisation uniforme et forfaitaire a été pendant 30 ans en ph ase avec la logique de développ ement écono mique de l’après-guerr e, il faut aujour d’hui une réforme qui accom pagne cette mutat ion indispensab le dans la manière de produire les richesses . C’est ainsi que nous conforterons le financement d’une Sécur ité sociale solidaire. Ÿ

Nasser Mansouri: Directeur du Centre confédéral d’études économiques et sociales de la CGT Membre du Conseil d’orientation pour l’emploi.
Voir « La réforme indispensable du financement de la Sécurité sociale », Note économique, n° 101, Centre confédéral d’études économiques et sociales, CGT, juin 2006.
 

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.