Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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carburants : un débat opaque

Les prises de position concernant les biocarburants se multiplient. Les « pour » et les « contre » s'affrontent sans qu'ils ne paraissent y avoir d'approche déterminante ni dans le domaine disons « technico scientifique» ni dans le domaine économique. Si l'on finit par admettre un apport positif relativement à l'effet de serre, les « contre » soulignent immédiatement l'irréalisme économique ou bien dénoncent les difficultés techniques et matérielles qui finiraient par réduire à peu de chose les avantages défendus par les « pour ». Il n'y a pas de débat autour de données incontestables.

L'opportunisme et le sensationnel risquent de l'emporter alors que dans le fond ce sont les visées politiques et les intérêts particuliers qui forcent les décisions.

Il nous paraît indispensable, dans ce contexte, d'analyser les problèmes dans un ordre « classificateur » en déterminant pour chacun d'eux des critères qui permettraient de s'acheminer vers un jugement rationnel.

De quoi parlons-nous ?

Il s'agit d'une part de l'éthanol agricole éthylique que l'on peut obtenir à partir du vin, mais surtout des céréales, de la betterave ou du sucre de canne mais aussi de la bagasse, ou éventuellement de produits pétroliers. Ensuite les diesters ou biodiesels comme les appellent les Américains que l'on obtient en estérifiant par des alcools les huiles végétales comme l'huile de colza ou l'huile de tournesol. Les alcools utilisés sont surtout le méthanol et accessoirement l'éthanol. L'estérification est une opération chimique simple qui ne requiert qu'un matériel peu sophistiqué. L'éthanol peut se mélanger et se substituer en partie à l'essence de pétrole en améliorant éventuellement son indice d'octane, c'est-à-dire son pouvoir antidétonant, surtout par une modification chimique (ETBE) d'une partie de sa production. Les diesters ont pratiquement les mêmes caractéristiques que le gasoil utilisé dans les voitures de type diesel d'où l'appellation de biodiesel. Les biocarburants, à quelques réglages ou modifications près, ne posent que peu de problèmes techniques. Ils ont des performances proches de celles des produits pétroliers. Toutefois pour l'éthanol, à partir d'un mélange à 20/25 % les moteurs doivent être conçus autrement de même que les pompes de distribution. Cela a fortiori pour le flexfluel qui devrait être un mélange de 85 % d'éthanol et de 15 % de supercarburant.

L'avantage des biocarburants est qu'il ne dégage à la combustion que peu ou pas de gaz carbonique, principal responsable de l'effet de serre. Également peu de produits polluants.

On ne doit pas, toutefois, négliger la possibilité qu'il donne d'alléger notre dépendance à l'égard du pétrole dans le domaine des transports.

Quelles sont les orientations actuelles ?

Une nouvelle loi aux USA envisagerait de multiplier par 10 la production d'éthanol et de biodiesel à l'horizon 2030. Déjà la loi sur l'énergie de 2005 demandait aux raffineurs d'utiliser 7,5 milliards de galons dans l'essence à l'horizon 2012. Aujourd'hui le président Bush appelle à remplacer à l'horizon 2017 132 milliards de litres d'essence, soit environ 90 millions de tonnes, par des carburants alternatifs (la consommation totale de carburant auto était de 400 millions de tonnes en 2004), (The New York Times/Le Monde 03/02/2007).

Le Brésil compte passer d'une production de 16 milliards de litres d'éthanol en 2005 à 35 milliards en 2013. Ces projets ambitieux permettraient d'exporter aux USA dans la partie absorbable non couverte par la production propre comme vers les marchés japonais ou européens. La Suède serait particulièrement visée compte tenu de sa consommation prévue de flexfuel.

Dans le monde, la production d'éthanol d'origine céréalière a presque doublé depuis l'an 2000 alors que celle de biodiesel a quadruplé. Ces chiffres ne devraient pas, toutefois, être très significatifs en raison de la faible base de départ.

En France, depuis 2005, le gouvernement aurait pris une série de mesures qui visent à porter à 7 % en 2010 et 10 % en 2015 contre 2 % actuellement la part de biocarburant dans la consommation pour les transports.

Face à une opinion très sensibilisée aux USA comme en Europe et en France l'objectif privilégié reste, officiellement, la lutte contre l'effet de serre. Aux USA cette sensibilité s'affirme malgré le refus de ce pays de signer les accords de Kyoto. Toutefois dans ce dernier pays vient s'ajouter une inquiétude réelle des dirigeants devant sa dépendance à l'égard du pétrole et devant les difficultés politiques, économiques et structurelles rencontrées pour améliorer ou simplement maintenir la domination américaine sur le marché pétrolier ou même pour garantir la pérennité des ressources physiques proprement dites.

Biocarburant et agriculture

Il est bien évident que l'on ne peut séparer ces deux secteurs d'activité. Historiquement les USA ont soutenu les producteurs de maïs en subventionnant la production d'éthanol à mélanger à l'essence. Ce n'est pas la situation de pléthore qui cet été remplissait à ras bord les silos qui ralentira cette tendance. Comme celle d'ailleurs de subventionner les exportations de céréales comme le fait également l'Europe et cela malgré les protestations à l'OMC de pays émergents qui y voient une concurrence malsaine à leur production.

Le Brésil est également parti d'un soutien à la production de canne même si le souci d'un allégement de la dépendance à l'égard du pétrole n'était pas absent d'une réflexion sur une large utilisation de l'éthanol pour les transports.

En France, malgré les déclarations opportunes sur la lutte contre l'effet de serre, on ne peut pas également imaginer que la réorganisation du marché du sucre dangereuse pour les exportations, les risques qui pèsent sur la Politique Agricole Commune comme sur les différentes subventions à l'exportation, ne pèsent pas dans la réflexion sur les moyens de compenser les pertes éventuelles dans l'agriculture, l'activité agricole et dans l'emploi dans ce secteur.

Les problèmes qui se posent

Aux USA, l'objectif de Bush ne pourrait pas être atteint simplement par l'accroissement de la production d'éthanol à partir des grains de maïs. En ne compromettant pas les prix dans le secteur de l'alimentation les experts estiment ne pouvoir compter que sur 57 milliards de litres en continuant sur la lancée. Par contre ils sont plus optimistes en ce qui concerne l'éthanol cellulosique provenant des immenses déchets agricoles pour lesquels une production d'éthanol à des prix concurrentiels serait en vue et cela sans immobilisation extensive des terres. La production en masse nécessiterait autrement des surfaces agricoles très importantes.

On nous dit qu'en France il faudrait 118 % de la surface totale du pays cultivé en tournesol pour remplacer la totalité du pétrole consommé. 104 % avec le colza, 120 % avec la betterave. Il ne s'agit pas, bien sûr, d'imaginer, dans l'état actuel des choses, de remplacer la totalité du pétrole dans les transports. Les projets actuels du gouvernement nécessiteraient un million d'hectares (Le Monde du 11 janvier 2007). Or nous aurions encore 1,6 millions d'hectares en jachère comme suite aux décisions européennes de limitation de la production pour maintenir les prix. Ces jachères qui ont donné lieu à indemnisations peuvent être librement utilisées pour des cultures industrielles. Il n'y aurait donc pas, actuellement, de danger pour les cultures alimentaires. Ceci pourrait tranquilliser beaucoup de « contre » alarmés légitimement par la faim dans le monde.

Il règne aussi une inquiétude concernant les éventuelles effets de l'utilisation massive d'engrais pour ses productions. La crainte dans ce domaine est également présente et légitime. Un autre problème est largement débattu mais également, semble-t-il, sans conclusion dans l'immédiat. Il s'agit du rendement des biocarburants. Il faudrait naturellement que l'énergie produite lors de l'utilisation des biocarburants soit supérieure à celle nécessaire à leur production. La différence serait l'apport direct de l'énergie solaire en plus de la photosynthèse qui permet de compenser la production de CO2 dans les différents processus.

Pour l'Ademe (agence pour la maîtrise de l'énergie) le rendement est très favorable. Pour l'Inra il serait beaucoup moins avantageux (Le Monde du 11 janvier 2007). Il y a un problème sérieux, mais il semble que pour les diesters, en tout cas, la marge positive soit très grande.

Enfin il faut parler des subventions nécessaires à l'alignement des bio carburants sur les prix du pétrole brut. En 2001 elles étaient allouées, avec un plafond de 50,23 euros l'hectolitre pour l'éthanol et 35,06 euros pour les esters à l'aide d'une réduction de la TIPP. En 2004 la réduction maximale était de 37 pour l'éthanol et 33 pour les esters. On voit qu'il y a une évolution en fonction de celle du prix du pétrole. Mais cela découle-t-il de l'application d'une formule précise intégrant une comparaison rigoureuse des rendements énergétiques et de l'évolution des prix pétroliers ? Ou bien cela découle-t-il de négociations opportunes entre les intéressés et l'administration. Le Monde du 11 janvier 2007 rapporte que UFC Choisir qui, par ailleurs, s'interroge sur le réel intérêt écologique des biocarburants indique que maintenant que le pétrole s'est installé à un niveau supérieur à 55 $ le système crée une rente indue pour la filière biocarburants.

 

Quelques constatations

il est clair que :

  1. l'effet bénéfique sur l'environnement semble faire l'unanimité,

  2. il existe une synergie entre politique agricole, lutte contre l'effet de serre et une politique énergétique de diversification et de maîtrise du déclin du pétrole,

  3. des audits incontestables sont nécessaires, administratifs dans le domaine de l'évaluation du patrimoine disponible en terre et du calcul transparent des subventions, scientifiques dans la mesure des rendements des différents biocarburants et des conséquences de l'utilisation éventuellement massive d'engrais,

  4. on ne fera pas l'économie d'une coopération de l'Ademe, de l'INRA, des syndicats agricoles, des élus locaux et un pôle énergétique national pour une utilisation ciblée des biocarburants : appoint utile dans un programme de diversification programmée des ressources énergétiques notamment dans les transports et moyens de consolidation dans le domaine agricole notamment de l'emploi et de la petite production ? Il ne faudrait pas que les projets gouvernementaux émanent des lobbies des grands céréaliers et des betteraviers liés dans le seul intérêt de ces derniers,

  5. il faudrait engager une réflexion sur les subventions internationales à l'exportation. Ne pourraient-elle pas être destinées, en partie à l'aide à l'agriculture dans le domaine des biocarburants (recherche production) et en partie au développement de la production d'eau et de céréales dans des pays que leurs ressortissants fuient par crainte de la faim et qui ont le plus grand mal à financer des achats de céréales.

 

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