Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Pouvoir et démocratie à l’entreprise

Peut-il exister une démocratie, un fonctionnement démocratique, une citoyenneté du salarié dans le monde de l’entreprise, et surtout de l’entreprise privée telle qu’elle est aujourd’hui sous l’emprise du rendement actionnarial exigé par les propriétaires du capital financier ?

L’entreprise, pour le MEDEF, ce sont les patrons. A l’opposé de cette vision élitiste et discriminatoire, nous considérons que l’entreprise est une communauté humaine où il y a d’bord des salariés.

Pouvoir et démocratie à l’entreprise : Deux questions viennent immédiatement à l’esprit :

  • Dans ce monde en mutation accélérée, l’entreprise reste-t-elle un lieu pertinent de pouvoir, a-t-on prise sur le réel à partir de l’entreprise, et si c’est le cas, les salariés peuvent-ils, à partir de là, changer leur condition ?
  • Deuxième question : quel(s) type(s) de pouvoir(s) et de démocratie peuvent permettre de sortir de ces difficultés en prenant en compte les nouvelles réalités de nos sociétés telles que la révolution informationnelle, les changements démographiques, la puissance des marchés financiers, la montée des processus d’individualisation, les mutations du travail etc.

Et pour quoi faire ?

La réflexion sur le pouvoir et la démocratie à l’entreprise doit ainsi permettre d’aller bien au-delà de la question, si importante soit-elle, des licenciements pour poser celles des décisions d’investissement en amont des licenciements, des choix des gestions des directions. Mais aussi de se demander : à quoi sert de produire des richesses, pour qui et comment ?

L’entreprise est-elle encore un lieu pertinent de pouvoir ?

L’internationalisation du capitalisme français

Dans une société où les marchés financiers dictent leur loi, y compris à l’entreprise, la volonté de conquérir de nouveaux pouvoirs pour les salariés dans l’entreprise et dans les groupes risque d’apparaître comme une course vaine après un leurre. D’importants changements placent l’entreprise sous toute une série de contraintes et il y a des formes d’éclatement des pouvoirs avec l’émergence de multiples institutions nouvelles, internationales souvent, dont les décisions ont un impact sur sa vie et sur lesquelles elle n’a pas forcément prise. Avec la montée en puissance des marchés financiers est-il encore possible, comme salarié d’intervenir sur les choix de gestion ?

Le premier constat que l’on peut faire est que les lieux de décision majeurs semblent s’être éloignés de l’entreprise. A la fin des années 90, François Morin pouvait écrire (1) : « Le modèle actionnarial des plus grands groupes français connaît aujourd’hui une rupture brutale. Par rapport à des configurations antérieures où l’Etat d’abord, puis le système de participations croisées ensuite, étaient au centre des rapports capitalistiques, le nouveau rapport actionnarial qui se met en place aujourd’hui obéit à des normes tout à fait différentes du modèle précédent », et il concluait en ces termes : « L’économie française est en train de réaliser un passage extrêmement rapide d’une « économie de cœur financier » vers un économie de « marché financier ». Ses macro-circuits de financement étaient jusqu’à présent organisés non pas principalement par le jeu du marché, mais par le jeu d’acteurs organisés en grands systèmes d’alliances. Cette économie de cœur financier est actuellement en train de se dissoudre au profit d’une nouvelle logique, celle d’une économie de marché financier ». Cela se traduit notamment par une présence accrue d’investisseurs institutionnels étrangers dans le capital français. C’est là la première justification de notre interrogation sur les possibilités de gagner de réels pouvoirs au sein de l’entreprise.

Si l’on examine les sociétés du CAC 40, il y a une évolution rapide et très importante. En 1997, leur capital était détenu pour un tiers par des sociétés étrangères, en 2003, on en est à 44%. Autres exemples : 45 % du capital de la BNP est contrôlé par des investisseurs étrangers, le Crédit Lyonnais: 34%, la Société Générale: 50%, AXA: 46%, Total-Elf: 65%, Aventis :60%, Lafarge: 58,5%.

 

Tableau : voir le PDF.

Ces investisseurs étrangers sont pour l’essentiel des investisseurs institutionnels, des fonds d’investissement, des fonds de pension, anglo-saxons pour une bonne partie. Selon une estimation faite par une étude de la Banque de France, à fin 2003, les détenteurs d’actions des entreprises du CAC 40 seraient à 17,6 % issus de la zone euro, à 13,1 % des Etats-Unis, à 6,5 % du Royaume-Uni.

A entendre les chroniques de certains économistes dans les médias, on croirait que la France est un pays isolé ayant peur de l’extérieur, se repliant sur lui-même. Il s’agit plutôt de l’un des pays les plus ouverts aux investisseurs internationaux. Si l’on considère les entreprises cotées en Bourse, le taux de détention de leur capital par les investisseurs étrangers était en 2001 de 36% en France (27% pour l’ensemble des entreprises), 25% en Allemagne, 12% au Japon, 22% au Royaume Uni, et …11,5% aux Etats-Unis, soit trois fois moins dans le pays prétendument de la libre entreprise qu’en France !

On cerne ainsi le contexte au sein duquel se pose la question du pouvoir à l’entreprise. Quels sont les effets de ces évolutions ?

Prenons l’exemple du numéro un mondial du BTP et des services associés, VINCI. Ce groupe français, très présent dans l’Hexagone et en Europe mobilise une part très importante de ses moyens pour faire de la croissance externe, c’est-à-dire pour racheter du chiffre d’affaire en prenant le contrôle d’entreprises en France et à l’étranger. Cette croissance externe a connu en 2006 un essor considérable avec l’acquisition de la première société française d’autoroutes, AUTOROUTES DU SUD DE LA FRANCE (ASF), privatisée par la droite.

Pourquoi une telle opération ? Parce que cela assure à VINCI des sorties de résultats considérables, dix à vingt fois supérieures à ceux du BTP classique. Parce que ces sociétés d’autoroute « crachent » du dividende !

Et VINCI a besoin de dividendes pour rémunérer ses actionnaires internationaux. Comme le montre le graphique cidessous, si l’on tient compte du fait qu’une partie des actionnaires individuels sont des non-résidents, environ la moitié du capital de VINCI est contrôlé par des investisseurs étrangers. Le groupe est devenu une proie facile pour des raiders.

Cette situation est l’aboutissement d’une évolution entamée par le désengagement de SUEZ et de la GENERALE DES EAUX de leurs filiales BTP, fusionnées pour former le groupe VINCI, dans le prolongement des mouvements de privatisation engagés par la droite et le Parti socialiste.

Répartition du capital de Vinci (voir le PDF)

Ce souci d’augmenter chaque année les dividendes de 10 à 15% et d’avoir des titres sans cesse à la hausse a des conséquences sur les conditions de travail des salariés. Qui doit « cracher du résultat » si ce ne sont les salariés ! Cela se traduit par une augmentation de la productivité apparente du travail, le développement de l’intérim et de la sous-traitance dans les activités jugées moins rentables, par une course assez continue à la croissance externe.

Alors quels pouvoirs dans l’entreprise ? Les élus salariés, se posent évidemment la question : que faire pour contrebalancer la puissance de ces investisseurs nationaux et internationaux qui dictent leur loi ?

Des lieux de décision institutionnels qui s’éloignent de l’entreprise

La deuxième raison qui justifie l’interrogation sur la pertinence de l’entreprise comme lieu de pouvoir possible pour les salariés, c’est l’internationalisation des lieux de décision institutionnels : par exemple, la construction d’ensembles régionaux comme l’Union Européenne, la création d’institutions telle que l’OMC, le rôle croissant de la banque mondiale, du FMI etc. Ainsi, quand la banque fédérale américaine prend des décisions contribuant à baisser le cours du dollar, cela a un impact direct sur les entreprises françaises. Les comptes de nombre d’entreprises françaises fluctuent avec le cours de la monnaie américaine.

L’AGENCE FRANCE PRESSE est dans ce cas. L’AFP a une situation très particulière dans la mesure où le cours du dollar a plus d’effet sur ses charges que sur ses produits. Elle a relativement peu de clients en dollar, mais comme elle a un réseau mondial, une part importante de ses salariés travaillent dans la zone dollar, aussi, quand le billet vert baisse, comme c’est le cas depuis quelques années, elle perd un peu en chiffre d’affaire mais elle économise beaucoup sur ses charges. En cas de retournement et de hausse de la monnaie américaine, l’effet sera évidemment inverse et impactera durement les comptes de l’Agence.

Les effets des variations du cours du dollar peuvent être redoutables pour des entreprises mondialisées, or ces évolutions relèvent des marchés financiers, de la banque fédérale, du gouvernement des Etats-Unis, de différentes institutions monétaires nationales (chinoises, notamment) et internationales.

Le rôle nouveau du « hors travail »

La troisième raison qui pousse à s’interroger sur le pouvoir possible à l’entreprise, c’est le rôle nouveau du « hors travail », y compris dans la sphère du travail. Dans la révolution informationnelle qui commence, ce qui compte le plus, c’est la capacité des hommes et de leurs organisations à partager utilement les informations. L’efficacité économique passe bien plus que par le passé par la qualité du travail vivant, plutôt que par l’accumulation accélérée du travail mort, de machines. D’où l’importance nouvelle des activités hors travail qui contribuent au développement humain : la culture, la formation, la créativité sociale, la santé tout simplement. Ce sont toutes-là des activités mutualisées, extérieures à l’entreprise mais qui ont un impact sur la vie de l’entreprise. Le monde est donc plus complexe, manifestement.

L’entreprise et la « main aveugle » du marché

L’entreprise terreau privilégié de la financiarisation

Ne faut-il pas cependant aborder autrement la question de l’entreprise et des pouvoirs ? Ces mutations, ces transformations évoquées, l’entreprise y est pour quelque chose, contrairement à ce qu’on pourrait en penser. On parle des marchés financiers, mais qu’y a t-il derrière leur « main aveugle » ? Des fonds de pensions ? Mais que sont ces fonds de pensions ? Des organismes qui recueillent l’épargne des salariés, des travailleurs des entreprises. Qui sont les autres intervenants sur les marchés financiers ?

  • Les banques : les fonds d’investissement sont souvent des filiales de banque, et il y a des salariés dans les banques !
  • Les groupes. Ainsi Renault a une filiale en Suisse, Renault Finance, qui est un intervenant important sur les marchés financiers, qui couvre les opérations en dollar du groupe en achetant du yen, qui couvre les opérations en yen en achetant de l’euro etc., qui manipule des sommes considérables.

Ces marchés financiers ne sont pas des forces occultes qui décideraient mystérieusement de la vie des gens. Ils ont certes une puissance considérable, mais d’où leur vientelle ? Pour une grande partie de l’entreprise.

Si on va plus loin, le développement de la finance est lié à la crise de longue durée du capitalisme. Cette crise part de l’activité à l’entreprise. Toutes les périodes où il y a eu un développement de la finance et de la Bourse étaient des périodes de crises. En effet, le développement de la finance intervient quand le capital subit une crise de rentabilité, elle est alors un moyen pour essayer de relever ce taux de rentabilité (2). « Réaction à la suraccumulation de capital matériel », cette hypertrophie financière se nourrit des décisions individuelles des capitalistes qui chacun de leur côté tentent de tirer leur épingle du jeu en relevant leur propre taux de profit.

Il faut de ce point de vue écarter le cliché qui présenterait la financiarisation comme une perversion d’un réel virginal. Le développement du cancer tire sa source de la crise d’un réel en proie à des contradictions considérables et des cercles vicieux récurrents.

L’internationalisation des groupes français a favorisé la montée des investisseurs internationaux dans leur capital

La rupture des participations croisées et des systèmes d’alliances entre groupes financiers et groupes industriels et de services du capitalisme français, constatée par François Morin, a été en grande partie consommée du fait de l’extraversion accélérée de ces groupes, de leur internationalisation et leur financiarisation croissante, rythmée par des opérations de croissance externe, des fusions-acquisitions hors des frontières, en Europe surtout et particulièrement, dans la dernière période, dans l’Est européen.

Les données publiées par la Banque de France (cf. graphiques ci-après) montrent d’une part la forte croissance des investissements directs français à l’étranger entre 1996 et 2002 et d’autre part, à l’inverse la forte progression des investissements de portefeuille des étrangers en France à partir également de 1996 (second graphique) : il y a un lien entre l’internationalisation du capitalisme français et la montée des investisseurs internationaux dans le capital des grands groupes français.

 

Graphiques (voir PDF)

Dans ce sens, la Bourse apparaît davantage comme un organisme de prédation de ressources que comme un moyen de financement de l’économie.

Une entreprise qui veut se financer sur les marchés financiers peut actuellement le faire de plusieurs façons.

  • Soit en mettant en vente des actions. Elle permet, contre paiement, à des actionnaires de prendre une partie du capital et, en échange, celle-ci s’engage à les intéresser aux résultats de l’entreprise. Le financement : c’est l’achat d’actions, et le revenu procuré à l’actionnaire : ce sont les dividendes ainsi que les plus values réalisées avec leur vente.
  • Soit par le biais de grands emprunts internationaux : on prête de l’argent à l’entreprise et celle-ci paie en échange un intérêt et rembourse au final la somme prêtée.

Au total, Le développement des marchés financiers n’est pas un signe de la toute puissance du capitalisme. Il est plutôt l’expression de sa crise structurelle.

Une crise inédite marquée par les débuts de la révolution informationnelle

 

Le rôle nouveau du développement humain contrecarré par la rentabilité financière

 Cependant, nous sommes aujourd’hui confrontés à une crise inédite. Il y évidemment des aspects qu’on retrouve dans les crises précédentes, le capitalisme depuis le 19ème siècle ayant connu toute une série « d’éruptions » plus ou moins volcaniques. Les grandes périodes du mouvement social, y compris celle de la Commune de Paris, ont toujours été liées d’ailleurs à des phases de crises du capitalisme. Mais la crise que nous traversons a un côté inédit, elle intervient dans le contexte tout à fait nouveau d’une révolution informationnelle avec des prémisses de changements de civilisation. Cette révolution informationnelle change beaucoup de choses, elle permet notamment, grâce aux nouvelles technologies, un développement sans précédent des marchés financiers.

Qu’est-ce donc que cette révolution informationnelle ? Elle se caractérise comme une révolution technologique d’ensemble touchant tous les domaines de la vie humaine. Elle tient au fait que toute une série d’activités du cerveau peuvent être aujourd’hui exercées par les machines. Ce qui a un effet très concret : les activités de connaissance ont un rôle nouveau dans les relations humaines, dans la vie économique et dans les entreprises. Un des facteurs essentiel de développement et de croissance n’est plus la seule accumulation des machines, le facteur le plus déterminant devient le développement humain.

Cela contredit évidemment les thèses de ceux qui font de la baisse du coût du travail l’alpha et l’oméga de l’efficacité économique et qui affirment qu’il faut produire là où les coûts salariaux sont les moins chers.

Dans cette optique, on comprend mal que les pays le plus développés soient les pays où les gens sont les plus instruits et les mieux soignés ! Les pays qui tiennent le haut du pavé au point de vue de la puissance économique, ce ne sont ni le Bengladesh, ni la Tunisie. Si la Chine tend à s’affirmer comme l’un des premiers acteurs mondiaux c’est en raison d’une évolution économique très contrastée, avec à la fois une tendance à l’accélération du développement humain et, en parallèle, un affaissement brutal de certaines protections. Les pays qui dominent les relations économiques mondiales sont ceux qui maîtrisent le mieux les nouvelles technologies. Il n’est pas possible qu’on puisse de nos jours atteindre un haut niveau de développement économique sans formation des hommes.

La révolution informationnelle appelle des développements humains mais en même temps elle facilite les opérations financières à travers le monde. Selon ce qu’on en fait, elle peut donc être la pire ou la meilleure des choses !

Un besoin de partage pour une efficacité nouvelle

Quand on atteint ce stade dans les activités humaines où la connaissance joue le rôle prioritaire, quels peuvent en être les effets ? Arrêtons nous un instant sur l’exemple suivant : si je donne ma montre à mon voisin, je ne l’ai évidemment plus, mais par contre, si je lui donne une idée, cette idée, je la garde. Mon voisin peut à son tour la donner à un autre tout en la gardant. Il en est ainsi par exemple de la connaissance d’une molécule qui permet de guérir le cancer, le découvreur peut la partager avec d’autres tout en la gardant entière pour soi, et demander ensuite en retour le partage des coûts d’une recherche-développement, mais ce partage permet des économies formidables ! (le découvreur pourrait aussi vendre ses connaissances et alors...).

On peut mesurer la différence. Le capitalisme s’est développé jusque là sur la base de la machine, de l’accumulation de machines : l’argent pour plus de machines et plus de machines pour encore plus d’argent. Ainsi, pour prêter de l’argent, un banquier sera plus facilement rassuré si son interlocuteur est un industriel qui dispose d’installations importantes, de machines, d’entrepôts, d’immeubles. Il sera plus tatillon s’il s’agit d’un créateur qui n’a pas de machines, pas de biens matériels susceptibles d’offrir une garantie. Sur quoi hypothéquer les idées du créateur, que valent-elles ?

Reprenons l’exemple de la montre. Si je cède le brevet de la montre à mon voisin, celui-ci, pour fabriquer des montres devra acheter des machines, si je lui cède le brevet de la molécule, il devra acheter des machines pour fabriquer des médicaments mais il ne devra pas faire toutes les recherches pour retrouver la molécule, ce qui de loin coûte le plus cher.

Le capitalisme face à cela voit s’offrir à lui des possibilités de domination sans précédent mais s’il veut dominer son voisin il doit développer les ressources humaines, ce qui lui coûte. D’où des contradictions, des cercles vicieux.

Avec cette révolution informationnelle qui fait du développement humain le facteur primordial pour le développement des sociétés il y a une source inédite de pouvoir pour les salariés dans l’entreprise.

Quel type de pouvoir et de démocratie à l’entreprise, et pour quoi faire ?

Droits d’intervention et enjeux de transformation sociale Le patronat, la droite, le Parti socialiste ne sont pas indifférents à cette question des pouvoirs à l’entreprise. Les deux premiers l’abordent essentiellement au travers de l’actionnariat et de la problématique de la bonne gouvernance, du contrôle des dirigeants par les actionnaires. Le troisième, a tendance à séparer l’intervention des salariés dans la gestion des enjeux de transformation sociale.

De fait, le système de démocratie sociale actuel est en crise. Ainsi, dans le BTP, dans certaines entreprises, l’intérim représente 30 % des dépenses de personnel. Quels droits ont les intérimaires sur la vie de l’entreprise ? Aucun. Mais au-delà, dans les entreprises de moins de 5 salariés (il y en a beaucoup), 4 salariés sur dix y sont soit à temps partiel, soit en contrat à durée déterminée, soit en emploi aidé. Pouvoir intervenir sur la gestion des très petites entreprises n’est déjà pas évident pour leurs salariés, mais que dire des précaires ?

Les forces de transformation sociales en France se sont beaucoup appuyées sur les grandes entreprises, sur les entreprises publiques, sur la fonction publique qui ont été le fer de lance des transformations sociales. Les très grandes entreprises ne sont plus aussi nombreuses, nombre d’activités sont sous-traitées, filialisées. La question des droits et pouvoirs ne se pose plus dans les mêmes termes. Cela souligne en même temps que l’on ne peut séparer ces questions des droits et pouvoirs de ce pourquoi on les revendique : l’éradication du chômage et de la précarité, la sécurisation de l’emploi, de la formation et de l’ensemble de la vie.

Nouveaux pouvoirs et maîtrise de l’utilisation de l’argent Cette ambition va plus loin que la seule amélioration des droits et statuts des travailleurs, si importante soit elle. La création de nouvelles institutions, allant au-delà du cadre limité de l’entreprise isolée, en concurrence avec les autres ou les dominant, d’institutions mutualisant les objectifs et les moyens, développant des réseaux de coopération, doit viser à dépasser la séparation entre employés et employeurs, capitalistes ou étatiques, qui eux « disposent des moyens de financement ainsi que des pouvoirs exclusifs de création d’emplois, d’embauche ou de débauche et de licenciement (3) » pour aller vers une autogestion de la société par elle-même.

Le projet est autrement plus audacieux que la simple interdiction de licencier puisqu’il s’agit de donner la possibilité à tous ceux qui veulent travailler de disposer d’un bon emploi ou d’une bonne formation, et dans l’un et l’autre cas, d’un bon revenu. Cela permettrait de créer une mobilité des salariés en lien avec les évolutions technologiques, les besoins sociaux, sans que le départ de l’emploi conduise au chômage, la mise en formation succédant à l’emploi.

On comprendra qu’il n’est pas possible d’instituer une telle mobilité de progrès, excluant le chômage et la précarité, sans maîtrise des moyens de financement, de l’argent. On oublie trop souvent que le capitalisme, c’est d’abord la maîtrise de l’argent. Il faut se rappeler le fameux cycle défini par Marx : argent-marchandise-argent ou A-M-A’. Le capitaliste a un capital A, il achète des marchandises M, non pour les consommer mais pour obtenir une plus grande quantité d’argent : A’. Va-t-on laisser les capitalistes décider seuls de l’utilisation de cet alphabet ?

Le salarié dans sa relation avec le capitaliste qui l’emploie, vend sa force de travail à quelqu’un qui est certes propriétaire de moyens de production mais qui, surtout, possède de l’argent constitué en capital pour la production, notamment pour payer les salaires.

Il s’agit donc au bout du compte, avec le projet de sécurité d’emploi et de formation, à la fois d’améliorer sensiblement la situation des travailleurs et des populations et de mettre en cause le droit divin, individuel et collectif, des employeurs sur la gestion des équipements, de la main d’œuvre, des ressources et les modalités de financement. Une telle transformation des relations sociales conduirait à dépasser la condition de salarié. On serait en effet payé sans pour autant occuper un emploi, simplement en suivant une formation, et en même temps on pourrait être bien plus qu’un simple vendeur de sa force de travail en commençant à assurer des fonctions de gestion jusqu’à présent réservées aux dirigeants capitalistes.

L’entreprise et la démocratie participative

La démocratie représentative actuelle est en crise. Pour  surmonter celle-ci, il ne suffira pas d’engager des expériences de démocratie participative au sein des territoires en ignorant l’entreprise.

Ne peut-on pas engager de véritables expériences de démocratie participative et d’intervention populaire autonome avec les salariés d’entreprises, de bassins d’emploi ? La réalisation de telles expériences donnerait un tout autre contenu à la participation citoyenne et à la démocratie dans toute la société.

Il y a des tentatives de réflexion sur le sujet. Par exemple l’économiste Thomas Coutrot propose d’ouvrir les comités d’entreprise à des intervenants extérieurs qui seraient des consultants n’ayant pas le pouvoir de décision. Il y a évidemment nécessité d’aménager des passerelles entre l’entreprise et des activités qui lui sont à la fois extérieures et indispensables (institutions de formation, sous-traitants,…) afin de favoriser des co-décisions auxquelles les salariés et leurs représentants, mais aussi les populations concernées pourraient participer en toute autonomie.

Si l’on enferme l’entreprise sur elle-même, la partie est perdue. Ne serait-il pas nécessaire de mutualiser les expériences des salariés dispersés dans les entreprises d’une zone industrielle ?

Et au delà d’envisager des assemblées communales de comités d’entreprise qui permettraient de réunir les élus et les salariés ?

On peut d’ailleurs se demander si l’un des rôles essentiel et nouveau des élus communistes n’est pas d’agir afin d’aider les salariés et les populations à intervenir dans la gestion des entreprises pour faire reculer la précarité, promouvoir l’emploi de qualité, la formation, ici, en favorisant la réunion d’une table ronde réunissant différents acteurs, privés et publics, afin de trouver une alternative à la fermeture d’une entreprise ; là, en favorisant de véritables programmes d’insertion des populations dans l’emploi, …

Pourquoi ne pas envisager notamment des conférences annuelles des comités d’entreprises des entreprises locales dont le maire, le conseiller général, le député serait à l’initiative ? Sur des thèmes précis : la situation économique des entreprises de la ville, celle de l’emploi, les besoins de formation, les problèmes de financement des entreprises, …

Pour avoir du pouvoir, il faut cependant disposer d’informations. Les services économiques des villes en ont, mais trop souvent elles sont insuffisamment partagées. La Banque de France peut de son côté fournir aux municipalités qui le demandent un audit des entreprises de la commune. Le partage de l’information – les salariés de leur côté ont une connaissance pratique des process de production, des blocages et des gâchis au sein de l’entreprise peut favoriser le débat, y compris le débat contradictoire avec des dirigeants d’entreprise, de construire des alternatives. ■

  • « Le modèle français de détention et de gestion du capital », rapport au ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, 1998.
  • Cf. Paul Boccara, « Cycles longs mutations technologiques et originalité de la crise de structure actuelle », ISSUES, n° 16, 2ème – 3ème trimestres 1983, et Denis Durand, « Un autre crédit est possible », Le Temps des Cerises, 2005.

Paul Boccara, « Une sécurité d’emploi ou de formation », page 2

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