Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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« l’Etat ne peut pas tout…» surtout s’il accompagne !

La restructuration de DANONE-BSN à Givors en constitue la triste illustration. L’actualité nous apprend que DANONE va installer au Bangladesh une usine qui ne devrait pas dégager de bénéfices.
En plus, sous couvert d’un fonds d’investissement destiné à produire des aliments en direction des plus démunis (1). Au royaume du yaourt c’est certainement une nouveauté. Pourtant, la restructuration de sa filiale de verre d’emballage, BSN, à partir de 1999 montre que ce n’est pas le genre de la maison Riboud.
Au terme d’une lutte opiniâtre des salariés de l’usine de Givors dans le Rhône, utilisant tous les atouts d’une grande lutte : grèves, manifestations, référendum d’initiative sociale, procédures judiciaires, interpellations parlementaires… Danone ne parvenait pas à s’en tirer à si bon compte que prévu. L’Etat, à direction socialiste, avait pourtant mis à sa disposition plusieurs compagnies de Gardes-Mobiles à l’annonce de la fermeture. Même si au bout du compte c’est le désastre industriel et de l’emploi qui prévaut dans la vallée du Gier. A l’heure des bilans politiques, à la veille d’échéances électorales cruciales il importe de faire le bilan social de certains choix politiques sur le long terme. Le regard sur le passé sert à ne pas renouveler les erreurs commises, ou les illusions entretenues. A montrer quelle véritable politique de gauche est attendue.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?

Les trois-cent-dix-sept emplois de la verrerie de Givors – installée ici depuis 1750 – un outil de production neuf, renouvelé depuis peu… Tout a disparu. Table rase du passé. Même les promesses se sont envolées. Pourtant il n’en a pas manqué : le Livre III, signé à l’issue de la lutte, enregistrait l’engagement de la direction de BSN de recréer 200 emplois sur le site (2). Un projet rapidement présenté, maquettes à l’appui, prévoyait même la réalisation de 530 emplois… Enorme, dans un bassin d’emploi dont le taux de chômage est le double de celui du pays.
En application de la « loi de modernisation sociale », art. 118-II l’entreprise signait une convention avec l’Etat le 15 juillet 2002. Les engagements financiers du groupe BSN n’allaient cependant pas au-delà de ce que prévoyait la loi (4 fois le SMIC par emploi supprimé). Les organisations syndicales invitées à la signature n’avaient aucun droit d’intervention dans les processus de mise en application, sinon une promesse vague d’information en cours d’exécution. « L’implication de tous les acteurs économiques, sociaux et institutionnels, aux côtés de la société VMC groupe BSN Glasspack, doit tendre à la création et à la relocalisation d’un nombre d’emplois correspondant aux emplois directs et indirects supprimés ». La convention, conformément à la loi, fixait « une obligation de moyens et non de résultats », comme a pu le préciser le directeur départemental de l’emploi à cette occasion. Nuance. L’impact de la fermeture sur l’emploi y était déjà sous-estimé : 300 emplois directs au lieu de 317 ; chez les intérimaires et les sous-traitants l’impact sur l’emploi y était réduit à 10. Sans possibilité de contrôle de la part des représentants syndicaux.
Aujourd’hui ? Il ne reste plus sur le site qu’une cheminée centenaire que l’on envisage de garder pour l’Histoire. Le terrain est nu, et pollué, fortement pollué. C’est la réunion de clôture de la convention, trois ans après, qui nous en donne les premiers éléments de connaissance. Premiers, car la démolition et la dépollution ne sont pas encore achevées à ce moment, le 23 juin 2005. Plus d’un an après, en septembre 2006, on y découvrira encore trois cuves contenant les hydrocarbures particulièrement polluants. Mais le quitus total et définitif aura été accordé au groupe BSN depuis plus d’un an, déjà, par toutes les autorités administratives et politiques engagées dans l’accord, avec la bénédiction du préfet. Les représentants syndicaux n’étaient pas invités à cette réunion, contrairement aux engagement pris par le préfet lui-même lors de la signature de la convention.

Où sont passés les emplois ?

La production a cessé en juillet 2002, le site a été fermé en janvier 2003. C’est le Directeur Général de VMC/BSN qui présente le bilan de l’action de son groupe – cent personnes ont bénéficié de mesures d’âge, cent de reclassements internes au groupe, cent de reclassements externes il n’ira cependant pas jusqu’à communiquer avec précision « l’entreprise ne communique jamais sur ce sujet » et s’empresse de dire : « tous les financements ont été dépensés et VMC n’a plus d’obligation légale ou réglementaire » à l’égard des salariés reclassés dans d’autres unités de production, même en difficultés (Bormioli, ancienne filiale du groupe Danone, aujourd’hui en liquidation à Rive-de-Gier). Il précise même qu’en six ans 1 200 emplois ont été supprimés dans le groupe et que celui-ci a été racheté par le groupe américain OWENS ILLINOIS.

Une entreprise, bénéficiant d’un effet d’aubaine, s’est implantée (transfert) sur un site annexe avec 80 emplois, dans des locaux mis à disposition par la société d’économie mixte de la ville. Un aménageur qui avait annoncé la création de 530 emplois avec un ambitieux projet a depuis disparu...

BSN empoche et laisse l’ardoise

La convention Entreprise/Etat, conclue pour trois ans, pouvait être prorogée, à l’initiative du préfet, d’une durée d’un an « pour tenir  compte, si nécessaire, des délais inhérents à la remise en état du site ». En juillet 2005, ni la déconstruction, ni la dépollution du site n’étaient achevées. Cela réservait encore des surprises. Mais le Préfet a accordé le blanc-seing à l’entreprise.
Le bilan financier de la société VMC pour la reconstitution d’emplois et la réindustrialisation du site, s’élèverait à 1,535 millions d’euros. Mais un petit tiers seulement servit à financer des créations d’emplois, ce qui représente 84 emplois. Une part importante de la somme (415 Kd’euros) annoncée par le D.G. représente en réalité des « frais de structure » d’une société appartenant au groupe (BSN Initiatives).
Parallèlement, le groupe BSN tire 1,23 millions d’euros de la revente de ses terrain à l’Etablissement public Ouest RhôneAlpes (EPORA), chargé de la déconstruction, du désamiantage, de la dépollution et de la rétrocession en vue de la réutilisation. Au moment de la clôture de la convention en juillet 2005, les coûts de remise en état du site pour la cession s’élevait déjà à 2,71 millions d’euros, aujourd’hui ce chiffre s’élève à 4 millions d’euros. Selon l’enquête publique, les deux tiers du site sont pollués et des contraintes lourdes pèsent sur les modalités de réindustrialisation, la moitié du terrain obérant quasiment toute construction. Malgré ces incertitudes, et les maigres résultats sur l’emploi, le préfet proposait de libérer BSN des obligations contractées en juillet 2002 ; pourtant, lors de la signature il précisait que le « nombre de 200 emplois, s’il est réaliste, constitue un socle et qu’il convient d’aller au-delà ».
S  oulignons au passage que contrairement aux discours politiques écologiques, dans ce cas précis, ce ne sont pas les pollueurs qui sont les payeurs. Nous remarquons même que le coût de la déconstruction et du desamiantage la dépollution réelle du terrain étant abandonnée aux générations futures – est déjà supérieur à deux fois le prix de cession du terrain. L’exigence de responsabilité écologique, l’application du mot d’ordre
« pollueur/payeur », devrait logiquement imposer la déconstruction et la dépollution du terrain, avant le rachat par la collectivité du terrain nu. Nous sommes loin de la responsabilité écologique des entreprises, et près de la démission des politiques face aux pollueurs industriels.
Ce sont les contribuables – et pour certains qui ont perdu leur emploi – qui paient la casse et le desamiantage du site. Pendant ce temps, Riboud peut faire le beau à côté du prix Nobel et de Zizou au Bangladesh ; ce sont les Givordins qui paient les pots cassés du montage en LBO réalisé en 1999 – avec siège social au Luxembourg pour se débarrasser de sa branche emballage.

L’Etat ne peut-il rien ?

L’exemple de la liquidation du groupe BSN-emballage par DANONE, via un fonds d’investissements implanté dans le paradis  fiscal du cœur de l’Europe, montre assez que toute l’action de l’Etat s’est limitée – et ce n’est pas anodin – a accompagner la restructuration dans les meilleures conditions pour les financiers. On se souvient des interpellations des député et sénateur communistes du Rhône en direction des ministres du gouvernement Jospin, où les réponses biaisaient sans cesse pour ne pas prendre des engagements réels pour sauvegarder l’emploi, et mettre en cause les choix du capital ; malgré les grands discours du Premier ministre sur l’emploi « priorité de son gouvernement ». Il est évident que la droite a poursuivi sur la même lancée après avril 2002, comme on vient de le voir sur la friche laissée par BSN. Il fallait dégraisser dans les meilleures conditions, pour vendre au plus offrant, et réaliser la meilleure plus value projetée par le montage financier de départ.

La question des pouvoirs est posée.

Dès le vote de la loi de modernisation sociale acquis, avant même sa promulgation, le ministère du travail s’est empressé de diffuser une note aux directions départementales du travail donnant son interprétation des articles de la loi qui ne devaient pas s’appliquer aux fermetures en cours. La direction de BSN en était la première bénéficiaire, au détriment des salariés et de la population du bassin. La perte du siège du député PS, quelques mois après dans la circonscription, n’y est sans doute pas étrangère. L’échec d’avril 2002, et ses dommages collatéraux, est aussi à rechercher dans cette politique d’accompagnement de la casse.

« L’État ne peut pas tout… » surtout s’il accompagne.

A l’heure des choix de 2007 il convient plus que jamais de poser fortement la question des pouvoirs réels des salariés dans le devenir de leurs entreprises et des pouvoirs que se donnent les élus du peuple pour imposer une véritable politique de gauche.
Trente deux banques européennes, dont la Banque de France, ont participé au montage financier de LBO qui permettait à DANONE de se désengager de sa branche emballage et d’en tirer un large profit. Permettre à une société de réaliser un emprunt dix fois supérieures à ses capitaux propres n’est pas anodines et l’objectif n’échappe à personne : ce n’est certainement pas la sauvegarde de l’emploi. A cet endroit personne ne peut dégager la responsabilité de l’Etat, même et surtout « de gauche ». Il faut des autorisations, des complicités, que l’intersyndicale de la verrerie de Givors avait mis en évidence... L’Europe et sa Banque Centrale (indépendante !) n’est pas neutre non plus, d’abord en favorisant l’existence d’un paradis fiscal en son cœur, et en permettant les montages financiers tels que les LBO, véritables machines de guerre contre l’emploi et l’environnement.
Les pouvoirs des travailleurs doivent commencer par la transparence sur l’ensemble des stratégies industrielles et des montages financiers, aucune limitation à ce droit ne doit être toléré (paradis fiscaux). C’est aussi le droit de voir prendre en compte les propositions alternatives formulées par les travailleurs. Les Givordins en avaient élaboré la direction n’avait pas été à même de les contester – elles avaient été soumises à référendum populaire, recueillant 15.500 votes favorables, mais elles furent exclues du débat par la circulaire ministérielle. Circulez y a rien à voir.
C’est cette politique d’accompagnement qui a été rejetée par les électeurs en 2002, c’est celle que nous ne voulons pas pour
2007.■

L’Humanité Dimanche, 21 décembre 2006.
Économie et Politique tirait les premiers enseignements de cette lutte en maijuin 2004.

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Par Gonon Laurent, le 30 November 2006

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