Dans la législation française l’entreprise n’a pas de définition. Le droit ne connaît que la propriété sur le capital. En tant qu’unité économique, elle n’existe pas. Avec le marxiste anglais, Maurice Dobb, l’auteur relève que les moyens de production et les titres juridiques qui donnent un droit sur ces moyens, correspondent, en fait, à deux entités antagoniques : «l’entreprise» entité productive et la «société», c'est-à-dire le capital. Cette distinction est au cœur de son analyse. À partir d’elle, sont examinés notamment les sociétés anonymes qui vont permettre de drainer et d’associer des capitaux. Avec la division du travail, l’augmentation de la taille de l’entreprise, l’entreprise crée un personnel d’encadrement, son organisation, sa gestion se modifient ; elle cherche à défendre son autonomie tout en participant à la concurrence des capitaux. Des «managers», dirigeants de l’entreprise, qui souvent ne sont pas les gros détenteurs du capital, vont être placés au fait de sa hiérarchie. Un petit nombre de grands investisseurs la domine. C’est, aujourd’hui, le cas, dans la mondialisation, avec la financiarisation et son exigence de créer de la valeur pour la valeur. À cet effet, un nouveau mode de «gouvernement» des entreprises, des méthodes pour maximiser le cours de l’action en Bourse sont mis en place. Ce mouvement est commandé par la recherche d’assurances contre les risques et suscite des chaînes de produits financiers débouchant sur des bulles potentiellement explosives.
Un fort chapitre est consacré à la propriété, au travail et à l’entreprise. Leur histoire ont, selon l’auteur, légué deux lectures du travail et de la propriété. L’une libérale, l’autre avec une vision plus collective et plus directement socialisante, notamment avec l’affirmation du droit au travail. Des entreprises de tailles différentes vont co-exister. La dure réglementation, codifiée ou non, des propriétaires du capital tourne le dos à la philosophie libérale, à sa trompeuse illusion d’un contrat entre égaux. Les grandes évolutions du droit social en France, n’ont pas équilibré les pouvoirs dans l’entreprise, faute de reconnaître l’entreprise comme entité non réductible à la propriété du capital.
Pour l’auteur, une approche, appuyée sur l’œuvre de Marx, devrait pouvoir appréhender, à la fois, le caractère conflictuel du rapport capital/travail et la recherche d’une approche holiste de l’entreprise. Le droit actuel légitime l’exclusion des salariés du gouvernement d’entreprise. Ce ne sont que des «tiers». Le capital domine l’entreprise, l’instrumentalise et rejette les problèmes sociaux qu’elle génère. L’auteur défend l’idée d’un véritable rééquilibrage des pouvoirs qui vise à gérer l’entreprise comme une entité en soi avec pour finalité : produire des richesses (biens et services)...
L’enjeu du dispositif proposé est de faire en sorte que le pouvoir ne provienne plus de la propriété du capital. Personne ne devait être propriétaire de l’entreprise.
Un important chapitre traite de «l’entreprise» et de la «société», au sens défini par l’auteur, dans la mondialisation qui constate que les critères actuels de la rentabilité financière tendent à s’incarner dans la société, en contradiction avec les finalités de l’entreprise et, par conséquent, du monde du travail. Ce qui implique aussi des répercussions sur les PME, en France, où une forte proportion d'entre elles sont sous le contrôle de grands groupes. Les règles d’action dans l’entreprise capitaliste sont cloisonnées aux divers niveaux hiérarchisés du pouvoir économique. L’étude en montre les dysfonctionnements et les contradictions. L’analyse porte, également, sur les pratiques et les stratégies des multinationales dominées par la financiarisation. Celle-ci, produit de l’action conjuguée des banques, des gestionnaires de fonds de placement collectif, des agences de notation, des «experts» de divers acabits, de l’action de l’État (réglementations/déréglementations néolibérales), a généré un nouveau modèle de gouvernement des entreprises fondé sur la maximisation de la création de «valeur pour l’actionnaire».
Les marchés financiers ont été érigés en juges souverains des performances des entreprises. La stratégie des groupes à base industrielle leur est subordonnée, de même que l’évaluation des entreprises. S’agissant du salariat, le capital financier crée des ruptures dans les identités collectives, remet en cause les relations et les conditions de travail, provoque les délocalisations. Il pèse, également, sur les négociations sociales. L’ouvrage traite avec rigueur des normes comptables et des transformations du marketing, dont l’influence est souvent sous-estimée.
Un chapitre est consacré à l’appréhension de l’entreprise et de l’entrepreneur par les économistes. Elle est dominée dans la pensée économique classique. L’auteur examine la contribution de Marx et relève que l’entité «société de capitaux» y est présente à travers la «société par actions», celle de Schumpeter. Son examen critique porte également sur d’autres théories, dont quelques-unes prétendent remettre en cause les hypothèses néoclassiques.
L’auteur s’attache également à montrer comment les sociologues abordent l’entreprise. Il estime que la sociologie des organisations et celle des entreprises se sont focalisées sur des espaces d’action déconnectés des finalités et des pouvoirs stratégiques qui définissent les règles du jeu économique et social. Des travaux intéressants demeurent obérés par cette mésestimation.
Pour le capital, le travail est une marchandise et un coût qu’il faut sans cesse réduire. Il est dissocié de sa finalité : celle du profit qui lui est assigné. L’objectif de production de biens et services en vue de satisfaire les besoins sociaux n’est pas vraiment reconnu dans l’entreprise.
Cet ouvrage d’une grande érudition, alimenté aux meilleures sources, est d’une grande lisibilité. On ne peut rendre compte de ses multiples facettes sans en réduire la richesse. À divers titres, il sollicite l’attention des lecteurs d’Economie et Politique
1) Daniel Bachet : « Les fondements de l'entreprise. Construire une alternative à la domination financière» . Les éditions de l'Atelier, 2007, 24,50 €.
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