Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Famille : «  Le gouvernement ouvre la boîte de Pandore »

Modulation des allocations selon le revenu, exonération de cotisations patronales… L’équipe de Manuel Valls s’attaque aux principes qui ont fait l’efficacité de notre système de protection sociale. Entretien avec l’économiste communiste Catherine Mills, spécialiste de la protection sociale.

Quelle est la portée, selon vous, de la modulation des allocations familiales en fonction du revenu ?

284612 Image 0Catherine Mills. Cette mesure s’inscrit dans une volonté construite pas à pas, mais de façon ferme et accélérée, de remettre en cause l’ensemble du modèle social français. C’est d’une gravité exceptionnelle. Remettre en cause le principe d’universalité, subordonner les allocations familiales à des conditions de revenu, c’est ouvrir la boîte de Pandore : demain, cela peut être le système de santé publique réservé aux pauvres, les couches moyennes et supérieures étant d’obligées d’aller se soigner dans le privé. On est devant un mécanisme de destruction des principes mêmes de notre Sécurité sociale où, quel que soit le revenu, on peut bénéficier des prestations familiales, d’un système de retraite, d’un système de santé socialisé, solidaire. L’universalité, c’est la nécessité de couvrir le « coût de l’enfant », quel que soit le rang de l’enfant, quel que soit le revenu de la famille. Cela a largement contribué au redressement démographique de la France et à son redressement économique, après la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, la politique familiale de la France permet d’atteindre un taux de fécondité de 2 enfants par femme. C’est l’un des rares pays d’Europe assurant le renouvellement de sa population.

Le gouvernement justifie son projet par un souci de justice sociale…

Catherine Mills. Avec cette réforme, on tend à diviser les familles entre elles. Et on tend à confondre une politique familiale avec une politique sociale. Il y a des inégalités de revenu, c’est vrai, mais il faut les combattre ailleurs : par la politique fiscale, une augmentation du Smic et des salaires, l’incitation pour les femmes à concilier enfant et travail, une égalisation par le haut des salaires féminins et masculins. La politique familiale n’est pas une politique de redistribution des revenus, ni une politique de redistribution entre les familles ; c’est une solidarité horizontale entre ceux qui n’ont pas d’enfants et ceux qui en ont. C’est une politique d’aide à l’enfant. Il est scandaleux de considérer que l’enfant des couches moyennes ou supérieures doit être discriminé. Le fait qu’une famille choisisse d’avoir un nouvel enfant ne doit pas être pénalisant, désincitatif. C’est la raison d’une politique pour la famille qui soit universelle. À cet argument de la justice sociale, on peut opposer celui de l’efficacité économique et sociale. Une politique familiale, cela relance consommation privée et collective, contribue à l’entretien et à la formation des jeunes. Du même coup, c’est un facteur de développement de la productivité du travail. Le but réel de cette mesure est la réduction des dépenses publiques et sociales.

La branche famille de la Sécu est aussi mise en cause par un autre biais, celui du financement : le budget 2015 prévoit ainsi de nouveaux allégements de cotisations patronales pour la famille, au nom du pacte de responsabilité. La famille, nous dit-on, ça ne concerne pas l’entreprise…

Catherine Mills. Avec ce pacte de responsabilité, il s’agit d’aller vers la suppression des cotisations patronales pour la famille, qui faisaient partie de la tradition historique : les patrons eux-mêmes, à la fin du XIXe siècle, qui avaient besoin de force de travail, ont créé des prestations familiales qu’ils finançaient. De là est né le compromis fait à la Libération, qui a repris le financement par la cotisation patronale. Maintes fois, le patronat a tenté de le remettre en cause, en réclamant une fiscalisation de la politique familiale. On nous dit qu’on ne voit pas pourquoi ce serait aux entreprises de payer. Mais ce sont quand même elles qui en profitent les premières, la politique familiale leur permettant de bénéficier du développement de la force de travail. Au final, qui va financer ? Cela sera reporté sur les familles : CSG ? TVA sociale ? On ne sait pas encore. Liées à l’entreprise, ancrées dans le lieu de création de richesse, les cotisations sociales jouent un rôle dynamique. Elles servent à développer les prestations sociales et donc la reproduction de la force de travail et son développement, à élargir la consommation et donc les débouchés des entreprises, et, ainsi, à l’incitation à investir, à la possibilité d’une nouvelle croissance. En s’attaquant au principe de la cotisation et aux prestations, on va contribuer à cette croissance nulle, au blocage des investissements productifs, et au chômage qui explose. On ne va pas du tout régler le problème des déficits de cette façon.

Si l’on veut éviter ces coupes dans les prestations familiales, et, au-delà, répondre aux immenses besoins de protection sociale non satisfaits, la question du financement est posée. Que proposez-vous ?

Catherine Mills. Il faut d’abord s’appuyer sur le principe de la cotisation sociale, et donc refuser la fiscalisation qui permet plus facilement le rationnement, qui fait peser l’effort sur les seuls ménages et qui, du coup, prive de recettes qu’on pourrait obtenir en lien avec l’entreprise, l’emploi. Mais développer les rentrées de cotisations, cela implique impérativement de changer la politique économique et sociale mise en œuvre, et la gestion des entreprises. En lieu et place de la politique d’exonération de cotisations patronales qui ne crée pas d’emploi et coûte cher à l’État, nous proposons de réformer ces cotisations. Aujourd’hui, plus une entreprise embauche, accroît les salaires et la formation, plus elle paie relativement. Au contraire, plus une entreprise licencie, pratique les placements financiers et réduit les salaires, moins elle va payer. Une réforme consisterait à moduler les taux de cotisation de telle sorte que les entreprises qui dépensent plus pour les salaires, en part de la valeur ajoutée, que la moyenne de leur branche paient relativement moins. Alors que les entreprises qui au contraire ont un rapport salaires/valeur ajoutée plus faible que la moyenne devraient payer plus. Il s’agit d’enclencher ainsi un cycle vertueux et une dynamique nouvelle. Nous proposons également de soumettre les revenus financiers des entreprises et des banques au même taux de cotisation que les salaires. Sachant qu’on peut évaluer à 300 milliards d’euros ces revenus financiers, cela ferait entrer 15 milliards d’euros à la Sécu. Cela permettrait de faire face à l’urgence, de pénaliser cette montée des revenus financiers contre les prélèvements sociaux. Cela s’inscrirait dans notre bataille contre le coût du capital et pour des dépenses d’expansion sociale nouvelle et des services publics.

Catherine Mills est économiste spécialiste 
de la protection sociale

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Modulation des allocations selon le revenu, exonération de cotisations patronales… L’équipe de Manuel Valls s’attaque aux principes qui ont fait l’efficacité de notre système de protection sociale. Entretien avec l’économiste communiste Catherine Mills, spécialiste de la protection sociale.

Quelle est la portée, selon vous, de la modulation des allocations familiales en fonction du revenu ?

Catherine Mills. Cette mesure s’inscrit dans une volonté construite pas à pas, mais de façon ferme et accélérée, de remettre en cause l’ensemble du modèle social français. C’est d’une gravité exceptionnelle. Remettre en cause le principe d’universalité, subordonner les allocations familiales à des conditions de revenu, c’est ouvrir la boîte de Pandore : demain, cela peut être le système de santé publique réservé aux pauvres, les couches moyennes et supérieures étant d’obligées d’aller se soigner dans le privé. On est devant un mécanisme de destruction des principes mêmes de notre Sécurité sociale où, quel que soit le revenu, on peut bénéficier des prestations familiales, d’un système de retraite, d’un système de santé socialisé, solidaire. L’universalité, c’est la nécessité de couvrir le « coût de l’enfant », quel que soit le rang de l’enfant, quel que soit le revenu de la famille. Cela a largement contribué au redressement démographique de la France et à son redressement économique, après la Seconde Guerre mondiale. Aujourd’hui, la politique familiale de la France permet d’atteindre un taux de fécondité de 2 enfants par femme. C’est l’un des rares pays d’Europe assurant le renouvellement de sa population.

Le gouvernement justifie son projet par un souci de justice sociale…

Catherine Mills. Avec cette réforme, on tend à diviser les familles entre elles. Et on tend à confondre une politique familiale avec une politique sociale. Il y a des inégalités de revenu, c’est vrai, mais il faut les combattre ailleurs : par la politique fiscale, une augmentation du Smic et des salaires, l’incitation pour les femmes à concilier enfant et travail, une égalisation par le haut des salaires féminins et masculins. La politique familiale n’est pas une politique de redistribution des revenus, ni une politique de redistribution entre les familles ; c’est une solidarité horizontale entre ceux qui n’ont pas d’enfants et ceux qui en ont. C’est une politique d’aide à l’enfant. Il est scandaleux de considérer que l’enfant des couches moyennes ou supérieures doit être discriminé. Le fait qu’une famille choisisse d’avoir un nouvel enfant ne doit pas être pénalisant, désincitatif. C’est la raison d’une politique pour la famille qui soit universelle. À cet argument de la justice sociale, on peut opposer celui de l’efficacité économique et sociale. Une politique familiale, cela relance consommation privée et collective, contribue à l’entretien et à la formation des jeunes. Du même coup, c’est un facteur de développement de la productivité du travail. Le but réel de cette mesure est la réduction des dépenses publiques et sociales.

La branche famille de la Sécu est aussi mise en cause par un autre biais, celui du financement : le budget 2015 prévoit ainsi de nouveaux allégements de cotisations patronales pour la famille, au nom du pacte de responsabilité. La famille, nous dit-on, ça ne concerne pas l’entreprise…

Catherine Mills. Avec ce pacte de responsabilité, il s’agit d’aller vers la suppression des cotisations patronales pour la famille, qui faisaient partie de la tradition historique : les patrons eux-mêmes, à la fin du XIXe siècle, qui avaient besoin de force de travail, ont créé des prestations familiales qu’ils finançaient. De là est né le compromis fait à la Libération, qui a repris le financement par la cotisation patronale. Maintes fois, le patronat a tenté de le remettre en cause, en réclamant une fiscalisation de la politique familiale. On nous dit qu’on ne voit pas pourquoi ce serait aux entreprises de payer. Mais ce sont quand même elles qui en profitent les premières, la politique familiale leur permettant de bénéficier du développement de la force de travail. Au final, qui va financer ? Cela sera reporté sur les familles : CSG ? TVA sociale ? On ne sait pas encore. Liées à l’entreprise, ancrées dans le lieu de création de richesse, les cotisations sociales jouent un rôle dynamique. Elles servent à développer les prestations sociales et donc la reproduction de la force de travail et son développement, à élargir la consommation et donc les débouchés des entreprises, et, ainsi, à l’incitation à investir, à la possibilité d’une nouvelle croissance. En s’attaquant au principe de la cotisation et aux prestations, on va contribuer à cette croissance nulle, au blocage des investissements productifs, et au chômage qui explose. On ne va pas du tout régler le problème des déficits de cette façon.

Si l’on veut éviter ces coupes dans les prestations familiales, et, au-delà, répondre aux immenses besoins de protection sociale non satisfaits, la question du financement est posée. Que proposez-vous ?

Catherine Mills. Il faut d’abord s’appuyer sur le principe de la cotisation sociale, et donc refuser la fiscalisation qui permet plus facilement le rationnement, qui fait peser l’effort sur les seuls ménages et qui, du coup, prive de recettes qu’on pourrait obtenir en lien avec l’entreprise, l’emploi. Mais développer les rentrées de cotisations, cela implique impérativement de changer la politique économique et sociale mise en œuvre, et la gestion des entreprises. En lieu et place de la politique d’exonération de cotisations patronales qui ne crée pas d’emploi et coûte cher à l’État, nous proposons de réformer ces cotisations. Aujourd’hui, plus une entreprise embauche, accroît les salaires et la formation, plus elle paie relativement. Au contraire, plus une entreprise licencie, pratique les placements financiers et réduit les salaires, moins elle va payer. Une réforme consisterait à moduler les taux de cotisation de telle sorte que les entreprises qui dépensent plus pour les salaires, en part de la valeur ajoutée, que la moyenne de leur branche paient relativement moins. Alors que les entreprises qui au contraire ont un rapport salaires/valeur ajoutée plus faible que la moyenne devraient payer plus. Il s’agit d’enclencher ainsi un cycle vertueux et une dynamique nouvelle. Nous proposons également de soumettre les revenus financiers des entreprises et des banques au même taux de cotisation que les salaires. Sachant qu’on peut évaluer à 300 milliards d’euros ces revenus financiers, cela ferait entrer 15 milliards d’euros à la Sécu. Cela permettrait de faire face à l’urgence, de pénaliser cette montée des revenus financiers contre les prélèvements sociaux. Cela s’inscrirait dans notre bataille contre le coût du capital et pour des dépenses d’expansion sociale nouvelle et des services publics.

Catherine Mills est économiste spécialiste de la protection sociale

 

Article publié dans le journal L'Humanité

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Famille : «  Le gouvernement ouvre la boîte de Pandore »

le 22 octobre 2014

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