Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Mobilité internationale des jeunes : Pour qui ? Pourquoi ?

Le chapitre six de la deuxième partie du rapport de la commission Attali traite donc de la mobilité internationale, enjeu primordial qui pourrait dire le contraire ? pour l'avenir. Dans le feu des critiques contre ce rapport, cette partie fut souvent décrite comme humaniste, progressiste, favorable à l'ouverture des frontières, bref, de gauche.

Vu l’orientation générale de ce rapport, il serait toutefois bon de regarder d'un peu plus près les propositions de M. Attali pour favoriser la mobilité des Français et l’accueil des étrangers.

 

La mobilité étudiante

La «décision 218» traite de la mobilité étudiante. Elle suggère que «la France devrait proposer à ses partenaires de multiplier le nombre d’étudiants partant à l’étranger du type Erasmus (1) par 10…» (2). Cette proposition ne peut qu'être soutenue. Mais s'agit-il de contribuer au bien-être de ces étudiants, à la réussite de leurs études, à leur découverte de nouveaux horizons ? Le rapport semble plutôt privilégier une autre optique : une fois rentrés au pays, ces étudiants seront plus rentables à leur employeur.

Pas un mot non plus sur les moyens financiers à se donner pour que la possibilité de partir à l’étranger soit réellement et concrètement accessible à tous les étudiants. Rappelons qu'un étudiant qui participe à un échange Erasmus n’est pas forcément aidé pour trouver un logement, pour garantir son autonomie sociale ou pour affronter des soins sanitaires. La bourse communautaire ERASMUS n'est pas automatiquement attribuée et la "bourse de mobilité" réservée aux étudiants boursiers ne représente même pas une centaine d’euros. Or, sachant qu’un boursier à l’échelon 5 reçoit à peine 3600 euros pour toute l’année scolaire, on est en droit de se demander quels seront les étudiants capables d’assumer le coût d’une année d’étude à l’étranger.

De même, la proposition de créer un système d’échange pour les apprentis semblable à Erasmus n’a aucun sens si ces apprentis n’ont pas accès à une préformation linguistique intense.

Propositions : Si nous voulons vraiment accroître la mobilité internationale des étudiants, il faut s’en donner les moyens et donc travailler à lever les obstacles à la mobilité comme le coût de la vie, les soins de santé ou l’attribution des logements. Il faut aussi une augmentation forte de toutes les bourses, des indemnisations de stages (avec un seuil minimum officiel) et une mise en place d'un groupe de travail pour la création d'un fonds européen et mondial (sous l’égide de l’UNICEF) pour la mobilité, dans lequel siégeraient notamment les ministères concernés, des représentants des directions d’universités et les syndicats étudiants.

La marchandisation du savoir

La «décision 221» du rapport traite de l’accueil des étudiants étrangers en scolarité payante. Il y a deux éléments que le rapport retient comme essentiels : les ressources financières et l’innovation intellectuelle que représente l’accueil des étudiants étrangers.

Si l’accueil d'étudiants étrangers ne peut que favoriser l'innovation intellectuelle à condition toutefois de partager ces échanges avec tous les pays du monde réduire ces étudiants à une ressource financière pose problème... La commission n’a pas osé travailler de manière aussi crûe la marchandisation du savoir dans un même chapitre, (3) elle a donc dispatché des mesures très polémiques pour mieux cacher l’ampleur et les dégâts qu’elles représentent dans un ensemble coordonné.

A considérer ces étudiants comme des ressources, un capital, la massification d’une telle mesure ne peut aller qu’avec l’augmentation des frais d’inscription et de scolarité : le capital a un prix. Aux Etats-Unis, pays que le rapport prend comme exemple, les frais scolaires (des études supérieures) coûtent entre 8 000 et 20 000 euros. L’université ne sera plus un lieu de savoir, encore moins un service public, mais bien un lieu au service du marché. Ces propositions découlent de la stratégie adoptée par les gouvernements de l’UE à Lisbonne en 2000 : faire de l’Europe l’économie de la connaissance la plus compétitive au monde. Pourtant les conséquences ont été les mêmes dans tous les pays qui ont déjà fait ce type de réforme : les inégalités et la concurrence entre facultés, personnels et étudiants et surtout l’exclusion des plus pauvres (4). Les étudiants étrangers originaires des pays pauvres n’auraient plus aucune chance de venir partager le savoir français. Empêcher ces étudiants étrangers de venir étudier en France pour des raisons financières reviendrait à appauvrir encore plus les pays dont ils sont originaires. La France doit rester une terre d'accueil pour les étudiants quel que soit leur pays d'origine et quelles que soient les raisons qui les amènent en France.

La chasse aux cerveaux des pays pauvres

Les «décisions 219 et 220» ne peuvent être analysées l’une sans l’autre. Ces deux points concernent directement l’idée de «l’Union Méditerranéenne» (5) chère à Nicolas Sarkozy.

Dans la première, le rapport exprime innocemment qu’il faut «étendre les bourses de l’enseignement supérieur ainsi que l’offre de formations qualifiantes aux pays de la future Union méditerranéenne». Dans le point suivant, on nous en explique la raison et l’objectif : créer «des départements universitaires communs… en liaison avec les problèmes de marché de travail au Nord et au Sud». Notons tout d’abord le cynisme de cette proposition. Elle revient en effet à ne juger la valeur des formations offertes aux étudiants qu’à l’aune des seuls critères de rentabilité économique. N’aurait-on pas le droit aussi dans les pays du Sud de poursuivre ses études pour s’épanouir intellectuellement et humainement ? Mais, par ailleurs, cette proposition risque de mettre les pays du Nord en position d’imposer aux pays du Sud de créer des formations diplômantes adaptées aux besoins des marchés de l’Europe, sans que les besoins réels des pays du Sud qu’exige leur propre développement, soient assurés d’être pris en compte, eux aussi.

Une telle réforme ne serait que suicidaire pour les pays du Sud qui souffrent déjà beaucoup du manque de diplômés qualifiés. C’est une chasse aux cerveaux sauvage qui essaie de se donner des atours humanistes. Le colonialisme a longtemps pillé les forces productives non qualifiées et les richesses naturelles ; aujourd’hui le néocolonialisme peut s’apparenter à un pillage de forces productives qualifiées. Une autre conséquence serait la dévalorisation salariale des métiers qualifiés au Nord par une concurrence instituée pour casser les salaires et les droits des salariés.

Ainsi la «décision 223» comme les «décisions 219 et 220» vont dans le sens de la chasse aux cerveaux affirmée et confirmée par Nicolas Sarkozy en Afrique. La mobilité des jeunes talents, c'est exactement le contraire du pillage des cerveaux" (6) expliquait ce dernier déjà en 2006. Mais comme rien n'est proposé pour encourager la réussite des projets personnels de ces «jeunes talents», en France comme dans leur pays d'origine, cette décision ne peut que se réduire à siphonner les forces vives déjà qualifiées des pays du Sud pour les besoins de nos entreprises. Le rapport propose par exemple que «…l’ouverture devrait être immédiate pour les diplômés d’une université d’un niveau reconnu.» (7).

L’ouverture des frontières aux ressortissants étrangers «sur des critères de qualification plutôt que de métiers» (8) renforce ainsi, en l’organisant, cette logique politique et économique de dépouillement des pays pauvres. La mise en concurrence et la division entre les travailleurs, par la constitution d'une main d'oeuvre qualifiée, bon marché et proche géographiquement, est un élément clé de ce rapport : tout cela peut effectivement nourrir la croissance... des profits de nos multinationales. Avec une telle réforme le désastre que vit le continent africain ou d’autres pays d’Asie et d’Amérique Latine ne peut que s’aggraver d’avantage.

 

Propositions : Il faut en effet étendre les bourses d’enseignement supérieur ainsi que l’offre des formations qualifiantes à tous les pays sous-développés ou en voie de développement. Des départements communs peuvent être créés dans les universités du Sud mais dans le cadre des besoins de ces derniers définis en collaboration avec la société civile, les représentants syndicaux, les forces politiques et universitaires de ces derniers. Une coopération massive à l’échelle européenne et mondiale doit exister sans tarder.

Lobtention des visas et les échanges doivent être facilités pour tout étudiant, stagiaire, chercheur, artiste avec des soutiens financiers dans un cadre de coopération profitant à tous les pays.

Accueil des travailleurs étrangers

La «décision 222» comme la «décision 223» traitent de l’ouverture des frontières aux travailleurs étrangers. Le rapport prend position de manière positive. La France qui se doit d’être «une terre d’accueil» ne peut pas, en effet, continuer à garder ses frontières fermées, telle une forteresse assiégée. Mais parle-t-il de l'accueil des réfugiés politiques et des combattants de la liberté ? Non, c'est de travailleurs dont l'on manque. Avec le vieillissement de la population et le manque de main d’œuvre dans plusieurs secteurs de l’économie, on accepte les étrangers parce qu'ils peuvent combler les trous de la sécurité sociale et des retraites et soutenir la consommation. Pour les autres, circulez !

Le rapport reste flou sur les conditions de l’accueil potentiel de ces travailleurs étrangers. Quelle protection ? Quel niveau de salaire ? Quelle infrastructure ? Aucune réponse si ce n’est que des allusions indirectes sur les soi-disant erreurs du passé : «…les étrangers qui résidaient et travaillaient en France ont bénéficié soudain d’un avantage comparatif. La crainte de ne pas pouvoir revenir en France a bloqué leur mobilité et renfor le regroupement familial». (9)

 

Propositions : Les travailleurs qui viennent en France doivent bénéficier des droits et acquis sociaux prévus par la législation française, pour empêcher l’instauration d’une logique de concurrence avec les autres travailleurs, qui conduirait à la dégradation des conditions d’emploi et de salaire de tous. Il faut une régularisation massive de toutes les personnes contraintes à vivre en situation irrégulière en France. Il faut encore une politique de coopération entre le nord et le sud pour aider les pays du Sud à développer leur économie pour que l’immigration ne soit pas subie mais plutôt choisie par tous ces travailleurs étrangers. (10)

Ainsi donc dans le monde de M. Attali, l'ouverture de la France à l'étranger, les échanges entre les hommes et les femmes de la planète, tout cela est très bien... pourvu qu'on en trouve une trace, au final, dans le bilan comptable d'une entreprise. Sur la mobilité internationale comme pour le reste de ce rapport, il n'y a donc rien de nouveau sous le soleil : le culte du marché peut se décliner de façon tellement diverse !

 

  1. Le programme Erasmus a été lancé en 1987 avec la participation de onze pays. Avec Erasmus, les étudiants peuvent effectuer une partie de leurs études dans un autre établissement européen, pendant trois mois au minimum ou un an au maximum. Les pays concernés par le programme Erasmus sont les pays de l'Espace économique européen (EEE), soit les pays membres de l'UE ainsi que l'Islande, le Liechtenstein, la Norvège, et la Turquie.

  2. Décision numéro 218, chapitre 6, partie 2 du rapport Attali.

  3. Le premier chapitre de la première partie du rapport.

  4. Voir l'article de Sandrine Garcia «Conformer les universités aux exigences de la rentabilité». Économie et Politique numéro 608 609. Page 33.

  5. Qui est ensuite devenu «l’Union pour la méditerranée» après les accrochages avec l’Allemagne.

  6. (Journal du Dimanche, 21/05/06).

  7. Décision 223, fin du premier paragraphe.

  8. Décision 223, premier paragraphe.

  9. Décision 222, paragraphe 6.

  10. Voir le compte rendu du Forum pour un autre monde de Villejuif.

Économie et Politique numéro 572.

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