Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Santé et protection sociale : créer des marchés pour le privé et économiser sur les dépenses sociales

I)  La santé considérée comme une chance pour faire monter le privé et réduire les dépenses de santé solidaires

Le rapport organise la réduction des dépenses sociales et l’éclatement du système de santé solidaire. S’il prône le développement de la prévention, c’est pour responsabiliser les assurés ; il constate les problèmes de démographie médicale mais sans analyser leurs causes et sans présenter de solutions véritables. Il évoque une formation continue des médecins mais en ligne sur Internet. Pour rationaliser les actes médicaux, il vante l’hospitalisation à domicile sans préconisations concrètes. Concernant les affections de longue durée (ALD), il vante les communications par mail et par SMS afin de mettre en relation «l’assureur principal» et le patient (sic). S’il propose de valoriser les métiers d’infirmière et d’aidesoignante, c’est simplement en augmentant les quotas des soins à domicile. Ces services à la personne sont présentés comme l’avenir des emplois et de la croissance, mais rien n’est dit sur les moyens d’une mise en œuvre. Concernant la médecine de ville, on incite aux maisons médicales, à la médecine de groupe, sans garantie sur l’avenir des centres de santé et du tiers payant, ni sur la suppression des dépassements d’honoraires, du secteur 2 et des effets pervers du paiement à l’acte. L’objectif revendiqué étant de «libérer la croissance» pour de nouveaux biens et services de santé.

La dépendance

Le nombre de personnes dépendantes va s’accroître de 25% d’ici 2020 pour atteindre 1,25 million. Le rapport considère que le risque dépendance doit satisfaire de nouveaux marchés, il préconise de créer une nouvelle branche de la Sécurité sociale, de relever le plafond pour les déductions fiscales concernant les services à la personne et veut inciter les assureurs privés et les mutuelles à s’investir dans le développement des contrats d’assurance dépendance, sans faire allusion à une revalorisation de l’APA. Rien sur les emplois à créer, la formation des personnels, leur statut, leur rémunération et leur promotion. Rien n’est proposé, sur l’équipement du domicile, la mise en cohérence des institutions concernées, les financements. Rien non plus n’est avancé concernant l’hébergement et l’hospitalisation de long séjour.

L’hôpital

A l’hôpital, à l’instar d’autres rapports en préparation, il s’agirait de poursuivre l’externalisation des services dits périphériques en développant la sous-traitance, notamment la restauration, la blanchisserie. Le rapport Attali souhaite même accroître l’offre d’accueil pour les clients étrangers fortunés couverts par des formules assurantielles, en estimant que les prestations hôtelières payantes dégageront des ressources nouvelles. Pour la recherche et le financement de l’hôpital, l’objectif est d’attirer les fonds privés, en privilégiant les créneaux rentables.

 

II) «Responsabiliser les administrations sociales» pour limiter les dépenses publiques de santé

Le rapport veut les faire participer à la réduction de la part des dépenses publiques et sociales dans le PIB. Ainsi les dépenses publiques de santé ne devraient-elles croître en volume que de 1% par an. Ce freinage des dépenses socialisées impliquerait des mesures fortes, ainsi, loin de préconiser la suppression des franchises médicales, il propose de les moduler en fonction des revenus. Il reprend l’idée du «bouclier sanitaire», derrière de fausses apparences sociales, on accélèrerait le développement d’un système de santé à plusieurs vitesses. L’une des premières conséquences du «bouclier sanitair serait de supprimer définitivement le principe de la prise en charge à 100% des malades en ALD.

Plusieurs mesures visent à renforcer la loi DousteBlazy de 2004, notamment le rôle du Comité d’alerte pour stopper la «dérive des dépenses de santé. Les Agences régionales de santé (ARS) viseraient à fusionner plusieurs institutions : Agences régionales d’hospitalisation (ARH), DDASS, Unions régionales des Caisses d’assurance-maladie (URCAM). Sous prétexte de meilleure coordination médecine de villehôpital, de «rationalisation», de suppression des redondances, on veut accélérer les fusions et fermetures d’établissements, réaliser des économies sur les dépenses publiques et faire monter le privé et les financements privés.

Les critères du privé à l’hôpital

L’objectif de rapprocher le sanitaire et le médicosocial, notamment pour la dépendance, vise ici à gommer les différences entre les statuts, au risque de les dévaloriser, afin «d’assouplir les rigidités». La mesure nécessaire de l’efficacité et de la qualité du système de soins reviendrait en définitive, par l’affichage d’indicateurs coûts-résultats, à stigmatiser les hôpitaux publics, qui accueillent les malades trop malades, trop vieux, trop pauvres, pour être rentables... alors que la tarification à l’activité (T2A) vise surtout à mieux doter les activités «rentables».

Face aux déficits criants des hôpitaux publics, en raison d’une sous-dotation à laquelle le rapport ne fait pas allusion, on invite aux fusions, aux rapprochements public-privé sous domination des critères privés de rentabilité. Les hôpitaux publics devraient abandonner leur statut public et opter pour un statut d’hôpitaux privés à but non lucratif avec, comme en Grande-Bretagne, plus «d’autonomie», ce qui aurait évidemment des conséquences pour les statuts des personnels. Pour rapprocher la gestion de l’hôpital de celle de l’entreprise, le rapport préconise un recrutement des directeurs d’hôpitaux ouvert aux cadres et dirigeants du secteur privé comme du secteur public. La formation à l’École nationale de santé publique (ENSP) serait plus adaptée au management. Le directeur d’hôpital exercerait ses responsabilités en présidant un directoire et un conseil de surveillance en lieu et place de l’actuel conseil d’administration, ce qui effacerait la présidence du conseil par le maire de la commune et le rôle des élus du personnel et des syndicats. Une plus grande transparence tarifaire et une vigilance accrue sur le respect de la concurrence seraient garantes, selon le rapport, de la lutte contre les «rigidités», au rang desquelles sont rangés le code de déontologie médicale et les règles des ordres professionnels. Le rapport incite les complémentaires santé à jouer un plus grand rôle, elles seraient autorisées à diffuser des informations sur les données dont elles disposent.

Les prix des médicaments seraient libéralisés et toutes les restrictions sur la publicité levées, la vente libre de médicaments dans les grandes surfaces au nom de la «lutte contre les rentes» serait encouragée, il s’agirait de lever toute barrière à la liberté d’installation et d’appliquer aux produits pharmaceutiques la directive européenne sur les services, la santé serait alors une marchandise comme une autre.

Concernant les allocations familiales

Le rapport souhaite les moduler en fonction du revenu, ce qui est contraire au principe d’universalité ainsi qu’à la nécessité d’une réorientation et d’un développement de la politique familiale pour affronter les problèmes démographiques, permettre aux couples de concilier vie professionnelle et vie familiale, revaloriser le pouvoir d’achat des prestations et surtout dégager de nouveaux financements indispensables au rôle économique de relance par la politique familiale, le rapport se nourrit au contraire de l’obsession des économies à réaliser sur les dépenses sociales.

 

III) Le financement du modèle social français considéré comme un obstacle à l’emploi, à la compétitivité des entreprises, à la croissance

La 3ème partie du rapport «Adopter une stratégie financière et fiscale de croissance en assurant un financement du modèle social français plus favorable à la croissance» constitue un monument de pensée unique, marqué par le dogme du «handicap» que la protection sociale exercerait dans l’économie. On retrouve le thème «du coin social et fiscal» cher au rapport Maarek de 1994. Selon ce raisonnement, les cotisations sociales sont à la fois coûteuses pour l’employeur et supposées priver le salarié de… 55% de pouvoir d’achat, on refuse de prendre en compte le rôle positif pour l’économie des prestations sociales financées par les cotisations, alors que celles-ci contribuent à l’entretien, au renouvellement en dynamique de la force de travail en dehors du salaire. Dans le rapport, les cotisations sociales comme l’ensemble des prélèvements publics sont présentés comme des charges pesant sur le coût du travail et freinant la croissance.

On prétend que le coût du travail est beaucoup plus élevé qu’ailleurs et qu’il faut accélérer les exonérations de cotisations patronales dites particulièrement motivantes pour les créations d’emplois dans les PME et les TPE. On recommande une plus grande fiscalisation du financement de la protection sociale en supprimant 3 points de cotisations sociales employeur, substitués par 0,6 point de CSG et 1,2 points de TVA. Le rapport souhaite éliminer les «incitations à l’inactivité». Il prétend sans démonstration qu’une femme seule élevant 2 enfants connaîtrait un taux marginal de prélèvement (1) de 90% lors du passage à l’activité, alors que celui-ci ne serait que de 75% en moyenne dans l’OCDE. Les femmes qui retournent à l’emploi ne bénéficiant plus des aides des collectivités territoriales aux Rmistes, ni des cantines gratuites pour les enfants, ni des transports gratuits, il avance que le gain réel de revenu ne serait que de 18% pour 40% dans l’OCDE.

Le rapport mise largement sur les réductions fiscales, le crédit d’impôt sur l’emploi d’auxiliaires de vie devrait être doublé pour favoriser le maintien à domicile des personnes âgées, des malades, des handicapés. La fiscalité de l’épargne devrait favoriser le «risque plutôt que la rente». L’épargne française est considérée comme trop courte, trop orientée vers les placements sûrs, le livret A, les obligations pour financer la dette de l’Etat. Il s’agirait donc de la réorienter vers l’épargne longue, les actions, les investissements à long terme. On organiserait la montée en puissance de l’épargne retraite (individuelle et/ou collective) nécessaire selon le rapport pour faire face à l’augmentation de la part des retraites dans le PIB. Les cotisations facultatives devraient par conséquent être considérablement accrues, voire multipliées par 3 comme pour le PERP ou le PERCO, tandis que les Fonds de pension «à la française» deviendraient l’élément fondamental d’une d’augmentation de l’épargne longue réorientée vers les marchés financiers. En revanche rien n’est envisagé pour assurer la pérennité du financement de la retraite par répartition. Même le Fonds de réserve créé par Lionel Jospin en 1999 ne trouve pas grâce auprès de l’ancien conseiller personnel de François Mitterrand, qui recommande aussi d’en finir avec le principe d’un âge fixe de la retraite. On devrait laisser le libre choix de poursuivre son activité au-delà de 65 ans et supprimer tous les «obstacles» au cumul emploi-retraite, notamment les limites en termes de revenu. L’âge de 65 ans semble être selon le rapport, l’âge minimum l’on aurait le droit de demander la liquidation de ses droits à la retraite mais en laissant le libre choix de cumuler activité et retraite.

Toute cette partie du rapport baigne ainsi dans une idéologie archaïque de l’épargne au détriment de la demande effective, pour servir les marchés financiers. Ainsi faudrait-il développer l’épargne salariale, y compris pour les PME, créer un crédit d’impôt pour les sommes investies dans ces formules, au détriment de l’augmentation des salaires et des fonds sociaux.

Les seuls engagements chiffrés du rapport concernent les cadeaux fiscaux en mesures d’exonérations pour les entreprises et d’encouragement à l’épargne ainsi que l’objectif de réduire la part des dépenses publiques de 1 point du PIB par an (environ 20 milliards d’euros par an). Cette cure drastique concernerait chaque acteur public : État, collectivités territoriales, Sécurité sociale. La fusion entre la loi de finances de l’Etat (LOLF) et la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) est envisagée, la révision générale des politiques publiques (RGPP), et la programmation à moyen terme des dépenses publiques visent l’austérité budgétaire.

Des propositions alternatives sont indispensables pour rompre avec la logique hyper-libérale

Au lieu d’être un «handicap insupportable», les dépenses sociales constituent un moteur pour un nouveau type de développement économique et social. Les dépenses de santé permettent de développer la productivité du travail en organisant la prévention et la réparation de la santé des salariés. Les dépenses de santé s’élèvent avec le niveau de développement et elles doivent répondre au vieillissement de la population, aux nouveaux fléaux, résorber les inégalités sociales et régionales de santé. La gratuité n’est pas un facteur d’augmentation des dépenses comme le montrent les pays scandinaves. Un haut niveau de dépenses publiques et socialisées de santé permet l’accès précoce aux soins. De meilleures coordinations des soins, une émancipation du paiement à l’acte contribueraient à un système de santé plus efficace, à de meilleurs résultats avec des économies sur certains gâchis. Pour sortir de la crise dans laquelle nous plongent les réformes libérales, il faut rompre avec la logique de la loi DousteBlazy, et toutes les réformes Sarkozy revendiquées par le rapport Attali. Pour opposer une cohérence de progrès à la contre-réforme en cours, il s’agirait de promouvoir un accès gratuit aux soins et une réorientation vers la prévention, d’organiser d’urgence un plan emploi-formation aussi bien pour l’hôpital que pour les soins de ville, un service public de la dépendance pour les soins et services au domicile, le développement des centres de santé en tiers payant avec une prise en charge à 100%, la fin du secteur 2 et des dépassements d’honoraires, un suivi véritable des patients avec la coopération de l’ensemble des personnels médicaux et paramédicaux. Il faut supprimer les franchises et la course aux déremboursements, intervenir à la racine dans la gestion des industries pharmaceutiques avec la participation réelle des malades et des associations, ce qui doit être aussi le cas pour la gestion hospitalière. Ceci implique de maintenir et rénover le statut public de l’hôpital avec une transformation profonde de sa gestion et de son financement pour sortir de la T2A, en développant les coordinations grâce aux réseaux ville-hôpital. En définitive, c’est toute la logique de la gouvernance Douste-Blazy qu’il faut remettre en cause pour une gestion démocratique et participative de l’assurance maladie avec l’intervention des salariés et des association de malades.

 

Le financement de la retraite par répartition, beaucoup plus fiable que la capitalisation, doit être assuré : la répartition débouche directement sur la relance de la demande effective et de la croissance réelle alors que la capitalisation est branchée sur les marchés financiers au détriment de la croissance réelle et de l’emploi. C’est l’emploi qui est au coeur d’un financement pérenne de la répartition, il s’agirait de relever le taux d’activité des seniors, celui des femmes à partir du développement d’une politique familiale moderne avec un essor des formules de garde, celui des jeunes en favorisant leur insertion dans l’emploi. La sécurisation et le développement de l’emploi, de la formation, du revenu sont aussi au cœur du financement des retraites.

Le rapport Attali, comme les réformes sarkoziennes en cours, refuse une réforme de progrès du financement de la protection sociale en faisant le choix de déstructurer notre système solidaire, pour réduire les seules dépenses sociales et publiques et construire un système éclaté, individualiste et inégalitaire en consacrant l’ascension du privé.

 

Nous proposons une réforme de progrès et d’efficacité de l’assiette des cotisations patronales, avec l’objectif de relever taux et masse globale de cotisations. Il s’agirait tout en gardant le principe d’une assiette salaires au plus près de l’entreprise de contribuer, par l’intervention des salariés dans les gestions, à relever la part des salaires dans la valeur ajoutée. En outre nous proposons de soumettre les revenus financiers des entreprises au même taux de cotisations que les salaires cela dégagerait au minimum plus de 20 milliards d’euros par an.

1) Le TMIPRE (taux marginal d’imposition pour la reprise d’emploi) prétend rendre compte des phénomènes de "désincitation au travail". La hausse de revenu des bénéficiaires de minima sociaux en cas de reprise s’accompagne d’une perte partielle de prestations sociales.

 

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Par Mills Catherine , le 31 January 2008

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