Entièrement adossé au « Traité européen abrégé », faisant suite à de nombreux textes et rapports antérieurs procédant d’une logique comparable, le Rapport Attali innove
radicalement. Depuis peu, la tradition détestable de la réforme en profondeur et en catimini est abandonnée : on estime que le temps est venu d’agir avec la force la plus totale des institutions et au grand jour. Le Rapport Attali met les pendules à l’heure, spécialement en matière d’enseignement supérieur et de recherche, objet depuis des années d’attention toute particulière de la pensée libérale et social-libérale.
Le Rapport Attali est une manière d’achèvement ; issu d’une Commission de 40 personnalités choisies avec le plus grand soin et la vigilance déterminée de la présidence de la République, ce texte rassemble la vision la plus concentrée, la plus intelligemment autoritaire, la plus extrême du capital financier et industriel français, européen et pour une part mondiale. Non pas une soudaine volonté de «transparence», mais au contraire une volonté d’enfermement idéologique de la population française dans une thématique pour laquelle la mondialisation capitaliste doit constituer l’horizon indépassable ; non pas un conglomérat hétéroclite de réflexions dont certaines seraient progressistes et d’autres plus marquées par les thématiques courantes du libéralisme : J. Attali appelle ce salmigondis une manifestation du pluralisme «non partisan» ; pour une large part c’est vrai : c’est le pluralisme de la pensée actuelle du capital.
Il ne s’agit pas d’un nouvel avatar de l’exposé d’un fascisme français mais il s’agit bien d’un totalitarisme nouveau. Là le Rapport innove : rarement, on aura trouvé dans un texte aussi compact un tel assemblage de dispositions, de considérations entièrement dévouées aux exigences du capitalisme d’aujourd’hui enveloppées dans une phraséologie travaillée qui entend faire croire que tout cela ne vise qu’à asseoir le progrès général (donc aussi social) de la France contemporaine ; décidément, les personnalités «de gauche» embauchées pour l’occasion ont bien travaillé …
Il est vrai qu’on peut y lire aussi en creux un certain affolement de la classe dirigeante française devant l’explosion de défis civilisationnels, que le système dont elle entend travailler à la pérennité, ne peut assumer ; toutefois, on prendra garde au fait que la conscience de ces défis n’est pas première, elle ne sert pas non plus de force de rappel. Ce phénomène, lui aussi, tranche avec la traditionnelle intelligence de la nécessité qui présidait aux travaux du Commissariat du Plan.
Il ne s’agit nullement comme les précédents en avaient l’habitude de «Recommandations», Ici, les recommandations ont fait place aux injonctions :
«La conduite d’ensemble de ces réformes ne peut ni être déléguée à tel ou tel ministre ni mise dans les mains de telle ou telle administration, même spécialement créée pour cela…S’ils en retiennent le principe, ils devront mettre en oeuvre ces conclusions.» (1)
Et aussi : «Conduire la réforme tambour battant :
Avant de se lancer dans l’action, il ne faut pas que la main tremble.» (2)
Innovation enfin de trois ordres : d’abord cette Commission reçoit apparemment un statut permanent transcendant tout vote ultérieur pouvant changer éventuellement de fond en comble les orientations de la politique française ; ensuite, le Rapport initial couvre la totalité des aspects du fonctionnement de la société française et enfin, la Commission donne une feuille de route détaillée de l’application de ce Rapport, lequel se passe donc de toute approbation parlementaire préalable ; elle entend enfin revenir périodiquement sur la marche à suivre. Venons en maintenant au propos central de cet article : l’enseignement supérieur et la recherche.
Il faudrait en bonne méthode commencer par les attendus relatifs au chapitre 1 : «AU COMMENCEMENT, LE SAVOIR» ; tout, ici mérite l’attention car c’est cette enveloppe au goût d’amande douce qui est censée faire avaler la ciguë de la suite ; dans ce début de chapitre tout n’est que poésie, beauté et révélation de la puissance de l’esprit humain : «La créativité, la mobilité et l’agilité de la jeunesse sont avant tout déterminées par la maîtrise des comportements et des savoirs fondamentaux acquis dès le plus jeune âge» (3). Les affaires ne tardent pas à se gâter : «Une dépense d’éducation en constante augmentation» titre le début des questions sérieuses ; voilà qui est inquiétant : le lecteur est prévenu tout de suite ; l’utopie dans les eaux glacées ; inutile de penser que le FINANCEMENT du système éducatif pourrait se trouver dans une situation lamentable ; la dépense en constante augmentation, exclut à l’avance une pensée aussi séditieuse et surtout élimine d’office la question des moyens. Que l’on n’aille pas imaginer que dans un cadre global, peut-être l’enseignement supérieur fait-il exception ? Que nenni : «La dépense d’éducation consacrée à l’enseignement supérieur a crû de 120 % depuis 1980 et représente aujourd’hui 9370 euros par étudiant.»
Ainsi, sans périphrase inutile, sans même comparer fugitivement cette « dépense » extravagante à celle du PIB pendant la même période (sur une période plus courte celui-ci a crû de 140% (chiffres OCDE…sans commentaire), on conclut que celle-ci :
Ne peut plus se permettre de continuer à croître.
Qu’elle est mal utilisée (que cela soit partiellement exact n’est pas le sujet ici, ce qui compte, c’est l’opprobre jetée en pâture sur la dépense publique c'est-à-dire l’investissement public dans l’avenir de la nation !)
Que tout va maintenant dépendre de la mise en œuvre de méthodes de gestion appropriées ; nous y voilà.
«Le temps est venu de modifier les modes d’éducation, d’orientation et de promotion au sein de la société. La préoccupation du résultat (qui n’est autre que la réussite de tous les élèves) doit aujourd’hui primer sur la simple exigence de moyens. La France peut faire beaucoup mieux avec les mêmes moyens» (4) Ensuite, le Rapport développe un ensemble de «DECISIONS» qui toutes ont un point commun apparent : s’appuyer sur les fragilités et les déficiences réelles du service public, toutes issues des politiques de compression budgétaire maximale antérieures, pour prétendre aller vers le nouvel âge d’or ; et un point commun caché : la moindre des Recommandations d’apparence progressiste suppose des dépenses importantes nouvelles qui ne seront évoquées nulle part. Puis, le Rapport s’oriente plus spécifiquement sur le couple enseignement supérieur-recherche : «UN ENSEMBLE UNIVERSITÉ/RECHERCHE À L’ÉGAL DES MEILLEURS MONDIAUX».
La première mission des universités et des grandes écoles n’est plus le recrutement des fonctionnaires… La préparation à la vie professionnelle doit donc devenir l’un des axes majeurs du projet pédagogique de tout établissement d’enseignement supérieur. C’est loin d’être le cas aujourd’hui. D’abord parce que les universités françaises disposent de beaucoup moins de moyens que celles des autres grands pays : les universités françaises reçoivent 8 700 euros par étudiant en moyenne contre 36 500 euros aux États-Unis… ». (5)
D’abord, «beaucoup moins de moyens» ? Diantre ! Mais la contradiction avec ce qui précède n’est qu’apparente pour deux raisons : la première est que sans cette reconnaissance obligatoire, ce texte perdrait immédiatement en crédibilité. On en parle, cela suffit ; n’est-t’on pas entré dans l’ère du virtuel ? L’odeur de l’argent public et la réalité du profit. Mais surtout cet aveu passe par cette formulation qui laisse pantois : «la première mission…. n’est plus le recrutement des fonctionnaires».
En vérité, on fait ici magistralement coup double : évocation de l’indigence de l’enseignement supérieur ET haro sur la fonction publique dont le recrutement n’a JAMAIS été la première ni la seconde des missions de l’enseignement supérieur.
Plus loin, les formulations sont cette fois dénuées de toute enveloppe :
«Même si… pour combler cet écart, il faudrait une augmentation de 800 millions d’euros. Pour atteindre la moyenne des 10 pays finançant le mieux leur enseignement supérieur (1,79 % du PIB), il faudrait une augmentation de 8 milliards d’euros. Dans un contexte de nécessaire maîtrise des dépenses publiques, une telle augmentation ne pourra être demandée qu’après l’adhésion de la communauté universitaire à la démarche de performance et de transparence décrite préalablement. Il faudra donc distinguer les dotations de base (accordées en fonction des formations dispensées et du nombre d’étudiants se présentant effectivement aux examens) et les fonds destinés à récompenser les universités ayant les meilleurs résultats.» (6)
Tout ici serait à commenter : l’essentiel est à nouveau le fumet du financement public CONTRE l’acceptation préalable par les «représentants» voir ci-dessous pour cette notion de la communauté universitaire d’une liste proprement hallucinante de contrôles de tout ordre ex ante et ex post, contrôles effectués hors de toute procédure contradictoire, balayant toutes les instances représentatives existantes d’un revers de main mais dont les directives centrales sont décidées au plus haut niveau de l’Etat : c’est la reprise de l’idée centrale de l’ETAT STRATEGE, inaugurée par F. Fillon en 2003 concernant «Les grands objectifs de la Recherche Française».
Comme il s’agit , nous dit-on d’une stratégie du «résultat», il est «évident» que celui-ci ne peut s’obtenir en favorisant par tous les moyens institutionnels l’expression pluraliste, démocratique, citoyenne ; ainsi : «Il faut aller plus loin dans la réduction du nombre de membres des conseils et organiser une plus grande autonomie dans les modes de gestion financière, de recrutement des professeurs et des rémunérations» (7) ; plus loin que la Loi LRU précisément qui déjà réduit drastiquement le nombre des élu(es) aux diverses instances universitaires, dope le nombre de personnalités mandatées par le MEDEF dans ces instances, pulvérise les missions de ces instances, en calque le fonctionnement sur celui des Conseils d’administration d’entreprises privées et institue une présidentialisation omnipotente et omniprésente n’ayant à rendre compte qu’auprès des plus hautes sphères de l’Etat.
Fumet de l’argent public, privatisations, réduction drastique de la voilure du tissu universitaire et de recherche mais aussi élargissement du recrutement des élites dirigeantes et scientifiques, qui maintenant vont de pair dans la nouvelle figure du scientifique-manager, en même temps qu’est instituée une nouvelle ségrégation sociale. Ainsi faut-il comprendre les DECISIONS 22, 23, 24 ; le Rapport introduit les financements privés mais les commissionnaires savent que nous sommes en France et que par rapport à ce qu’ils soulignent eux-mêmes à leur corps défendant et même en écrivant à contre-cœur, «DECISION 21 : Augmenter les moyens financiers alloués à l’enseignement supérieur, afin d’accompagner les décisions précédentes», les traditions patronales françaises conduiront au mieux à des miettes ; les finances publiques sont donc ici INCONTOURNABLES (8) ; l’unique méthode pour «résoudre» cette quadrature du cercle consiste à resserrer par des compressions d’échelle drastique le nombre d’Etablissements universitaires capables de faire face aux missions liées d’enseignement ET de recherche, (10 pôles de taille «mondiale») ET simultanément «Institutionnaliser des Universités des métiers» (Décision 23). C’est, non l’adaptation française-qui serait déjà sujette à caution-du système britannique mais son calque, ce qui est tout autre chose. Décision populiste visant à donner le change mais qui brise dans l’œuf le continuum possible entre études supérieures à dominante technologique et/ou professionnelle et études fondamentales ; pour couronner cet ensemble, précarisation généralisée des métiers de la recherche et de l’enseignement supérieur. Mutatis mutandis les mêmes principes fondent les «Décisions» du Rapport relatif au système de recherche (rôle des Grands Organismes Publics qui sont pulvérisés dans leurs missions essentielles). Nous manquons de place pour les évoquer en détail.
Tout impose la mise en insurrection intellectuelle et la mise en mouvement d’orientations totalement nouvelles prenant à bras-le -corps les enjeux de civilisation.
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000041/0000.pdf ; p. 235.
Ibidem p. 20.
Ibidem p. 23.
Ibidem p. 25.
Ibidem DECISION 21.
Ibidem p. 35, 36.
Ibidem.p. 34.
« OBJECTIF : Investir davantage dans l’enseignement supérieur L’enseignement supérieur constitue le seul domaine où une part significativement plus élevée du budget de l’État doit être dégagée, afin de créer les conditions de la croissance future. »Ibidem p. 34.
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