Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

Economie et Politique - Revue marxiste d'économie
Accueil
 
 
 
 

Les transformations du capitalisme contemporain : présentation (Extraits)

C’ est une évidence, depuis le début des années 1970 le capitalisme mondial s’est considérablement transformé. Un tel épisode de transformations n’est au

demeurant pas nouveau dans l’histoire du capitalisme... Ces transformations s’effectuent principalement lors de périodes historiques relativement bien délimitées qui apparaissent comme des longues phases de difficultés... La période qui s’est ouverte à la fin des années 1960 – début des années 1970 est la dernière en date de ces épisodes historiques de difficultés durables et de restructurations... Nombre de travaux qui s’inscrivent dans une perspective hétérodoxe s’accordent pour caractériser cette période comme celle d’une «grande» crise dont elle présenterait deux traits caractéristiques majeurs : la durée et le caractère structurel.

C’est une crise durable. Pour l’ensemble de ce qui constituait à la fin des années 1960 les pays capitalistes développés (Amérique du nord, Europe occidentale, Japon...), la période qui a suivi fut en effet, et pour certains est encore, incontestablement une période de crise et de difficultés économiques récurrentes. Amorcée dès les dernières années de la décennie 1960, cette crise a gagné la quasi totalité des pays capitalistes développés au cours de la décennie 1970, les deux chocs pétroliers exacerbant certaines tensions et amplifiant certains déséquilibres. Elle s’est ensuite prolongée et approfondie tout au long de la décennie 1980 et encore, pour certains pays, avec des spécificités nationales, pendant les années 1990 et les premières années de l’actuelle décennie 2000. Elles n’ont cependant pas permis, jusqu’à présent du moins, à certains de ces pays de trouver une solution de sortie positive et durable à la crise, comme en atteste l’engluement des plus grands pays de l’Union européenne dans une «croissance molle» qui ne permet pas de résorber le chômage de masse et contribue à priver l’État-providence des ressources nécessaires pour pérenniser et améliorer le dispositif de protection sociale des populations mis en place depuis la Seconde Guerre mondiale.

C’est également une crise structurelle, voire pour certains analystes une crise «systémique». Dans un contexte de difficultés économiques durables, et pour partie sous la pression de ces difficultés, se sont en effet amorcées, dès les années 1980, d’importantes transformations structurelles du capitalisme qui en modifient fortement la configuration. Cela concerne les progrès considérables intervenus dans le champ des connaissances scientifiques et techniques, avec en particulier le développement des technologies de l’information et de la communication (TIC) et des biotechnologies qui sont l'expression d’une «révolution informationnelle» (Boccara), aboutissant à mettre de plus en plus l’information et son traitement au cœur même des processus productifs. Avec cette révolution informationnelle, les conditions de l'accumulation du capital sont profondément transformées ; celle-ci se fonde de plus en plus sur «l'exploitation de la connaissance» (Paulré), avec une pression permanente à l’innovation. En liaison avec cette révolution informationnelle, cela concerne aussi les mutations que celle-ci induit ou rend possible dans les procès de travail, l'organisation de la production et des firmes, les modèles de consommation, les modes de vie.

Cela concerne encore la transformation profonde des systèmes productifs dans les pays capitalistes développés, avec en particulier la désindustrialisation qui est l’un des principaux facteurs du chômage de masse : désindustrialisation souvent présentée comme la contrepartie de l’affirmation d’une économie des services, mais qui est également l’une des conséquences de l’évolution de la Division internationale du travail imposée par les firmes multinationales cherchant à tirer profit des opportunités qu’ouvre la révolution informationnelle dans un contexte nouveau de mondialisation et de globalisation financière.

Cela concerne encore le processus de restructuration des entreprises, avec en particulier l'affirmation, sous la pression des nouveaux «maîtres du monde» (Andréani) que sont les investisseurs institutionnels opérant sur les marchés de capitaux (fonds de pension, fonds d’investissement, mutual funds...), d'une stratégie de recentrage des firmes sur leur cœur de métier et, corrélativement, d’externalisation des activités qui ne sont pas jugées essentielles (Batche,).

Parmi ces transformations, on retiendra également la mondialisation libérale, associée en particulier à un puissant mouvement de déréglementation des marchés et de privatisation des entreprises et des services publics. Cette mondialisation est à la fois commerciale et productive. En relation directe avec cette mondialisation libérale, qui aboutit à accroître la taille des marchés sur lesquels opèrent les entreprises et la puissance des concurrents qu’elles y affrontent, se développe un mouvement de concentration du capital par fusionsacquisitions, nationales et transfrontières, d'une ampleur exceptionnelle qui débouche sur la constitution d’oligopoles nationaux, régionaux (Union européenne...) ou mondiaux ... Et, en liaison avec cette mondialisation, la redistribution des cartes de la puissance, avec la tentative des États-Unis d’affirmer leur hégémonie impériale sur l’ensemble du monde et la montée en puissance, au cours des 15 dernières années, d’une Chine post maoïste qui a opté pour le capitalisme et joue désormais de plus en plus le rôle d'atelier manufacturier de la planète qui fut celui de l'Angleterre au XIXe siècle.

Parmi ces transformations, on retiendra encore la financiarisation des économies, liée en particulier au processus de dérégulation et d'innovation financières associé aux politiques de libéralisation mises en œuvre depuis la fin des années 1970 (Bourguignat,) ainsi que la globalisation financière qui s'est imposée depuis la fin des années 1980 avec la constitution d’un marché mondial des capitaux, de plus en plus soumis à la loi des grands investisseurs institutionnels. On assiste en fait à ce que certains analysent comme une

«réaffirmation du pouvoir de la finance» (Duménil et Lévy,), avec en particulier :

  • la hausse des taux d'intérêt réels à partir du début des années 1980 bénéficiant aux prêteurs de fonds ;

 

  • le rôle croissant et déterminant que jouent les grandes banques d'affaires dans la restructuration du système productif à l'échelle mondiale ;

 

  • le développement considérable des marchés de capitaux et le rôle désormais central de ces marchés dans la régulation d'ensemble d’économies qui, comme celle de la France, se transforment d’économie d'endettement administrée en économie de marchés de capitaux libéralisée (Plihon,) ; affirmation d'une logique financière de rentabilité immédiate et élevée des fonds engagés dans les firmes au détriment éventuellement des intérêts à moyen et long terme de ces dernières et de leur capacité à répondre aux exigences d'une stratégie industrielle de développement pérenne (Lordon,)... la contrainte imposée aux dirigeants des entreprises de privilégier la valeur actionnariale et la rémunération des actionnaires dans la définition de la stratégie des firmes, lesquelles sont contraintes de répondre aux exigences de rentabilité des capitaux qu’impose la sphère financière, avec un taux de rémunération des fonds propres de l’ordre de 15 % qui s’est imposé comme une norme de référence mais dont il n’est guère difficile de comprendre qu’il est incompatible sur le moyen et long terme avec les possibilités réelles des entreprises et la situation d’économies qui peinent à retrouver un rythme de croissance du PIB de 3 %.

En soulignant que la responsabilité des États dans l’impulsion et la mise en œuvre de ce processus de financiarisation de l’économie est directement engagée. Cette financiarisation des économies va de pair avec la démultiplication des crises monétaires et financières. Il en est de même des crises boursières (jusqu’à) l’éclatement de la bulle boursière de la «nouvelle économie».

Parmi ces transformations, on retiendra enfin celles qui correspondent à la «crise de l'État-providence» et du modèle social qui lui est associé (Rosanvallon). État-providence dont la légitimité, l'efficacité et la pérennité sont remises en cause, alors même que les politiques de déréglementation et de privatisations accroissent la puissance des marchés qui sont pourtant bien incapables de résorber les maux sociaux les plus criants auxquels sont confrontés y compris les pays les plus riches. Ce sont désormais les services publics qui sont de plus en plus menacés par la libéralisation et l’ouverture à la concurrence de leurs activités, la mise en concurrence des anciens opérateurs historiques avec de nouveaux intervenants, préfigurant souvent leur privatisation pure et simple, la concession de ces services à des entreprises privées.

Au nom, en particulier, de la nécessaire adaptation à ce qui est présenté comme une contrainte démographique incontournable (allongement de l’espérance de vie, augmentation de la part des plus de 60 ans dans la population totale), les systèmes publics de protection sociale (régimes de retraite, sécurité sociale, etc.) sont réformés dans le sens d'une limitation des prestations, ouvrant ainsi le champ au développement de systèmes privés alternatifs, avec en Europe la tentative de substituer aux régimes de retraites par répartition des fonds de pension gérant des dispositifs de retraites par capitalisation et d’accroître la part des dépenses de santé correspondant à un financement privé non mutualisé.

Parallèlement, l’affirmation du pouvoir de la finance s’accompagne d’une précarisation généralisée du monde du travail. Ce sont en effet les salariés qui font directement et principalement les frais des restructurations des firmes, du recentrage de ces dernières sur leurs métiers de base, nouveau credo de la bonne gestion, et des compressions de coûts destinées à répondre aux exigences de rentabilité des capitaux imposées par la sphère financière. Les politiques économiques et sociales sont désormais soumises à la surveillance et au contrôle des marchés de capitaux.

L’ampleur des transformations en cours ou déjà réalisées soulève inéluctablement la question de savoir si le capitalisme s’engage ou non dans ce qui pourrait être caractérisé comme une nouvelle «étape», une nouvelle «phase» ou un nouveau «stade» de son développement. De manière plus précise, la question posée est de savoir si les transformations contemporaines traduisent la disparition de la «forme capitaliste» préexistante (Rasselet) et l’émergence d’une nouvelle forme capitaliste, et, dans l’affirmative, si cette émergence est susceptible de se traduire par une nouvelle longue phase d’essor de l’économie mondiale.

C’est ce à quoi concluent effectivement de nombreux travaux qui voient dans les transformations évoquées, l’émergence d’un «nouveau » capitalisme. Les dénominations retenues pour le qualifier sont multiples. À titre d’illustration, et sans prétendre à l’exhaustivité, on peut évoquer succinctement les prises de position de quelques auteurs ou écoles de pensée constituées. On ne peut bien entendu ignorer ceux qui, à partir de la seconde moitié des années 1990, ont cru voir dans certaines des transformations contemporaines du capitalisme l'affirmation d’une «nouvelle économie» que l’éclatement de la crise financière de 2001-2002 a cependant fait rapidement disparaître du discours théorique et de l’horizon des préoccupations de la plupart de ses anciens apologues.

Pour les auteurs regroupés au sein de l’école («parisienne») de la régulation (Aglietta, Boyer, Boyer et Saillard,) les trois  dernières décennies du XXe siècle ont été celles de la «crise du fordisme». Pour certains d’entre eux, les transformations contemporaines du capitalisme correspondraient à l’avènement d’un capitalisme «patrimonial» (Aglietta) ou «actionnarial» (Plihon,) ou, du moins, traduiraient le passage à un «régime d'accumulation financiarisé» (Lordon) ou gouverné par la finance (Boyer), dans lequel la finance serait devenue une forme institutionnelle «dominante, directrice», capable d’imposer «sa logique et ses contraintes à toutes les autres formes institutionnelles» (Lordon).

Pour l’école de la régulation systémique (Boccara, Fontvieille), la crise durable contemporaine serait celle du capitalisme monopoliste d’État social qui s’était épanoui au cours des trois décennies de l’après-guerre, tandis que les transformations en cours ouvriraient la voie à de nouvelles formes de mixité, offrant des opportunités pour un bouleversement en profondeur des structures et relations spécifiques du capitalisme.

Selon d’autres auteurs encore, ces transformations correspondraient au passage du capitalisme industriel au «capitalisme cognitif» (Paulré), une sorte d’hyper-capitalisme dans lequel l'innovation connaîtrait une accélération sensible de son rythme et d’exceptionnelle deviendrait banale» (Paulré).

Pour l’école américaine de la structure sociale d’accumulation (SSA), (Bowles, Gordon, Weiskopf, Kotz, McDonough, Reich, Gordon,) la crise des trois dernières décennies serait celle de la «SSA de l’après-guerre» et se serait traduite par le démantèlement de ses éléments constitutifs fondamentaux : le rapport capital-travail, le rapport capital-citoyens, la convention de modération de la rivalité inter-capitaliste et la Pax americana. Le débat est ouvert au sein de l’école pour savoir si les transformations structurelles en cours ont ou non fait émerger les éléments d’une nouvelle SSA susceptible d’enclencher une nouvelle longue phase d’essor de l’accumulation du capital et de croissance.

Pour d'autres auteurs encore, le capitalisme entrerait désormais, selon le cas, dans le stade de l'ultra-impérialisme, stade en constitution, selon un processus encore inachevé, se caractérisant en particulier par la formation d’oligopoles mondiaux, ou dans celui de l'impérialisme géoéconomique succédant à l'impérialisme géopolitique, avec une «économiemonde américaine» qui «reconstitue sa domination mondiale» (Gerbier) en s'appuyant plus particulièrement sur le développement de la révolution informationnelle.

Selon P. Dockès et B. Rosier ce qui émergerait de la crise serait un nouvel «ordre productif», formulation reprise par Michel Husson selon lequel le capitalisme disposerait «d'un modèle global» définissant un nouvel ordre productif qui serait «par nature régressif et fondé sur une redistribution inégale de la richesse»... La nébuleuse hétérodoxe est loin d'avoir réalisé un tel consensus.

On est cependant en droit de voir dans la diversité des analyses évoquées ci-dessus la traduction d'un bouillonnement théorique créateur d’où il n’est pas interdit d’espérer que sortent finalement de nouvelles et substantielles avancées de la connaissance

(1) Professeur à l’université de Reims, qui a assuré la coordination et la présentation de l’ouvrage.

Il y a actuellement 0 réactions

Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.

 

Par Rasselet Gilles, le 31 March 2008

A voir aussi