Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Dacia : la grève, la solidarité, la perspective, ou «comment ‘l’autre Europe’ prend corps»

La grève des salariés de l'usine Dacia de Pitesti en Roumanie est exemplaire de tous les points de vue.

Elle cristallise des questions aussi centrales que les salaires, le chantage à la délocalisation, la mise en concurrence des salariés, les rapports entre anciens et nouveaux membres de l'UE. Cette lutte pour les salaires et les conditions de travail dans une une usine automobile du groupe français Renault dans un des pays les moins riches de l'UE marquera le passage à un degré supérieur dans la perception des intérêts communs. Les solidarités qu'elle a suscitées, particulièrement chez les salariés de Renault France, éclaire d'un jour nouveau ce qu'Europe sociale peut signifier concrètement. Parce qu'elle s’est déroulée dans l'espace de l'Union européenne, dans un pays nouvel entrant, cette grève est devenue un amplificateur de la revendication générale de l'harmonisation vers le haut des droits et des salaires. Dans la conscience des intérêts communs entre salariés du même groupe et d'un même secteur industriel, elle met à nu le cynisme d'un chantage aux délocalisations sans fin. À Cléon et à Pitesi les menaces et les arguments de la direction sont les mêmes. Si aujourd'hui, même les salariés qui revendiquent une augmentation de 285 euros à 435 euros brut par mois alors que la productivité a augmenté de 70 % sont menacés d'une délocalisation, alors, qui est à l'abri ?

La réactivité des organisations syndicales pour organiser la solidarité y compris financière est un signe de la perception de l'enjeu pour tous. Un victoire syndicale des Dacia tire tout le monde vers le haut. Or, surmonter la division entre salariés n'était ni évident ni facile. Il fallait que soit perçu et compris que ce sont les bas salaires, les mauvaises conditions de travail qui enclenchent le cercle vicieux des délocalisations et de la désindustrialisation. En particulier lorsqu'on délocalise de la zone euro vers la zone dollar dans la quelle se situe la Roumanie. La déclaration de la légalité de la grève est une première victoire essentielle. Le choix répressif de la direction de déclarer la grève illégale, eu égard à la jusriprudence roumaine, lui a conféré dès le départ un caractère d'affrontement exemplaire. Indéniablement la détermination des salariés et l'impact international de la grève ont pesé lourd pour la décision du tribunal, qualifiée de «populiste» par une direction peu habituée à un tel désaveu.

En mettant en avant, avec une combativité remarquable, leur droit à un salaire décent, c'est la volonté de vivre chez eux, dans leur pays, que ces salariés roumains revendiquent. On mesure ce que cela signifie dans un pays où la jeunesse et de larges couches de la population ne voient de salut que dans la migration vers l'ouest. Car il s' agit d'abord de cela. Une question de justice. Les salaires restent dérisoirement bas – l'équivalent de 145 euros net pour une nouvelle embauche – alors que la productivité ne cesse de battre des records et que les prix, eux, sont dans la moyenne européenne.

En rachetant Dacia en 1999 Renault voulait produire un véhicule à bas coût, en visant les pays à faible revenu. Aujourd'hui c'est la Logan qui tire la rentabilité de Renault, avec une marge qui dépassait les 6%, bien au-dessus de la Twingo ou la Clio. Augmenter les salaires et le pouvoir d'achat en Roumanie, cela signifie élargir le marché automobile local. Ce qui vaut pour la Roumanie ne vaudrait-il pas pour les autres pays ? Ce qui est posé c'est «une industrie automobile européenne, performante, prenant en compte les enjeux de l'environnement, capable de relever le défi de l'après-pétrole. Avec ce que cela implique d'investissements industriels et humains en formation, en emplois stables, et d'harmonisation sociale vers le haut», insiste le député européen Jacky Hénin (PCF) à l'initiative d'une Charte européenne pour l'industrie automobile. Dans la dernière période, sont apparues dans des pays à niveau de vie élevé des luttes contre la mise en concurrence sur la base du dumping social. L'arrêt Laval-Valxholm (du nom de l'entreprise suédoise concernée) de la Cour de justice européenne du Luxembourg, ou l'arrêt Rüffert contre le Land de Basse-saxe, comme la directive Bolkestein en son temps institutionnalisent la concurrence salariale. Cette fois, la grève de Dacia renverse la problématique. Elle remet les choses à l'endroit. Elle pose les enjeux de la compétitivité en Europe non pas en terme de concurrence mais d'efficacité sociale.

Enfin ce mouvement prend une dimension symbolique d'autant plus retentissante avec l'impressionnant essor des luttes salariales dans tous les pays de l'union européenne, alors que les rue de Ljubljana, capitale de l'Europe, résonnaient des revendications pour les salaires. Une première pour le mouvement syndical européen.

Ce que nous dit aussi le mouvement de solidarité envers Dacia, c'est que l'Europe sociale n'est pas un voeu généreux, mais une exigence. La convergence des luttes sociales et politiques à gauche, le dépassement des divisions alimentées par les logiques de concurrence, l'élargissement des solidarités pour contribuer au succès des actions et modifier le rapport des forces sont au coeur de la dynamique pour une telle perspective.

Paris, le 11 avril 2008

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