Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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La RGPP : une machine de guerre contre les services publics

Vingt milliards d’euros telles sont les économies escomptées au cours des trois prochaines années, une paille par rapport aux 150 milliards visés dans l’intervention présidentielle prononcée à Cahors le 8 avril 2008 et dans laquelle était présentée une hasardeuse comparaison entre les dépenses publiques françaises et allemandes. Cela donne un aperçu des masses budgétaires en jeu et des coupes sombres à réaliser dans les budgets sociaux. Un simple plan d’austérité n’y suffira pas, il faut passer à un tout autre stade, la RGPP en est le levier principal.

Engagée le 10 juillet 2007 par le Président Sarkozy, la RGPP préconise, par une révision de la place et du rôle de l’État à tous les niveaux, d’alléger les contraintes juridiques et les contrôles, de modifier les relations entre l’État et les collectivités territoriales, de faire évoluer la gestion des ressources humaines. Pour aider à la réalisation rapide de ces « simplifications », est largement recommandé un recours massif à des conseils et autres consultants privés appartenant à des cabinets multinationaux, notamment américains, spécialisés en ce domaine. Au plan stratégique, un recentrage de l’État allégé sur la conception et le contrôle de l’exécution des politiques publiques devra s’opérer. Les directions et les délégations régionales en nombre fortement réduit seront resserrées autour des Préfets régionaux, qui auront désormais autorité sur les Préfets départementaux. Le niveau de mise en œuvre que représente le département verra lui aussi son organisation évoluer autour de cinq à six grandes missions en remplacement des précédents périmètres ministériels.

Quelque peu mise en sourdine jusqu’aux dernières élections la RGPP a été, depuis, vivement réactivée. C’est ainsi que le 4 avril, à l’occasion de la seconde réunion du comité de modernisation, un nouveau volet de 166 mesures devant se traduire par 7 milliards d’économies dès 2009, a été adopté. Elles font suite à un premier train de 96 dispositions arrêtées le 12 décembre 2007 et au gel de 7,2 milliards d’euros.

Ce train de mesures toutes plus corsées les unes que les autres permet maintenant de se faire une idée très précise des orientations gouvernementales. D’une manière générale, la philosophie de la RGPP repose sur deux préceptes : la mise en chantier d’un plan social inégalé sur la période 2008/2012 et la réalisation d’une réforme de l’État à ce jour sans pareil du point de vue de la remise en cause des missions publiques, que ce soit dans leur contenu, dans leur organisation ou dans leur accomplissement.

Sans tarder et dans le plus grand secret des salons gouvernementaux, la RGPP est entrée en action et a produit ses premiers effets. Le Haut Conseil de la Coopération Internationale a été supprimé ainsi que 8 des 9 centres interministériels de renseignements administratifs (CIRA), une trentaine de directions du Ministère de l’Écologie, de l’énergie, du développement ont disparu, les services départementaux de la Météo ont vécu et la gendarmerie a été rattachée au Ministère de l’Intérieur.

La RGPP est au fond une entreprise qui vise à éplucher une à une toutes les missions de l’État, jusqu’à en revisiter les valeurs fondatrices, cela dans la double intention d’en réduire le coût et de faire du territoire national un espace de plus libéré de toutes contraintes pour le plus grand bonheur de la finance et de sa rentabilité. Dans un tel carcan idéologique, toute autre conception, comme celle par exemple qui consisterait à évaluer les politiques publiques afin de les faire évoluer pour offrir un meilleur service à l’ensemble des citoyens et en accroître l’efficacité, est naturellement hors de propos.

Avec la RGPP s’engage une course folle à la déréglementation. Non seulement les restructurations entamées sont poursuivies et renforcées, mais chaque jour est assorti d’un lot de nouvelles mesures frappant sans coup férir l’ensemble des services publics et la Fonction publique.

L’atomisation de la Fonction publique : point nodal de la RGPP

Présenté le 18 mars 2008 devant le Conseil Supérieur de la Fonction publique (1) et adopté en conseil des Ministres, le 9 avril, un projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la Fonction publique pose les fondations d’une réforme explosive.

Le credo sarkozyste est : «des fonctionnaires moins nombreux et plus mobiles». C’est ainsi qu’il compte parvenir à assainir les comptes publics comme il l’a réaffirmé le 4 avril devant les hauts fonctionnaires du comité de modernisation réuni à Bercy : «l’équilibre de nos finances publiques dépend de notre capacité à réduire les effectifs».

Concrètement cela signifie que le non-remplacement d’un départ de fonctionnaire à la retraite sur deux, principe activé en 2008 sera confirmé en 2009, soit la disparition de 35 000 emplois de fonctionnaires. À l’échéance des trois prochaines années ce sont 105 000 emplois de fonctionnaires qui pourraient ainsi passer à la trappe.

Mais ne s’arrête pas l’œuvre de dynamitage de la Fonction publique. Pour la casser, il faut en briser la colonne vertébrale, c’est-à-dire le Statut des fonctionnaires qui, par des règles de gestions précises et transparentes, assure aux personnels la sécurité de l’emploi, le niveau de leur rémunération, leurs modes de promotions, de mutations, de notation, bref leur indépendance vis-à-vis du politique, tout en spécifiant leurs devoirs. Voilà pourquoi la suppression d’un emploi budgétaire sur deux nécessite en parallèle, l’instauration d’un dispositif dit de mobilité des fonctionnaires dont la finalité est une implosion de leurs actuelles règles de gestion. Ce que le gouvernement veut inscrire dans la loi n’est ni plus ni moins que la création d’un volet «accompagnement social» ou plus exactement d’un plan social musclé permettant d’absorber les ondes de choc des restructurations successives de services et de missions et des suppressions de postes qui en découleront.

Il est évident à la cadence risquent de s’enchaîner les réformes de structures et d’être annoncées les fermetures de postes budgétaires, qu’en rythme annuel, la seule noncompensation de 50 % des départs à la retraite ne suffira pas à pallier l’évaporation globale des emplois correspondants. Il faut donc trouver le moyen adéquat de répondre à cette situation. C’est le sens profond du projet de loi relatif à la mobilité et aux parcours professionnels dans la Fonction publique, dont les principaux axes peuvent se résumer ainsi :

  1. Introduction d’un droit pour chaque fonctionnaire au départ avec un préavis de trois mois pour aller vers un autre emploi, une autre administration, le privé,

  2. Établissement de passerelles entre les 3 administrations (État, Hospitalière, Territoriale) ;

  3. Possibilité de recours à l’intérim ;

  4. Possibilité de licenciement des fonctionnaires d’État qui auront vu leur poste supprimé pour cause de restructuration et n’auront pas accepté au moins un des trois emplois qui leur sera proposé en remplacement : cela même si ce n’est pas dans son administration d’origine, même si le nouveau poste est fort éloigné de son lieu de résidence, et même si ce nouveau poste n’est pas d’un niveau de qualification identique... donc de rémunération. (Article 7 du projet de loi),

  5. L’instauration d’une indemnité de départ volontaire équivalente à 24 mois de traitement, baptisée «option seconde carrière».

Tout un programme en somme que le Livre Blanc sur l’avenir de la Fonction publique (2), rédigé à la demande du gouvernement confirme largement et prolonge en mettant l’accent sur la nécessité d’introduire le contrat comme nouveau type de relation sociale, d’augmenter la part aléatoire de la rémunération (le «mérite»), de faire de la performance et de «l’efficacité» les nouveaux critères d’évaluation des agents... En outre, il est envisagé de supprimer les concours internes pour les remplacer par un bilan de compétences, voire même, de soumettre l’évaluation des fonctionnaires à l’appréciation directe des usagers...

La remise en cause du statut de la Fonction publique dont le premier objectif est de sacrifier l’emploi public fait parallèlement peser de lourdes menaces sur la qualité des missions publiques pour ne pas dire tout simplement sur leur existence. Car les attaques dirigées contre le statut des fonctionnaires et portées finalement contre l’ensemble des emplois publics percutent de plein fouet l’idée fondatrice de la Fonction publique et des services publics : l’intérêt général.

La notion d’intérêt général repose en effet sur les trois principes fondamentaux que représentent l’égalité d’accès et de traitement de chaque citoyen, l’indépendance du fonctionnaire vis-à-vis du politique, la responsabilité de chaque fonctionnaire en tant qu’agent public, mais aussi comme citoyen, de rendre compte de son administration devant ses concitoyens.

Abattre le statut de la Fonction publique, c’est inévitablement introduire un profond coin dans la notion même d’intérêt général ouvrant la voie aux intérêts particuliers c’està-dire à la loi du plus fort. Ce qui, rapporté à l’état actuel de la société, signifie laisser toutes latitudes aux intérêts de la bourgeoisie financière.

Du jamais vu depuis 1946 ! Les vannes sont grandes ouvertes à une atomisation des règles de gestion des fonctionnaires qui entreraient ainsi dans une ère de précarité inconnue depuis plus de soixante ans. Le workfare ferait ainsi son entrée dans la Fonction Publique. À l’aune des dégâts qu’il produit dans le privé, on peut en estimer les futurs effets dans le public. Le contexte ainsi créé n’est pas sans rappeler, toute proportion gardée, la loi de dégagement des cadres que le gouvernement de Vichy avait promulgué pour disposer du moyen de dégraisser les effectifs de la Fonction Publique d’alors.

Les bouleversements induits par la RGPP n’interviennent pas dans un horizon jusqu’alors dégagé. La RGPP n’est en effet pas la première réforme structurante qui vise les services publics. Avant elle il y a eu en 2001 la LOLF qui, en introduisant de nouveaux critères d’exécution budgétaire, annonçait de profonds changements des règles de gestion en vigueur dans la Fonction publique et les services publics. En effet, cette loi qui transforme en profondeur la structure même du budget de la nation fixe entre autres objectifs, celui de «réformer le cadre de la gestion publique» et consacre au final le basculement de la gestion des finances publiques vers les critères de rentabilité appliqués au secteur privé et dictés par les impératifs du profit.

Plus récemment, le rapport Attali est venu apporter de l’eau au moulin de la RGPP. D’une part, ce rapport préconise de diminuer d’un point par an et cela dès 2008, la part des dépenses publiques dans le PIB ce qui sur 5 ans représente 20 milliards d’euros. De l’autre, il propose d’installer partout des agences en lieu et place des services publics, structures employant presque exclusivement des personnels contractuels relevant du droit privé, dont l’évaluation et l’audit seraient confiés à des cabinets indépendants, sachant que l’indépendance vise surtout à échapper aux contrôles politiques et démocratiques.

La RGPP est aux antipodes des objectifs de justice et d’égalité que sous-tend l’action de la Fonction publique. Elle tend à élever la rentabilité au rang de valeur absolue et nie une conception qui fait de l’efficacité sociale un de ses buts essentiels. Elle substitue l’emploi précaire à la carrière. Ces éléments de dislocation du corps social ne sont malheureusement pas une vue de l‘esprit. Ils sont déjà à l’œuvre au cœur même de l’appareil de l’État avec l’opération de fusion des administrations des impôts (DGI) et de la comptabilité publique (DGCP) en une seule et unique nouvelle direction la DGFIP (Direction Générale des Finances Publiques)

 

  1. Un rappel des votes sur le projet de loi lors des conseils supérieurs : Conseil supérieur FPE (Fonction Publique d’État) du 18 mars 2008

Pour : administration

Contre : CGT, FSU, FO, UNSA, CFTC, Solidaires Abstention : CFDT, CGC

Conseil supérieur FPT (Fonction Publique Territoriale) du 26 mars 2008 Pour : 0

Contre : CGT, FO, FA-FPT, CFTC

Abstentions : CFDT, CGC, représentants employeurs.

  1. Le Livre Blanc sur l’avenir de la Fonction publique publié en avril 2008, a été rédigé par M. Jean-Ludovic Silicani à la demande du gouvernement.

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