Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Familles, quand on vous hait...

Certaines orientations récentes ont lancé des signaux extrêmement préoccupants sur le devenir de la politique familiale, même si les volte-face orchestrées par Nicolas Sarkozy en personne tentent de tempérer l’impact sur l’opinion des mesures annoncées 1).

Mais le ver est bien dans le fruit, car la volonté de ce gouvernement de soutenir le pouvoir d’achat des familles apparaît particulièrement écornée.

La défausse sur les familles nombreuses

En premier lieu, les réductions de tarif SNCF pour «familles nombreuses» partir de trois enfants) ont été remises en cause, au prétexte que le dispositif, s’il subsistait, devait être financé par l’entreprise elle-même et non plus par l’État. La reculade du gouvernement s’est en définitive soldée par un montage particulièrement complexe : la SNCF accorderait un «super-dividende» à l’État actionnaire pour compenser le coût des réductions (70 millions d’euros), mais c’est bien d’un désengagement dont il s’agit, comme s’il était urgent de donner à cet aspect des politiques familiales un aspect de privatisation en le faisant reposer sur les résultats de la SNCF. Pourtant, ne pas encourager les familles nombreuses à prendre le train apparaît en fait totalement contradictoire avec les intentions environnementales affichées depuis le fameux Grenelle, puisqu’un déplacement en voiture reste encore notablement moins coûteux quand il s’agit de plus de deux personnes...

Une autre mesure plus spécifique, dont on a peu parlé, tend aussi à pénaliser les familles nombreuses. Dans le cadre des bonus-malus appliqués aux véhicules en raison de leurs émissions de CO2, les voitures familiales de type monospace sont désormais fortement surtaxées à l’achat (environ de 2 000 euros), alors qu’elles sont quasiment une obligation à partir de quatre enfants. Le plus consternant est que nombre de familles ont trouvé la parade (propice en milieu urbain) de disposer de deux véhicules plus petits bénéficiant de bonus, mais dans ce cas se situe le gain écologique ?

 

Petits bras sur les allocations

Quinze jours après cette péripétie, nouvelle attaque en règle. Cette fois ce sont les majorations d’allocations familiales selon l’âge des enfants qui en pâtiront : au lieu de deux majorations, l’une aux 11 ans de l’enfant (33 euros par mois), puis à 16 ans (60 euros par mois), une seule sera désormais appliquée à partir de 14 ans (60 euros par mois), ceci sans considération des ressources totales de la famille. Cela se traduira pour les familles concernées par une baisse de ressources de l’ordre de 600 euros par an et par enfant entre 11 et 20 ans ! La «contrepartie» imaginée par la ministre Nadine Morano réside dans la possibilité d’une aide supplémentaire de 50 euros par mois sur le coût d’une assistante maternelle, mais elle ne vaudra que si la famille comporte des enfants en bas âge. On sait pertinemment, en outre, que les familles les plus modestes ont déjà recours avec difficultés aux assistantes maternelles alors qu’en règle générale, le risque de pauvreté augmente avec le nombre d’enfants au ménage. Peu importe à ce gouvernement et au final, l’économie réalisée sur les politiques familiales grâce à la modification des majorations pour l’âge des enfants devrait atteindre 138 millions d’euros par an.

Nadine Morano rappelle à cor et à cri la polémique sur les allocations familiales en 1997 lorsque Martine Aubry avait tenté de les mettre sous conditions de ressources. Cette décision fut annulée sous la pression des associations de familles, se soldant tout de même par une restriction des avantages fiscaux liés au quotient familial. Aujourd’hui, contradictoirement aux effets d’annonce c’est l’ensemble de la politique familiale qui est visé. Le rapport Attali, largement inspiré par Sarkozy, projette de placer les allocations familiales sous conditions de ressources au détriment de leur caractère universel historique, ce qui constitue une menace de régression du rôle démographique, économique et social de la politique familiale.

 

Jamais deux (mauvais coups) sans trois

La prochaine menace, elle aussi évoquée dans la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2008, plane sur l’allocation de rentrée scolaire (ARS). Son montant actuel est de 272 euros par enfant scolarisé entre 6 ans et 18 ans, sous conditions de ressources somme toute basses (pas plus de 2 700 euros par mois pour une famille avec trois enfants, 3 200 euros avec quatre enfants). La réforme jouerait sur une modulation selon le cycle scolaire (primaire, collège, lycée), en elle-même assez discutable d’ailleurs puisque l’ARS pour les enfants en primaire pourrait baisser considérablement. Mais on peut craindre aussi un durcissement des conditions de ressources, alors que l’excédent dégagé sur les politiques familiales permettrait au contraire à la fois de majorer l’ARS selon l’âge et d’élever le plafond de ressources.

Comme un hommage au rend Malthus

Cette obsession de réaliser des économies sur la politique familiale s’inscrit dans la «révision générale des politiques publiques». Certes ces dispositions figuraient succinctement dans le programme du candidat Sarkozy, comme dans le rapport Attali, mais comme les «réformes» fusent dans le désordre et la précipitation, leur cohérence interne n’apparaît pas toujours, l’essentiel étant la mise à bas de la protection sociale et du code du travail.

Ces mesures explosent en autant de couacs tonitruants. On nage ici dans le paradoxe, puisque la branche famille de la Sécurité sociale a été positive en 2007 de 200 millions d’euros, mais ce léger excédent est appelé à combler les déficits majeurs des autres branches, le déficit global de la Sécurité sociale atteignant 9,5 milliards d’euros en 2007.

Dans le même temps, le Medef et le gouvernement continuent d’envisager le désengagement définitif des entreprises du financement de la politique familiale, au prétexte qu’il s’agirait d’un «risque universel». Face à une opinion méfiante sur le pouvoir d’achat et la rigueur budgétaire, on n’en poursuit pas moins les intentions d’une hausse de la CSG et/ou d’une «TVA sociale» pour compenser la suppression programmée de la cotisation patronale aux allocations familiales.

Une rupture profonde semble se dessiner de manière inquiétante avec le large consensus en France sur les politiques familiales. D’une perception des familles nombreuses assurant le dynamisme démographique et le renouvellement des générations (donc le financement des retraites...), on glisse sensiblement vers un jugement sévère pour les familles nombreuses, considérées du coup «hors norme».

 

Certes, elles le sont devenues dans la statistique, puisque les ménages avec au moins quatre enfants représentent désormais moins de 6 % de l’ensemble, mais ils échappaient jusqu’ici à la stigmatisation. Désormais, les résurgences malthusiennes se font jour dans ce bon monde qui constitue le rêve de nos gouvernants, mettant en travaux pratiques leur idéologie d’inspiration néo-conservatrice.

Tout est charge insupportable de ce qui doit être financé collectivement et, à l’instar des «vieux» à qui l’on ne veut plus assurer une retraite décente, les enfants des familles peu favorisées et des classes moyennes sont de plus en plus volontiers érigés en coût insupportable pour la solidarité. Plane aussi le relent très désagréable des fantasmes sur les populations issues de l’immigration abusant des largesses de notre bon pays ; en réalité, si la génération d’entrée tend à avoir plus d’enfants que la moyenne, les suivantes s’alignent sur la tendance générale.

Depuis l’avènement du 8 mai 2007, on savait qu’il ne faisait pas bon être pauvre, chômeur, précaire, retraité, voire simplement travailleur et menacé de plus en plus souvent par la pauvreté. Apprenons donc qu’il faudra aussi se garder d’avoir «trop» d’enfants.

Apprenons aussi, par parenthèse, que les pauvres et les classes moyennes devront s’entraîner à une dure concurrence, comme dans cette sombre histoire du financement du revenu de solidarité active, dit RSA, qui serait assuré à travers le «redéploiement» de la prime pour l’emploi.

La solution au problème de la pauvreté, cela va de soi, consiste à ce que les moyennement pauvres aident les plus pauvres sans que l’on touche aux revenus des riches, ni aux profits financiers spéculatifs des entreprises !

 

Politique familiale : relancer et innover

Le revirement sur la politique familiale est d’autant plus surprenant qu’on se félicite d’une démographie dynamique en France, qui risque d’être touchée par rebond. Les restrictions annoncées sont les plus malvenues dans un contexte le pouvoir d’achat des familles est le plus entamé par les hausses de prix sur l’immobilier, l’alimentation, l’énergie et les transports, postes de dépenses dont le poids relatif augmente mécaniquement selon la composition des familles.

Pour rendre la politique familiale plus efficace, il faut développer les formules collectives de garde d’enfants pour lesquelles la France reste notoirement sous-équipée, encourager le travail des femmes, résorber les inégalités de salaires hommes/femmes, créer enfin une allocation familiale dès le premier enfant, augmenter les prestations pour faire face à la pauvreté des familles et éviter la pauvreté des enfants...

À l’inverse du désengagement prôné par les dogmes libéraux, une réforme alternative du financement de la politique familiale doit être mise en chantier en renforçant le principe de cotisations au plus près de l’entreprise, car la politique familiale contribue au renouvellement de la force de travail, quantitativement et qualitativement, en liaison avec l’ensemble des politiques de formation des jeunes.

 

(1) Nicolas Sarkozy en a profité pour surenchérir en évoquant l’extension des tarifs familles nombreuses dans le cas d’un ou deux enfants, se souvenant péniblement qu’il avait inclus dans ses promesses électorales une allocation familiale dès le premier enfant.

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