Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Pour un pôle public de l’énergie

Entretien avec Eric Roulot

En tant qu’animateur du réseau énergie du PCF vous souhaitez susciter la réflexion sur le concept de pôle public, pourquoi ?

Eric Roulot : Au moment où le gouvernement pousse à la privatisation des entreprises du secteur de l’énergie et à leur dépeçage, je pense que le PCF doit agir pour ouvrir des alternatives de progrès.
La critique du système capitaliste est nécessaire mais ce qui est mieux, à mon sens, c’est de proposer aux salariés et aux usagers de s’engager dans les voies de  la  transformation sociale afin  de  faire renaître, au sein de ce secteur, l’espérance révolutionnaire.
En mettant en perspective la création d’un pôle public de l’énergie, le PCF entend alimenter le nécessaire débat à gauche pour la refondation d’un projet politique populaire, mobilisateur et de gouvernement.
En mettant en perspective la création d’un pôle public de l’énergie, le PCF souhaite contraindre tous les acteurs industriels de ce secteur à mettre en œuvre des critères de gestion, allant dans le sens du service public et de l’intérêt général.
Nous voulons, au travers cette proposition, favoriser l’enclenchement d’un processus de coopérations industrielles et d’harmonisation sociale qui se substituerait à la concurrence économique et au dumping social.
Pôle public de l’énergie permettant de mobiliser dans une même dynamique et de manière efficace tous les acteurs industriels, publics comme privés, pour la mise en œuvre d’une politique énergétique visant le  progrès  social  et répondant aux grands défis écologiques posés en ce début de troisième millénaire.
Une alternative ouvrant ainsi une voie originale entre le tout marché destructeur et l’étatisme sclérosant.

Au cours de la dernière décennie, ce secteur s’est profondément transformé. Pouvez-vous synthétiquement pointer les enjeux auxquels ce secteur est confronté et nous éclairer sur les intentions politiques des partisans de la déréglementation ?

Eric Roulot : La situation dans le secteur de l’énergie est caractérisée par les données suivantes :
Des investissements sont nécessaires d’urgence : En Europe il faut investir 1200 milliards d’euros au cours des 20 prochaines années, pour répondre à la demande et remplacer les infrastructures vieillissantes. Cela représente la mise sur le réseau d’une centrale nucléaire par mois. En France, les besoins en investissement sont également très importants et il faut savoir que tout retard pris favorise la construction d’installations les plus émettrices de CO2.
Notre dépendance vis-à-vis des importations augmente : D’ici 20 ans en Europe, les importations représenteront 70% des besoins de l’Union contre 50% aujourd’hui. La dépendance totale de notre pays vis-à-vis du pétrole et du gaz doit nous alerter.
La terre se réchauffe : Même si la France émet moins de gaz à effet de serre que les autres pays de la communauté Européenne (Le parc de production d’électricité national est composé à 90% d’unités de production n’émettant pas de GES) les efforts à réaliser pour réduire les émissions générées par le transport et l’habitat restent gigantesques.
Les prix augmentent : la part des dépenses d'énergie dans le revenu des ménages les plus pauvres est déjà passée de 10 à 15% entre 2001 et 2006. Et ceci n’est pas exclusivement lié à l’augmentation des coûts d’approvisionnement. Les exigences de rentabilité du capital émises par les actionnaires nourrissent la tendance à la hausse des prix.
La pénétration des sociétés privées est une réalité : Elles voient dans cette montée des besoins une source potentielle de profits. Aujourd’hui, les opérateurs historiques (EDF et GDF) continuent de dominer le marché national dans le domaine de l’électricité et du gaz. Mais le privé domine et impose sa loi dans le secteur pétrolier ! Au niveau européen le processus de concentration capitalistique se poursuit et l’émergence de grands groupes multinationaux risque de bouleverser la donne. La constitution, en France, d’un grand groupe privé GDF/Suez s’inscrit dans cette logique d’affrontement et de guerre économique. Les orientations contenues dans le troisième paquet énergétique Européen vont dans le sens de l’accélération de la mainmise de ces groupes privés au sein de ce secteur.
La dislocation des entreprises intégrées est engagée : La déréglementation engagée depuis février 2000, en France, a conduit à enclencher un processus visant à sortir les réseaux des entreprises historiques pour permettre, nous dit on, un traitement non discriminatoire de tous les acteurs du marché de l'électricité et du gaz pour l'accès aux réseaux de transport dans le cadre du concept initialement retenu de l’accès des tiers aux réseaux (ATR). La filialisation des réseaux (séparation juridique) ne semblant plus suffire, l’Europe pousse à une séparation patrimoniale des réseaux transport et pourquoi pas demain, des réseaux de distribution.
La mise en concurrence des concessions constitue la prochaine étape dans ce processus de libéralisation : elle constitue, pour ces entreprises, une nouvelle source potentielle de profit très importante. Aujourd’hui le marché n'est ouvert que sur un segment infime (25%) de l’activité totale, la fourniture ! L’objectif politique étant de permettre au privé de mettre la main sur la totalité de la gestion des concessions de distribution Gaz et électricité. Cela nécessite de modifier la loi qui continue «d’offrir» à EDF le monopole de la gestion des concessions (sauf pour les entreprises qui ont échappé à la nationalisation de1946 : ENN) principe important qui assure la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement et de péréquation tarifaire.

En France, combien d’entreprises gravitent au sein de ce secteur ?

Eric Roulot : Le site de la CRE (1) révèle la multitude d’acteurs oeuvrant au sein de ce secteur (2).
Il existe actuellement six fournisseurs d’électricité
«alternatifs» : direct Energie, Electrabel (groupe Suez), Enercoop, Planet UI, Gaz de France, Powéo, et seulement trois dans le gaz : Altergaz, EDF et Powéo, rappelle la CRE.
La pénétration du marché national restera très difficile tant que nous parviendrons à préserver les tarifs administrés qui restent, pour l’électricité notamment, en dessous des prix du marché.
Pour le gaz, je le déplore, mais le processus d’alignement des tarifs administrés sur les prix a été enclenché lors de l’approbation, en 2004, du contrat de service public entre l’Etat et Gaz de France.
Certaines des entreprises qui ont pignons sur rue, en France, ont également une importante activité hors de notre pays.
La logique économique qui gouverne ces groupes, c’est la rentabilité financière et non pas des objectifs de Service Public comme le droit à l’énergie pour tous.
Entre eux, existe une concurrence féroce qui aboutit à un double dumping : social pour les salariés et qualitatif pour les usagers.
L’alignement des garanties sociales des salariés de ce secteur sur le droit commun (IRP et retraites) révèle le sens des dynamiques à l’œuvre.
Les entreprises publiques n’échappent pas à cette règle !
Aujourd'hui les critères de gestion mis en œuvre dans le public ne sont pas fondamentalement différents de ceux appliqués dans le privé.
Le statut public de certaines entreprises de ce secteur ne constitue donc plus une barrière de protection infranchissable pour la mise en œuvre de critères de gestion visant la recherche de rentabilité financière.
Il est donc nécessaire, à mon sens, d’opter pour un nouveau type de nationalisation qui allie la maîtrise publique et la transformation fondamentale des critères de gestion, pour toutes les entreprises de ce secteur.

En fait ce pôle public serait un outil visant à discipliner, à dompter, les actionnaires du privé et du public afin de les contraindre à opter pour la mise en œuvre de critères de gestion de service public. N’est-ce pas utopique ?

Eric Roulot : Non ce n’est pas utopique c’est communiste ! Etre communiste c’est vouloir transformer la société.
Or, comment transformer la société si nous limitons notre champ d’action aux entreprises publiques. Ce
que nous proposons au travers de la mise en place de ce pôle public, est d’agir pour transformer les critères de gestion de toutes les entreprises de ce secteur, publiques comme privées. Utopique ? Je ne le crois pas !
Si je regarde dans le rétroviseur de l’histoire, je constate que les luttes sociales ont contraint les entreprises privées à verser des salaires, à cotiser pour notre système de protection sociale et de retraites, à reconnaître le droit syndical, à reconnaître les congés payés. Au moment ou ces revendications sociales ont été exprimées, cela pouvait paraître utopique et pourtant….
Pourquoi donc ne serions nous pas capable d’imposer par la lutte, à ces actionnaires, d’orienter stratégiquement leurs entreprises dans le sens de l’intérêt général et du service public ?
Ne jouons pas petit bras soyons collectivement ambitieux.

Quelles pourraient être les finalités et les contours de ce pôle public ?

Eric Roulot : Pour que les citoyens acquièrent la maîtrise du Service Public de l’énergie, trois enseignements essentiels sont à tirer de la situation actuelle : «Réguler» la concurrence ne suffit pas. Il faut que les citoyens aient les moyens d’agir directement au niveau de la production du service. Le Service Public implique une gestion publique. D’où la nécessité d’entreprises publiques gérées démocratiquement, avec de réels pouvoirs  pour  les  élus,  les  salariés, les  usagers.
Il faut mettre fin à l’absurde concurrence actuelle entre les structures publiques et privées existantes et créer au contraire les conditions de la mise en commun de leurs potentiels pour en faire un instrument privilégié d’une gestion de Service Public.
Loin d’être un contrepoids, les entreprises publiques jouent aujourd’hui un rôle d’accélérateur des politiques libérales. Leur gestion, leur mode de fonctionnement, leur stratégie de croissance sont alignés sur le modèle capitaliste. Il est donc nécessaire de construire une réponse alternative à cette politique qui prépare leur privatisation.
D’où l’idée de  créer  un  pôle  public  de  l’énergie. Ce pôle public serait fondé sur un objectif central : concrétiser le droit à l’énergie pour tous dans le cadre d’une politique respectueuse de l’environnement. Il porterait un modèle d’entreprise en rupture avec les logiques libérales :
- Offrant aux usagers et aux collectivités locales une alternative aux politiques libérales actuelles.
- Promouvant des critères de gestion de service public.
- Fondé sur la coopération interentreprises, au lieu de la concurrence.
Il serait constitué :
D’un noyau central constitué d’EDF, GDF/SUEZ, des Réseaux publics et du CEA, AREVA, ANDRA. D’un
premier cercle, constitué des régies et des ENN (entreprises non nationalisées).
D’un second cercle, constitué des entreprises privées contraintes par la loi de mettre en œuvre des critères de gestion de service public et de se soumettre à la transparence de leur gestion vis-à-vis des élus et des usagers.
Chaque entité conserverait son identité et son statut juridique propre.
Ce pôle public pourrait se décliner au niveau régional, pour favoriser la participation des élus et des usagers et permettre de valoriser toutes les potentialités en terme de développement des EnR (3) et de maîtrise de la demande.
Des questions restent ouvertes concernant ce pôle :
Son statut juridique (faut-il un GIE – Groupement d’Intérêts Economiques ?)
Quelle déclinaison au niveau régional
Le périmètre du pôle (faut-il l’étendre au secteur pétrolier ?)
Le débat doit se poursuivre sur ces questions, mais n’attendons pas de les avoir toutes réglées pour amplifier la bataille.

Quelles pourraient être les missions du pôle public ?

Eric Roulot : Les missions assignées au pôle pourraient être les suivantes :
Développer le droit à l’énergie pour tous dans le cadre d’une politique respectueuse de l’environnement.
Construire des réponses coordonnées de service public
Servir de bureau d’étude à l’échelle régionale et nationale
Mener des opérations de coopérations à l’étranger
Favoriser  une  filière  industrielle  de  l’énergie
Partager les coûts d’investissement, de recherche et de formation.
Favoriser une politique industrielle cohérente en collaboration avec les fournisseurs de biens et d’équipement.
Peser sur l’économie européenne et auprès des institutions politiques de l’UE dans le sens des valeurs du service  public et  de la  mise en  place d’une agence européenne doter de la même visée que le pôle national.
Le pôle s’appuierait sur deux outils :
Une charte commune de l’énergie, adoptée par le congrès ou par référendum.
Valant engagement de toutes les entreprises, publiques et privés, auprès des usagers et des collectivités sur un contenu élevé de qualité de service, de protection de l’environnement et de maîtrise des coûts.
Y compris avec des dispositions permettant l’intervention des élus et des citoyens dans la gestion de ces entreprises.
Un ou des statuts des personnels harmonisés par le haut.
Permettant de tirer dans le sens du progrès social la situation des salariés du secteur de l’énergie.
Permettant à l’ensemble des salariés de ce secteur de bénéficier d’un pacte social novateur, qui leur assurerait un niveau de garanties sociales élevé avec, au cœur, la garantie de l’emploi pour tous. Sécurité pour tous, dans le cadre d’un engagement collectif appréhendant la mobilité fonctionnelle et géographique et l’effort obligatoire de formation tout au long de sa carrière, non plus comme une contrainte imposée, mais comme une source d’émancipation humaine et d’épanouissement dans la réalisation de son travail.

1)  Commission de régulation de l'énergie.
3) http://www.cre.fr/fr/content/download/5598/122035/file/Liste_Fournisseur...
3)  Energies renouvelables.
 

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