Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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De la présidence française de l'UE aux européennes de 2009. Europe : un irrépressible besoin de changement

La France prend la présidence de l’Union européenne dans un environnement politique et économique, social, particulièrement troublé et incertain. Au lendemain de son élection, Nicolas Sarkozy entendait faire de cette présidence un grand moment d’autocélébration, du «retour de la France en Europe» avec l’adoption annoncée du traité concocté avec Angela Merkel pour tourner la page des non français et néerlandais de 2005. Il entendait aussi utiliser cette opportunité pour accélérer le train des «réformes» de démantèlement social, sous couvert de mise aux normes de la «compétitivité» européenne.

Dans un contexte déjà sérieusement dégradé avec l’extension de la crise financière, des opinions majoritairement inquiètes, la victoire
du Non au référendum sur le traité de Lisbonne en Irlande bouleverse la donne de la présidence française. Elle modifie radicalement plus largement toute la période et surtout les conditions du débat des élections européennes de juin 2009.

Ignorer le non irlandais conduirait à de nouveaux déboires

Cet échec est d’autant plus retentissant et emblématique qu’il concentre les frustrations, les contestations de tous ceux auxquels a été dénié le droit de se prononcer par un vote. En ce sens le non irlandais prend une dimension européenne. Prolongement des non français et néerlandais de 2005, il est davantage qu’une confirmation. C’est la réponse populaire réitérée à des responsables, des gouvernements, des institutions, qui s'obstinent à ne pas vouloir entendre les inquiétudes, les angoisses sur l’avenir, les attentes envers l’Europe. Les premières réactions violentes, méprisantes au vote irlandais jusqu'à l’injonction de choisir entre revoter pour ratifier le traité ou partir sont insupportables d’un simple point de vue du respect du suffrage universel. D’autant que l’on sait que ce sont majoritairement les quartiers pauvres et les zones rurales fragilisées, les femmes et les jeunes qui ont voté contre le traité. Faire de ce vote l’expression d’un repli égoïste voire y déceler la main des néo-conservateurs américains ! témoigne de l’incapacité des milieux dirigeants européens à prendre la mesure de la crise que traverse l’Europe. Chacun sait que si les autres peuples avaient été consultés, le traité aurait été rejeté dans nombre de
pays. Plus largement encore qu’en 2005. Ignorer un signal d’une telle ampleur ne peut conduire qu’à de nouveaux déboires.
La décision du conseil européen du 20 juin de poursuivre les ratifications, les pressions et le chantage sur la République Tchèque et la Pologne signifient le refus de prendre en compte une réalité. Avec le refus irlandais, le traité de Lisbonne est caduc. Les grandes manœuvres sont engagées avec l’objectif d’isoler l'Irlande jusqu’à la contraindre à revoter avant les élections européennes. Outre qu’il s’agit d’un pari risqué, le refus d’ entendre ne peut qu’aggraver la crise de légitimité qui traverse le projet européen.

La fin d'une longue période

Ce nouveau Non, dans un pays profondément «proeuropéen», marque la fin d’une période dans la construction européenne. Les raisons qui ont fondé dans les opinions la légitimité du projet, dans le contexte de l’après-guerre, de construction, de guerre froide et de division de l’Europe, sont bouleversées. Tout a changé, avec une Europe à 27 et davantage demain sans doute la mondialisation dans un contexte de domination du marché capitaliste, une hégémonie impériale américaine contestée, l’émergence de nouveaux acteurs sur la scène mondiale, de nouveaux rapports de forces. Avec pour corollaire de nouvelles contradictions, la mise en crise d'institutions issues de la deuxième guerre mondiale, et pour l’Europe la mise en crise d’un certain modèle de construction, par «en haut», en relation avec la contestation des politiques menées ces dernières années vécues légitimement comme des facteurs d’insécurité, de précarisation, d'inégalités, de régression sociale. L’extension des mouvements pour l'augmentation des salaires avec la manifestation européenne de la CES à Ljubljana, jusqu’à Renault-Dacia en Roumanie marque la période. Quand la CES considère que «le non irlandais est un signal à prendre au sérieux d’autant que ce sont les ouvriers qui ont voté «non», et qu’elle appelle «les décideurs européens à changer de cap au risque de mettre au pilori le projet européen et d’engendrer un divorce avec ses citoyens», on mesure que l’irruption du social à un tel niveau prend une dimension politique. L’Europe, comme construction et comme projet, n’échappe pas au formidable besoin de changement qui s’exprime de manière diversifiée et souvent inédite dans le monde.

Un grand absent : le social

La prestation de Nicolas Sarkozy à la télévision la veille de sa prise de fonction a été révélatrice de cette contradiction. Comment convaincre quand on évoque le besoin de protection réel, et qu’au même moment on affirme que le social n’est pas de la compétence européenne ?
Justement, là se trouve le nœud. Si le projet européen a une légitimité forte dans les conditions actuelles, c’est dans sa capacité à répondre aux questions simples :
«Que change en mieux l’Europe dans ma vie ?». Or ce que vivent maintenant la plupart des femmes et des hommes, ce sont les directives de démantèlement du droit du travail, l’ouverture à la semaine de 65 heures, la pression à la précarisation, les arrêts de la Cour de justice européenne entérinant le dumping social, la mise en cause du Livret de caisse d’épargne, la mise en concurrence des services publics... Une
Banque centrale inflexible face aux inquiétudes, exprimées au plus haut niveau en France, mais aussi en Allemagne maintenant, et menaçante face au mouvements pour la hausse des salaires. Sur un autre plan, Galileo, la crise d’Eads, l’enjeu énergétique, l’avenir des transports, de l’automobile soulèvent la question de ce que peut et doit être une politique industrielle en Europe, intégrant enjeux environnementaux et informationnels, de formation, de sécurisation de l’emploi.
«Quel rôle peut-elle et doit-elle jouer dans le monde pour s’attaquer aux problèmes de l’humanité ?». On pense bien entendu à la crise environnementale, mais aussi à la paix, aux inégalités de développement. Mais aussi, et la conscience en est largement partagée, au rôle face aux ravages de la finance : quelles initiatives pour enrayer la crise financière ? Quelles initiatives face à la crise alimentaire et agricole, à travers une réforme de la PAC, dans l’OMC, dans un nouveau partenariat avec l'Afrique et l’ensemble méditerranéen ?
De ce point de vue, la présidence française ne porte pas d’élan prometteur . On connaît les priorités : l’immigration, le paquet énergie-climat, la défense européenne et la politique agricole. On peut imaginer un accord avant le 31 décembre sur les quotas de CO2, même si les réticences sont fortes du côté des pays entrants, comme les pays baltes. Concernant la volonté d’élargir à l’échelle de l’UE le renforcement répressif et sécuritaire du traitement des migrants, il semble que les dirigeants espagnols ne sont pas prêts à s’aligner inconditionnellement sur l’axe Sarkozy – Hortefeux Berlusconi. Sur la politique agricole commune, la contradiction entre les intérêts des agriculteurs français et la fuite en avant ultra-libérale de la Commission dans les négociations de l’OMC semble difficilement surmontable d’ici la fin de l’année. Avec l’énergie, la France aurait un rôle moteur, dynamique à jouer. Mais l’application dogmatique du principe de concurrence, la logique capitaliste des fusions acquisitions pénalisent les stratégies de coopération industrielle, pour  une véritable  politique énergétique commune qui implique une planification, des investissements et une maîtrise publics. Entre les ambiguïtés des intentions de Nicolas Sarkozy et l’opposition allemande, le projet d’Union méditerranéenne a beaucoup perdu de sa substance. Il n’en reste pas moins qu’une telle ambition répond à un besoin réel de nouvelles coopérations, et de nouvelles institutions économiques et politiques pour une région dont le destin des deux rives est inséparable. Quant à la défense européenne, la contradiction s’aiguise entre l’affirmation d’une identité européenne et l’intégration à marche forcée dans le giron militaire atlantique. L’envoi de troupes supplémentaires en Afghanistan et surtout le retour dans le commandement intégré de l’Otan prennent la signification d’un rapprochement stratégique avec les Etats-unis rompant avec la traditionnelle posture d’indépendance. Combinée à l’alignement sur la ligne dure de Washington envers l’Iran, à la tension générée par le déploiement du système antimissile américain, à l’élargissement de l’Otan, cette affirmation atlantique de la France alimente le climat de défiance envers la Russie, au moment où celle-ci redevient un interlocuteur incontournable, et devrait être considérée comme un partenaire majeur pour les européens. On le voit la présidence française s’annonce avec de lourds handicaps. Le plus sérieux reste l’absence de toute proposition en matière sociale. Absence cohérente avec «le cap» tenu en matière de «réformes» au plan intérieur.

Ouvrir le chantier d'un nouveau traité fondateur

En enrayant un processus que l’on voulait bien huilé parce qu’à l'écart des sentiments populaires, le non irlandais permet de reposer, à l’occasion de la présidence française et des élections européennes, les exigences fortes de changements politiques sociaux et démocratiques en Europe et pour l’Europe.
Tout d’abord il faut imposer l’arrêt du processus de ratification et que l’on entende la signification de ce vote populaire, et de ce que confirment toutes les enquêtes d’opinion, les mouvements sociaux. La question d’un nouveau traité est posée, de fait. Non pas seulement comme une question institutionnelle, mais comme exigence d’un nouveau départ. Un nouveau traité fondateur, qui marque la rupture avec le socle libéral du marché unique, qui fixe le cadre d’un nouveau modèle de développement social, écologique, solidaire. C’est dans ses conséquences dans la vie des peuples, dans les perspectives qu’elle ouvre ou qu’elle ferme que l’Europe -le projet européen est validée ou rejetée ce qui explique les différences selon les pays. Le malaise porte aussi maintenant sur les conditions de la construction elle-même, de ses frontières, de son efficacité. C’est la manière même de «faire l’Europe» qui est en cause, vécue comme en dehors des peuples. C’est dire combien l’élaboration de ce que doit porter un nouveau traité, des transformations à opérer impose un vaste débat public impliquant les populations et les citoyens. Il ne s'agit pas de reporter à demain un tel chantier. Il est de fait déjà ouvert à travers la dynamique des luttes sociales, dans leur dimension européenne. Il trouve des fondations dans les débats citoyens ouverts dans une remarquable richesse et diversité ces dernières années, lors des référendum sur le Traité constitutionnel.
La question d’un nouveau modèle de développement, de progrès humain, est posée. Partout en Europe. Souvent comme prolongement de l’Etat social de l’après-guerre, souvent aussi en poussant plus loin dans la contestation de politiques libérales le dépassement des logiques capitalistes. C’est un des enjeux de la période. L’idée d’une «Autre Europe possible» portait avec le refus de la résignation et du fatalisme face aux forces dominantes la force d’un espoir et le besoin d’une perspective. «Changer l’Europe» exprime la volonté politique, encore empreinte d’une conception de la transformation par l’extérieur. La profondeur de la crise de légitimité, sa dimension populaire, une conception nouvelle des conditions du changement, permettent de mieux mettre en dynamique les luttes pour des changements politiques, des changements de politiques, au plus près des réalités, du mouvement réel, dans leur ancrage national et jusque dans leur dimension européenne. La détermination des forces et des milieux dirigeants en Europe à «garder le cap» les conduit à ignorer, plus encore, les attentes profondes, sociales et démocratiques, et à écarter la participation politique effective des femmes et des hommes. Elles les conduit à réduire le problème à une question de «pédagogie» et de «communication». Ils ne font par là qu’aiguiser la contradiction, avec ce que cela porte de périls populistes et de replis sans perspective.

Un contexte nouveau pour les européennes de 2009

Dans ces conditions les élections européennes de juin 2009 prennent une dimension nouvelle, comme moment de confrontation et de rassemblement sur le devenir de l’Europe, sur les changements à opérer. Le vote pour les candidates et les candidats qui porteront la détermination contre les politiques actuelles, la colère contre le mépris des peuples, l’exigence d’un nouveau traité fondateur pour une Union nouvelle à partir des aspirations et des luttes populaires y gagne en efficacité. Il gagnera d’autant plus en crédibilité qu’il s’ancrera dans un vaste débat populaire à engager dès à présent, en France et à l’échelle de l’Europe. Pendant les six mois de présidence française, la brutalité et la gravité des législations de démantèlement social  de  la droite  et  de Nicolas Sarkozy, la radicalisation des dérives autoritaires, seront en première ligne. Un des enjeux est de faire converger, et mettre en dynamique le besoin de changer de politique en France et le débat sur les changements à opérer en Europe, sur le respect du vote des irlandais et pour un nouveau traité. En ce sens, dans un moment difficile et très exigeant, la présidence française de l’Union européenne peut être une opportunité.

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