A l'heure où j'écris ces lignes, l'Assemblée nationale achève l'examen du projet de loi relatif à
«la rénovation de la démocratie sociale et à la réforme du temps de travail». Un texte qui offre une parfaite illustration des méthodes du gouvernement, qui ne cesse de faire l'apologie du «dialogue social» mais ne reconnaît en vérité l'autonomie normative des partenaires sociaux que pour autant qu'il en fixe lui-même les règles du jeu et peut user de la menace permanente d'interventions législatives plus dures.
Ce simulacre de démocratie sociale, sur fond de pièges tendus aux organisations syndicales, n'aura pas fait longtemps illusion. Deux mois après avoir exigé des parlementaires, au nom du respect des conclusions de la négociation sociale, qu'ils ratifient sans en changer une ligne les mesures prévues par l'accord national interprofessionnel sur la modernisation du marché du travail, les masques sont définitivement tombés. Passant outre la fameuse «position commune» du 9 avril dernier, le gouvernement a ouvertement imposé sa propre réforme du temps du travail.
Il est vrai que l'enjeu était de taille : supprimer de notre droit toute référence qui ne soit pas anecdotique à la durée légale du travail. Au prétexte de tordre le cou aux 35 heures, il s'est agi, en fait, de consacrer un peu plus la prééminence du contrat sur la loi, de généraliser la négociation de gré à gré entre employeurs et salariés dans l'entreprise, contre les accords nationaux et de branches, de faire comme si le contrat de travail salarié qui constitue la clef de voûte de notre droit du travail ne présupposait aucun lien de subordination du travailleur à l'employeur.
Avec la réforme sur le temps de travail, notre pays se trouve dans une situation inédite. La loi bafoue en effet délibérément les engagements internationaux de la France et le texte de notre Constitution. Il conduit à la journée de 13 heures, aux 48 heures par semaine,voire plus, à la suppression des jours fériés hors 1er mai pour les forfaits jours, à 17 jours de travail supplémentaires par an, soit un samedi sur trois, ouvre enfin la porte aux 282 jours travaillés par an... Avec la monétisation du repos compensateur quand il en reste, les jours RTT qui s'évaporent, la disparition de l'avis des CE, des délégués du personnel, de la consultation et des pouvoirs de contrôle de l'inspection du travail sur les heures supplémentaires, c'est tout l'édifice de l'ordre public social qu'on veut mettre à bas.
Le terrain avait bien sûr été préparé par les réformes antérieures, dans le texte inaugural sur le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat (loi TEPA de juillet 2007), celui relatif à la recodification du Code du travail et plus récemment le projet de loi dit de modernisation du marché du travail, qui a introduit les redoutables innovations de la rupture conventionnelle et du contrat à objet défini. Ces différents textes ont eu pour finalité commune de flexibiliser le travail, d'en allonger la durée, de précariser l'emploi, d'offrir aux employeurs une totale liberté de licenciement et les conditions d'embauche avantageuses, avec, en appui, la police des chômeurs et la mise en place prochaine de l'offre «raisonnable» d'emploi.
Le slogan du «travailler plus pour gagner plus» est l'ha- billage idéologique de ce dispositif d'ensemble que le gouvernement décline réforme après réforme, et qui tend à promouvoir le droit commun des contrats, comme unique mode de régulation sociale et le recours éventuel au juge judiciaire comme mode privilégié de régulation des conflits.
Ces dangereuses évolutions nous plongent au coeur du credo libéral. La négation des droits collectifs, le refus de reconnaître toute légitimité aux conflits sociaux, qui justifie les coups de canif portés au droit de grève, le recours à la morale bourgeoise du travail la plus archaïque et réactionnaire pour tenter de justifier des formes inédites d'asservissement «volontaire», la stigmatisation des chômeurs...
Pour accompagner cette offensive généralisée contre les salariés, chômeurs, retraités, le pouvoir a engagé un très gros effort d'intégration jusqu'à tenter de prendre directement en main le service public de la télévision.
Difficile exercice en effet que de promouvoir le «travailler plus pour gagner plus» face au progrès galopant de la précarité, au maintien d'un important volant de chômage, à l'ampleur des plans de licenciements. à l'envol des prix de l'énergie et des produits de première nécessité...
Difficile exercice que de convaincre les salariés que la fluidification du marché du travail, la casse du droit du travail, la multiplication des exonérations fiscales et sociales participent d'un jeu «gagnant-gagnant» entre employeurs et salariés, alors que la part des salaires dans le PIB demeure à très bas niveau depuis quinze ans, que les entreprises du CAC annoncent d'insolents profits immédiatement replacés dans les opéra- tions financières et la spéculation...
Difficile exercice que de masquer la violence d'un plan de rigueur avec ses plus de 12 milliards d'euros d'économies sur les comptes de l'Etat et de la sécurité sociale, quand nos concitoyens continuent de voir se dégrader le service public, qu'ils voient dispa- raître la gratuité des soins et apprennent le nouveau recul de l'âge de la retraite...
La stratégie de Nicolas Sarkozy consiste en un enchaînement cohérent de réformes réactionnaires dont la combinaison vise à conduire à la rupture promise, celle que les organisations patronales appellent depuis si longtemps de leurs voeux. Elle consiste encore en la manipulation des statistiques du chômage, en la multiplication de déclarations lénifiantes visant à conjurer les maigres perspectives de croissance et en une formidable entreprise de division et de manipulation des salariés, d'intégration des syndicats à sa tentative de révolution conservatrice... Le délitement des postulats néo-libéraux devant l'épreuve des faits de la crise financière, énergétique et alimentaire n'est évidemment pas un particularisme national. Le «non» opposé par le peuple irlandais au Traité de Lisbonne vient en effet rappeler l'ampleur de la crise que connaît le prétendu modèle libéral européen. Le retour de Berlusconi aux affaires illustre aussi à sa façon l'échec d'une gauche sans ambition sociale et économique cohérente et vraiment alternative à celle de la droite. qui, elle, affiche clairement son projet.
Soucieuse de faire reculer les services publics et de privatiser les entreprises publiques, soucieuse d'en- courager le recul de l'«Etat social» afin de mieux mettre tous les appareils d'État au service de la domination des marchés financiers, l'Union européenne a inauguré le règne de la mise en concurrence généralisée des économies et des systèmes sociaux sous la houlette d'une Banque centrale européenne. D'où le cortège de désastres sociaux qu'ont connu et connais- sent encore les peuples européens : chute des prix pour les agriculteurs, délocalisations et suppressions d'emplois massives pour les salariés, disparition des services publics, asphyxie des finances publiques, mise en cause de la protection sociale... Une réalité que les dirigeants et bureaucrates européens assument, cramponnés qu'ils demeurent à la conviction que la rentabilité des grands groupes et la bonne santé des marchés financiers constituent les seuls objectifs d'intérêt général.
La crise financière mondiale en cours est elle-même le symptôme du caractère devenu intolérable du capi- talisme financier. Cette crise procède en effet du refus de considérer le caractère ruineux de la précarisa- tion générale de l'emploi, du rationnement et de l'éli- tisme des formations, des pressions exercées sur les salaires, de la faiblesse mais aussi de l'inefficacité sociale criante de l'investissement productif comme des dépenses de recherche et formation, du dumping fiscal, du gaspillage massif des ressources naturelles. Tout cela a littéralement asséché nos économies en encourageant l'explosion des placements financiers, les sorties de capitaux et la spéculation.
Mettre un terme à cette fuite en avant suppose au premier chef la conquête par les peuples de nouveaux droits démocratiques et de pouvoirs effectifs : ceux de la maîtrise et du contrôle des politiques économiques, de la capacité de faire valoir, dans la sphère économique, les objectifs sociaux répondant aux exigences d'émancipation humaine comme la sécurisation de l'emploi et de la formation, la promotion audacieuse des services publics. C'est l'une des leçons que je tire du refus exprimé par le peuple irlandais de continuer dans la voie ouverte par l'actuelle construction européenne. C'est aussi le sens que mes collègues députés et sénateurs commu- nistes et moi-même donnons à notre engagement de parlementaires.
Il y a actuellement 0 réactions
Vous devez vous identifier ou créer un compte pour écrire des commentaires.