Economie et Politique - Revue marxiste d'économie

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Jean Lojkine, Une autre façon de faire de la politique, Le Temps des Cerises, 2013, 20 €.

Pourquoi l’idéologie néolibérale résiste-t-elle à toute tentative pour critiquer et dépasser le système capitaliste ? L’auteur souligne en première partie l’ambivalence et la force de la révolution informationnelle. L’aliénation du travail informationnel doit être analysée, afin de déboucher sur une forme nouvelle de la lutte des classes.

L’auteur fait référence aux analyses de Paul Boccara, mais il considère que la théorie marxiste devrait expliquer davantage la spécificité de la crise du capitalisme informationnel. La marchandisation massive de l’information ne doit pas cacher ses dimensions non marchandes qui opposent la logique du partage à la logique de la concurrence. En opposition avec Bell, Touraine... Lojkine pense que la révolution informationnelle bouleverse les anciennes divisions sociales entre ceux qui informent et ceux qui sont informés, entre les travailleurs de la production matérielle et de la production intellectuelle. L’information est un rapport social qui oppose l’accès aux informations opérationnelles et l’accès aux informations stratégiques, monopolisées par l’élite dirigeante, mais ce n’est pas une pure domination.
L’auteur estime que l’ambivalence majeure de la nouvelle révolution technologique subvertit l’analyse marxiste classique de la baisse tendancielle du taux de profit. Ces avances nouvelles ne sont ni du capital constant, ni du capital variable au sens classique de la théorie marxiste. Ce sont, pour l’auteur, des « stocks », des « frais publics » qui agissent sur le système capitaliste comme s’il s’agissait du capital constant et y accélèrent la crise de profitabilité.

L’auteur va s’attacher à démontrer la différence fondamentale de l’échange d’informations avec les échanges de produits marchandises. La propriété privée des informations et des logiciels est en contradiction avec l’usage qu’en font les internautes. La caractéristique des informations c’est qu’elles ne sont pas consommées, c’est-à-dire détruites, mais au contraire partagées. Ce rapport social confronte une pluralité d’expériences contradictoires qui peuvent subvertir l’idéologie dominante. La révolution informationnelle comporte des potentialités productives positives, mais elle n’implique pas automatiquement une relation de partage non marchand et elle est utilisée idéologiquement par les groupes capitalistes pour dominer la masse des salariés et des internautes. Elle requiert de considérer l’importance accrue et les aspects nouveaux des services, particulièrement des services publics résultant des exigences nouvelles de la formation et du développement des individus.

La deuxième partie porte sur le « nouvel enjeu autogestionnaire ». Elle examine les effets du capitalisme informationnel sur le dispositif de représentation politique, liés à la nouvelle division du travail, mais aussi de l’introduction de formes nouvelles de « démocratie participative », avec création de petits groupes interactifs, d’expression directe, conduisant à une autogestion « locale », ponctuelle, mais massive, mais demeurant soumise à une petite caste de dominants.

L’intervention du grand patronat pour récupérer la dimension autogestionnaire se traduit par la mise en place de dispositifs participatifs (groupes d’expression directe, cercles de qualité, groupes semi-autonomes, management participatif, etc.). Les partis politiques, de leur côté, vont utiliser les nouveaux outils de communication, mais les forces réellement progressistes n’ont pas réussi à prendre en charge les aspirations autogestionnaires en construisant des passerelles entre démocratie représentative, partitaire, démocratie directe. L’auteur en recherche les raisons et souligne la nécessité de s’attaquer au cœur même de l’idéologie capitaliste qui fait des dépenses pour les hommes des coûts à réduire en priorité. Ce qui implique en particulier de proposer un nouveau type de productivité économe en capital.
Aujourd’hui, les bouleversements sociologiques introduits par la révolution informationnelle donnent un autre sens au projet autogestionnaire, tandis que la méfiance s’est accrue à l’égard des formes classiques de la représentation, l’abstention massive aux élections le montre bien. L’auteur examine la force et les faiblesses des médias alternatifs et les limites politiques des expériences de démocratie directe, l’exigence, aujourd’hui de leur dépassement. Il reproche aux actions actuelles leur caractère trop exclusivement défensif et l’absence ou l’insuffisance de propositions alternatives.

Il procède ensuite à une rétrospective du Front populaire à aujourd’hui, en cherchant à évaluer l’adéquation des réponses politiques de la gauche. L’investigation porte sur le Programme commun de la gauche de 1972, ses différentes lectures, les positions socialiste et communiste, et revient sur les échecs du PCF, malgré ses efforts de renouvellement. Les thèses du Parti communiste et de sa Section économique sont examinées, ce qui intéressera particulièrement les lecteurs de notre revue. Cependant l’auteur regrette que le Parti communiste, ainsi que la CGT ne se sont par réellement approprié la stratégie politique autogestionnaire, même s’il est souligné que l’autonomie de gestion revendiquée a constitué, par rapport à la conception étatiste antérieure des nationalisations, une véritable révolution culturelle. Il considère que « l’étatisme » de la théorie du capitalisme monopolistique d’État, telle qu’elle a été alors intériorisée, a stérilisé l’intervention autogestionnaire. Un regard est également porté sur l’échec des Conseils d’usines en Italie où la gauche n’a pu faire échec aux politiques néolibérales. Un chapitre est réservé aux expérimentations autogestionnaires de diverses natures développées en France et ailleurs qui traduiraient une certaine continuité historique et, peut-être, dit Jean Lojkine, une culture politique révolutionnaire sous-jacente, refaisant surface à chaque période de crise majeure.

Cet ouvrage appelle le débat, dans une conjoncture marquée par une conflictualité profonde, par la dangereuse politique de Hollande/Valls, cela porte l’exigence de projets novateurs.  n

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