Les Firmes multinationales (FMN) sont au cœur des délocalisations, de la désindustrialisation et des transformations de l’économie française. Leur poids direct est considérable (la moitié de l’emploi des entreprises situées en France), et elles sont très extraverties (plus la moitié de leurs propres emplois sont à l’étranger).
Malgré leur extraversion, la délocalisation en leur sein d’activités industrielles est très loin d’expliquer le recul de l’industrie en France. La notion même « d’entreprise française » et d’entreprise industrielle est déstabilisée, avec les deux forces motrices fondamentales que sont la financiarisation et les transformations technologiques actuelles, que nous interprétons comme les débuts d’une révolution informationnelle (par opposition à la révolution industrielle). Ces deux forces motrices agissent sous la pression des exigences de rentabilité et de la crise d’efficacité du capital. On peut en lire certains effets dans les balances des paiements de pays émergents (Chine, Brésil, Tunisie) ou développés (France, États-Unis).
Prendre l’industrie au sérieux exige de prendre les firmes multinationales au sérieux, dans toute leur spécificité et originalité, et de dépasser l’approche traditionnelle héritée de la première moitié du XXe siècle (le couple prédation/dépendance auquel répondait le couple nationalisation étatique/indépendance nationale). Cet aggiornamento des idées concerne aussi la théorie économique dite des « avantages comparatifs », qui repose sur l’idée de facteurs de production présents à chaque fois dans un seul pays (contrairement aux informations) et que les circulations des produits sont exclusivement des échanges (alors que les transferts prennent un place décisive).
Nous avons en effet des FMN « nouvelle manière » : celles de la révolution informationnelle, partageant dans leurs filiales du monde entier les informations (comme la formule chimique d’un médicament). Elles articulent des activités productives localisées (multi-localisées) et une globalisation de leurs résultats et des ressources auxquelles elles ont accès. À cette tension localisation/globalisation correspond la tension entre coûts localisables et coûts globalisables. Globalisation financière et globalisation industrielle apparaissent pour l’essentiel comme deux faces d’un même phénomène. On peut montrer l’existence d’une intrication très forte entre financement, circulation des revenus et gestion industrielle. Elles organisent ainsi à leur profit un nouveau couplage finance/activités réelles, mais aussi services/industrie, voire activités réelles/services publics. Une réponse étroitement nationale se heurte ainsi à la double limite de fond de la financiarisation et du besoin de partage technologique, avec le besoin d’efficacité sociale.
Ces FMN changent la donne de l’industrie mais aussi de la politique économique, exigeant une cohérence alternative nouvelle. Cela concerne tout particulièrement les critères de gestion et d’action politique, les pouvoirs et les institutions, mais aussi les buts sociaux de l’industrie, avec l’enjeu de développer des biens qui pourraient être communs : depuis la connaissance scientifique jusqu’à la santé, l’énergie, le transport, la culture, l’écologie, etc.
Cela renvoie bien sûr à l’exigence d’autres critères de gestion (coûts, efficacité) et au développement en cours d’indicateurs statistiques (Insee, Eurostat, OCDE, ONU) ainsi qu’à leur territorialisation, avec une double dimension sociale et écologique (notamment le rapport VA/C et la notion de VAdt, valeur ajoutée disponible pour la population d’un territoire).
Mais cela change la vision des institutions publiques concernées par les FMN et l’industrie. Contrairement au centrage exclusif sur les institutions de concurrence internationale sur les échanges de produits (telles l’OMC), cela appelle à des transformations fortes de la politique monétaire, de la régulation des balances des paiements (investissements internationaux, revenus, etc.) ou des institutions qui concernent les brevets et la connaissance, dans le sens d’une nouvelle sélectivité – financière, monétaire et réelle – en faveur de protections et promotions sociales et productives coordonnées entre pays et maîtrisées pour le développement de biens communs. n
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